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University of Ottawa
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I
REVUE
ENCYCLOPÉDIQUE.
REVUE
ENCYCLOPÉDIQUE,
ou
ANALYSE RAISONNÉE
DES rfvODUCTIONS LES PLUS REMARQUABLES
«ANS LA LITTÉRATURE, LES SCIENCES ET LES ARTS,
PAR UNE RÉUNION
DE MEMBRES DE L'INSTITUT,
ET d'autres hommes DE LETTRES.
( totoiàieiiizj Qj\DWiie€j. )
TOME X.
PARIS,
AU BUREAU CENTRAL DE LA REVUE ENCYCLOPEDIQUE,
Rue d'Enfer-Saint-Michel, n" 18.
:t cuEz ARxnus Bertrand, rue hautefeuille, n* 20.
LONDRES. — TREUTTEL ET WURTZ, IT DULAU ET C ''•
AVRIL 1821.
a Toutes les sciences sont les rameaux d'une même tige. »
Bacon.
« L'art n'est autre chose que le contrôle et le registre des meilleures
productions A contrôler les productions (et les actions)
d'un chacun, il s'engendre envie des bonnes , et mépris des mau-
vaises. >■)
Montaigne.
« Les Lelles -lettres et les sciences, bien étudiées et bien comprises ,
sont des instruraens universels de raison ^ de vei'tu, de bonheur. »
(M. A. J.) .
REVUE
ENCYCLOPÉDIQUE ,
ou
ANALYSES ET ANNONCES RAISONNÉES
Des productions les plus remarquables dans la
Littérature , les Sciences et les Arts,
«VV%^VV%tV\(\tiVV\iVWti\>WVWV«WV\r%VV\ivVV\lvllV\ WWVWWW%%IVWMLllA/MiWVI.VM«VW
L MÉMOIRES, NOTICES^
LETTRES ET MÉLANGES.
RAPPORT
Fait à L'Académie des sciences par M. /e eonite de
LAcipi;DE, stir /'Histoire naturelle des mammifîîhes,
par MM. Geoffroy de Saint -Hilaibe et Frédéric
CÙVIER.
L'académie m'a chargé de lui rendre compte d'un
grand ouvrage dont les auteurs lui ont fait hommage ,
et qui est intitulé : Histoire naturelle des mammifères ,
avec des figures originales enluminées, dessinées d'après
nature sur des individus vivans. C'est à MM. Geoffroy
DE Saint-Hilaire , Frédérig Cuvieu et Charles de
Lasteyrie que les naturalistes doivent cette histoire.
Depuis long-tems les amis des sciences naturelles
désiraient posséder, indépendamment des ouvrages
6 RAPPORT
immortels publiés par les pères de la science sur les
mammifères , une collection de figures de ces mammi-
fères ou quadrupèdes aussi exactes que le demandait
l'état de la science zoologique , et assez belles pour être
associées aux savantes descriptions des plus habiles
zoologues , ainsi qu'aux magnifiques tableaux de très-
grands écrivains. Celles qui avaient été publiées par les
éditeurs de Buffon et de Daiibenton , par Pcnna7it,
ShaUi Schreber, Allamand, Edward, Daniel, et par
d'autres auteurs, ne pouvaient remplir qu'imparfaite-
ment les désirs des naturalistes , à une époque où les
sciences naturelles venaient de faire tant de progrès , et
où, chaque jour, leurs trésors étaient augmentés par de
célèbres voyageurs. Un grand nombre de ces figures
ne donnaient que des idées très-incomplètes des cou-
leurs variées , des teintes délicates, des nuances fugitives
si nécessaires cependant , dans beaucoup de circons-
tances, pour déterminer les caractères des espèces.
D'autres ne présentaient aucun de ces traits particuliers
de conformation dont l'observation est si importante
pour le véritable naturaliste. Celles-ci n'avaient été faites
que sur des peaux mal préparées et décolorées par le
tems; celles-là n'avaient été dessinées et coloriées que
d'après des descriptions trop peu étendues pour com-
prendre toutes les formes et toutes les couleurs de
l'animal.
L'ouvrage de MM. Geoffroy de Saint-Hilaire , Fré-
déric Cuvier et de Lasteyrie a paru aux zoologues ré-
pondre à leurs vues et mériter tous les suffrages. Aucun
auteur d'une histoire des mammifères n'a eu à sa dis-
position une collection aussi belle , aussi rare , aussi
]' AIT A L'ACADIÎMIE DES SCIENCES. 7
nombreuse que celle du Muséum d'histoire naturelle,
dont peuvent se servir, pour leurs travaux, les auteurs
de l'ouvrage dont j*ai l'honneur de rendre compte à
l'académie. Ils en ont profité avec le succès que l'on
devait attendre de leurs lumières et de leurs talens.
Les dessins et les peintures ont été faits par M. Werner,
ou les peintres du Muséum , sous les yeux de l'un des
auteurs. Toutes les figures faites sur des animaux vi-
vans représentent avec fidélité les formes , les propor-
tions, l'attitude , le port, les nuances et la distribution
des couleurs , tous les organes extérieurs , tous les
traits dont le naturaliste a besoin de constater la pré-
sence et de reconnaître la nature.
Le texte olTre , pour chaque espèce figurée ^ non
seulement une description détaillée de l'animal , mais
encore des observations sur ses facultés , ses habitudes,
son instinct et son intelligence, dignes des auteurs de ce
texte précieux.
Des comparaisons soignées et des rapprochemens ha-
biles montrent les rapports qui lient, les uns avec les^
autres , les espèces du même genre , les genres du
même ordre , et les ordres qui composent la grande
classe des mammifères.
L'ouvrage a d'ailleurs été exécuté de manière que tes
figures et les textes qui y sont relatifs peuvent être
séparés ou réunis , et offrir ainsi la classification mé-
thodique que chaque naturaliste croira devoir pré-
férer; et, ce qui ajoute beaucoup à l'importance de
l'ouvrage , dont plus de vingt livraisons ont déjà paru ,
c'est que l'on y trouve des figures et des descriptions
très - exactes , non seulement d'espèces dont l'image.
8 ESQUISSE D'UN COURS D'HISTOIRE,
n'avait jamais été donnée au public, mais encore d'un
grand nombre d'autres espèces dont les naturalistes n'a-
vaient aucune connaissance.
Les amis des sciences naturelles doivent donc une
grande reconnaissance aux auteurs de la nouvelle his-
toire des mammifères , et ils la leur doivent d'autant
plus que les planches gravées lithographiquement, sous
la direction de M. de Lasteyrie , offrent ce qu'a produit
pour eux de plus digne d'éloges cet art lithographique,
avec lequel on rend si bien le fini et Je moelleux du pelage
des animaux, et peuvent servir aux études d'un grand
nombre de naturalistes qui n'auraient pas pu les acqué-
rir, si les beaux dessins de M. Werner ou des peintres
du Muséum avaient été multipliés par les procédés de
la gravure ordinaire (i).
vwvvvv\*tvv\w»
Esquisse d'in cotjbs d'histoire , ou d'ux plan de
LECTURES historique?, rapporté spécialement à l'ii^-
FLUENCE des FEMMES, considcréc dans les différcns
siècles et chez les différentes nations.
La plupart de ceux qui lisent des livres d'histoire,
les lisent sans ordre , sans suite et sans méthode. Ils
prennent au hasard des auteurs anciens ou modernes,
des époques reculées ou récentes, et ils entassent dans
leur esprit des notions vagues et confuses. Ils trouvent
(i) On souscrit pour cet ouvrage, à raison de i5 fr. ]a livraisou , à
rétablissement lithographique de M. de Lasteyrie, rue du Bac, n°58.
Chaque livraison est compose'e de 6 planches enlumine'es, papier Jésus
vélin , accompagnée d'un lexle in-folio. Il en paraît une chaque mois.
RAPPORTÉ A L'INFLLENCI'] DES FEMMES. D
peu d'intérêt dans de semblables lectures , nécessairement
mal dirigées, qui sont de continuelles divagations. Mais
un cours complet de lectures historiques, bien ordonné
et constamment suivi, pourrait offrir de grands avantages
et un charme inexprimable. Il serait utile de déterminer
d'avance, par un choix judicieux, les ouvrages qu'on vou-
(h-ait lire, et l'ordre dans lequel on les lirait successive-
ment. Cet ordre devrait être basé sur la chronologie, afin
qu'on pût suivre, de siècle en siècle, les progrès et les
déviations de la civilisation, et les différentes vicissitudes
dont les nations ont tour à tour été la proie. La connais-
sance et la distribution des tems peuvent seules établir de
l'ordre dans l'histoire, et nous fournir le fild'Arîadne dans le
vaste labyrinthe des tradili-ons et des annales humaines. Les
époques sont comme des points de repos, d'où l'on con-
sidère ce qui est avant et ce qui est après. On peut exami-
ner, en s'arrêtant à ces stations convenues, la physionomie
particulière de chaque nation et de chaque siècle. « La
science des tems, a dit le savant M. Daunou (i), serait in-
complète, inanimée et stérile, si elle ne comprenait point
les progrès et les égaremens propres à chaque siècle. Un
exposé chronologique, avec des traits distinctifs de chaque
époque , qui est un guide nécessaire dans les études histo-
riques, doit offrir une image rapide et successive des faits
mémorables, des vicissitudes de la civilisation, des des-
tinées du genre humain. » Il conviendrait ensuite de se
proposera soi-même un rapport particulier sous lequel on
envisagerait la marche des siècles et des peuples, et qui
procurerait, dans ce genre de travail, une sorte d'unité
d'action, d'intérêt et de but, qu'on demande dans une
tragédie, dans un poème épique, dans un tableau, et en
(i) Leçons d'histoire au collège de France , en i8ifj.
10 ESQUISSE D'UN COURS D'HISTOIRE,
général dans toute composition , qui n'a de mérite qu'au-
tant que les détails, bien combinés et habilement fondus,
concourent à former un bel ensemble. La personne qui
entreprend un cours d'histoire , doit choisir avec soin ce
rapport spécial qu'elle se propose d'étudier et d'approfon-
dir, de manière qu'elle y trouve pour elle-même, et sui-
vant la nature de son esprit, son goût et sa destination,
une instruction utile et une occupation agréable.
Un militaire s'attachera particulièrement, dans ses lec-
tures historiques, à Vart militaire , à ses premiers et in-
formes essais, à ses procédés plus ou moins compliqués,
aux modifications qu'il a subies. Un diplomate rappro-
chera, pour les comparer, les traités , les conventions , les
alliances et les relations de tout genre entre les peuples ,
ainsi que les variations qu'ont pu subir le droit des gens
et la politique générale, suivant les époques et les formes
de l'organisation des sociétés. Un jurisconsulte saisira
les traces et les caractères des législations qui se sont
succédées ou modifiées dans les diflférens âges du monde ,
dans les différentes contrées de la terre, et aux diverses
périodes de la civilisation , en appréciant l'influence salu-
taire ou malfaisante que ces législations ont exercée sur la
liberté et sur la moralité des peuples, sur la prospérité des
états, sur la stabilité des gouvernemens. Un moraliste
recherchera les coutumes, les usages, les mœurs; il s'oc-
cupera des causes qui ont pu les produire; il voudra
observer les nuances qui les distinguent. Un médecin
étudiera les grands événemens publics et les principaux
phénomènes qui intéressent Vart de guérir, considéré sous
le double rapport des choses et des personnes , soit des
découvertes, des systèmes, des doctrines successivement
professés dans l'école , soit des maladies épidémiques qui
ont désolé des villes ou des contrées entières, soit enfin
RAPPORTE A L'INFLUENCE DES FEMMES. 11
des personnages distingués, ou des grands médecins, qui
ont fait avancer la science.
Un lecteur assidu et laborieux pourra même ne point se
borner à un seul rapport, mais fixer son attention sur un
plus grand nombre d'objets. L'observateur philosophe,
qui embrasse dans sa pensée les grands intérêts de l'hu-
manité, pourra jeter un coup d'œil général sur les divers
élcmcns de la civilisation rapprochés et comparés dans les
dift'érens pays.
Chacun , pouvant ainsi prendre à son choix et considé-
rer dans l'histoire , comme dans une grande école des
sciences morales et politiques, un ou plusieurs sujets par-
ticuliers , donne plus de précision et de fixité à son esprit,
en lui offrant un but déterminé dans ses recherches, et un
mobile puissant pour exciter et entretenir son activité.
L'esprit n'acquiert pas seulement, par cette habitude sa-
lutaire, un plus grand degré de pénétration, de justesse
et d'énergie, mais aussi plus d'étendue et de force d'obser-
vation, et une manière plus large de voir les choses. Il
s'habitue à remonter des effets à leurs causes , aux ressorts
ou aux agens moteurs , et à redescendre de ces causes pro-
ductrices aux effets ou aux résultats. En même tems' qu'on
donne plus de rectitude, d'étendue et de vigueur à l'es-
prit, et qu'on le fortifie dans l'exercice de l'observation et
de la méditation, on réunit les trois avantages de cultiver
et d'orner la mémoire, d'exciter l'imagination, de former
le style; car on doit fixer par écrit, dans des tables coor-
données, dont nous présenterons bientôt le modèle, un
résumé analytique des faits les plus remarquables qui ap-
partiennent au rapport particulier qu'on a choisi.
Supposons maintenant que des femmes, dont la sensi-
bilité plus délicate et plus vive rend leur goût plus fin et
plus sûr, leur jugement plus exquis, mais dont l'éducation ,
12 ESQUISSE D'UN COURS D'HISTOIRE,
en général trop superficielle, les habitue à ne rien appro-
fondir, et nuit au développement de leurs facultés, veuil-
lent appliquer à leur usage ces idées préliminaires, et faire,
pour leur instruction , un cours complet et suivi de lectures
historiques. Voici l'un des points de vue qui paraîtrait le
mieux leur convenir :
L'Influence MORALE ET POLITIQUE des femmes, considérée
chez tous les peuples , dans tous les siècles, et tour à tour
dans les différentes sphères de la vie privée et de la vie
publique , est un objet digne de fixer la curiosité et la mé-
ditation. Cette influence du sexe le plus faible sur le sexe
le plus fort, qui rétablit entre eux l'équilibre, est une loi
de la nature, dont la société, les législateurs, les gouver-
nemens doivent s'emparer et faire l'application, pour l'avan-
tage de l'espèce humaine. C'est à la fois un sujet gracieux
et sérieux, qui sourit à l'imagination, qui plaît à la raison,
qui éclaire l'esprit et nourrit le cœur, qui se lie à toutes
les affections douces, tendres, généreuses, à tous les sen-
timens nobles, à toutes les pensées profondes. L'histoire,
étudiée sous ce point de vue , offre des tableaux animés,
des récits attachans et instructifs aux observateurs des deux
sexes. Mais les femmes surtout peuvent y puiser des leçons
et des exemples salutaires. Elles apprendront, par des faits
multipliés, reproduits sous toutes les formes et à toutes les
époques , quelle est la puissance réelle de leur sexe, sou-
vent inaperçue, mais toujours active, et comment cette
puissance, bien ou mal dirigée, devient un levier utile
pour élever l'homme aux plus hautes conceptions, aux en-
treprises les plus hardies, aux actions les plus difficiles et
les plus louables, ou bien un véritable fléau pour l'espèce
humaine, qui est quelquefois entraînée par cette même
cause, devenue malfaisante et corruptrice, dans les plus
affreux abîmes de la dépravation et du malheur.
RAPPORTJÎ A L'INFLUENCE DES FEMMES. 13
La moitié la plus intéressante du genre humain devient
alors comme un seul et même personnage, qu'on peut
suivre et observer dans toutes les périodes de l'histoire,
dont on étudie à fond l'action et l'influence, difTéremrnent
modifiées par l'éducation, par la législation, par les mœurs
et par l'esprit général des sociétés. On recueille une foule
de faits curieux, d'anecdotes instructives, d'événemens,
de portraits, de caractères épars çù et là , qu on réunit en
faisceau, ou qu'on dispose dans une vaste galerie. L'his-
toire , sans rien perdre de sa dignité et de son utilité, prend
la couleur et l'intérêt d'un roman, riche en épisodes et en
aventures bizarres ou tragiques , toujours variées , quoique
rapportées à une même considération générale.
Dés l'origine du monde, nos livres sacrés font paraître,
sur la scène de l'histoire , la compagne d'Adam, Eve, qui
séduit son époux et le porte à la désobéissance envers le
Créateur. Adam, chassé du Paradis, est condamné, ainsi
que toute la race humaine, à travailler, à souffrir et à
mourir : la première femme devient la première cause de
toutes les misères qui affligent notre vie.^
L'histoire des Hébreux nous offre tour à tour, dans des
situations et avec des détails plus ou moins attachans ,
mais qtri nous font connaître leurs coutumes et leurs
mœurs, les épouses d'Abraham et des autres patriarches,
de Loth, de Jacob, de l'égyptien Putiphar : la rivalité de
Sara, mère d'Isaac, et à''Agar, obligée de fuir dans le dé-
sert avec son fils Ismaël, fournit des épisodes toiichans qui
ont souvent inspiré les peintres et les poètes. Nous re-
cueillons avec intérêt les circonstances qui accompagnent
la naissance de Moïse , destiné à sauver les Israélites, et
sauvé lui-même dans son berceau par 2Viermatis, fille du
roi Pharaon. Nous remarquons la tribu de Benjamin pres-
que entièrement anéantie pour avoir abusé de la femme
lA ESQUISSE D'UN COURS D'HISTOIRE,
d'un lévite ; la prophélesse Dèhora excitant la valeur des
troupes par ses cantiques; le sacrifice de la fille de Jephté,
juge et chef d'Israël; le triomphe de l'innocente Susanne,
d'abord injustement condamnée; Samson privé de sa force
et livré aux Philistins par l'artificieuse Dalila ; Saiil con*»
sultantla Pythonisse de Hendor; la fille de Saûl, Michol,
qu'avait épousée le roi David, dérobant son mari aux pour-
suites de son père; la colère de David adoucie par la
beauté , les grâces et la prudence ô.'Abigaïl, femme de
Nabal; ce inême roi oubliant sa gloire^ ses devoirs et son
Dieu dans les bras de Bethsahée ; NicausiSj reine de Saba ,
rendant hommage à Salomon comme au plus sage des
hommes et au plus magnifique des rois , et la sagesse de
Salomon succombant sous l'influence des plus honteuses
voluptés ; un autre roi d'Israël , Achab , entraîné par son
épouse Jèsabel, reine orgueilleuse et impie, dans les voies
de l'injustice et du crime; la fille de Jésabel, la cruelle
Athalie, mise à mort par ses propres soldats, et la pieuse
Jozahet, s'unissant au grand-prêtre Joïada pour sauver le
jeune roi Joas ; la ville de Béthulie délivrée par le dévoue-
ment de la fière et audacieuse Judith ; enfin, la touchante
Esthevy triomphant d'Assuérus, et sauvant, par son heu-
reuse influence , une nation entière Touée à la proscrip-
tion.
Dans la religion poétique des Grecs , la compagne de
Deucalion, Pyrrha, devient, après le déluge, la seconde
mère du genre humain. Cèrès partage avec Triptolème
l'honneur d'avoir enseigné aux hommes l'usage de la
charrue , et d'avoir policé leurs mœurs par l'agriculture.
Le premier vaisseau qui paraît sur les côtes de la Grèce
porte les cinquante filles de Danaus.
L'Olympe des anciens n'est pas moins peuplé de déesses
que de dieux, qui reçoivent également les hommages des
RAPPORTÉ A L'INFLUENCE DES FEMMES. 15
mortels. Junon préside aux mariages et aux accoiichemens;
Vénus, à la beauté; la savante et belliqueuse Minerve
protège à la fois les arts et les guerriers; la chaste Diane,
les vierges et les chasseurs. Amphitrite règne au sein des
mers; la présence de Proserpine embellit jusqu'au sombre
empire de Pluton. Hèhè est la déesse de la jeunesse; Flore
est celle des fleurs et des jardins ; à Pomone appartient
l'empire des fruits et des vergers. Les Dryades et les
Nymphes animent les arbres et les forêts ; les Naïades se
jouent dans les eaux; Its Muses inspirent les poètes; les
Grâces conduisent les amours; les Parques tiennent dans
leurs mains nos fragiles destinées ; les Furies , armées de
serpens, poursuivent les criminels ; et l'affreuse Nèmésis
s'assied, à côté des tyrans, sur leurs trônes ensanglantés.
Ainsi, la mytboiogie qui retrace, dans les objets de la
croyance et de la superstition des peuples, une image de
leurs coutumes et de leurs mœurs, consacre de mille ma-
nières, par ses fictions ingénieuses, l'influence et la puis-
sance du beau sexe , également actives et dominatrices
dans le ciel et sur la terre.
Les traditions des tems héroïques nous offrent le farouche
Hercule, vainqueur des brigands et des monstres des fo-
rêts, filant aux pieds di' Ompliale , et recevant des mains
de Dêjanire la tunique empoisonnée du centaure Nessus ;
puis Antiope , reine des Amazones, vaincue et prise par
Hercule, qui la donne pour épouse à Thésée ; la jeune et
belle Ariadne, servant de guide au même prince dans le
labyrinthe de Crète ; Phèdre brûlant pour Hippolyte d'une
ardeur incestueuse; la fierté sauvage d'Hippolyte vaincue
par la douceur et par les charmes dH Aricie ; Mèdée secon-
dant les travaux de Jason ; le palais des Atrides agité par
les tempêtes de l'Amour, de la Jalousie, de la Vengeance,
que des femmes ont soulevées. Nous donnons encore des
ie ESQUISSE D'UN COURS D'HISTOIRE,
pleurs à la tendresse fraternelle (TElectre et à la piété
filiale A''Antigone. Les noms de Clytemnestre, d'Iphigénie,
de la sage Pénélope; la trop fatale beauté ^Hélène, les
malheurs à'JIécube, A''Andromaque , de Polixène ; les
jalouses fureurs d'Oreste, qui veut s'assurer par la mort de
Pyrrhus la possession A^Hermione^ s'unissent dans nos
souvenirs aux exploits des héros grecs et troyens , com-
battant sous les murs d'Ilion.
Si nous arrivons aux tems historiques, le royaume
d'Assyrie nous transmet le nom de la superbe Sèmiramls;
Artémise, reine de Carie, devientcéIèbre,long-tems après,
par l'immortel hommage que sa tendresse conjugale rend
aux mânes de Mausole; Panthée, femme d'Abradate, roi
de Suse , se tue de désespoir sur le cadavre de son époux.
Nous conservons encore la mémoire de plusieurs autres
reines fameuses dans l'antiquité : de Thomyris _, reine des
Messagètes; de la reine des Amazones, Thalestris , con-
.temporaine d'Alexandre; àeLaodice, reine d'Antioche;
de Teuta, reine d'Illyrie; de plusieurs reines d'Egypte,
qui portaient le nom de Cléopâtre, et qui ont agité cette
contrée par de fréquentes révolutions, et arraché le sceptre
à des princes; dCAlexandra, reine de Judée, qui s'empare
du trône; Ag. Bérénice ^ qui avait inspiré cette passion im-
périeuse dont Titus eut la gloire de triompher; de Boa-
dicée, reine de Britannie, et de Zènobie, reine de Palmyre
et d'Orient, qui succombent l'une et l'autre sous la for-
lune des Romains.
Ces noms et tant d'autres de femmes célèbres, qui sur-
nagent dans l'océan des siècles, viennent confirmer la
vérité générale que nous avons avancée. Dans tous lef
tems, sous tous les climats, dans tous les gouvernemens.
à toutes les époques de la civilisation, dans les monarchie;
absolues, comme dans les républiques; chez les peuples
RAPPORTE A L'INFLUENCE DES FEMMES. 17
chasseurs, pasteurs et nomades; chez les nations agricoles,
guerrières, commerçantes, libres ou esclaves, de mœurs
simples ou corrompues, l'influence des femmes s'est hki-
nifestée par des preuves publiques et solennelles, par de
grands événemens , par une foule de faits irrécusables,
dont les monumens subsistent encore.
La fugitive Didon, portant ses pénates au-delà des
mers , va jeter sur le rivage africain les fondemens de
Carthage. Le nom et les poésies de Sapho passent à la
postérité avec les noms et les vers d'Homère, d'Anacréon
et de Pindare. La prêtresse de Delphes attire par ses oracles
les différens peuples de la Grèce.
Chez les Spartiates, nous admirons plusieurs traits
héroïques, qui caractérisent les femmes formées par la
législation de Lycurgue. Nous remarquons des coutumes
et des institutions puisées dans une connaissance profonde
du cœur humain , qui donnent une plus grande force et
une meilleure direction à l'influence des femmes sur les
hommes, et surtout à celle des jeunes filles ur les jeunes
gens. Cette influence devient, par le génie du législateur,
un des puissans mobiles de l'esprit public. Nous croyons
encore assistera ces fêtes, à ces cérémonies nationales,
où les chansons publiques des jeunes filles lançaient des
traits satiriques sur les citoyens et sur les guerriers qui
{avaient mal rempli leur devoir, et célébraient par leurs
ilouanges ceux qui avaient fait des actions dignes de mé-
moire. « Elles embrasaient ainsi, dit Plutarque, les cœurs
ides jeunes citoyens de l'amour de la gloire et de la vertu :
elles allumaient entre eux une noble jalousie, une salu-
taire émulation. » Les guerriers étaient excités , dans les
.eux et dans les combats, par cette acclamation solennelle :
■ " Souviens-loi que les embrassemens de ta belle compagne
•' seront le prix de tes exploits. » A la bataille de Sellasie,
FoME X. Avril 1821. 2
18 ESQUISSE D'UN COURS D'HISTOIRE,
le roi Cléomène , voyant son frère enveloppé par les en-
nemis, et jugeant qu'il n'était plus possible de le sauver :
« Mon frère, s'écrie-t-il, tu es perdu; mais tu meurs au
champ de la gloire, et tu vertu sera éternellement le sujet
des éloges et des chants des femmes de Sparte. »
Les mœurs de Lacédémone nous montrent le mariage et
la paternité honorés, la population encouragée^ les céliba-
taires privés des respects dus à la vieillesse. Les hommes
sont courageux, parce que les femmes inspirent et ré-
compensent leur courage : ils sont citoyens, et ils ont une
patrie, parce que les femmes sont citoyennes. — La mère
de Brasidas s'applaudit qu'on ait trouvé un grand nombre
de Spartiates dignes d'être préférés à son fils. L'amour de
la patrie l'emporte sur l'esprit de famille et sur la tendresse
maternelle. La mère de Cléomène, envoyée comme otage
auprès du roi Ptolémée , ne veut pas que, pour sauver sa
vie, son fds néglige de conclure avec les Achéens une
alliance utile aux intérêts de l'état. Sous le règne d' Agis,
la mère de ce jeune roi et les dames de sa cour pressent
les autres femmes de Lacédémone de favoriser le projet)
du monarque tendant à rétablir dans son ancienne vi-i
gueur la discipline laconique. « Les LacédémonienS;
ajoute Plutarque, avaient de tout tems une grande défé-
rence pour leurs femmes , et leur laissaient plus de pou-
voir et d'autorité dans les affaires publiques , qu'ils n'er
prenaient eux-mêmes dans leurs affaires particulières e
dans l'intérieur de leurs maisons. »
Qui n'a pas recueilli avec attendrissement et vénératioi
le généreux exemple de dévouement donné par Chélonide
fille de Léonidas, roi de Sparte, qui s'attache tour à tour
par une vertueuse inconstance, à la destinée de son pèri
proscrit par son époux, et à celle de son époux, quand ■
est poursuivi par la vengeance de son père ? Léonidas II
RAPIPORTÉ À L'INFLUENCE DES FEMMES. 19
:hassé du trône de Sparte, avait été remplacé par son
2;endre Cléombrotus; et la femme de Cléombrolus , quit-
tant son mari devenu roi, s'était rendue la compagne
irolontaire des malheurs de son père, détrôné et fugitif.
Mais bientôt Léonidas fut rappelé dans son royaume , et
Cléombrotus était proscrit à son tour. Alors Chélonide ,
jui avait embrassé le parti de son père malheureux et
»'était associée à son exil, et qui avait abandonné son
îpoux élevé au faîte de la puissance, voyant celui-ci
tombé dans la disgrâce, et son père rétabli dans sa pre-
mière dignité, n'hésita point à changer comme la fortune,
et à quitter Léonidas, devenu roi, poursuivre Cléombrotus
devenu malheureux. On la vit assise auprès de son mari,
suppliante comme lui , et le tenant tendrement embrassé
avec ses deux enfans à ses pieds. Tous ceux qui étaient
présens fondaient en larmes, et admiraient cet amour con-
jugal et cette vertu si rare. L'infortunée Chélonide, mon-
trant ses habits de deuil et ses cheveux épars et négligés :
« Mon père, s'écriait-elle, ces vêtemens lugubres, ce
visage abattu et cette grande affliction où vous me voyez,
ne viennent pas de la compassion que j'ai pour Cléom-
brotus; ce sont les restes et les suites du deuil que j'ai
pris pour tous vos malheurs et pour votre fuite de Sparte.
Que dois-je donc faire aujourd'hui ? . . . dois-je, pendant
Ique vous régnez à Sparte , et que vous triomphez de vos
ennemis, continuer à vivre dans la désolation et le déses-
ipoir ? ou dois-je prendre des robes magnifiques et royales,
quand le mari que vous in' avez donné dans ma jeunesse
est poursuivi par vous, sous mes yeux, et menacé d'être
égorgé par vos propres mains ? S'il ne peut désarmer votre
tolère, ni vous fléchir par les larmes de sa femme et de
-t- enfans, sachez qu'il souffrira un supplice plus cruel que
I t;lui que vous lui préparez, lorsqu'il verra son épouse, qui
2*
20 ESQUISSE D'UN COURS D'HISTOIRE,
lui est si chère, mourir avant lui. Car, comment pourrai-
je vivre j comment pourrai-je me trouver avec les autres
femmes de Sparte, moi qui n'aurai pu, par mes prières ,
toucher de compassion, ni mon mari pour mon père^ ni
mon père pour mon mari, et qui, femme et fille, me serai
toujours vue également malheureuse, et toujours un objet
de mépris pour les miens ? Quant à mon époux, s'il a pu
avoir quelques motifs apparens pour excuser sa conduite,
je les lui ai ravis, en le quittant et en prenant votre parti,
pour servir presque de témoin contre lui-même. Et vous,
vous lui fournissez des moyens plausibles de colorer son
injustice, en faisant voir par vos actions que la royauté
est un bien si précieux et si désirable, qu'on peut, pour
l'obtenir, égorger ses propres enfans et sacrifier tout le
bonheur de sa famille et les plus douces affections de la
nature. »
Lorsque Agis, roi de Sparte, jeune et sensible, confiant
et vertueux, eut succombé sous les efforts d'une faction
ennemie, par les intrigues de Léonidas, auquel il avait
sauvé la vie, sa veuve Agiatis s'unit à Cléomène, et le
conjura de suivre sur le trône l'exécution des plans de sorj
premier époux. C'est vme femme qui inspire le noble pro-
jet de rétablir la discipline et les lois de Lycurgue.
A l'époque où Pyrrhus fait le siège de Lacédémone, les
habitans délibèrent d'envoyer les femmes en Crête, mai:
elles s'y opposent; l'une d'elles, nommée Archidamie
prend une épée , entre dans le sénat, et , poi'tant la paroi
au nom de toutes les autres, demande à tous ces homme
assemblés s'ils ont été assez injustes envers elles pou
supposer qu'elles puissent encore aimer ou souffrir la vi
après la ruine de Sparte. Comme on s'occupait ensuite d
tirer une tranchée parallèle au camp des ennemis, le
femmes et les filles vinrent aider les hommes employés
RAPPORn-: A L'IISFLUENCE DES FEMMES. 21
ce travail; et, après avoir invité ceux qui devaient com-
battre à se reposer pendant la nuit, elles mesurèrent la
longueur de la tranchée , et en prirent pour leur triche la
troisième partie , qu'elles eurent achevée avant le jour.
(Elle avait six coudées de largeur, quatre de profondeur
et huit cents pieds de long. ) Dès que le jour parut, les
ennemis commençant à se mettre en mouvement, elles
présentèrent elles-mêmes les armes à tous les jeunes gens ;
et, leur laissant la tranchée qu'elles avaient faite, elles
les exhortèrent à la bien garder, et leur représentèrent
vivement quelle douceur ce serait pour eux de vaincre
aux yeux de leur patrie, ou quelle gloire de mourir entre
les bras de leurs mères et de leurs femmes , après s'être .
montrés dignes de Sparte par leur valeur.
Les vieillards et la plupart des femmes étaient de l'autre
côté de la tranchée, et voyaient les exploits et les grands
faits d'armes d'Acrotatus, guerrier lacédémonien, qui,
après le combat, traversa encore la ville pour retourner
à son premier poste, couvert de sang, joyeux et fier de
sa victoire. En cet état, il parut, aux yeux de ces femmes,
plus grand et plus beau, et il n'y en eut pas une, dit Plu-
tarque, qui ne portât envie à Chèiidonide d'avoir un
amant si généreux.
Les Lacédémoniens se défendirent avec une ardeur et
une intrépidité qui suppléèrent à l'infériorité de leurs
forces. Les femmes ne les abandonnaient point , mais se
tenaient toujours auprès d'eux, occupées à leur donner
des armes , à fournir à leurs besoins , à retirer et à panser
les blessés.
Ainsi, de nos jours, les braves Lilloises, s'associant à
la gloire de la défense de leur ville, s'exposaient, sur les
rem'parts, aux bombes et aux boulets, partageaient les
22 ESQUISSE D'UN COURS D'HISTOIRE,
fatigues et les dangers de leurs maris et de leurs fils, et
menaçaient de l'ignominie et des derniers supplices qui-
conque aurait pu songer à se rendre. Leur dévouement
magnanime inspira leurs concitoyens^ et créa des héros.
La rudesse farouche et la fierté presque sauvage des
Spartiates n'empêchent pas que leur histoire ne fournisse
un très-grand nombre d'exemples qui attestent quelle
fut chez eux l'influence des femmes. Les annales des
Athéniens, peuple poli et plein d'urbanité, amolli et
voluptueux, reproduisent des faits du même genre, qui
reçoivent d'autres modifications , d'après la difi'érence de
leur caractère et de leurs mœurs.
Dans Athènes , l'ambitieux Périclès et le sage Socrate
recherchent également les entretiens et le suffrage de la
belle et spirituelle Aspasie. Elle s'attachait, dit Plutarque,
aux plus puissans et aux premiers citoyens, et gouvernait
ainsi les plus grands personnages de la république.
. Après que Phocion eut été condamné à boire la ciguë,
et que son cadavre même fut exilé du territoire de l'Attique,
une dame de Mégare célèbre ses funérailles, lui consacre
un bûcher et recueille ses cendres. C'est une femme qui
répare, autant qu'il dépend d'elle, l'injustice des Athé-
niens envers un grand homme, et qui devance pour lui
l'opinion de la postérité.
L'orateur Démosthène reprochait à la Pythie de philip-
piser; un monarque astucieux avait cru devoir gagner Ig
prêtresse pour assurer ses succès.
Dans la guerre de ce même Philippe avec les Athéniens,
ceux-ci, ayant pris les courriers du roi , ouvrent toutes le;
lettres, mais respectent celles de la reine Olympias , sor
épouse, et les lui renvoient, sans en briser le sceau.
L'histoire a consigné la' répartie courageuse d'une femme
RAPPORTE A L'INFLUENCE DES FEMMES. 25
à laquelle ce même prince refusait de rendre justice :
« We poiis mêlez donc pas d'elre roi. » Frappé de sa ré-
ponse, Philippe fait droit à sa réclamation.
Chez les femmes Spartiates, on voit dominer lecouraj^e,
l'héroïsme, l'amour de la patrie, des passions fortes et
généreuses; chez les femmes athéniennes, on trouve des
sentimens moins énergiques et moins profonds, le désir
de briller, l'ambition, la vanité, l'amour de la célébrité
ou de la gloire. Les mœurs des deux nations offrent les
mêmes différences; et, quoiqu'on puisse les imputer à
plusieurs causes réunies , on ne peut se dissimuler, en
reconnaissant chez l'un et l'autre peuple une première
action du climat, de la législatimi , du gouvernement, de
l'éducation, de l'opinion publique sur le caractère et la
conduite des femmes, qu'il existait aussi une réaction non
moins puissante de l'influence des femmes sur la législa-
tion, le gouvernement, l'éducation, l'opinion, et sur les
mœurs et le caractère du peuple.
La fameuse courtisane Phriné, attachée au sculpteur
Praxitèle, qui fit sa statue, dont nous admirons peut-être
encore les proportions et la beauté dans cette Vénus de
Médicis, chef-d'œuvre de l'antiquité, attribué au ciseau
de cet artiste célèbre, offrit de rebâtir à ses dépens les
murs de Thèbes, pourvu qu'où y mît cette inscription:
« Alexandre a détruit Thèbes, et Phriné Va rétablie. »
La vie de cet Alexandre, dont la déplorable folie lui fit
préférer le rôle de conquérant aventurier et de fléau des
nations à celui de grand roi, fournit une foule d'exemples
de femmes qui exercent leur influence , plus ou moins
directe et puissante, sur ses actions et sur sa gloire. Sa
conduite noble et généreuse envers la mère, la fctnnie et
les filles de Darius, lui concilient plus de suffrages que
ses conqu-C'lcs. 11 sait honorer le malheur et admii'cr le-
U ESQUISSE D'UN COURS D'HISTOIRE,
courage et la yertu. Lors de la ruine de Thèbes, Timocléa^
faite prisonnière par les Thraces, est amenée devant lui;
interrogée par le roi, qui veut connaître son nom : « Je suis,
répond-elle, la sœur de Théagè?ie, qui a combattu contre
Philippe votre père pour la liberté de la Grèce , et qui a
été tué à la bataille de Chéronêe où il commandait. »
Alexandre, admirant la réponse noble et généreuse de cette
femme , ordonne qu'on la laisse aller en liberté avec ses
enfans.- — Son respect pour sa mère Olympias est un de ses
titres à la gloire, Antipaterlui ayant écrit une longue lettre
contre elle, il dit, après l'avoir lue : « Cet homme ignore
quune seule larme d'une mère suffit pour effacer mille
lettres comme la sienne. »
Sa vengeance cruelle , livrant aux flammes le palais de
Xercès et les murs de Persépolis, est le crime d'une vile
courtisane qui excite sa fureur- Le vainqueur du monde
est vaincu par Thiaîs , dont les yeux étincelans d'une
coupable joie commandent à son amant l'incendie et le
ravage.
Mais Alexandre, plus maître de lui, quand ses courti-
sans veulent l'ériger en dieu, se moque lui-même de l'opi-
nion accréditée parleurs flatteries, et accueillie quelquefois
par son orgueil ; il se reconnaît mortel par le double besoin
du sommeil et de l'amour.
Toutes les républiques et les villes grecques, ainsi que les
états en relation avec elles; la patrie d'Epaminondas, si res-
pectueux envejs sa mère; celle deTimoléon, où la fière et
généreuse Tliesta déclare à Denys-le-Tyran qu'elle préfère
le titre d'épouse de Polixenus, banni pour la cause de
la liberté, à celui de Denys, tyran de la patrie ; Argos. où
le roi Pyrrhus périt au milieu de ses succès , par la main
d'une mère qui venge la mort de son fils; les monarchies
contemporaines , où tour à tour des reines intrépides ou
RAPPORTE A L'INFLUENCE DES FEMMES. 25
efféminées, vertueuses ou cqi'rompues, et d'autres femmes,
sorties de différentes classes de la société , influent sur les
destinées des rois et des peuples , nous offrent également
les noms , plus ou moins illustres, de beaucoup de femmes
qui ont honoré quelquefois leur sexe par de grandes actions^
ou qui l'ont flétri par de grands crimes, et qui confirment,
par des preuves multipliées, la vérité historique sur la-
quelle nous appelons l'attention des femmes et celle des
politiques et dea moralistes.
Si nous arrivons aux annales de la république romaine,
nous trouvons, à toutes les grandes époques de son histoire,
des femmes qui jouent les principaux rôles , ou qui influent
sur les événemens les plus importans.
Une femme dérobe aux bêtes féroces, et nourrit en secret
le fondateur de Rome, qui, sans elle, périssait inconnu.
L'enlèvement des femmes sabines allume la guerre entre
les Sabins et les Romains. Ces mêmes femmes éplorées
enchaînent la fureur des deux peuples, prêts à s'entr'égor-
ger^ et le pinceau de notre David fait revivre devant nos
yeux cette scène touchante et sublime. Les noms d'Iletsi lie
et de Tarpela s'associent dans l'histoire à celui de Romulus.
Le pieux et sage Numa fortifie sa puissance, en persua-
dant à un peuple crédule et superstitieux qu'il a des en-
trevues mystérieuses avec la nymphe Egérie.
La victoire des Horaces sur les Curiaces, qui conserve aux
Romains leur domination sur le Latium, domination qu'ils
doivent étendre sur l'Italie et sur le monde, est souillée par le
meurtre d'une femme jugée indigne d'être Romaine, parce
que ses pleurs sur la mort de son amant semblent insulter
au succès de son frère et au triomphe de sa patrie. Le génie
de Corneille s'empare de ce fait historique pour émouvoir
nos âmes, par- la peinture énergique des mœurs romaines.
L'ambition et la cruauté de l^'épouse do Tarquin font
26 ESQUISSE D'UN COURS D'HISTOIRE,
naître les premiers mouvemens de l'indignation populaire,
qui doit renverser le trône. L'outrage fait à Lucrèce et son
noble et volontaire sacrifice excitent les principaux séna-
teurs à chasser les rois. Le courage de l'héroïque délie se
communique aux jeunes Romaines, ses compagnes, et ob-
tient l'admiration dePorsenna, qui fait la paix avec Rome.
La mère et l'épouse de Coriolan, Véturie et Volumnie ,
triomphent de son orgueil et de sa fureur, et sauventla patrie
menacée. Un temple est alors consacré par les Romains à /a
fortune des femmes. Lajeune et innocente Virginie.^ poignar-
dée par son père qui n'a pas d'autres moyens de la soustraire
auxdésirs infâmes d'Appius, détermine la chute des décem-
virs. La jalousie de l'épouse d'un plébéien contre sa sœur
mariée à un patricien, fait participer l'ordre du peuple aux
honneurs du consulat, réservé jusqu'alors à la seule noblesse.
Ainsi, même chez une nation fière et superbe, presque
barbare, et endurcie parla guerre, dans un sénat auguste,
composédes plus graves personnages, nous voyons une ques-
tion politique importante , décidée au gré de l'influence et
de la volonté d'une femme vaine, ambitieuse et jalouse.
Telle est la double puissance des femmes et des passions.
Plutarque nous apprend qu'après la mort violente de
Tibérius et de Caïus Gracchus, le peuple fit faire leurs
statues, les exposa en public, consacra les lieux où ils
avaient été immolés, et fit aussi élever à Cornèlie, qui vivait
encore, une statue de bronze sur laquelle on mit cette ins-
cription : « CoRNÉLiE, MÈRE DES GRACQrEs. » On rendait cet
hommage à l'influence d'une mère, dont l'ame généreuse,
le caractère altier, l'énergie, et peut-être aussi l'ambition,
avaient passé dans l'ame de ses fils. Les funestes pressenti-
mensdeXzciVzîrt, femme de Caïus, et ses tristes ettouchaus
adieux à son époux, qui se rend sur la place publique où
il doit trouver la mort, rappellent les adieux d'Hector et
RAPPORTÉ A L'INFLUENCE DES FEMMES. 27
fVA ndromaque, et arrachent des larmes d'attendrissement
et de pitié, au milieu des scènes d'horreur et des fureurs
sanguinaires des factions.
Dans la guerre de Rome contre Carthage, Sophonisbe ,
épouse de Syphax, enlève son mari à l'alliance des Romains.
Les femmes des Carthaginois coupent leurs longues cheve-
lures pour en faire des (?&rdages qui puissent servir aux
machines destinées à défendre leur ville.
Environ un demi- siècle après, c'est une femme, appelée
Fuli^ie, qui recueille dans les épanchemens de la confiance
et de l'amour, et qui révèle au consul Cicéron les atroces
complots de l'ambitieux Catilina : elle retarde ainsi de
quelques années la ruine delà république. Une autre i^zi/p'/g,
épouse d'Antoine , femme hardie, vindicative et cruelle,
prend part à toutes les exécutions barbares du triumvirat ;
elle fait prosci-ire et immoler ce même Cicéron , naguère
proclamé le sauveur de la patrie , et perce d'un poinçon
d'or la langue de l'orateur qui avait charmé les Romains.
Quand les femmes s'abandonnent aux passions violentes et
à la cruauté, leur tempérament plus délicat, mais plus iras-
cible que le nôtre , les rend plus susceptibles d'excès en
tout genre ; il les pousse au-delà des bornes, et plus loin que
les hommes, dans la carrière où elles sont lancées.
Nous avons vu l'influence des dames romaines dans les
beaux jours de la république : nous la retrouvons encore ,
aux différentes époques de sa décadence. Les mariages po-
litiques de César avec la fille de Pompée, de Pompée avec
celle de César, d'Antoine avec la sœur d'Octave, suspen-
dent quelque tems les guerres civiles, qui doivent embra-
ser l'empire et l'univers.
Une reine égyptienne voit tour à tour à ses pieds le
grand César, vainqueur des Gaules et maître de Rome,
et le voluptueux Antoine; ce Romain dégénéré lui sacrifie
28 ESQUISSE D'UN COURS D'HISTOIRE,
ses devoirs, son caractère, sa puissance, sa gloire, cl
subit la loi d'Auguste. Lorsque Antoine est vaincu , c'est
Cléopâtre qui triomphe , et le caprice d'une femme ;t
décidé de la journée d'Actium.
Livie , femme d'un proconsul, devient la compagne du
maître du monde , et ses intrigues font passer le gceptrc
dans les mains de l'affreux TflSère.
Les noms de Cornélie, veuve de Pompée, qui, du haut
de son navire, voit assassiner son époux sur le rivage
d'Egypte; de Porciej digne compagne du dernier Brutus;
à^Ariuj qui donne à Psetus le noble exemple d'un géné-
reux dévouement et d'une mort volontaire; à^Èponime ,
qui s'associe à la proscription de Sabinus, et qui s'ense-
velit vivante avec lui dans un antre sauvage, sont consa-
crés par les hommages des siècles. Un opprobre éternel
poursuit les noms abhorrés Ùl Agi-îppine ^ de Messaline ,
de Poppée ^ et de plusieurs femmes ambitieuses, corrom-
pues et cruelles, qui ajoutent aux scènes d'horreur et de
crime , si multipliées dans la décadence du bas empire.
Un grand nombre d'impératrices président successivement
aux destins de Rome et de l'univers; les premières im-
pressions qu'elles ont repues dans l'enfance, les leçons,
les exemples qui ont entouré leur berceau , et qui ont
formé leur jeunesse , déterminent les actions qui influent
sur le sort du monde, et qui préparent, après elles, des
empereurs, trop souvent l'opprobre et le fléau du genre
humain
En traçant une esquisse aussi rapide et aussi imparfaite
d'une partie de l'histoire ancienne, à laquelle nous aurions
pu ajouter beaucoup défaits du même genre, puisés dans
le moyen âge et dans les tems modernes, nous avons
voulu seulement donner une idée de la marche qu'on peut
suivre pour l'exécution de notre plan. Ce simple aperçu
RAPPORTE A L'INFLUENCE DES FEMMES. 29
suffit pour faire entrevoir combien est riche et féconde la
mine qu'on invite les femmes à exploiter dans l'histoire :
celles qui entreprendront des lectures historiques, d'après
cette direction, et qui les continueront avec persévérance,
trouveront un intérêt toujours croissant dans ce travail. Elles
perfectionneront, par l'habitude, leur talent d'observer et
d'écrire ; elles acquerront à la fois plus de finesse et de
sagacité; elles seront mieux initiées aux mystères du cœur
humain ; elles posséderont une connaissance plus appro-
fondie de leur sexe, de ses devoirs, de ses droits, de sa
puissance, de son intérêt bien entendu, et du meilleur
emploi qu'elles peuvent faire de leur influence.
Cette itijluence des femmes^ toujours active et puis-
sante? est le sujet d'un Essai historique et philosophique ,
entrepris depuis plusieurs années par l'auteur de cette
Notice. Des recherches dirigées particulièrement vers ce
but lui ont paru le complément naturel et nécessaire des
travaux sur l'éducation, auxquels il a consacré une partie
de sa vie. L'influence des femmes modifie ou détruit les
impressions de la première éducation ; elle suffît souvent
pour corriger ou pour corrompre les caractères des hommes:
elle se reproduit enfin, avec toute sa force , dans tous les
âges de la vie, dans toutes les conditions de la société,
dans les cours et dans les palais des rois comme sous le
chaume des bergers, dans les villes et au fond des cam-
pagnes les plus reculées, au, milieu de la civilisation
comme au sein de la barbarie , sous toutes les formes de
gouvernement, et dans les pays même où l'esclavage des
femmes est consacré par les mœurs et par les lois (i).
(l) Les trois agp.s de i.a vie, cgalcment cmLcilis par riiillucnce
(]p la femnae, domiée à l'hoinme , moins encnio comme une coni-
pai^nc nécessaire j que comme une sorte de pvoYidencc placée auprès
50 ESQUISSE D'UN COURS D'HISTOIRE,
Ce serait une circonstance heureuse qu'un monument
historique, élevé à la gloire du sexe, qui est l'ornement
et le charme de la vie humaine , pût être composé de
matériaux recueillis par des femmes qui aimeraient à faire
des recherches et des extraits rapportés au but qu'on leur
propose. Nous offrirons donc maintenant la partie, pour
ainsi dire , mécanique de la méthode de lectures qu'elles
pourraient suivre.
En lisant un ouvrage, quel qu'il soit, une histoire,
une vie particulière d'un personnage célèbre, un voyage',
même un roman, on s'attache à rechercher tout ce qui
concerne la condition ou l'influence des femmes. A mesure
qu'on trouve un passage, un fait, une observation, qui
tient de près ou de loin à ce sujet, on met, à cette page
du livre , une petite bande de papier pour la retrouver
facilement; ou bien l'on écrit, soit au crayon, soit à
l'encre, sur une feuille de papier détachée, les numéros
des pages que l'on veut revoir.
de lui sur la terre , et comme un lien commun de la famille et de la
société , ont fourni à notre grand peintre Gérard le sujet d'un de
ses tableaux les plus gracieux. On voit une jeime femme, d'une
physionomie douce et tendre, qui tient sur ses genoux un enfant
dont elle est la mère et la nouri'ice , qui pre'seate sa main gauche
à un hedM jeune homme sur lequel son regard se fixe avec complai-
sance , et qui étend sa maiu droite sur les épaules d'un respectable
vieillard. Son père , son époux et sou fils , qui partagent et réu-
nissent toutes ses affections , semblent recevoir d'elle seule le bon-
heur et la vie. Le fond du tableau représente une solitude agréable,
un paysage isolé, les boi'ds d'im lac, une ville dans le lointain. Ce
n'est point l'horreur du désert , ni le tumulte de la cité ; le gi'oupe
est assis sur des ruines ; les souvenirs de la ciTilisation s'unissent à
l'aspect sauvage d'un lieu abandonné. C'est à la fois une conception
philosophique et poétique , qui réveille des idées mélancoliques et
douces; la sensibilité a inspiré le génie.
RAPPORTÉ A L'INFLUENCE DES FEMMES. 31
Le passage qu'on a remarqué est-il au milieu de la
page, on place une barre àcôié du chiffre. Exemple : 12/.
— Si le passage est au commencemeut de la page, la barre
est placée au-dessus du chiffre. Exemple : i5. — Si le pas-
sage est au bas ou à la fin de la page , on place la marque
au-dessous du chiffre. Exemple : 18. — Si toute la page est
à relire, on enveloppe tout le chiffre. Exemple: 20.)
Par ce moyen, sans interrompre sa lecture, on con-
serve l'indication de tous les passages à revoir; puis,
quand on a fini un volume , ou quand on a lu seulement
une centaine de pages, on reprend les pages lues, d'après
leurs numéros inscrits à part, et l'on fait de courts extraits
sur un cahier à colonnes , disposé d'après le modèle qui
suit.
Modèle d'un Journal des extraits et des analyses de
ses lectures.
s o
DATES
OU pages
des volum.
cites.
DETAILS DIVERS ,
faits
et obserrations.
rvioTs
de
lecheiclie.
XOTES
et
signes.
1. "Lsi première colonne est destinée à déterminer chaque
article par un numéro d^ ordre ^3iVX\c\xWcv , qui sert ensuite
à le retrouver au besoin,
2. On inscrit, dans la seconde colonne, soit la date,
soit le titre et la page du volume, d'où l'on a tiré des
extraits.
;32 ESQUISSE D'UN COURS D'HISTOIRE,
3. La troisième colonne, qui est la plus étendue, con-
tient le précis des faits et des ohseivations que l'on veut
conserver.
4. La quatrième colonne indique, par un ou par quel-
ques mots de recherche^ le sujet particulier de chaque ar-
ticle, et facilite singulièrement les recherches à faire dans
le recueil. Pour le sujet particulier de l'histoire et de l'in-
fluence des femmes , ces m,ots de recherche pourront être :
piété filiale j amour conjugal, tendresse maternelle , édu-
cation, amour de la patrie, courage, héroïsme , ambition ^
mariage politique j législation relati\-'e aux fetnmes j esprit
de famille , vertus domestiques j économie, etc., musique _,
poésie , peinture , etc.
5. La cinquième colonne , pour les notes e,l signes , per-
met de désigner, par un même signe générique convenu,
les différens mots de recherche , susceptibles d'une sorte
d'association, ou qui peuvent être considérés sous un
même point de vue général. Ainsi le signe A [album de
l'histoire) pourra caractériser tous les traits historiques où
l'influence des femmes se sera manifestée d'une manière
utile et honorable ; le signe N {iiigruni) rangera sous la
même classe tous les faits qui signalent cette influence
comme funeste. D'autres signes convenus pourront servir
à distinguer la même influence, en /jo/^^/^if^^ en religion,
dans la législation ^ dans la guerre , en littérature , dans les
beaux arts, dans les mœurs publiques j dans la vie pri-
vée, etc. Les deux colonnes des mots particuliers de re-
cherche et des signes généraux ont pour objet de donner
la double habitude de Vespritde détail et de V esprit d'en-
semble.
6. La sixième et dernière colonne, pour les numéros de
renvois, qui correspond avec la première, celle des nu-
mérofi d'ordre , sert à établir des rapports et des renvois
RAPPORTÉ A L'INFLUENCE DES FEMMES. 33
nntre les articles qui se correspondent, ou qui ont entre
eux quelque analogie. On dispose les chiffres inscrits dans
cette colonne, ainsi qu'il suit : |. Le chiffre supérieur , ou
placé au-dessus de la ligne, indique le nutmho d'ordre de
l'article précédent le plus rapproché qui traite du même
sujet. Le chiffre inférieur, ou placé au-dessous "de la ligne,
renvoie à l'article le plus rapproché de l'une des pages sui-
vantes, dans laquelle le même sujet se trouve reproduit.
On peut ainsi revoir et parcourir les extraits qu'on a re-
cueillis, soit dans un o?'dre chronologique y et d'après la
succession des faits, soit dans un ordre analytique , et
d'après la nature des matières, considérées, oxi paj-ticu-
lièrement à l'aide des mots de recherche ^ ou sous un point
de vue général, au moyen des signes génériques. Comme
on a pris soin d'enregistrer, sous un même titre, les ar-
ticles qui traitent un même sujet, et d'affecter à chacun
d'eux un numéro d'ordre particulier, l'usage des numéros
de renvois permet de retrouver et de rapprocher, au milieu
même d'une multitude de fragmens écrits sans suite ni
liaison , tous les articles qui ont entre eux quelque analogie,
et qui peuvent s'éclairer mutuellement.
Cette manière de lire et de conserver des extraits de ses
lectures est à la fois simple , commode , instructive et
agréable. On réunit, au bout de quelques années, la sub-
stance de plusieurs volumes ou de beaucoup d'ouvrages
différens , sous un rapport déterminé, dans un petit
nombre de pages. On se ménage des points d'appui pour
la mémoire , des sujets variés pour la méditation et la ré-
flexion.
Aucun sujet, surtout dans les tems où nous vivons, dans
cette grande époque historique, qui est une sorte de
transition d'un degré de civilisation à un autre degré
plus avancé, ne paraît plus digne que celui de V Influence
l'oME \. 2
SA OBSERVATION.
chi femmes^ de fixer l'attention, le» recherches et les
pensées d'une femme qui joint à un esprit judicieux et
observateur une ame généreuse , animée d'un véritable
amour de son pays et de l'humanité. C'est par l'influence
des femmes, bien dirigée, qu'on peut régénérer les hommes,
réformer l'éducation et la législation, améliorer les mœurs
particulières et publiques, calmer les passions haineuses,
prévenir les discordes funestes, faire peut-être un jour
cesser le déplorable fléau de la guerre , adoucir enfin
la plupart des maux qui désolent la triste humanité.
M. A. JuLLlEN, de Paris.
\\/K\\.\/V\\.\IW\JW\
OBSERVATION.
QroiQCE nous admettions très-rarement des pièces de
vers dans ce Recueil , qui est grave par sa nature , les deux
pièces qu'on va lire nous ont paru mériter une exception
et pouvoir être placées à la suite de V Esquisse sur l'in-
fluence des femmes ^ parce qu'elles forment, pour ainsi
dire, la continuation du même sujet, présenté sous des:
formes plus agréables et plus animées.
Dans la première, le Portrait de Clarisse, on voit une
créature angélique, aussi distinguée par les qualités de
son cœur, par la pureté, la candeur et la noblesse de son
caractère, que par la solidité et les grâces de son esprit, et
par les charmes de sa figure. Nous laisserons à nos lecteurs
le soin de deviner si Clarisse est un personnage réel ou
imaginaire. Si elle existe, nous craindrions de blesser sa
modestie, en soulevant à moitié le voile sous lequel k
vertu, comme la beauté, semble vouloir se dérober à nos
hommages. Quoi qu'il en soit, comme un esprit philoso-
phique aime toujours à s'élever d'un fait particulier et isol«
H une considération générale, on peut trouver dans ce por-
LE PORTRAIT DE CLARISSE. 35
trait une sorte de modèle d'une perfection idéale, qu'il n'est
pas sans intérêt d'offrir à l'émulation des jeunes personnes
du même sexe et du même âge , de cet âge heureux et
brillant, qui ne connaît encore ni les regrets du passé, ni
les inquiétudes de l'avenir, et dont le présent se compose
d'aimables illusions, d'espérances et de fleurs.
La seconde pièce de vers, en rapprochant, dans quel-
ques stances, les femmes et les fleurs^ qui ont entre elles
tant d'analogie, et qui sont peut-être en effet les deux
plus beaux ornemens de la nature, a pour objet de rappeler
que la destination des femmes n'est pas uniquement d'em-
bellir par leurs charmes la carrière de la vie, mais qu'elles
peuvent surtout s'honorer et se rendre utiles par une
bonne direction morale donnée constamment à leur in-
fluence naturelle et légitime sur les hommes.
Ces deux pièces de vers n'appartiennent donc pas seu-
lement aux circonstances et aux personnes qui les ont
inspirées; mais elles retracent des exemples de vertu, ou
elles expriment des vérités philosophiques , qui sont de
tous les tems et de tous les lieux, et qui ne sont pas in-
dignes de l'attention des femmes elles-mêmes, ni des
méditations des moralistes; c'est ce motif qui en a fait dé-
cider l'insertion.
WX'» VVV\W*'\'WV\
LE PORTRAIT DE CLARISSE.
Une image me suit : elle est partout présente ;
Elle est à la fois belle , aimable , séduisante ;
Elle enivre les yeux et captive le cœur :
Elle exerce en tout lieu son ascendant vainqueur. .
Dans ses mobiles traits , la jeunesse et la vie ,
La sensibilité , germe heureux du génie ,
La tendre piété , le filial amour .
56 J.L ruRIKAir D£ CLARISSE.
La candeur . la liert« se peignent tour à tour.
Son oeil lance un éclair , dont la rapide Qamme
Par un charme secret pénètre jusqu" à lame;
Et «on divin soum-e . oii bnile la bcnté ,
Dont la grâce angelique ajoute à sa beauté ,
Est comme un doux rayon de la rive lumière
Que le soleil répand sur la nature entière.
Mais sa beauté nest rien pour qui connaît son cœur ,
Consacré par Dieu même au culte du malheur.
J'ai recueilli les pleurs que sa pitié touchante
Accorde aux malheureux. Une laiTne éloquente
A mouillé sa paupière, au douloureux récit
Des revers d'un rieillard que le destm poursuit.
Ces rerers ont cessé. Beauté , grâce , innocence .
Dans un sexe enchanteur , quelle est TOtre influence !
Quel homme impunément peut voir Clarisse en pleurs?
J'ai vu, j ai ressenti , j ai calmé ses douleurs.
Le vieillard a béni l'aimable bienlaitrice
Qui des hommes pour lui réparait 1 injustice.
A la fleur de ses ans , descendue au tombeau ,
Une mère laissait son enfant au berceau .
Faible . pauvie , soufl'rant . sans appui sur la teiTC ,
Déplorable oi-phelin qu'attendait la misère.
Mais Clarisse a connu ces victimes du sort.
La mère infortunée , au moment de sa mort ,
Lui confia son hls ; et sa douleur pieuse
De Clarisse implora la l>onté généreuse.
Les malheureux jamais ne font priée en vain ;
Et , vierge , elle a servi de mère à roi"phelin.
Dans ces jours désastreux oui Europe en fiune.
Torrent dévastateur . inondait ma patine :
Quand nos villes en deuil . quand nos champs ravagés
Offraient de toutes parts des Français égore;é$ :
De ses sanglantes mains quand le dieu des batailles
Sur nos plaines au loin semait les funérailles ;-
Aux remparts de Nancv . sous le toit paternel ,
L£ PORTiaiT DE CLàKIJSE. 57
De sa Toix innocente invoquant rEtemeL-
Clarisse . à peine alors échappée à Toifance .
Dans on Dieu de bonté mettait sa confiance ;
Et dans ce jeune cœur . soutenu par la foi .
Dieu lui-même semblait aroir graTé sa loi.
De la reUgion mystérieux empire !
Elle donne la force aux âmes qu elle inspire :
Une vierge timide , en son débile sein
. Porte une ame héroïque , où brûle un fea dirin.
Aux horreurs de la guerre . aux discordes civiles
Vont enfin succéder des momens plus tranquilles :
La France a vu partir le superbe étranger
Qui , lui dictant ses lois . prétend la protéger ;
Et . de ce joug honteux noblement affi^uichie.
A ses fils consolés elle rend leur patrie.
Bellone a déposé ses sançlans étendards;
La paix vient ranimer le culte heureux des arts ;
A ce culte sacré par ses goûts destinée ,
Dans les murs de Paris Clarisse est amenée.
D une industrie active . en ce monde nouveau .
Son œU avidement observe le tableau.
Elle n admire point ces parures frivoles
Dont un sexe léger fait souvent ses idoles :
Un luxe fastueux n"a pour elle aucun jwix ;
Ses veux dun vain éclat ne sont point éblouis.
Mais les produits des arts , chefs-d'œuvre du géme
Par d'utiles travaux honoi'ant la patrie ;
Un immortel burin gravant pour l'avenir
D une grande action l'éloquent souvenir:
Mais Fénélon . Rousseau , dans leurs pag» brûlantes.
Traçant de la vertu les images vivantes ;
Massillon dun grand roi bravant l'autorité
Pour offrir à ses veux laustère vérité :
Mais Corneille , Shakspear . dont la muse inspirée
Allume dans les ccems une ilanuue sacrée ;
Mais l'auteur de Corinne , eu ses brillaos tableaa.\ ,
58 LE PORTRAIT DE CLARISSE.
Du divin Michel-Ange empruntant les pinceaux :
Ces nobles écrivains , ces peintres \ ces poètes ,
Des vertus , du génie augustes interprètes ,
A la jeune Clarisse ont bientôt lévélé
Le secret du talent dans son sein recelé.
Des vulgaires penchans la fougue impétueuse ,
Dans son cœur, animé d une ardeur généreuse ,
Ne saurait exciter ni troubles ni combats :
EUe peint leurs dangers , et ne les connaît pas.
Mais l'amour de la gloire et lenflarame et l'inspire :
La sainte humanité , son sublime délire ,
Le besoin d'être utile au pauvre , à l'oiphehn ,
Au vieillard opprimé , font palpiter son sein.
Dans l'être infortuné , dans la faible innocence ,
Elle honore d'un Dieu l'invisible présence :
Pour elle , les bienfaits que répand sa bonté
Sont un hommage offert à la divinité ;
Et la gloire , à ses yeux , noble et brillante image ,
Des siècles à venir honorable suifi-age ,
Flambeau resplendissant dans l'éternelle nuit ,
Dont le trompeur éclat trop souvent nous séduit ,
De la seule vertu légitime salaii-e ,
N'appartient qu'aux mortels bienfaiteurs de la terre.
Cette gloire pour elle a seule des appas.
C'est ainsi qu'elle veut échapper au trépas.
Du tems qui détruit tout , tu peux braver l'outrage.
Un étemel oubh serait-il le partage
Des vertus , des talens , unis à la beauté ?
Dans cet âge brillant où la frivolité ,
Les profanes plaisirs , la gaîté , la folie
Dissipent les momens et consument la vie :
Libre de passions , dédaignant le repos ,
Tout entière livrée à ses nobles travaux ,
Clarisse tour à tour recueille pour l'enfance
Des préceptes sacrés la féconde semence ,
Et , les faisant goûter à ses jeunes lecteurs ,
LES FEMMKS ET LES FLEURS. ^
Des plus douces vertus sait pénétrer leurs cœui's ;
Ou bien , d'un vol hardi , mais non point téméraire ,
Parcourant à la fois la France et l'Angleterre ,
Elle ose interroger leurs poètes fameux ,
Rapprocher leurs travaux , les comparer entre eux ,
Et des rangs assignés à leurs muses rivales
Dans le temple du goût marquer les intervalles ;
Ou , comme on vit jadis , dans nos tournois guerriers ,
Des femmes revêtant l'arme des chevaliers ,
La visière baissée , émules de leur gloire ,
Avec eux noblement disputer la victoire :
Ainsi , cachant son sexe , et déguisant son nom ,
Armée en chevalier , un casque sur le front ,
La modeste Clarisse , abaissant sa visière ,
Vient partager les prix d'un tournoi littéraire.
Mais , malgré le secours du voile officieux
Qu elle oppose à dessein aux regards curieux ,
Ses écrits pleins de feu , de fraîcheur et de vie ,
Semblent nous révéler son ame et son génie ;
Et son nom , consacré par im doux souvenir ,
Bien après son trépas , vivra dans l'avenir.
M. A. JcLLiEN , de Paris.
V%/V'\.WWW«'\iWW
LES FEMMES ET LES FLEURS.
Stances composées pour une fête célébrée chez madame la
Marquise de *** , le S décembre 1 820.
I.
Les femmïs kt les pleurs , dans ce charmant séjour
Font régner à la fois le printcms et l'amour.
Les beaux arts , animés par leur douce influence ,.
Viennent y consacrer la gloire de la France ;
Et celle dont les soins ont embelli ces lieux ,
Par qui le grand Vollaire est présent à nos yeux ,
AO LES FEMMES Eï LES FLEURS,
Des lettres et des arts aimahle protectrice ,
Va faire entendre ici leur voix inspiratrice.
Muses , que vos accords célèbrent tour à tour
Les femmes et les fleurs , le printems et rameur !
n.
Vivantes fleurs ! ô vous , divinités mortelles ;
Des plus douces vertus , vous , les touchans modèles ;
O femmes ! la nature a soumis à vos lois
Et les humbles bergers , et les superbes rois.
De nos faibles destins arbitres sorveraines ,
Par léclat des vertus ennoblissez nos chaînes ;
Honorez votre empire , en nous rendant heureux :
Quand vous l'ordonnerez , nous serons vertueux ;
Et nos cœurs épui'és , fiers de votre sufirage ,
Des viles passions briseront l'esclavage.
Muses , que vos accords célèbrent tour à tour
Les femmes et les fleurs , le printems et Taraour !
m.
o femmes ! sous vos traits , la gloire et la patrie ^
La liberté , la paix et la philosophie ,
L'amitié , la vertu , la tendre piété ,
La noble bienfaisance et la douce honte ;
La charité divine et l'humanité sainte ,
Dont la natiu-e en nous grava l'auguste empreinte ,
Dominant tour à tour par vos charmes vainqueurs ,
Vous doivent leur puissance, et régnent sur nos cœurs.
C'est vous qui leur prêtez votre empire et vos grâces ;
C'est par vous que le dieu qui marche sur vos ti-aces ,
L'Amour, sait ramener dans nos cercles brillans ,
Même au sein de l'hiver , les fleurs et le printems.
Des lettres et des arts l'aimable protectrice
Veut faire entendre ici leur voix inspiratrice :
Muses , que vos accords célèbrent en es jour
Les femmes et les fleius , le printems et l'amciir !
LES FEMMES ET LES FLEURS. M
IV.
Du printems et des fleurs séduisantes images ,
Vous , dans tous les climats , objets de nos hommages ;
Astres étincelans , dont la vive clarté
Vient embellir pour nous la sombre adversité :
O femmes ! en tous lieux , votre aimable influence
Peut devenir pour Thomme une autre providence,
Vous régnez par l'amour , les vertus et les arts ;
Nos destins sont souvent écrits dans vos regards :
Du moins sachez user de vos droits légitimes ,
Sans vouloir sous le joug dégrader vos victimes. . . .
Muses ! que vos accords célèbrent tour à tour
Les femmes et les fleurs , le printems et Tamour !
Ah ! lorsqu'un chaste amour sert de guide à la gloire ;
Quand la jeune beauté , pour prix de sa victoiie ,
Impose à son amant des talens , des vertus ,
Ordonne qu'eu son cœur les vices combattus
Laissent régner en paix le besoin magnanime ,
L'ardeur de conquérir , par la publique estime ,
Cette rare faveur où tendent tous ses vœux ,
Le don de sa tendresse et le droit d'être heureux ;
Alors , un cœur , nourri d'une douce espérance ,
Aux grandes actions avidement s'élance.
Muses ! que vos accords célèbrent tour à tour
Les femmes et les fleurs , le printems et l'amour !
VI.
Le myrte , de l'amour est l'arbre tutélaire ;
Le laurier, du héros est le noble salaire;
L'olivier , de la paix symbole précieux ,
Semble un don accordé par la bonté des cieux.
Dans l'humble violette , ornement du village ,
L'aimable modestie a caché son iraa.ge :
2 LES FEMMES ET LES FLEURS.
La rose , en nos hameaux , des vertus est le prix ;
Chaque arbre , chaque fleur s'ofire aux yeux attendris
Comme un être animé , comme un touchant emblème
Que chacun , à son choix , donne à celle qu'il aime.
Muses ! que vos accords célèbrent tour à tour
Les femmes et les fleurs , le printems et l'amour !
VIL
Hommage à madame de ***
Vous, qu'entourent ici tant de nymphes légères,
Qui du tendre Gessner rappellent les bergères ;
Dont la voix rassembla cet aimable congrès.
Où brillent à la fois les arts chers à la paiix ,
Les femmes et les fleurs , les plaisirs et les grâces ;
Vous dont tant de bienfaits marquent partout les traces,
Et que, du haut des cieux, d'un regard paternel,
Se plaît à contempler un poète immortel (i) ,
L'amour du monde entier , l'orgueil de sa patrie ,
Dont l'humanité seule inspira le génie ,
Qui , de la vérité rallumant le flambeau ,
Des antiques erreurs déchira le bandeau ;
Vous n'aurez pas en vain sollicité ma muse :
Vous plaire est son désir, son espoir, son excuse;
Et , par vous inspirée , elle chante en ce jour
Les femmes et les fleurs , le printems et l'amour.
M. A. JuLLiDN , de Paris.
(i) Voltaire.
».WVVWVtWVVW\VVV»IVWVV\VVVVA.^VlVVViVVVV«.'il.VV»l1l\VVVViX'V\VVVVV\lVVV\\VV».*
II. ANALYSES D'OUVRAGES.
SCIENCES PHYSIQUES.
Observations sur la fiîîvre jaune , faites à Cadix en
1819, pa/' M. le docteur Pariset, chevalier de la
Lêgion-d" H onneiir y médecin de la maisonroyale de
Bicôtre, membre de l'académie royale de m,éde-
cine , etc. (1).
La fièvre jaune, plus nouvelle et presque aussi redou-
table que la peste d'Oinent, ne paraît pas avoir été observée
avant la fin du 17* siècle (de 1 683 à 1687), et fut désignée,
un peu plus tard et d'une manière assez peu exacte, sous
le nom de mal de Siam, par le père Labat, qui en fut at-
teint plusieurs fois dans le cours de sa vie. En effet, cette
fièvre, que l'on a appelée dans la suite typhus ictèrode _,
a été entièrement inconnue aux anciens; et vainement on
chercherait même à reconnaître quelques-uns des traits qui
lui appartiennent, parmi les maladies si violentes et si fu-
nestes qui se manifestèrent à l'occasion des grandes entre-
prises maritimes, dans le seizième siècle et dans la première
moitié du dix-septième. Elle se montra en Europe , pour
la première fois, en 1701, avec tous les caractères d'une
violente épidémie. Elle reparut plus tarda Carthagène, en
1730, et régna presque chaque année, depuis cette époque,
tantôt à Cadix, tantôt à Carthagène, tantôt à Séville, etc.
La fréquence, les ravages de ses invasions, soit en Amé-
(1) Paris, 1820. — Grand iii-4° de i44 pages, ayec figures coloriées,
— Audot j rue des Maçons-Sorbonne , n" 11.
AA SCIENCES PHYSIQUES.
rique, soit dans plusieurs parties de l'Espagne, attirèrent
l'attention des hommes les plus éclairés. En 1817 , cette
maladie fut en France le sujet d'une dissertation inaugurale
justement estimée, et soutenue par M. de Bouillon, jeune
médecin très-instruit, qui se préparait pour aller exercer
la médecine à la Guadeloupe, sa patrie; et divers gou-
vernemens, mais surtout le gouvernement français, ne
furent pas sans inquiétude sur les dangers de cette cruelle
épidémie, qui attira l'attention de ce dernier, en i8o4,
époque à laquelle plusieurs professeurs de la faculté de
Paris eurent la commission d'aller recueillir, sur le théâtre
même de la contagion, les documens nécessaires pour en
connaître mieux la nature, et s'opposer, au besoin, avec
plus d'efficacité, uses invasions. De nouvelles instructions,
de nouveaux rapports furent demandés à la même com-
pagnie savante, en 1817, dans le même intérêt, dans la
même intention; et M. le professeur Halle, chargé de ré-
pondre à cette honorable confiance, remplit ce devoir avec
autant de zèle que de lumières (1).
L'invasion de 1819, qui commença par l'île de Léon, et
se répandit ensuite à Cadix, à Xérès , à Séville, etc. , ne
fut pas une des moins désastreuses. Comme elle paraissait
plutôt s'aggraver que s'affaiblir, vers la fin de septembre et au
commencement d'octobre, elle excita vivement l'attention,
même à une grande distance de l'Espagne. A cette époque,
M. le docteur Pariset se trouvant à une séance du conseil
général des prisons du royaume, S. E. le duc Decazes
lui écrivit sur un billet : Vous serait - il agréable df aller
(2) Rapport de la faculté de médecine de Paris ^ en réponse à la
demande du ministre de l'intërieur , relativement à la nécessite de
prévenir l'introduction de la fièvre jaune par la voie des communica-
tions commerciales, [iullet, de la faculté de 1807, n'' 7.
SCIENCES PHYSIQUES. AS
à Cadix obseruer la fie i^re jaune? « Je ne m'attendais
à rien moins qu'à cette proposition, dit M. l'ariset; je
passai rapidement en revue dans mon esprit les raisons que
j'avais d'accepter ou de refuser; l'idée du péril l'emporta,
et je répondis presque tout de suite: Oui certainement.
Monseigneur. Sur la demande de M. Guizot et la mienne,
un jeune médecin de Paris, M, Mazet, fut nommé pour
m'accompagner. Nous fîmes nos préparatifs de voyage avec
toute la diligence possible, et, le 5 novembre 1819, à huit
heures du matin , nous étions sur la route d'Orléans. »
« Nous étions trois, M. Mazet, moi et M. Guido, offi-
cier en retraite , Maltais d'origine, et mon ami particulier.
Je l'avais connu, en i8i4, à Bicêtre, où il servait, en qua-
lité de capitaine, dans l'une des compagnies de vétérans ,
chargées de garder la prison. M. Guido est un homme
d'un esprit très-cultivé; il sait par cœur Virgile, Horace,
Martial, l'Arioste, le Tasse; il a- une grande expérience
des voyages : personne n'a plus de ressources dans la tête,
et de promptitude dans l'action. Lorsqu'il apprit que je
partais pour Cadix, son premier mouvement fut l'effroi; le
second fut de me suivre. Avec un tel auxiliaire, je n'avais
plus qu'à songer au principal objet de la mission : pour tout
le reste, le capitaine semblait se multiplier pour y suffire,
et nos besoins étaient aussitôt satisfaits que sentis. »
On devine déjà, par ce début, comment la mission de
M. Pariset a dû être remplie : on s'attend , et ce n'est pas
sans raison, à y trouver tout l'empressement, toute l'acti-
vité d'une ame courageuse, heureusement unis à l'esprit
le plus prompt, le plus pénétrant, le mieux disposé à l'en-
thousiasme ; en un mot, toutes les qualités d'un écrivain
que le hasard seul et l'entraînement de son zèle pouvaient
appeler à tracer un tableau aussi pénible que celui de la
lièvre jaune. Les moindres détails de la narration suffi-
A6 SCIENCES PHYSIQUES.
raient pour appuyer cette opinion, qui d'ailleurs n'aura
besoin d'aucune preure pour tous ceux qui connaissent la
trempe de l'esprit, et les traits les plus prononcés du
caractère de l'auteur.
La fièvre jaune paraissant se montrer de nouveau à Sé-
ville, il brûlait de s'y rendre; il part, lorsque déjà il était
nuit; et, malgré les tristes idées qui devaient l'occuper, il
ne peut s'empêcher de regretter de ne pouvoir distinguer,
lorsqu'il passe à Aranjuès, les beaux arbres qui s'y trou- ;
vent, et il s'écrie, comme Ajax, Grand Dieu ! rends-nous
le jour f en se promettant de prendre, à son retour, des
arrangemensplus favorables à sa curiosité. Arrivé à Se ville,
M. Pariset, qui se trouvait porteur de plusieurs lettres de
recommandation du docteur Luzuriaga, fut accueilli, par
une suite de cette bienveillante médiation, avec le plus
vif intérêt, par les docteurs Velasquez, Rodriguez et par
don Mariano de la Fuente, un des principaux magistrats de
la ville.
La fièvre jaune ne régnait plus à Séville; mais l'impres-
sion de terreur qu'elle avait inspirée subsistait encore, et
l'autorité avait demandé aux médecins une exposition
officielle et détaillée de cette grande calamité. Le rapport
rédigé par le docteur Velasquez pour justifier cette con-
fiance, est la première pièce authentique recueillie par
M. le docteur Pariset, dans le cours de son voyage. L'extrait
fort étendu qu'il a fait de ce rapport, et qui se trouve
consigné dans sa narration, doit être regardé comme l'un
des documens les plus importans sur la fièvre jaune d'An-
dalousie. Non seulement cette cruelle maladie est décrite,
dans cette pièce officielle, à ses dififérens degrés ou époques ,
mais encore dans ses principales variations, et même dans
quelques-unes de ses anomalies. On y fait connaître, en
outre, les principales méthodes de traitement qui lui ont
SCIENCES PHYSIQUES. A7
été opposées, ses différentes issues ou terminaisons, le
résultat de quelques recherches anatomiques sur le corps
des personnes qui ont succombé. M. Velasquez et tous les
membres de la commission médicale sans exception , ont
regardé la fièyre jaune de Séville comme éminemment con-
tagieuse.
« Le mémoire dont je viens de donner un extrait , dit
M. Parizet, porte presque dans sa totalité sur la supposition
d'une contagion; et jusqu'à ce qu'on ait détruit les faits
dont s'autorise une pareille opinion , ou jusqu'à ce qu'il soit
démontré que, de deux fièvres réputées de même nature,
celle-ci peut être contagieuse, et celle - là ne pas l'être ,
que leur identité en soit altérée, j'oserai soutenir qu'il est
téméraire de les confondre l'une avec l'autre, comme il
le serait de les assujétir à la même police et au même trai-
tement. »
Quelle était l'origine de cette contagion? Nos voyageurs
trouvèrent une grande divergence d'opinions sur cette
question, qui paraissait un point de fait si simple, et en
apparence si facile à vérifier. Ils adoptèrent, du reste, le
sentiment du docteur Velasquez et de don Mariano, qui
regardaient comme certain que la maladie avait été ap-
portée par une femme qui s'était sauvée de San Fernando
pour venir à Séville. Cette femme , reçue dans la maison
d'un chanoine, y tomba malade et mourut; le chanoine
ne tarda pas à la suivre, et telle fut la première étin-
celle qui bientôt embrasa tout le quartier de Sainte-Croix,
dont cette maison fait partie. Ce quartier de Sainte-Croix
offrit à nos voyageurs plusieurs dispositions locales, pro-
pres non seulement à propager, mais encore à produire
spontanément les maladies les plus meurtrières. On ferma
cequartier par desbarricades, etlaprudence, l'activité des
magistrats , dans le développement des mesures sanitaires ,
I
A8 SCIENCES PHYSIQUES.
préservèrent Séville des calamités de l'année 1800; dételle
sorte que, dès les premiers jours de novembre, l'épidémie
n'existait plus : succès qui semble prouver beaucoup en
faveur de ceux qui regardent, sans hésiter, la maladie I
comme contagieuse.
Les choses n'étaient pas aussi avancées à Cadix, où
MM. Pariset et Mazet purent voir encore dans l'hôpital
militaire plusieurs infortunés qui étaient sur le point de
succomber àla fièvre jaune, dans différentes périodes de la
maladie. Ce fut à leur aspect que M. Pariset eut l'idée
d'employer un peintre habile pour fixer, comme il le dit,
et par des dessins fidèles , les étranges caractères que la
fièvre jaune, dans ses périodes principales, imprime sur
le visage de ceux qu'elle a frappés. M. Flores, qui l'avait
prévenu , le favorisa dans l'acquisition de plusieurs dessins .
exécutés dans cette intention , et que notre savant compa-
triote a fait lithographier pour son ouvrage. Ce fut d'ail-
leurs à Cadix que M. Pariset, qui avait trouvé quelques
documens très-instructifs dans ses conférences avec les
médecins de Séville, parvint à recueillir un plus grand
nombre de faits sur la fièvre jaune : matériaux avec les-
quels il a pu tracer la description de cette maladie^ d'après
sa dernière invasion. Il indique plusieurs des phénomènes
qu'elle a présentés, lorsqu'elle se ter-minait par la gué-
rison, ce qui n'est guère arrivé avant le quatorzième,
le dix-septième ou même le vingt-unième jour. Dans le
cas contraire , la marche de la maladie était beaucoup plus
irrégulière et beaucoup plus rapide : on cite des exemples
de personnes qui ont succombé, le premier et le deuxième
jour, même dans les deux premières heures, et par une
mort véritablement subite, ce qui arriva plusieurs fois
dans la peste de Londres, en i665. Il eût été à désirer,
peut-être, que M. Pari*et n'eût pas mêlé des vues théo-
SCIENCES PHYSIQUES. A9
riqiies ù des tableaux si fidèles, à des résultats d'observa-
tions si vrais, et qu'il n'eût pas avancé à ce sujet l'idée
j)ureu:ient hypothétique, que, dans ces grands désastres, les
gfos centres nerveux sont le foyer dic mal; que de ces foyers
de vie if le inal rayonne sur tous les points de l'organisa-
tion, etc. , etc.
Dans la suite de sa description, notre auteur, oubliant
bientôt cette digression théorique, revient à l'histoire de
la maladie ; il en fait connaître le pronostic, le traitement
populaire et usuel dans les cas les moins graves et dans les
ci?'constances les plus fâcheuses , ainsi que les résultats
■de V oiwerture du corps de plusieurs personnes qui ont suc-
combé. Dans cette dernière circonstance, qui semblerait
exiger plus qu'aucune autre la sévérité, je dirais même
la s'écheresse de la science , ou retrouve encore M. Pa-
riset sous le charme et le pouvoir de ses habitudes litté-
raires et poétiques : « Nous n'avons assisté, dit-il, M. 3Ia-
zet et moi, qu'à deux ouvertures de corps, les i3et i4 dé-
cembre 1819; jamais l'impression que fit sur moi la vue
des deux cadavres ne s'effacera de mon esprit : de loin,
sur les épaules des infirmiers qui les apportaient à l'am-
phithéfttre , ils montraient le squalentem barbam ei le
concrètes sanguine crines de Virgile ; mais ce qu'on ne
saurait peindre, ce sont ces visages gonflés comme après
la strangulation, et souillés d'une écume sanguinolente,
qui semblait encore s'épancher des coins de la bouche;
enfin, ce sont ces corps teints d'un bleu d'ecchymose, sur
le fond duquel se dessinaient, d'une manière brusque et
tranchée, de larges plaques jaunes, à contours irréguliers,
j et qu'on y aurait crues incrustées par leurs bords, sur le
dos, sur la poitrine, l'abdomen, les cuisses ctlesbras. »
Du reste , M. Parisct n'oublie point de remarquer que
il les ouvertures de corps faites à Cadix comme à Séville,
i: Tome x. l^
50 SCIENCES PHYSIQUES.
ne se sont point étendues à l'examen de la moelle épinière,
-dont il eût été très-important de reconnaître les disposi-
tions ; les remarques auxquelles il s'est livré ont eu pour
objet dans la suite , et comme dans une seconde partie de
son ouvrage , de considérer la fièvre jaune comme épidé-
mique, après l'avoir décrite, en quelque sorte, comme
une maladie individuelle; d'en découvrir l'origine, d'en
marquer les développemens et les phases divers dans soa
extension et ses progrès ; exposition qu'il n'a pu faire à la
Térité d'après ses observations immédiates , mais en con-
sultant des hommes placés entre lui et les faits, de ma-
nière à les bien observer, et non moins remarquables par
leur droiture que par leurs lumières.
La fièvre jaune se manifesta, dès le mois de juillet, à
l'île de Léon, dans le quartier appelé Bario del Cristo.
Elle paraissait y avoir été apportée, suivant l'opinion la
plus généralement répandue, par le vaisseau du roi le Saint-
Julieit. Dans les premiers tems de l'invasion de la maladie,,
comme dans la poste de Marseille, on se méprit gravement
sur la nature de ce fléau. A Marseille , le premier médecin
(et dans ce tems un premier médecin était une puissance)
déclara hautement que la maladie n'était pas contagieuse.
Les médecins, qui furent envoyés, avec le titre de commis-
saires, n'hésitèrent pas de s'exposer' aux plus grands dan-
gers, au milieu des progrès de la maladie, dont il leur
fut impossible de méconnaître le caractère. Mais ccj
hommes qui bravaient la mort craignirent une disgrâce,
et n'eurent pas le courage d'énoncer une opinion contraire
à celle du premier médecin. On sait quelles furent les suite;
de cette funeste condescendance.
A l'île de Léon, le mal ne vint pas des médecins. M. 1(1
docteur Flores reconnut et proclama la fièvre jaune à sj
premièi'e apparition, et proposa, dès ce moment, d<
SCIENCES PHYSIQUES. 6i
«ncUie le quartier Barlo del Cristo en quarantaine; ce
qui aurait eu infailliblement le même succès que les me-
f;ures de ce genre qui lurent employées à Séville. Malheu-
reusement, dans cette déplorable circonstance, les dépo-
silaires de l'autorité se crurent intéressés à étoufFer des
mesures alarmantes et à suspendre en conséquence des
mesures de salubrité, dont l'appareil pouvait exciter la
consternation et le découragement dans l'armée. Lesjuntes
de santé (i) , sur l'organisation vicieuse desquelles on vovi-
drait que M. Pariset eût donné quelques renseignemens,
ne prirent et ne pouvaient même prendre que des mesures
tardives, et par cela même inutiles et insuffisantes. Pour
comble de malheur et de danger, M. le marquis de F.,
général en chef par intérim de l'armée d'outre-mer, et
dirigé par des motifs qui nous sont inconnus, se prononça
.avec véhémence contre toute opinion qui pouvait tendra à
faire croire à l'apparition de la fièvre jaune. Dans cette
disposition d'esprit, il fit faire une visite médico-légale
dans laquelle les commissaires (2) qui en furent chargés,
ne virent point les malades que M. Flores avait observés
(1) Ces juiiles forment une espèce cl'ailrniiiisli'ation sanitaire, dont
l'organisation n'est rien moii.s qu'appropriée à l'objet de leur fonda-
lion ; elles sont composées de commissaires qui consultent bien les
médecins au besoin , jnais qiii seulà ont voix, délibérutive, avec des
pouvoirs d'ailleurs limités; et, ne pouvant proposer de grandes mesures
de salubrité publique , telles que le séquestre , risolément , sans avoir
l'autorisallon d'une junte suprême , elles siègent à Madrid. — Voyez ô.Axis
le Journal complémentaire des sciences m.édicaL's , pour janvier 1821 ,
la relation de M. Mazct qui donne ces renseignemens, que M. Pariset
se reprocbera sans doute d'avoir négligés, et qui se rattachent d'une
manière si directe à l'objet de sa mission.
(2) Ces commissaires étaient MM. Flores, proto-médecin, Arejida >
Amelei-, Coll. secrétaire.
A*
.^2 SCIENCES THYSIQUES.
auparavant, et n'eurent ainsi à prononcer que sur des
personnes dont la situation n'avait rien de suspect; ce
qu'ils déclarèrent dans leur procès-verbal : alors M. le
marquis de F. s'emporta avec violence contre M. le docteur
Flores, qu'il traita de sujet indigne de S. M., se proposant
de le dénoncer comme coupable de haute trahison j, ajou-
tant ozi^zVs^^'fii^^ bien, lui, que ce n'était pas la fièçre jaune
qui existait à l'île de Léon , et que d' ailleurs , si l' épidémie
venait j il la recevrait à la pointe de son épée.
On regrette que M. Pariset, qui n'est avare ni de pen-
sées ni de paroles, et qui d'ailleurs s'est souvent écarté
de la fièvre jaune dans sa narration, ait parlé, avec trop
de concision et avec une sorte de ménagement diploma-
tique, de cette conduite plus qu'imprudente de M. le
marquis F. , que M. Mazet a exposée dans sa relation ,
avec une franchise et un courage qui prouvent à la fois
la justesse de son esprit et la noblesse de son caractère.
«Nul ne voit pourquoi la conduite de M. Flores pouvait
être aussi sévèrement interprétée, dit M. Mazet: en quoi
un médecin peut-il être répréhensible de dire qu'il a vu
ce qu'en effet il a cru voir? Dans tout ce qui concerne
M. Flores, on n'aperçoit aucune intention de malveil-j
lance. Il avait parlé en homme convaincu de l'existence
d'un imminent danger, et certes le résultat n'a que trop
prouvé qu'il ne s'était pas trompé; mais M. le général
avait des préventions qu'il fallait épouser, sous peine de
culpabilité. C'est toujours une chose déplorable que de
voir l'autorité suprême confiée à des personnes suscep-
tibles de préventions et capables d'imputer à crime des
avis parfaitement désintéressés, et émanés de la plus sage
prudence. Quoi qu'il en soit, des médecins, appelés en con-
sultatiori, décidèrent que la fièvre jaune n'existait pas à
l'ilc de Léon; funeste décision, qui plongea dans le deuil
SCIENCES PHYSIQUES. 53
lant de familles, mais dont toute la responsabilité pèse
sur ceux qui ourdirent d'odieuses trames pour l'oblenir!
II résulta de là que pas une mesure de précaution ne
fut mise en usage. L'inquiétude et les soupçons du peuple
étant un peu calmés, les communications restèrent libres :
on ne se gêna plus; les habitans de tous les quartiers sains
ou infectés s'entremêlèrent, on opéra des divisions parmi
les troupes de l'armée expéditionnaire; des régimens qui
étaient ù l'île de Léon allèrent à Cadix, et ceux de Cadix
vinrent à l'île de Léon; en sorte que, tandis que les uns
portaient la contagion, les autres venaient la chercher;
enfin, en peu de jours, la Cèvre jaune fit de tels progrès,
qu'il ne fut plus possible de dissimuler son existence: elle
s'étendit dans l'île de Léon, et bientôt à Cadix , à tel point
que le général, avec les mesures les mieux entendues et
les plus zélés auxiliaires, n'avait pu venir à bout de cacher
que la plus petite partie des malades. »
«Voilà donc toute une province envahie par la fièvre
jaune ! voilà donc l'existence de toute une population mise
en péril! et le général, témoin des terribles conséquences
de son obstination, obligé, pour se conserver lui-même, de
fuir ces lieux de désolation ! Il était unanimement accusé
d'être l'auteur de la propagation de la fièvre jaune; et déjà,
à notre passage à Madrid, l'on nous dit qu'il devait être
traduit devant une commission militaire. Je suis bien porté
à croire que sa conduite ne pouvait point lui être imputée
à crime ; assurément il était mu par des intentions qu'îî
croyait bonnes , mais il n'en est pas moins vrai qu'il eut
le tort très-grave d'empêcher d'agir, quand il en était
encore tems. Il abusa de son autorité pour empêcher la
vérité d'être connue , et pour faire taire ceux qui se por-
taient ses organes. En dernière analyse, le résultat d'une
pareille conduite fut qu'à Cadix seulement, plus de qua-
5/i SCIENCITS PHYSIQUES.
rante mille personnes furent atteintes de la fièvre jatiney
et que de ces quarante mille, un 7^ au moins succomba. »
Dès la fin d'août, le nombre des malades était de i3o par
jour à l'île de Léon. Il fut de 260 dans la première moitié
de septembre , pour diminuer ensuite avec différentes
oscillations, jusqu'au jo novembre. A Cadix, le nombre
des personnes qui avaient été frappées de la contagion
se trouvait de 9,626, le 8 octobre , et de i2,4()4 dix jours
plus tard , avec une grande mortalité. Au commencement
de décemibre, on proclama, par de solennelles actions de
grâces, la fin de l'épidémie. Pendant toute sa durée,
48,000 personnes furent malades à Cadix, et 4 ou 5ooo suc-
combèrent, ce qui établit plus d'un dixième par rapport
à la totalité des malades; du reste, sa disparition ne fut
ni complète ni subite, dans le mois de décembre, et
deux enfans en moururent encore à Cadix, le la janvier.
Les différens lieux qui en souffrirent davantage, furent
la ville de Léon, celle de Cadix, le charmant village de
Chiclana, où elle moissonna plus de neuf cents personnes,
le Port-Royal, le Port-Sainte-Marie, Rota, San Lucar,
enfin Xérès de la Frontera, et Séville, où de sages pré-
cautions resserrèrent les progrès de la contagion.
Suivant le récit de M. Pariset, et d'après les dooumens
qu'il a pu recueillir, la dernière invasion de la fièvre jaune
n'aurait point épargné les animaux de tous genres et de
toutes classes, différentes espèces d'oiseaux, les chiens,
les chats, les chevaux, etc., ce qui devient une belle
occasion pour l'auteur de rappeler que , dans la fameuse
peste des Grecs, devant Troye, Homère fait d'abord périr
les animaux, les chiens par exemple, les mulets, puis
enfin les hommes. Cette redoutable invasion de la fièvre
jaune de 1819 offrit évidemment tous les caractères d'une
épidéniic contagieuse.
SCIENCES PHYSIQUES. 55
^ La maladie une fois formée dans un point quelconque de
l'Andalousie, dit M. Pariset, en est sortie pour se répandre
au-dehors, à la manière d'un torrent qui, franchissant des
rivages, court et gagne, de proche en proche, des lieux les
plus voisins aux plus éloignés; mais si la pente suffit pour
entraîner l'eau , si elle est à elle-même son propre véhi-
cule, quel a été celui de la fièvre jaune? Sur ce point, il
n'y a qu'une voix; après qu'elle se fut développée à l'île
de Léon, la maladie ne parut nulle part que parce qu'elle
y fut apportée par des personnes qui l'avaient prise dans
son foyer primitif. C'est par le déplacement des hommes,
c'est par le mouvement des troupes, c'est par les commu-
nications ordinaires (et il eût fallu les rompre) que le mal
voyagea : on a vu par qui il fut introduit à Cadix. Il venait
de San Fernando, et des champs de Chiclana qui en sont
voisins. Une fugitive de San Fernando l'apporta à Sainte-
Marie. Un soldat licencié de l'île de Léon vint à Xérès ,
dans le courant du mois d'août. Le 3i , il tomba malade ,
et sa maladie offrit tous les caractères de la fièvre jaune.
Une femme de Xérès s'était rendue à l'île de Léon pour
y soigner son fils, qui avait la fièvre jaune et qui en mourut.
De retour chez elle, cette femme fut obligée de loger deux
soldats qui venaient de l'intérieur et se rendaient, dans le
port; ces deux soldats contractèrent la maladie, et mou-
rurent, l'un dans la maison de son hôtesse , l'autre à l'hô-
pital où il s'était fait porter, poury être traité d'une hernie.
Au commencement de septembre, un Italien, venant éga-
lement de l'île de Léon, fut pris de la même fièvre, et suc-
comba. La place de VArrojo, la rue de Pauie, V hôpital,
et la rue de la Gloire _, voilà les quatre points de la ville où
ces malheureux périrent, et d'où partit le mal, avec cette
circonstance très-digne d'attention , que la rue de la Gloire,
petite rue étroite, et pleine de cabarctg, n'était remplie
56 SCIENCES PHYSIQUES.
que de pauvres et d'étrang;ers. Ce fut là que la fièvre dé-
ploya toute sa fureur. J'y ai vu des maisons entièrement
vides d'habitans, et fermées de haut en bas. Rota n'eut
d'abord qu'une malade , et cette ville se fût aisément pré-
servée si on lui eût épargné le passage des régimens
que l'on renvoyait de l'île de Léon. Je ne sais rien sur
l'origine du mal au Port-Royal et à San Lucar ; mais il est
constant aujourd'hui qu'à Séville, le premier malade que
l'on observa dans la rue de Barrabas était une femme qui
venait de CJiiclana. Ceux que l'on découvrit plus tard dans
la maison d'un chanoine s'étaient probablement sauvés de
l'île de Léon. »
Ce qui concerne la contagion de la fièvre jaune, consi-
dérée sous un point de vue plus général, occupe d'ailleurs
une place très-étendue dans la narration de M. Pariset,
qui expose dans le plus grand détail les différens faits
favorables ou contraires à l'idée de la contagion pour la
fièvre jaune d'Espagne. L'opinion que la fièvre jaune est
contagieuse, adoptée par plusieurs médecins espagnols
très-éclairés , parmi lesquels on distingue M. Arejula,
paraît appuyée par un nombre suffisant de preuves et
d'exemples. En cflet, la maladie, dans ses différentes inva-
sions, commence toujours par un individu qui devient un
foyer de contagion, et qui sert à la propager lorsque des
mesures de salubrité convenables ne sont pas mises en
usage. La maladie se répand d'ailleurs sans le concours
des grandes causes d'insalubrité qui font naître les épidé-
mies les plus désastreuses, paraissant en outre s'attacher
de préférence aux étrangers chez lesquels on ne peut pas
supposer une aptitude constitutionnelle assez développée
pour exciter cette funeste prédilection.
Quelques faits particuliers qui paraissent opposés, au pre-
mier aperçu, à cette opinion, l'ont toujours confirmée, lors-
SCIENCES PHYSIQUES. 57
qu'il a été possible de mieux connaître toutes les particula-
rités de ces exemples, comme dans le trait suivant rapporté
par M. Pariset, d'après M. Ramon Romero, de Barcelonne.
«Une jeune personne, promise en mariage, avait été
confiée à une famille qui demeurait dans une rue où il n'y
avait plus de malades, et à une grande distance de celle
où il y en avait. Cette fomille employait toutes les précau-
tions imaginables pour se garder. La jeune personne elle-
même vivait dans la retraite, et ne sortait pas; sa situa-
tion le lui défendait. Cependant elle tomba malade. Lorsque
le médecin la vit, elle était dans la seconde période de la
fièvre, et déjà abattue, anéantie, mourante; on ne pou-
vait par conséquent supposer qu'elle eût reçu la maladie
du médecin lui-même, qui la lui avait apportée? A force
d'être pressée, elle avoua que, la nuit, pendant que tout
était en repos dans la maison, elle avait eu l'imprudence
d'entretenir son fiancé par une petite fenêtre basse qui
s'ouvrait sur la rue. Or ce fiancé demeurait précisément
dans la rue où s'étaient montrés les premiers malades :
son père et sa mère étaient actuellement au lit et ne rece-
vaient des soins que de lui et de sa jeune sœur; mais, la
nuit, emporté par son amoureuse impatience, il corrom-
pit ses gardes, s'échappa et courut à la maison de sa
future. Elle expira le troisième jour; quant à lui, il ne fut
pas malade. »
Les faits cités par les médecins, qui refusent d'admettre
la contagion de la fièvre jaune, et parmi lesquels on cite
principalement M. Gonzalès, sont en petit nombre, si on
les compare à ceux qui militent en faveur de l'opinion
opposée. On pourrait même ne les regarder que comme
des exceptions qui dépendent d'une disposition indivi-
duelle et spéciale, qui s'opposerait ù l'infection, comme
on l'a vu dans quelques circonstances, pour des maladie?
58 SCIENCES PHYSIQUES.
contagieuses beaucoup plus évidentes et beaucoup pfu*
déterminées que la fièvre jaune, telle que la variole, la
syphilis, la vaccine.
Quant aux principes, aux effluves délétères qui servent
à répandre la fièvre jaune, ils nous sont parfaitement in-
connus, et ne devraient pas être regardés peut-être comme
un virus; ils ne résultent pas du moins, comme le virus
de la petite vérole, ou de la syphilis, d'une sécrétion
morbide particulière, constante, déterminée, mais d'une
altération générale de l'organisme, qui paraît s'étendre,
d'une manière spéciale, à la perspiration cutanée et à la
perspiration pulmonaire. Cette remarque, qui aurait dû se
présenter à M. Pariset, nous paraît importante. Elle con-
duit naturellement à reconnaître une sorte d'analogie entre
la fièvre jaune, typhus ictérode, et notre typhus des pri-
sons ou des hôpitaux; maladies qui sont également spo-
radiques et contagieuses, dont le mode de propagation est
d'ailleurs inconnu, et que l'on ne doit jamais confondre
avec les maladies contagieuses déterminées. Quoi qu'il en
soit, les différentes saisons, les divers étals de l'atmos-
phère et les variétés individuelles de constitution, ne
sont pas également favorables au développement de la.
fièvre jaune. M. Arejula paraît convaincu que ce déve-;
loppement ne peut guère avoir lieu, au-dessous de treize
degrés au thermomètre de Réaumur, sans pouvoir décider
si le principe contagieux de cette maladie se détruit au-
dessous de cette température. Quant aux saisons, tout porte
à croire qu'indépendamment d'une température plus ou
moins forte, au-dessus du terme que nous venons d'indi-
quer, la fièvre jaune se balance, en quelque sorte, entre
le solstice d'hiver et le solstice d'été. Ce que M. Pariset
exprime d'une manière toute poétique, en disant que la
fièvre jaune parait dès que le soleil commence à rétrogra'
SCIENCES PHYSIQUES. 59
d'etj qu'elle s'élève à mesure qu'il décline^ et qu'au mo-
ment où il s'arrête au solstice d'hii^er pour revenir , elle
s'arrête elle-même, comme si elle redoutait le retour de
l'astre ) ou que, si elle dépasse le terme du solstice , ce n'est
plus que par quelques explosions isolées , sem,blah les aux
dernières étincelles d'un incendie ou aux derniers murmures
d'une tempête. Cela peut être vrai , quoique très-poétique,
pour la fièvre jaune; mais les médecins seront loin d'ac-
corder à M. Pariset que le typhus des hôpitaux, qu'il a
observé deux fois en hiver, ne se montre que dans cette
saison ; une cruelle expérience ayant appris que cette ma-
ladie, qui est toujours sporadique avant de devenir épidé-
mique et contagieuse, devait se manifester et se manifeste
en effet dans tous les tems, dans tous les lieux, lorsqu'une
multitude d'hommes est réunie et comme entassée dans
un local étroit, mal aéré, sur des pontons, dans les pri-
sons ou les hôpitaux encombrés. Les praticiens, qui sans
doute feront cette remarque, n'attacheront pas un grand
prix à la digression toute métaphysique, dans laquelle
M. Pariset, rappelant son article Causes, du dictionnaire
des sciences médicales, s'occupe des différens degrés
d'aptitude ou d'immunité pour les maladies contagieuses,
les maladies endémiques et cette foule d'affections mor-
bides, qui semblent inséparables des déplacemens très-
étendus, tels que les voyages de long cours, les grandes
expéditions maritimes ou commerciales, les émigrations
et les colonies. On lira même peut-être avec quelque sur-
prise dans cette digression, et malgré l'autorité ou la parole
d'Hippocrate, que la disposition de l'homme n'est que
maladie dès le berceau, que le jeu des mouvemens intè^
rieurs emporte, dissipe sans cesse les élémensmorhijiques
accumulés sans cesse, et qu'un germe accidentel pour^^
60 SCIENCES PHYSIQUES.
rait se ironiser alors emporLé jioiii- toujours dans cetis
espèce de circulation.
Une autre assertion de M. Pariset, plus grave, plus
importante, ne donnera peut-être pas moins à penser aux
médecins, les seuls et les Aeritables juges de l'auteur,
qui n'adopteront pas aisément desimpies conjectures, et
qui n'admettent les faits eux-mêmes qu'après les avoir
long-tems comparés dans les vues et avec l'habitude du
doute philosophique. Cette assertion a pour objet la possi-
bilité et même la probabilité d'une invasion de la fièvre
jaune en France.
« La France est-elle menacée du môme fléau que l'Es-
pagne, dit à ce sujet M. Pariset ? sera-t-elle un jour
attaquée par la fièvre jaune ? Si j'en croyais les médecins
espagnols, M. Arejula tout le premier, je répoudrais
hardiment om/. D'après ce grand médecin, que faut-il
pour que la fièvre jaune s'introduise parmi nous ? Les trois
choses qui l'ont introduite dans l'Andalousie : des dispo-*
sitions personnelles, nous ne les avons que trop; une
chaleur forte et soutenue, elle peut être telle dans les
parties méridionales de France , à Marseille , à Toulon ,
dans les petits ports de la Méditerranée; dans ceux de
l'Océan, à Bayonne, et même à Bordeaux, etc. Par une
température vive de trois mois, en mai, juin et juillet,
les organisations auraient reçu la préparation nécessaire.
Cela posé, que la troisième chose se présente, et la fièvre
jaune éclatera. Quelle est cette troisième chose ? On le
sait d'avance. Un principe contagieux, un germe, un
miasme; des malades déjà frappés, des communications
imprudentes avec des équipages arrivant d'Amérique ou
d'Asie : un déploiement subit d'une grande quantité de
marchandises ou d'effets usuels, pris dans les lieux in-
SCIl'lNCES PHYSIQUES. 61
Icctés, entassés dans un vaisseau, long-tcms privés d'air,
et peut-être altérés par le repos et la chaleur. Fallait-il
d'autres moyens pour introduire tout récemment en Eu-
rope l'ophtalmie d'Egypte, et la disséminer en France,
en Allemagne, dans les Paj^s-Bas, et surtout en Angle-
terre, où elle était si opiniâtre? En a-t-il fallu d'autres
pour la variole, lorsqu'elle a passé d'Europe en Amérique?
Souvenons-nous que des exemples de fièvre jaune ont paru
à Bayonne, à Bordeaux, à Rochefx)rt, à Brest. N'en a-t-on
pas vu dans le Nouveau-Monde , jusqu'à l'emhouchure du
fleuve Saint-Laurent , sous un parallèle plus élevé que
celui de Paris ? La fièvre jaune de Livourne, en iSci, est
déjà un avertissement très-significatif. Que dirai-je des
effets de la fièvre jaune , observes deux fois en Suisse par
Haller? Que cette fièvre ait été importée, qu'elle soit
née d'elle-même, qu'en résulte- 1- il, si ce n'est une
double leçon sur la nécessité de prendre des mesures ?
Remarquez que cette fièvre de Suisse a eu quelque chose
de contagieux. Je ne parle pas d'une épidémie plus récente
qui s'est montrée, m'a-t-on dit, dans un canton, et dont
le germe résidait dans des papiers qu'un soldat suisse en-
voyait de la Havane à sa famille. J'avoue que les fièvres
jaunes sporadiques , aperçues de loin en loin dans les ports
de France, n'ont rien eu de ce caractère. Mais tout change
avec le tems : les lieux, les émanations, les animaux, les
hommes, les maladies elles-mêmes; et, par l'effet des ma-
ladies, aussi b ien que par le mélange des peuples entre eux,
les générations qui se succèdent ne se ressemblent pas;
les fils de ceux qui ont eu la fièvre jaune d'Andalousie
l'auront peut-être d'une autre façon que leurs pères. »
Nous ne nous engagerons pas avec M. Pariset dans une
discussion concernant une partie des assertions contenues
dans ce passage ; nous laisserons cette tâche auxsavans,
62 SCIENCES PHYSIQUES.
à qui leur expérience donne le droit de prononcer sur des
matières aussi délicates, et qui, par cela même qu'ils ont]
beaucoup vu , beaucoup appris , hésiteront sans doute éga-
lement, soit pour donner à leurs concitoyens une sécurité
dangereuse au moment des épidémies de fièvre jaune ,
soit pour les inquiéter hors de saison par d'alarmantes
prophéties , et gêner le commerce par un appareil perma-
nent de mesures sanitaires, que peut-être il suffirait de
mettre en usage, à l'époque de l'année où la fièvre jaune
&e manifeste le plus ordinairement.
M. Pariset, qui n'a rien négligé pour trouver , dans ses
éludes ou dans ses lectures, des notions très-étendues sur la
maladie dont il s'occupe , ne pouvait guère manquer de par- -
1er, dans sa narration, delà fièvre jaune d'Amérique; savoir,,
de la fièvre jaune dans l'Amérique équatoriale, et de la
fièvre jaune dans les états de l'Union , de leur origine, de
leurs invasions diverses, du caractère propre à chacune
de ces invasions, et de leur rapport avec la fièvre jaune
d'Andalousie. Ces difTérens objets ont en e0"et occupé notre
voyageur, ainsi que la comparaison du typhus ictérode avec
les maladies qui paraissent s'en rapprocher davantage ;
tels .que la fièvre ardente et la maladie noire d'Hippo-
^rale , les fièvres bilieuses de différens types, les affections
ataxiques et putrides les plus violentes, la peste d'O-
rient, le typhus des Indes, le typhus des prisons et des
hôpitaux.
Après s'être occupé de ces différens sujets, M. Pariset
termine sa narration par d'excellentes remarques sur l'état
actuel de l'Espagne, les défectuosités de sa législation, qui
fait un si triste contraste avec la beauté de son climat. et
ia richesse de son territoire. « Quel admirable pays, dit-il,
serait l'Espagne dans d'habiles mains Pet que manque-t-il
au peuple qui l'habite pour être un des premiers peupks
SCIENCES PHYSIQUES. 63
■de la terre ? Avec les rares qualités qui le distinguent, il
avait plus de lumières qu'il n'en fallait pour soutenir tout
le malheur de sa position ; et l'expression de ce sentiment
venait à nous de toutes parts sans que nous lu provoquas-
sions le moins du monde, car nous nous étions imposé la
loi, mon jeune ami et moi, de tout respecter dans cette
nation généreuse, jusqu'à ses préjugés et ses erreurs, ou
ce qui nous eût semblé tel. Singulier et inévitable effet des
guerres et des mélanges qu'elles occasionnent entre les
peuples ! Les prisonniers espagnols , que nous avions eus
parmi nous, avaient pris de plus justes idées et de notre
caractère et des vrais intérêts des sociétés humaines. Les
souvenirs qu'ils avaient rapportés de France nous avaient
réconciliés depuis long-tems avec leurs compatriotes; mais
ils en tiraient des comparaisons de notre état avec le leur,
et ces comparaisons les faisaient soupirer. Combien de fois,
Il la nouvelle de notre arrivée, des officiers sont accourus ù
nous pour nous parler avec affection du bonheur de leur
ancienne captivité ! combien de fois ce mot si connu de
•Charles-Quint leur est échappé : Tout abonde en France^
tout manque en Espagne ! Ce qu'il fallait surtout déplorer,
c'est que le gouvernement actuel ne songeait pas ù tirer
l'Espagne de ce chaos de barbarie et de misère. Comment
en sortira-t-elle ? disions- nous; certainement le roi ni
l'armée ne voudront rien changer à un état de choses, qui
est en partie leur ouvrage : le clergé le voudrait moins
encore; on ne peut rien attendre de ces deux côtés. Qu'at-
tendre du peuple, qui ne sait que supporter ses maux, et
en ignore également les causes et les remèdes ? qu'attendre
des hommes éclairés d'Espagne qui, à tout prendre , sont
en petit nombre ^ ont les mains liées, et osent à peine se
plaindre ? Entre tant d'élémens hétérogènes, quels liens
'•ouimuns ! quelles communications de scnlimcns, d'idées.
6A SCIENCES PHYSIQUES.
de volontés, de conseils, de projets ? Comment s'entendre
et comment agir? En pesant ces difficultés, nous en lirions
cette conclusion finale, que l'Espagne serait encore plon-
gée dans le néant pendant des siècles : le lendemain, et
sur le terrain même où nous raisonnions ainsi, la révolu-
tion éclata. »
L'étendue de notre extrait annonce assez l'importance
que nous avons attachée à la narration de M. Pariset; cet
écrit ne réunit peut-être pas toutes les conditions que l'on
doit exiger dans un rapport officiel, et adressé au gou-
vernement sur une grande question de salubrité publi-
que (i); mais il doit être placé au premier rang parmi les
voyages qui ont été publiés sur l'Espagne, et il ne pourra
manquer d'être lu avec le plus grand intérêt par cette
classe de lecteurs qui, même dans les ouvrages de science,
désirent que l'on parle à leur imagination, et qu'on attire
leur attention parle mouvement, l'éclat du style, la viva-
cité^ la rapidité des impressions et la variété des con-
naissances.
L. J. MoREATJ ( de la Sarte^j j professeur de la faculté de
médecine de Paris ^ membre de la société royale de
médecine ^ etc.
(i) Il existe dans notre langue plusieurs écrits de ce genre , que l'on
peut regarder comme des ouvrages classiques : tels sont le rapport de
Tlienon sur les hôpitaux, les rapports de Bailly sur les hôpitaux et sur
le magneïisme, le rapport de Morand sur les convulsiounaires, celui de
Thouret pour l'exhumation du cimetière des Innocens, et , pins près de
nous, le rapport de M. le professeur Halle, que nous avons cité, sur la
question adressée par le miuistre de l'intérieur à la faculté de Paris,
en 1S17, concernant la nécessité de préuenir l'introduction de la
fièvre jaune par la voie des communications commerciales.
SCIENCES PHYSIQUES. (Jâ
■V\'»1V^X^W\'«\l \\
Monographie historique et médicale de la fièvre
JAUNE DES Antilles ; et recherches physiologiques sur
les lois du développement et de la propagation de
cette maladie pestilentielle , lues à i' Académie
royale des sciences de L'institut de France , dans ses
séances des ^décembre 1819, i-javrilet ig^amiSao.
Par Al. Moreau de JoNNiiS , correspondant de
l'Académie royale des sciences de l'institut de
France , clc. , etc. (1).
On dispute beaucoup, depuis quelque tems , de con-
tcigioii c\. Ag. fièvre jaune ; et, selon l'usage, on dispute
beaucoup sans rien décider : peut-être même ne décide-
t-on rien, par cela seul qu'on dispute. Demander s/ /a ^i^r*?
jaune est contagieuse j paraît d'abord une simple question
de fait : malheureusement, comme on ne convient du sens
précis ni du mot contagion , ni des mois fih-re jaune, en
affirmant ou niant la contagion de La fièvre jaune , on ne
«ait réellement ni ce qu'on affirme , ni ce qu'on nie.
La contagion est, dit-on, la transmission d'une maladie
par contact; mais y a-t-il de transmission possible autre-
ment que par le contact? Transmission et contagion sont
donc absolument synon3'^mes; toute maladie Iransmissible
est donc luie maladie contagieuse (2).
(1) Paris, 1820. 1 vol, io-B". I\Ii,^neret, lil))airpj lue tlu Dragon,
11° 20.
(2) On a ■voulu distinguer encore le contact immédiat du contact
médiat -, mais , à la ligueur, il y a toujours contact immédiat du prin-
cipe contagieux, sans quoi il n'y auiait pas contagion. Coutaglori
implique donc toujours ne'cessairemcnt contact irùmiidiat du principe
contagieux.
Tome x. 3
GO SCIENCES PHYSIQUES.
Les particules gazéiformes , continuellement dégagées
des corps organisés en putréfaction, et dont l'effet meur-
trier est d'autant plus actif qu'elles sont plus concentrées,
n'agissent que par contact. Les individus qu'elles frappent
peuvent les transmettre à d'autres individus, et ces nou-
veaux individus à d'autres. Les vêtemens, la laine, le bois,
les fourrures, etc., leur servent également de véhicule.
Voilà donc des causes de maladies, et conséquemment des
maladies transmises par contact; voilà donc des maladies
contagieuses.
Remarquez, toutefois, que ces individus, tour à tour
frappés par ces particules, se les font, pour ainsi dire,
passer sans les reproduire. Un individu , atteint de sy-
philis, au contraire, reproduit, et parla transmet indé-
finiment la cause , ou le virus, de sa maladie , et, avec elle ,
la faculté de la reproduire et de la transmettre. Il y a donc
ainsi deux modes de transmission ou de contagion. Dans
le premier, transmission sans reproduction ; dans le se-
cond, transmission et reproduction tout ensemble.
Aux maladies simplement transmises, on a donné le
nom de maladies pa?- infection ^ et aux particules gazéi-
formes, causes de ces maladies , le nom de miasmes; par
où le nom de maladies contagieuses se trouve définitive-
ment réservé aux seules maladies tout à la fois transmis-
sibles et reproductibles.
Cela p osé , voyons si la fièvre jaune est contagieuse.
Mais d'abord, qu'est-ce (\w'wne fièvre _, et surtout qu'une
fièvre jaune? \}xiG fièvre essentielle n'en qu'une abstraction
personnifiée. Ou \e.\x\o\. fièvre ne signifie rien du tout, ou il
signifie tout simplement désordre circulatoire. Ce désordre
n'est évidemment qu'un effet; car une fonction n'est que
le jeu d'un organe. Voulez-vous donc caractériser un dé-
SCIENCES PHYSIQUES. 67
sordre fonctionnel? montrez l'altération organique qui le
provoque.
Quant à l'épithète <1& jaune , si sing-ulièrement associée
au moifièçre^ on en sent assez toat le ridicule. Concluons
que bien poser une question est le premier pas ù faire
pour la résoudre, et que, mieux posée, la question de la
fièvre jaune serait peut-être déjà résolue. L'ouvrage de
M. de Jonnès justifle assez, du reste, cette assertion. Le
jour qu'il jette, en effet, sur cette question si long-.tems
et si vainement débattue , me paraît tenir surtout à l'art
avec lequel il l'a conçue et développée,
La nouvelle monographie de la fièvre jaune se partage
en trois sections : son histoire j sa description et sa théorie.
Tour à tour érudit, observateur, ou ph3"siologiste , l'au-
teur essaie tour à tour de remonter aux premiers vestiges
de ce fléau, d'en peindre le développement et les suites,
et même d'en expliquer l'origine et la formation.
Ainsi, selon lui, \di fièvre jaune j exclusivement origi-
naire et endémique aux Antilles, ne parvient ailleurs que
par voie d'importation; semblable en ce point à la peste _,
endémique en certains lieux, et partout ailleurs importée.
On a prétendu récemment que la peste est tiniquement
contagieuse. Cela n'est point exact. La peste est tout à la fois
endémique, contagieuse, et par infection : end è inique jCav
elle ne prend naissance qu'en certains lieux; contagieuse j
car l'individu qu'elle frappe peut, à son tour, en frapper
un auii'c; par infection, car le virus pestilentiel, s'atta-
chant à la surface des corps, se trouve par là transmis
avec eux.
L'objet principal de M. de Jonnès est de montrer que
\a fièvre jaune ^^i, sous tous ces rapports, parfaitement
comparable à la peste : par infection, endémique et con-
tagieuse comme elle.
5*
I
68 SCIENCES PHYSIQUES. -
M. Devèze a dernièrement soutenu, comme on sait (t) >
que Xa fièvre jaune est exclusivement transmise par infec-
tion. M. de Jonnès ne nie point l'infection , mais il y ajoute
la contagion. Qu'il y ait, au reste, simplement infection ,
ou contagion et infection tout ensemble, le fait est que la
maladie est essentiellement transmissible ; et ce fait est
plus que suffisant sans doute pour exiger et justifier de
sages mesures palliatives.
M. Moreau de Jonnès a exposé ces mesures avec une
précision remarquable. J'y joindrai pourtant une réflexion.
Les partisans déterminés de l'infection crient beaucoup
contre le système des lazarets; les partisans de la con-
tagion ne crient guère moins contre l'absolue liberté des
communications; et peut-être tout le monde a-t-il raison
de crier.
Quelle que soit, en effet, votre opinion, vous convenez
que l'entassement d'individus infectés suffit, à lui seul,
pour reproduire et éterniser les germes de l'infection :
pourquoi donc les entasser dans un lazaret? M. Devèze a
raison sur ce point : le premier besoin d'individus infectés
est d'être séparés entre eux, et de respirer un air pur.
Mais, quelle que soit aussi votre opinion, laisser toute com-
munication libre , c'est inévitablement propager le mal ,
qu'il vienne d'infection ou de contagion.
Il faut donc et séparer les individus infectés entre eux et
les tenir séparés des individus non infectés. Par là , vous
sauvez tout à la fois les uns et les autres; vous prévenez
la contagion , et vous détruisez l'infection ; vos lazarets
ne sont plus des prisons, et la sûreté publique n'exige plus
des victimes. Fiourens, D. M.
(i) Voyezson Traité de la fièvre jaune , ou l'analyse de ce traité,
p,ig. 270 tlu Tom. yil de notre Reuue.
I
SCIENCES PHYSIQUES. 69
iW^tWt^WtuVWVt
Considérations sur l'art de la guerre , par le lieu-
tenant général Rogniat (i).
Remarques critiques sur l'ouvrage de M. le lieutenant
général Rogniat, intitulé : Considérations sur l'art
de la guerre, par le colonel Marcellin Marbot (2).
S'il fallait en croire les détracteurs de l'armée française,
qui s'est illustrée de nos jours par tant de faits d'armes
immortels, elle n'aurait dû ses succès qu'à l'intelligence
naturelle et, pour ainsi dire, à l'instinct militaire de la
nation française; et, sauf quelques rares exceptions, ja-
mais armée n''aurait possédé moins de talens, fruits de
l'étude et du savoir.
En songeant d'ailleurs à cette foule d'officiers si distin-
gués par leur habileté, que nos victoires ou nos revers
ont fait disparaître de nos rangs , on serait tenté de croire
qu'après de telles pertes , une armée qu'on assurfe avoir
été si peu riche en hommes d'un grand savoir et d'une
expérience raisonnée, ne doit plus compter parmi ses dé-
bris que des officiers recommandables seulement par de
l'activité , du courage , de la constance , par la force du
corps ou l'énergie du cœur, bien plutôt que par la culture
de l'esprit et l'étendue des connaissances.
Combien, depuis la paix, le tems a démenti cette injuste
opinion ! Dans les âges paisibles qui succédèrent aux guerres
les plus longues et les plus fertiles en beaux faits d'armes,
jamais, chez aucun peuple, on ne vit, dans un aussi petit
(1) Paris, 1821. Un vol. in-8" de 6oS pages; tleuxitme édition
i-cviie par l'auleur. Anselin et Pocliard. Pjix , 7 IV. 5o c.
(2) Paris, 1821. 1 vol. in-S" de 638 pages. Aiiscliii et Pocliiird.
70 SCIENCES PHYSIQUES
nombre d'années, paraître autant d'écrits importans, pro-
duits par les loisirs des militaires rendus au repos. La paix
qui couronna les beaux tems du siècle d'Auguste et de
Louis XIV, n'a pas offert l'exemple d'une activité d'esprit
comparable à celle dont sont animés aujourd'hui les offi-
ciers français. Dans un petit nombre d'années où , par
l'effet des plus funestes catastrophes, tant d'officiers ont
perdu leur état, quand la sécurité, si nécessaire aux grands
et longs travaux, est retirée à tous par l'instabilité des or-
ganisations si diverses qui se sont succédées avec tant de
rapidité, c'est alors que nous avons vu paraître une foule
d'ouTrages qu'on croirait ne pouvoir être exécutés que dans
la situation la plus favorisée et dans le calme le plus heu-
reux ; de grands écrits historiques, où la théorie des arts
militaires est habilement déduite des plus mémorables
exemples; des recherches variées, nombreuses, sur le
service des diverses armes, sur les moyens qui leur sont
propres, sur les perfectionnemens qui leur manquent et
sur les améliorations qu'on propose. A voir cette émula-
tion générale, on dirait qu'une autorité puissante et pro-
tectrice sollicite, encourage et récompense tous ces tra-
vaux ; mais l'admiration redouble , lorsqu'on découvre que
la seule énergie des individus produit ce concours d'efforts
si variés et cet ensemble de travaux si recommaudables.
Observons enfin, à la gloire de l'ancienne armée fran-
çaise, que les officiers n'ont pas seulement produit des
travaux militaires. Les licenciemens et les épurations, en
rendant à la vie civile une foule d'hommes habitués à la
double activité du corps et de l'esprit, les ont forcés à
porter cette activité sur des objets directement utiles à
l'ordre social ou à l'économie de la vie civile. Les uns,
retournant dans nos campagnes, sous le toit paternel, ont
repris les soins de l'agriculttu-e , première occupation de
SCIENCES PHYSIQUES. 71
Iciu" adolescence. Ils ont introduit des procèdes qu'ils
avaient, aux jours de nos succès , observés sur les ihéûlrcs
si nombreux de nos exploits, c'est-à-dire en Hollande,
en Allemagne, en Pologne, en Russie, en Espagne, en
Portugal, en Italie, en Grèce, en Egypte; d'autres ont
cultivé avec succès . diverses branches de l'industrie, et
créé des fabriques nouvelles, qu'ils font prospérer par cette
ardeur et cette constance , sources de leurs succès passés;
d'autres ont cultivé les sciences, les lettres, les beaux
arts. Les voyages d'Andréossy et de Bory Saint-Vincent,
les poèmes de Viennet, les tableaux de Lejeune ont mon-
tré que les mains qui surent manier l'épée avec honneur,
savaient manier, avec autant de gloire, et le compas , et
la lyre, et le pinceau. Enfin, sous les formes heureuses d'un
gouvernement constitutionnel, toujours officiers sans cesser
d'être citoyens, la France voit avec orgueil des hommes
dont elle aimait à citer les talens militaires aux jours des
combats, s'illustrer par des talens civiques aux jours de la
paix; et les communes, en confiant leurs plus chers intérêts
aux généraux à qui jadis la patrie confiait la défense de
nos foyers, ont pu voir avec orgueil que les palmes du
civisme et de l'éloquence étaient cueillies par des mains
qui d'abord n'avaient appris qu'A cueillir des lauriers , et
le paisible citadin redit avec orgueil les discours des Fpy,
des Gouvion, des Lafayette, des Macdonald, des Maison, etc.
Honneur aux armées françaises !
Parmi les écrivains militaires , également i-ecomman-
dables par leurs talens et leurs belles actions , le général
Rogniat occupe un des rangs les plus distingués ; ses ser-
vices se rattachent aux époques mémorables de nos cam-
pagnes les plus célèbres.
En 1806, auprès de Neubourg, dans l'armée de Morcau,
Rogniat, simple capitaine du génie, prend la direclion
72 SCIENCES PHYSIQUES.
d'une des colonnes d'attaque de la division Lecourbe, pour
forcer la position d'Unterhausen, où périt Latour-d'Au-
vergne. Moreau , félicitant le jeune capitaine sur ce noble
service, et le faisant nommer chef de bataillon, le déclare
digne de la fortune milititire qui dut être la récompense
de sei'vices plus grands encore et bien plus éclatans.
En 1806, au siège de Danlzig, le commandant Rogniat
dirige la principale attaque ; en 1808, il est fait colonel. H
passe en Espagne, prend part au siège de Saragosse, se-
conde d'abord et remplace ensuite le général du génie , tué
devant cette place. Nommé général de brigade, il dirige
en cette qualité les travaux du siège de Tortose; enfin,
après l'assaut et la prise de Tarragone, il est fait lieute-
nant général , dix ans après sa première action d'éclat,
en comptant tous ses grades par autant de grands travaux
et de grands succès. Depuis 1810, le général Rogniat a
rendu d'autres services à son pays, par des comman-
demens distingués, et notamment par celui du génie,
durant la campagne de Dresde, enfin par les organisations
qu'on lui a confiées et les travaux des conseils aus.quels
il a pris une part importante.
Il faut à présent rendre compte de ses travaux, comme
écrivain militaire. L'ouvrage qu'il a publié sous le titre de
Considérations sur l'art de la guerre j est le fruit de l'ex-
périence d'un militaire, habile observateur. Le général
Rogniat n'a pas borné ses méditations au seul examen des
faits relatifs à l'arme spéciale dont il a dirigé les travaux.
Il a fait une étude approfondie des causes de succès et de
revers, dans toutes les branches essentielles de l'art de la
guerre; son ouvrage abonde en vues heureuses, en obser-
vations pleines de perspicacité , en jugemens remplis de
profondeur sur toutes les grandes opérations militaires.
Le général Rooniat c:;t moins heureux, lorsou'il entre
SCIENCES PHYSIQUES. 1i
dans les détails de l'organisation des corps, et c'est pré-
cisément cette partie vulnérable, dont le colonel. Marbot
a publié la réfutation. Mais, avant d'offrir à cet égard de
plus amples développemens , exposons le plan général
des Considérations sur l'art de la guerre.
Dans une introduction fort étendue , l'auteur jette un
coup d'œil sur le système de guerre, fondé sur l'emploi
des anciennes armes. Il expose les principaux moyens de
levée, d'organisation et d'armement de la légion romaine,
qui doit servir de type à l'ordre nouveau qu'il propose. Il
compare ensuite la légion romaine avec laphalange grecque,
qui, n'offrant pas les précieux avantages de diversité des
armes, de mobilité et de subdivision, qui rendaient la
légion si propre à toutes sortes d'actions, devait nécessai-
rement avoir l'infériorité.
Ayant exposé le service isolé de la légion, l'auteur con-
sidère le service d'une armée consulaire, composée de
deux légions romaines placées au centre , et des alliés
placés aux ailes avec la cavalerie et les auxiliaires.
L'armée romaine, après avoir atteint la perfection dé
l'ordre et de la discipline, sous les Scipions, sous César
et sous Pompée , fui bientôt déchue de sa vaillance et de
sa force, sous la tyrannie ombrageuse et timide des em-
pereurs. Les barbares, n'ayant pour eux que leur courage,
commencèrent à triompher des légions dégénérées, et
l'empire romain s'écroula de toutes parts. L'art militaire
retomba pour dix siècles dans l'enfance, et ne se releva
qu'au tems où les rois de l'occident commencèi*ent à tenir
sur pied des armées permanentes. Le général Rogniat
montre le progrès des organisations nouvelles, comman-
dées par l'introduction des armes à feu dans les combats,
depuis le règne de Charles VII jusqu'aux dernières guerres
de notre révolution.
7A SCIENCES PHYSIQUES
Après ce rapide coup d'œil historique, le général Ro-
gniat fait connaître la base de son système. Voici la subs-
tance de ses idées à ce sujet :
Le système de guerre, fondé sur les armes à feu, n'est
pas encore fixé ; l'expérience parle en faveur de plusieurs
usages; l'opinion se partage ou demeure incertaine sur
quelques points; la généralité de quelques faits semble
établir des règles et des principes qui sont encore épars et
mal tracés. Les matériaux sont innombrables ; il s'agit de
trouver un architecte qui sache les classer, les mettre en
œuvre et élever l'édifice ; il s'agit de rechercher et de
puiser dans l'ancien système , fondé sur les armes de main,
que les Romains portèrent au plus haut degré de perfection,
les principes éprouvés par le succès et le tems , applicables
au système moderne, fondé sur les^armes à feu; il s'agit
de fixer ce nouveau système d'après l'expérience des
guei'res du siècle dernier et de celui-ci , d'éclairer l'opi-
nion sur quelques erreurs , de balancer les avantages et
les inconvéniens des difFérens usages, afin de choisir ce
qu'il y a de mieux, de soumettre les innovations ù l'exa-
men critique de la raison, et de rassembler les règles et
les principes qui résultent de l'expérience, des faits et du
raisonnement, pour en former un corps de doctrine mili-
taire.
L'ouvi'age est divisé en quatorze chapitres, qui traitent
successivement de la levée des troupes, de l'organisation
légionnaire telle que l'auteur la propose, des grades mili-
taires et des avancemens, des armes qu'il faut donner soit
ù l'infanterie , soit à la cavalerie, des exercices et des tra-
vaux militaires, de l'ordre de bataille de la légion et des
armées et de leurs opérations, des positions et des campe-
mcns, des retranchemens de camppgne, des marches et
des batailles. Un chapitre spécial est consacré à ce qu'il
SCIENCES PHYSIQUES. 75
ippelle la métaphysique de la guerre , ou l'art d'inspirer
iu courage aux troupes; enfin,, les deux derniers traitent
séparément des grandes opérations offensives et défen-
sives.
On voit que ce vaste plan embrasse les objets les plus
importans à considérer dans l'art de la guerre. Beaucoup
sont traités avec toute la supériorité qu'on était en droit
d'attendre de l'auteur. S'il est moins heureux dans quel-
ques parties, rappelons-nous combien il est difficile, peut-
Dtre impossible, d'exceller dans toutes : c'est déjà mé-
riter les plus rares éloges que d'exceller dans plusieurs.
Maintenant , il faut faire marcher de front le compte
que nous essayons de rendre de l'ouvrage du général Ro-
gniat, et des ohserçations critiques du colonel Marbot.
M. le colonel Marbot a servi avec beaucoup de distinc-
tion, comme chef de corps et comme chef d'état-major;
il connaît, de la manière la plus parfaite, tous les détails du
service des régimens, et ce n'est point une routine que
cette connaissance. Le colonel s'est rendu compte du motif
et des conséquences de chacun des objets dont se compose
le service , l'armement et la manœuvre de nos corps d'in-
fanterie et de cavalerie , tels qu'ils ont été formés dans
les guerres dernières. Il en a reconnu les avantages et les
inconvéniens pratiques; il appuie ses jugemens par des
faits nombreux et parfaitement choisis; il cite des expé-
riences intéressantes sur beaucoup de points d'organisation
ou d'opérations. Par ce moyen, il fixe les idées sur des
difficultés où la théorie seule ne suffirait pas pour pronon-
cer. Si j'étais roi, comme disent les bonnes gens, ou
seulement si j'étais ministre de la guerre, je ferais du
colonel Marbot mon organisateur régimentaire ; et, quand
l'organisation serait finie, je le ferais inspecteur, pour qu'il
76 SCIENCES PHYSIQUES.
surveillât mieux que personne ce qu'il aurait organisé
mieux que tout autre.
Tel est le rude adversaire qui , sans s'effrayer de la
grande réputation du général Rogniat et des succès de son
livre, est fièrement descendu dans le champ clos, pour i
livrer un combat ù. outrance aux erreurs de son antago-
niste. Il le suit pas à pas, et ne lui fait grAce^ur rien ;
aucune idée, aucune assertion, aucun projet, qui peuvent
prêter le flanc n'échappent à son austère critique ; et, quoi-
qu'il combatte sur un grand nombre de points, il faut .
avouer qu'il paraît presque partout avoir pour lui la raison
et la victoire.
Mais il faut observer que, même en ôtant de l'ouvrage
du général tout ce que le colonel attaque, les parties les
plus importantes subsisteraient encore , et leur ensemble
formerait un traité digne de la réputation de son auteur.
Enfin, pour faire à la fois, des deux côtés, la part équi-
table des éloges et de la censure, disons que le colonel se
laisse un peu trop emporter par l'amour de la critique;
ses formes sont quelquefois aceibes et dures, et l'ardeur
de la contradiction lui fait aussi parfois pousser trop loin
des idées dont le fonds est juste en lui-même.
Les bornes que doit avoir cet article ne nous permet-
tent pas d'exposer avec détail les divers sujets d'une telle
controverse ,• les idées des adversaires et les motifs qui ,
dans chaque cas, semblent donner droit à l'un ou à l'autre.
Le colonel commence d'abord par rendre hommage aux
talens du général. J'ai, dit-il, admiré le talent avec lequel
l'auteur a tracé le tableau du genre de guerre actuelle-
ment en usage , et développé le mécanisme des différens
niouvemens des armées en campagne. Sous ce rapport,
en effet, ainsi que s'empresse de le reconnaître le colonel
SCIENCES PHYSIQUES. 77
Marbot, les Considérations sur VarL de la guerre sont un
juvrage extrêmement important. Mais les beautés de l'on-
n-age n'aveuglent pas le réfutateur sur les défauts qui le
léparent; il a des yeux de lynx pour les découvrir et des
ïrgumens irrésistibles pour les réfuter.
Pour mettre de l'ordre dans la critique, et ne rien laisser
passer, le colonel divise son ouvrage en autant de cha-
pitres qu'en présentent les Considérations.
Au sujet de la levée des troupes, il commence parfaire
['éloge des vues du général, dont l'ouvrage, qui parut
en 1816, eut le mérite de défendre une institution alors
fort peu populaire : la conscription (i).
Il veut que le tems du service soit de dix ans au lieu de
cinq; mais qu'à la fin de ce tems, les congés soientreligieuse-
ment accordés , même au milieu de la guerre. Le colonel
(i) Voici ce qu'en i8i4 l'aiiteui- de cet article publiait à ce sujet,
daus un opuscule sur les lois fondamentales de la France :
« Au milieu des tourmentes de la révolution , des choses vraiment
grandes ont e'te' faites ; il faut être assez gene'reux pour leur reudre
justice et leur payer le tribut qu'elles me'ritent.
Car, si nous allons sans cesse, imitant la démence de nos devanciers,
détruii'e pour édifier, sans réfléciiir si c'est le pire ou le mieux que
nous nous proposons de mettre à la place du bien , nous auront beau
dire ^ comme on l'a dit tant de fois , et si dérisoirement , que nous
sortons enfin de la révolution; nous y serons encore; et qui ne fré-
mirait pas à cette seule idée ! Revenons donc à ces institutions qu'il
est beau, qu'il est utile de conserver, et même de rendre plus illustres
encore qu'elles ne le sont déjà.
La conscription ! oui , la conscription quia sauvé la France , qui
a fait notre gloire pendant vingt ans , qui fera notre indépendance à
venir, qui est en elle-mèni'^ la plus juste des lois (puisqu'elle oblige
également les pauvres et les riches à servir la patrie ), et qui n'en est
devenue la plus inique et la plus infâme que par l'abus inoui qu'on en
a fait. Eh bien, réprimons les abus, mais conservons les lois salu-
taires. »
78 SCIENCES PHYSIQUES.
démontre qu'en teins de guerre ce licenciement ponctuel
serait presque toujours impolitique , dangereux, impos-
sible, et menacerait de substituer promptement une ar-
mée de recrues à des corps de vétérans.
M. le colonel Rogniat voudrait qu'on donnât aux troupes
françaises «ne organisation calquée sur la formation de
l'ancienne légion romaine.
Sous le titre de légion , il crée des corps ainsi composés :
Fantassins de ligne 5,700
Fantassins légers 1,900
Cavaliers 760
Artilleurs 150 (i)
Pontonniers-Sapeurs 190
8,700
Cette légion, commandée par un chef unique, ayant
plusieurs colonels sous ses ordres, ne pourrait jamais être
démembrée pendant la guerre, et servirait toujours en
masse dans la même armée; pendant la paix, elle serait
cantonnée dans une même province. Le colonel Marbot
montre d'abord l'impossibilité de suivre constamment un
système qui, fixant toujours une même proportion entre
les diverses armes, donnerait autant de cavalerie pour une
même foixe d'infanterie dans les plaines de la Belgique et
de l'Italie, que dans les Alpes et les Pyrénées.
La légion du général Rogniat se divise, comme la légion
romaine, en dix cohortes ou bataillons, composés chacun
de 760 hommes. Chaque cohorte se subdivise en quatre
compagnies, dont trois d'infanterie de ligne et une d'infan-
terie légère; celle-ci ne doit jamais se mettre en ligne
avec le reste du bataillon.
(1) Le colonel Marbot se trompe en donnant ij5 hommes à l'artil-
lerie, puisqu'alors le total serait de 8,645 liommcs au lieu de 8,700.
SCIENCES PHYSIQUES. 79
Les trois compagnies, fortes chacune de 190 liouimes,
sont placées chacune sur un rang ; la première compa-
gnie, celle des grenadiers, élite du bataillon, occupe le
premier rang; les soldats les meilleurs après ceux-lù
forment la 2" compagnie et le 2" rang; enfin, les conscrits
et les soldats les plus mauvais forment le 3° rang. Il faut
l'avouer, une telle formation présente dans l'exécution
des difficultés insurmontables; elle aurait, dans les ma-
nœuvres et dams les combats, des inconvéniens majeurs ,
et qui doivent la faire proscrire ; c'est ce que démontre
parfaitement le colonel Marbot, en prouvant que cette
formation détruirait le moral du soldat qui ne se sentirait
plus appuyé par les hommes avec lesquels il vit habituel-
lement, et dont il connaît l'affection et la vaillance.
Ensuite 190 hommes étant sur un seul rang, et occupant
un espace de près de 120 mètres, le capitaine, placé dans le
rang même et sur la droite, ne peut apercevoir ni l'ex-
trême droite , ni même le centre de sa compagnie ; il ne
peut pas juger si les officiers et les sous-officiers, répartis
au milieu des soldats dans cette ligne étendue, remplissent
exactement leur devoir et surveillent la conduite de leurs
subordonnés respectifs. Quand même le capitaine , doué
d'un coup d'œil extraordinaire, parviendrait à juger plus
ou moins parfaitement de ces objets , dans une position si
peu commode, la même inspection deviendrait tout-ù-fait
impossible aux capitaines des 2" et S* compagnies, lorsque
le bataillon manœuvrerait à rangs serrés, c'est-à-dire
dans les momens les plus importans.
Les trois capitaines d'un bataillon étant sur la même
file , un même boulet lancé de front ne pourra guère frap-
per le premier sans abattre les deux autres , et le corps
entier se trouvera dans l'instant privé de ses principaux
chefs.
80 SCIENCES PHYSIQUES.
Si , dans les manœuvres, il faut que le bataillon rompe
par pelotons ou par sections , chaque subdivision sera
formée d'une fraction de trois compagnies différentes, et
dès-lors il y aura toujours les deux tiers des soldats, des
sous-ofliciers et des officiers qui obéiront à des chefs d'une
autre compagnie que la leur : ce qui nuira beaucoup à
l'énergie, à l'efficacité du commandement.
La division des rangs par ordre de vaillance, telle que
l'établit îe général Rogniat, est aussi trcs-vicieuse, car le
premier rang éprouve à la guerre une perte à peu. près
double du 2' rang et du 3". Ainsi, l'élite du bataillon sera
moissonnée deux fois plus vite que le reste du corps. Enfin,
les plus mauvais soldats sont placés au 3" rang, c'est-à-dire
au seul rang où les lâches aient la facilité de tourner le
dos et de fuir, sans que les braves puissent les retenir.
Voilà quelques-uns des inconvéniens attachés à la for-
mation des cohortes par compagnie, formant chacune un
seul rang; celte formation a beaucoup d'autres désavan-
tages parfaitement développés par le colonel Marbot, et
pour lesquels nous renvoyons à son ouvrage.
Rappelons-nous qu'outre les trois compagnies de ligne,
il reste par bataillon une compagnie d'infanterie légère
qui ne doit jamais entrer en ligne. Les voltigeurs étant
destinés à combatti'e isolément, il est inutile, dit le géné-
ral , de leur donner un pas uniforme et de leur enseigner
à manœuvrer avec régularité et ensemble comme la troupe
de ligne (i). Il suffit, selon lui, qu'ils soient formés à se
(i) Pages 171 de la dernière édilionj et 11011 pas pages lOi , iCfi et
168, comme l'indique le colonel Marbot, sans doute d'après la pre-
mière e'dition, qu'il paraît avoir suivie dans toutes ses remarques. Ainsi^
le colonel critique l'opinion que le général émet contre le tambour,
d'après iili passage qui se trouve en effet dans la première édition^
SCIENCES PHYSIQUES. SI
réunir rapidemcnl en cercle contre la cavalerie, et habi-
tués à se rallier derrière des lignes. Il faudrait que ces
voltigeurs se rassemblassent au pas de course, pour se
pelotonner tiunultaairement autour de leurs officiers.
Ici, l'antagoniste du général trouve avec raison qu'on
donne trop peu d'instruction à cette grande masse de
voltigeurs que présente une légion. Que faire en effet,
au camp ou dans la garnison, de 1,900 voltigeurs, ne
sachant ni marcher au pas, ni se former, ni prendre
rang avec leur bataillon. Qu'on se figure le désordre qui
régnerait dans une armée, où le quart de l'infanterie mar-
cherait par bandes désorganisées! Comment, alors, évaluer
au juste la profondeur des colonnes, le tems qu'elles vont
mettre à passer un défilé et l'instant précis de leur arrivée
sur un champ de bataille ? Ces estimations offrent déjà les
difficultés les plus grandes, lorsqu'il faut les faire sur des
troupes rangées par pelotons réguliers, égaux et distincts;
elles deviendront absolument impossibles, quand un quart
de la troupe, marchant pêle-mêle et sans garder de dis-
tances , cachera même le véritable nombre des troupes
qui sont en ordre. Un jour de bataille enfin, dans une plaine
décQuverte, où placer G, 000 voltigeurs qui no savent pas
même se mettre en rang? où les placera-t-on , lorsque la
cavalerie forcera les troupes de ligiie de former des carrés
pour lui résister?
Des difficultés d'un autre ordre et non moins graves se
présenteront dans l'emploi des voltigeurs, lorsqu'ils de-
vront concourir à la défense d'un retranchement ou d'une
place forte.
mais qui n'est plus dans la deuxième^ publiée trois ans avant les
Remarques critiques; du reste , cela donne an colonel l'occasiou t'e
rappoiter des faits d'expérience sur les dislanccs comparées , auxquelles
on peut entendre les sons du tambour el des iiisUituiens à vent.
Tome x. 6
82 - SCIENCES PHYSIQUES.
Après avoir ainsi critiqué l'emploi des tirailleurs, tel que
le propose le général Rogniat, le colonel Marbot expose le
véritable emploi de l'infanterie de ligne pour le service des
troupes légères; il appuie sa théorie par des exemples
nombreux et frappans; il justifie la pratique de nos plus
habiles généraux, pendant les guerres de la révolution,
de former, au moment du besoin, des masses plus ou moins
considérables de tirailleurs pris dans la ligne , pour leur
faire exécuter, dans certains cas, un service spécial.
Parmi les exemples les plus remarquables , il faut indi-
quer d'abord les premières victoires remportées par les
armées de la république dans la Flandre, dans l'Alsace,
aux Alpes, aux Pyrénées; les combats que les armées
françaises ont livrés dans les Alpes juliennes et dans les
Alpes noriques, eu 1797 et en 1809; puis la bataille de,
Hanau , où l'armée française eut momentanément plus
de 5,000 tirailleurs dans un bois dont il fallait repousser
l'ennemi. Enfin , on peut citer comme un exemple très-
récent le combat livré par le général Allix. Après sa belle
défense de Sens, il reçoit l'ordre de conduire au quartier
général les 2,000 hommes qu'il commandait; en traversant
la forêt de Fontainebleau, il se trouve en face d'une divi-
sion d'Autrichiens , marchant comme lui en colonne sur
la grande route. Les seules têtes de colonnes pouvaient
prendre part au combat qui s'engage. Le général Allix
jette sur ses flancs 8 à 900 tirailleurs, et remporte un
succès complet sur un ennemi six fois plus nombreux.
Le colonel Marbot passe ensuite à l'examen du service
de la cavalerie et de l'artillerie attachées aux légions : ce
qu'il réprouve aussi fort que des tirailleurs inexercés à la
marche régulière.
Au sujet des grades militaires, le colonel Marbot pré-
cnle une foule d'observations judicieuses sur le service
SCIENCES PHYSIQUES. 8."?
des sous-officiers, des adjudans et des autres officiers
des bataillons et des régimens. Tout officier supérieur, et
même tout capitaine , devrait méditer ce chapitre des
légions et des régimens ; l'avantage spécial du colonel
Marbot, c'est d'avoir long-tems administré, commandé
et manié des corps. On conçoit, en effet, que les détails
du service, le maintien de la discipline, mille difficultés
à prévoir ou à surmonter, ne peuvent être bien connus que
des officiers qui ont acquis par eux-mêmes une pareille
expérience.
Un des meilleurs chapitres des Remarques critiques est
celui qui traite des armes. Quelque simples que soient en
•apparence les armes de l'infanterie et de la cavalerie,
leurs proportions, leurs qualités et leur usage sont le sujet
d'une foule d'observations de la plus haute importance,
<lans le moment du combat.
Le colonel Marbot combat d'abord l'idée, qu'on a depuis
mise en pratique pour les voltigeurs, de placer la gi-
berne sur le ventre du fantassin, en l'attachant à un cein-
turon : il montre ampleinent les désavantages de cette
disposition.
Le général Rogniat voudrait qu'on ûtût au cuirassier la
partie postérieure de la cuirasse. Un premier inconvénient
de cette innovation^ c'est de laisser en avant de l'homme
une charge qui, n'étant plus balancée par un contre-poids
pareil fixé sur les reins, fatiguera beaucoup le cavalier, en
le forçant à tomber en avant. Mais ce n'est là qu'un désa-
vantage secondaire; c'est dans les batailles que la priva-
tion d'une cuirasse sur les reins et sur les épaules donne-
rait surtout un grand désavantage aux cuirassiers du général
Rogniat. Le colonel Marbot rapporte à ce sujet un fait
d'armes extrêmement curieux, et que nous devons indiquer
succinctement.
G *
I
U SCIENCES PHYSIQUES.
En 1809, les Français étant vainqueurs à Eckmull, les
Autrichiens se retirent sur Ratisbonne à travers un pays
couvert, où notre grosse cavalerie ne pouvait agir par
masses. A trois lieues en avant de Ratisbonne, on entre
dans un pays plat et découvert. Aussitôt deux de nos di-
visions de cuirassiers passent à l'avant-garde, pour soute-
nir la cavalerie légère et poursuivre l'ennemi : tous vont de
concert attaquer l'arrière -gafde autrichienne, composée
de grenadiers et d'un corps considérable de cuirassiers. La
nuit approchait; les Autrichiens, trop pressés, avaient
besoin de tenter un effort décisif pour repousser notre
avant-garde, et laisser à leur infanterie fatiguée le loisir
d'achever sa marche. Toute leur cavalerie d'arrière-
garde fait volte face et charge notre avant-garde. En peu
d'instans, les troupes légères se dispersent pour ne pas
être écrasées par les deux masses de cuirassiers, qui se pré-
cipitent l'une sur l'autre, se pénètrent sur plusieurs points,
et bientôt ne forment plus qu'une immense mêlée.
Le crépuscule finissait : on n'entendait que les reten-
lissemens des sabres , frappant sur les casques et sur les
cuirasses, d'où jaillissaient des gerbes d'étincelles, seules
clartés de cette nuit tombante. Des deux côtés même
valeur, même opiniâtreté, mêmes efforts pour rester
maîtres du champ de bataille. Mais le dos des Autrichiens
n'étant pas cuirassé, tous les coups de pointe qui, durant
la mêlée, leur étaient portés par derrière, étaient décisifs.
Au bout de quelques minutes , la perte des Autrichiens
est immense; et, malgré leur rare bravoure, ils sont for- I
ces à la retraite. Mais à peine ont-ils fait volte face, que, j;
plus exposés encore aux coups de l'ennemi, parce qu'ils!'
n'étaient pas cuirassés par derrière, le combat ne devint It
plus qu'une boucherie...
On conçoit tout l'intérêt que doit oflfrir un ouvrage où l'on
SCIENCES PHYSIQUES. 85
troiivc d'aussi beaux faits crarincs,«xposùsavcc celte intel-
ligence qui ne présente que des détails instructifs, mars
qui les présente tous.
Je ne suivrai pas le colonel Marbot dans ses nombreuses
remarques sur la marche comparée et sur les exercices de
l'infanterie et de la cavalerie; il faut les étudier en détail
dans son livre même.
Le général Piogniat voudrait qu'on dressât des fantassins
à suivre les cavaliers à la course, à combattre de concert
avec eux, et au besoin, à sauter en croupe, le cheval étant
en marche.
En i8o3 , on avait eu celte idée : des essais furent faits
en i8o5, au camp de Boulogne , et l'expérience a démontré
l'impossibilité de ce genre de manœuvre.
Le colonel Marbot ayant servi spécialement dans la ca-
valerie, on peut dire que c'est surtout en parlant de cette
arme qu'il fait briller son érudition, son expérience et sa
sagacité.
Dans tout ce qui précède, nous nous sommes efforcés
de rendre une entière justice aux talens du colonel , et
nous n'avons dissimulé aucun des avantages que lui don-
nait, sur le général du génie , celui d'avoir commatjdé des
troupes.
Revenons maintenant à l'ouvrage du général Rogniat :
on en prendrait une fausse idée, si l'on voulait le juger uni-
quement d'après les lieinarqiœs critiques du colonel Mar-
bot. Ce n'est point par le nombre de leurs taches et de leurs
défauts qu'on doit juger des ti'avaux d'un vrai talent; c'est
par le nombre et la valeur de leurs beautés , c'est par le
mérite de l'ensemble , c'est par la force d'esprit et l'étendue
de conception qu'ils supposent dans leur auteur. Les Cou-
sidéralio/is nii/ilaire.s sont un ouvrage d'un ordre supérieur,
parce qu'elles oflVcnl un syslèmc complot d'arl militaire,
86 SCIENCES PHYSIQUES.
exposé savamment, écrit avec intérêt, et conçu d'après un
plan général, sur un type de perfection dont il faut tâcher
d'approcher dans la pratique.
Les Remarques du colonel Marbot n'influent point sur
la théorie et sur les principes généraux développés par le
général Rogniat. Souvent même, elles ne sont relatives qu'à
certaines idées secondaires de chapitres fort importans des
Considérations.
Si, dans ses efforts pour adapter l'institution de l'an-
cienne légion romaine aux troupes modernes, le général n'a
pu triompher de difficultés d'exécution, insurmontables peut-
être, ces mêmes efforts, quoique infructueux à cet égard,
ont pourtant eu cet avantage d'attirer l'attention des mili-
taires sur plusieurs vices réels de l'organisation moderne.
Enfin, la publication même des Remarques critiques doit
être mise au rang des services rendus par la publication
des Considérations militaires.
Indiquons quelques-unes des principales vues du géné-
ral Rogniat, passées sous silence ou légèrement indiquées
parle sévère critique. Si le général paraît trop mépriser les
exercices réguliers pour les troupes légères , en revanche
tous les exercices qu'il demande pour les former au service
spécial qu'elles doivent remplir sont d'une extrême impor-
tance. Le général voudrait qu'on encourageât toutes les
troupes aux exercices spéciaux qui leur sont propres, en
distribuant des prix d'adresse. A cet égard, les idées dû
général Rogniat ont paru bien appréciées , puisqu'on a
créé, depuis leur publication, un gymnase ( i ) où sont
exercées les troupes de la garde , et puisque M. le maré-
(i) Le Gymnase, dirige par M. Amoios , place Dupleix , derrière
l'e'cole militaire.
SCIENCES PHYSIQUES. 87
chai Gouvion-Saint-Cjr, qui, pendant son ministère, a
tant fait pour réorganiser l'armée , avait décidé que tous
les régimens enverraient à Paris des soldats d'élite, afin
d'apprendre les exercices gymnastiques.
Une autre vue éminemment utile, est celle d'habituer
les soldats français à travailler constamment en tems de
paix. Les Romains, avec quelques légions, tenaient dans
l'obéissance des contrées d'une immense étendue ; et les
troupes qu'ils employaient à ce service trouvaient encore
le tems d'exécuter ces routes , ces ponts, ces aqueducs,
ces monumens d'utilité publique ou de triomphe et de
gloire qui font encore notre admiration, après vingt siècles
de durée.
Le général Rogniat voudrait que les colonels ne fussent
étrangers à aucune des armes, à aucun des services mili-
taires. Nous l'avouerons , nous sommes fâchés de voir le
colonel Marbot rejeter entièrement cette idée, pour se
précipiter dans l'extrême opposé. Sans doute, peu d'hommes
excellent également dans beaucoup de parties ; mais, s i
l'essentiel est d'exceller dans une première, il n'en est
pas moins très - important de connaître sujjinamment tout
ce que les autres parties peuvent avoir de rapports néces-
saires avec cette première : il faut donc ne pas leur rester
étranger. Ainsi nous persistons à croire que, dans une foule
de circonstances, il serait extrêmement utile que l'offlcier
d'infanterie ne fût étranger ni aux effets de l'artillerie, ni
aux travaux du génie : les rapprochemens devraient être
plus intimes encore entre les deux dernières armes, et le
seraient en effet, si des préjugés et le vain orgueil d'un
misérable esprit de corps ne s'opposaient à cette heureuse
communication de savoir, d'expérience et do lumières.
Quant à l'administration de l'armée, au lieu d'être l'apa-
aage exclusif et mystérieux des intendans, ce devrait être
88 SCIENCES PHYSIQUES.
une gestion familière à tous les chefs de corps', à tous les
officiers d'état-major, à tous les généraux.
Remarquons également la justesse des considér.itions
présentées par le général Rogniat , sur l'importance de
l'union des talens militaires et des talens politiques dans
la personne des généraux appelés à commander en chef.
Le général voudrait que les grades fussent tous distribués
sur les champs de bataille, en présence' et d'après le suffrage
dés militaires, témoins des services qui méritent un avan-
écment, quel qu'il soit. Si 31. Je géttéral n'avait jamais que
des conceptions de cet ordre, îl serait peu choj^é (ce nous
semble) par les illustres amis du privilège
Je sortirais des limites dans lesquelles je dois me ren-
fermer, si j'entreprenais d'indiquer toutes les considéra-
tions remarquables par leur utilité, par leur justesse et par
leur profondeur, qui donnent du prix à chacurie des par-
ties de l'ouvrage du général Rogniat. J'indiquerai seule-
ment quelques-uns des chapitres les plus importans par la
manière savante et neuve dont ils sont traités.
Le chapitre sûr les positions et lés campemens, quoique
peu étendu, est remarquable par la justesse des idées qu'il
présente : de l'aveu même du colonel ftlarbôt, il est écrit
et pensé d'une manièie qui ne laisse rien à désirer.
Le chapitre l'elatif aux retranchemens de campagne ,
quoique sujet à controverse sur quelques points, est plein
de sagesse et de raison sur beaucoup d'autres : il présente
des exemples intéressans. Les préceptes que le général
donne sur ce sujet sont le fruit de l'expérience de son art ;
expérience acquise dans les travaux qu'il a fait exécuter
dans ses nombreuses campagnes.
Le chapitre des marches est aussi étendu qu'important.
II présente sur Waterloo des observations sévères et peu
flatteuses pour Napoléon : c'c>t probablement ce passage
SCIENCES PHYSIQUES. Sr
qui a excité contre le général Rogniat l'ire du pribonnier
de Sainte-Hélène. Voici comment j'ai pu le savoir:
Dans mon dernier voyage à Londres, un libraire me
communiqua un manuscrit que madame lacomtesse de jM**,
en revenant de l'île de Sainte-Hélène, lui avait fait remettre
pour le publier : mais il hésitait, parce qu'il trouvait un
peu forte la somme qu'on lui demandait : il me pria de
parcourir le manuscrit pour voir s'il valait la peine d'être
imprimé.
Le manuscrit était d'une belle écriture, excessivement
fine et chargée çù et là de corrections au crayon, qui parais-
saient être de la main de Napoléon.
C'était un recueil d'observations critiques sur divers
ouvrages très-marquans, entre autres sur les Concordats
de M. l'abbé de Pradt et sur les Considérations du général
Rogniat. Les observations sur le premier ouvrage m'ont
extrêmement frappé. Les observations sur le second, peu
flatteuses pour le général, ainsi qu'il est naturel de le pen-
ser, avaient pour but de démontrer qu'il avait mal jugé
des affaires qui décidèrent, dans les cent jours, du destin
de la France. Le manuscrit dont je parle n'a pas encore
vu le jour, et j'en suis étonné; le libraire ne pouvait pas
y perdre.
Le chapitre des Considérations,, relatif aux batailles, a
tout le développement que comporte un tel sujet; il con-
tient l'analyse de nos plus célèbres batailles : Eylau, Jena,
Wiigram, Bautzen, où nous avons remporté la victoire par
une attaque simultanée de front et de flanc. Le général
explique, avec non moins de talent, la cause de nos succès
et de nos désastres dans la campagne de Dresde et de
Leipzick. Ensuite il passe aux batailles de l'infanterie
contre la cavalerie, et montre les causes des avantages des
Français contre les mamducks, et de la perte des Romains
90 SCIENCES PHYSIQUES.
sous Crassus contre les Parthes; perte évitée par Antoine,
dans les mêmes circonstances et contre le même ennemi,
par un ordre de marche et de combat analogue à celui de
l'armée française en Egypte. De pareils rapproebemens
sont la vraie philosophie de l'art militaire.
Le chapitre relatif à la métaphysique de la guerre, ou
l'art d'inspirer du courage aux troupes , présente , sur
les effets des passions, des observations qui montrent
beaucoup de connaissance du cœur humain. Mais nous
devons nous ranger à l'opinion du colonel Marbot, pour
repousser l'injuste assertion du général Rogniat, lorsqu'il
dit: Je passe sous silence la gloire ^ les soldats entendent
trop rarement son langage pour qu'elle ait de l'influence
sur leur courage.
C'est, au contraire, avec le sentiment de la gloire, que
nos plus grands généraux ont élevé jusqu'à l'héroïsme la
valeur de leurs soldats: c'est en leur retraçant leurs pre-
miers exploits, la renommée qu'ils ont acquise, et celle
qui les attend, qu'ils ont embrasé le cœur des soldats
d'une ardeur à laquelle nos ennemis n'ont jamais pu
résister.
Citons enfin les deux derniers, et peut-être les deux plus
beaux chapitres de l'ouvrage du général Rogniat, ceux qui
traitent des grandes opérations de la guerre offensive en
Europe, et surtout de la guerre défensive. Nous ne pou-
vons qu'y renvoyer nos lecteurs, parce que nous serions
jetés beaucoup trop loin par une analyse où nous essaie-
rions d'en montrer et les légères taches et les nombreuses
beautés.
Charles Dcpin, membre de l'Institut.
SCIENCES PHYSIQUES. 91
tA/l^Wl^VVWWWlWV
ATLAS GÉNÉRAL DE L'HISTOIRE DE FRANCE :
I. Atlas géographique , historique , politique et
ADMINISTRATIF DE LA FrANCE , COmpOSC clô 48 Cai'tôS
environ, sur lesquelles sont tracées les limites et divi-
sion^ ecclésiastiques , civiles , militaires , judiciaires
et adm,inistratives de la France, aux principales
époques de son histoire , avant et depuis l'établisse-
ment de la monarchie dans les Gaules jusqu'en 1820;
par H. Brué , géographe de S. A. R. Monsieur, et
auteur de la collection des cartes encyprolypes des
cinq parties du monde. Cet atlas est précédé d'un
texte offrant un Précis de la géographie historique ,
politique et administrative de la France, depuis les
premières époques connues jusqu'à nos jours, et d'une
analyse raisonnée des cartes, par M. Guadet (1).
II. Atlas des monumeas des arts libéraux, mécaniques
et industriels de la France^ précédé d'un Précis de
L'histoire générale des arts , des sciences, des lettres.
(1) Paris, 1821. Desray, rue Hautefcuille, n" 4. — Conditions de la
souscription. Les quatre premières livraisons de chaque atlas sont
déjà en vente , et il paraîtra, tous les mois, alternativement, une
livraison de l'un ou de l'autre des deux allas ci-dessus. Pour les per-
sonnes qui se seront engagées à retirer et à payer successivement toutes
les livraisons , à mesure de leur publication , et qui feront payer d'a-
vance la dernière livraison à paraître , le prix sera de i5 fr. Après la
publication de la sixième livraison, on ne sera plus admis à souscrire j
lé prix de chaque livraison sera alors de 18 fr. Les livraisons de chaque
atlas ue pouvant pas être expe'die'es par la posic , à cause de la gran-
deur du format , cliaque souscripteur est prié d'iiuliquer par quelle
voie elles devront lui parvenir.
92 SCIENCES PHYSIQUES.
des mœurs en France, et de. la vie privée des Fran-
çais, depuis les premiers tetns jusqu'à nos jours , et
accompagnée d'une analyse critique etraisonnée des
planches; par M. le chevalier Alexandre Lenoir ,
créateur et ancien conservateur du musée des monu-
mens français , administrateur des monumens de
l'église royale de Saint-Denis , membre de plusieurs
sociétés savantes , nationales et étrangères.
La géographie peut être considérée sous deux points de
vue principaux; on peut l'envisager comme offrant sim-
plement la connaissance du globe que nous habitons > ou
bien dans ses rapports avec l'histoire de tous les siècles et
de tous les pays.
Sous le premier aspect, la géographie a été traitée parmi
nous avec succès , quoique cette branche de nos connais-
sances soit peut-être encore bien éloignée du but qu'elle
peut atteindre un jour. II n'en est pas de même de la^é^o-
graphie historique on politique, c'est-à-dire de cette partie
de la science qui consiste, suivant les expressions mêmes
de M. Guadet, auteur du Précis géographique joint à l'atlas
auquel cet article est consacré, « dans une espèce d'histoire
descriptive d'une nation, qui présente les diverses vicissi-
tudes de son territoire, ses limites, ses divisions administra-
tives, aux différentes époques, et les changemens amenés
par les siècles, dans son existence civile et politique.» La
géographie historique est une science à créer; espérons que
les auteurs de l'ouvrage dont il s'agit auront ouvert une
route qu'on pourra parcourir avec succès. Nous convien-
drons, en effet, avec eux que^ lorsqu'on médite surl'étendue
et sur l'importance de cette partie de la science, on a peine
à concevoir l'espèce d'oubli dans lequel elle est restée.
L'histoire surtout pourrait en retirer de grands avantages.
SCIENCES PHYSIQUES. 93
L'étude de l'histoire, combinée avec celle de la géographie,
■deviendrait à la fois plus facile, plus agréable et plus instruc-
tive.» Sans les secours que la géographie ainsi dirigée four-
nit à l'histoire, les tableaux historiques ressemblent, dit
notre auteur, à des peintures d'une belle ordonnance, mais
qui manquent de lumière ; la mémoire s'égare alors dans
un chaos de faits et de dates qui n'offrent aucun résultat
satisfaisant. « Au moyen de ces secours, au contraire, tout
se fixe avec ordre dans l'esprit. La géographie fait voir ,
en quelque sorte, le lieu qui fut le théâtre de l'événement
décrit par l'histoire ; et l'une et l'autre, en s'aidant mu-
tuellement, laissent une instruction solide et des traces
durables. Ces considérations suffisent pour faire apprécier
les services rendus par les auteurs du travail que nous
annonçons. Voici le plan qu'ils se sont tracé et qu'ils ont
fidèlement suivi :
Pour mettre à même de parcourir les différens âges
de l'histoire de France, ils ont dressé une collection de
cartes qui représentent le berceau, les progrès, les vicis-
situdes de la monarchie, qui fixent, à chaque époque, ses
limites et ses divisions politiques et administratives , qui
offrent le théâtre des guerres mémorables, civiles qu étran-
gères, qui rappellent enfin tout ce qui mérite de fixer l'at-
tention. On voit qu'un pareil ouvrage doit offrir d'utiles
secours, surtout à ceux qui veulent étudier les époques de
notre histoire marquées par de grands bouleversemens, et
qui aiment à suivre les démembremens opérés sous les deux
premières races , la création, la réunion ou l'incorporation
au domaine royj»! de tous ces petits états entre lesquels fut
partagé le territoire de la France à la fin delà seconde et au
commencement de la troisièmerace. Ces cartes, dontlemé-
rite paraît garanti par l'C nom de M. Brué, sontaccompagnées
d'un Précis de la géographie historique et politique de Ja
U SCIENCES PHYSIQUES.
France, dans lequel M. Guadet a retracé rapidement les
diverses vicissitudes de la monarchie, ses limites et ses divi-
sions politiques, avant et depuis son établissement dans les
Gaules, jusqu'à la paix générale en i8i5.
Cet ouvrage est publié par livraisons de quatre cartes; les
quatre premières livraisons ont été présentées au roi, qui
a bien voulu accepter la dédicace de l'ouvrage, et faire
souscrire pour chacune de ses bibliothèques. Les livraisons
suivantes seront publiées incessamment; car l'éditeur
possède déjà les cartes qui doivent former les 5' , 6^ et y'.
Aujourd'hui, nous nous bornons à parler de celles qui sont
entre les mains des souscripteurs, et qui sont toutes d'un
grand intérêt, autant par leur exécution que par le choix
des époques auxquelles elles se rapportent; nous avons
surtout remarqué celles qui présentent l'empire de Char-
lemagne , l'origine des grands fiefs et l'itinéraire des di-
verses expéditions des croisés ; ce sont les 8% ii* et i3" de
l'ouvrage. Chaque carte a été l'objet d'un travail particu-
lier, qui a d'abord été fait sur les actes et sur les monu-
mens publics, tels que les traités, les chartes, les di-
plômes, et sur les ouvrages contemporains, ou du moins sur
les écrits qui se rapprochent le plus de l'époque qu'il fallait
traiter. Les auteurs ont ensuite consulté les écrivains mo-
dernes, soit pour profiter de leurs réflexions, soit pour mo-
difier leur premier travail, quand ils l'ont jugé nécessaire.
Telle a été la marche suivie pour chaque carte. Nous
croyons inutile de rien ajouter sur le mérite et l'utilité d^e
cette collection, que l'on peut regarder comme la seule de
cette espèce; car le petit atlas dressé, d'après un plan ana-
logue, par Hizzi Zanoni, n'est qu'un essai très-imparfait..
Les tableaux, d'ailleurs très-utiles, de V Atkis historique^
généalogigue, chronologique et gèognq^hiqueàe M. le Sage,
qui embrasse le monde entier, sont presque tous trop com-
SCIENCES PHYSIQUES. 95
pliqués, et par cela même un peu confus (i). Nos auteurs
sont parvenus, dans les livraisons qu'ils ont déjà publiées,
(i) Nous aimons à rappeler ici un ouvrage que les instituteurs et les
professeurs d'histoire pourront consulter et employer avec fruit , pour
donner graduellement une soi'te i'iniuilion ou de vue ge'ne'rale et
distincte des faits liisloriques qui doivent, pour ainsi dire, naître et
se de'velopper sous les yeux de leurs e'ièves. Cet ouvrage est le Cours
DES TÊM5 , ou Tableau de l'histoire universelle , depuis l'anti-
quité la plus reculée jusqu'à nos jours, d'a]>rùs la carte chronologique
de Frédéric Strass, professeur d'histoire à Berlin. Ce tableau,
publié en allemand et traduit en français, présente sous un seul point
de vue l'ensemble des tems historiques. On voit les nations, dont
l'origine connue est la plus reculée , sortir d'un amas d'épais nuages,
qui représente la nuit obscure des tems primitifs et les ténèbres, dont
les premières époques de l'histoire sont enveloppées. Chaque nation ,
distinguée par une couleur différente , forme luie espèce de fleuve,
dont le cours s'élargit ou se rétrécit horizontalement et se prolonge
plus ou moins, suivant l'étendue de sa domination dans une époque
déterminée, ou la durée de son existence dans la suite des siècles. On
voit ces dlfférens fleuves, dont plusieurs ont commencé par être de
simples ruisseaux, se mêler et se perdre tour à tour les uns dans les
autres , ou se séparer et reprendre une direction particidière , à mesure
que les peuples qu'ils représentent se trouvent soumis à l'influence
d'une nation dominatrice et confondus avec elle , ou appelés à jouir
d'une existence indépendante et à se gouverner par leurs propres lois.
Une échelle chronologique, qui descend verticalement des deux côtés
du tableau, permet de suivre le cours des tems pour chaque nation,
<3e. rapprocher et de comparer les nations entre elles , de voir sur le
champ les peuples , les rois et les grands hommes qui ont vécu contem-
porains. Une colonne particulière, placée à droite et correspondant à
l'éclielle chronologique, présente, pour cliaque siècle, les noms de
quelques liommes distingués qui ont bien mérité de l'iiumanitéj les
inventions, les découvertes et les progiès delà civilisation. La seule
inspecllon de ce tal)lcau fait naître uue foule de réflexions sur les
époques plus ou moins mémorables, sur les nations plus ou moins
riches et fécondes en grands liommes et en grands événemens, sur les
personnages célèbres qui oit exercé une influence salutaire ou nulsil)!c,
9G SCIENCES PHYSIQUES.
à débrouiller les époques de notre histoire les plus obscures ,
et qui par conséquent exigeaient le plus de travail et de
soins; ils ont franchi les limites du moyen âge, où l'Europe
plongée dans la barbarie pouvait à peine nous transmettre
les révolutions nombreuses, les violentes et continuelles se-
cousses dont elle était agitée, de ce tems que les monumens
nous font à peine connaître, et pour lequel les historiens
sont obligés de recueillir laborieusement çà et là les ma-
tériaux épars dont ils veulent former un ensemble régulier.
L^ Atlas des monumens de la France .^ publié par les
mêmes éditeurs, et dans le même format, nous fournira
le sujet d'un second extrait. J.
durable ou momentanée, sur la marche de l'esprit humain, quelquefois
progressive et rapide dans les tems de lumières et de civilisation ,
quelquefois slationnaire , souvent rétrograde dans les tems de despo-
tisme et de barbarie , et soumise à de fréquentes vicissitudes , dont
l'observateur philosoplie et ami des hommes se plaîtà rechercher et à
fixer les véritables causes. — Voyez (dans l'ouvrage intitulé : Esprit de
la métJiode d' éducation de Pestalozzi , etc., \^nvM. 3Iarc-^ntoine
JuLLiEN, 2 vol. in-8". Milan, 1812. Tom. II, pag. 226) le cliapitre
de V Enseignement de [^histoire et de la chronologie , comprenant,
d'après la méthode de Pestalozzi, trois parties distinctes : 1° Tins trac-
tion élémentaire et préparatoire ; 2° l'instruction positive et spéciale ;
?)° l'instruction chronologique el sjnchronistique , qui présente d'a-
bord la suite des évéuemens , d'après la succest.ion des tems , puis
l'ensemble des peuples , des personnages et des faits historiques , qui
appartiennent au même tems dans chaque période.
M. A. J.
SCIENCES iMORALES ET POLITIQUES.
Histoire complIîte des voyages et découvertes en
Afrique , depuis les siècles les plus reculés jusqu'à
710S jours; par le docteur Leyoen et M. IIugii
MuRRAY ; traduit de l'anglais et augmenté de toutes les
découvertes faites jusqu'à ce jour; par M. A. C (i).
Cu n'est pas dans un recueil tel que celui-ci, destiné
à rapprocher les hommes entre eux par le commerce
paisible des idées, et ù fonder sur l'instruction la bienveil-
lance universelle, qu'on doit s'attendre à trouver un éloge
des conquêtes, fléaux des sciences et de l'humanité. Mais,
puisque les jeux de la fortune ont voulu qu'i la fin du
dix-huitième siècle et au commencement du dix-neuvième,
deux grandes puissances européennes aient tourmenté de
leur ambition les continens et les mers, nous nous félici-
tons de ce que les vives lumières répandues dans leur sein
ont du moins tempéré les ravages de la guerre, et déposé
chez les peuples vaincus les germes précieux de l'émula-
tion et de l'industrie. Ces bienfaisantes importatiohs ont
pénétré aujourd'hui les contrées les plus sauvages ou les
plus dégénérées. Grâce aux intimes communications des
Européens, l'Amérique a des constitutions, l'Asie des
presses, et l'Afrique elle-même ,l 'inculte et barbare Afrique
permet insensiblement aux jouissances sociales de soula-
ger sa misère et d'adoucir sa férocité.
Plus qu'aucune autre partie du monde, elle semble de
nos jours attirer les pas et occuper les récits des voyageurs
(i) Paris, 1821. 4 vol. iii-3", avec un atlas in-4". Artlius Bertiand,
rue llniilcfcuillo, n" 25. Pris . ,it f • . , rt, franc dopoi t, 3fî fr.
ÏO.ME X. 7
98 SCIENCES MORALES
aveuliueux. Ce vaste continent, placé tout près de notre
Europe, et dont l'intérieur n'a jamais été connu, pro-
voque leur intérêt, irrite leur curiosité. Depuis que la
brillante expédition française a, pour ainsi dire, changé
la face de l'Egypte, et reveillé les pachas de leur stupide
engourdisssment; depuis que l'activité britannique ouvre
il la colonie du cap de-Bonne-Espérance de nouvelles
sources de prospérités, un ardent désir s'allume parmi les
courageux navigateurs , d'aller tenter les routes de l'oc-
cident et du centre, pour en rapporter des découvertes
sur lesquelles puissent se diriger de vastes entreprises et
s'asseoir de grands établissemens. Plusieurs ouvrages, pu-
bliés depuis peu , et dont les plus importans ont déjà fixé
notre attention, ont pour objet de faire connaître les expédi-
tions de ces hommes dignes de tant d'intérêt et de recon-
naissance ; mais aucun n'est tracé sur un plan aussi étendu
et aussi régulier, et ne promet des détails aussi complets
que celui de MM. Leyden et Murray. Ce sont toutes les
parties explorées de l'Afrique qu'ils se proposent de nous
faire connaître , en classant les relations selon les divi-
sions géographiques, et en remontant jusqu'aux premières
tentatives des anciens, dans ces redoutables contrées; de
sorte que tous les tems, comme tous les lieux de l'Afrique,
sont mis sous nos regards.
Si nous interrogeons sur ce sujet l'antiquité, nous trou-
vons qu'il est parlé dans la Bible de vaisseaux juifs et
tyriens qui commerçaient, de compagnie , avec les villes
de Tharsis et d'Ophir, et en rapportaient de grandes ri-
chesses à David et à Salomon. On suppose que ces villes
étaient situées sur la rive orientale de l'Afrique; on n'en sait
rien de plus, ce n'est pas dans les livres juifs qu'il faut
étudier l'histoire. Les royaumes et les rois dont ils parlent
ne s'accordent guère plus avec les annales des peuples que
KT POLITIQUES.
ceux des romans de la lablc ronde. Ces voyages de l'har-
sis et d'Ophir ne doivent donc pas nous occuper.
C'est à tort que MM. Leydcn et Murray les mentionnent
comnne les plus anciens dont la mémoire ait été conservée.
L'expédition des Argonautes leur est de beaucoup anté-
rieure; tout porte à croire qu'elle fut réelle; mais l'objet
ni les détails n'en ont aucune certitude, et la route que
suivirent à leur retour ces hardis aventuriers a donné lieu
à de nombreuses conjectures, dans lesquelles il est assez
inutile de se jeter. L'importance historique de ce voyage
tient surtout à un point étranger à la navigation. On peut
induire du lieu où lut construit le navire Argo, des héros
thessaliens qui le montaient et du devin Orphée qui faisait
partie de l'équipage , que la civilisation des contrées sep-
tentrionales de la Grèce était déjà fort avancée, lorsque
le midi en fut peuplé par des colonies asiatiques, et il est
facile de tirer de là des éclaircissemens sur plusieurs points
importans de l'histoire et de la mythologie des Grecs.
La première entreprise nautique qui mérite véritable-
ment d'être citée, est celle des Phéniciens qui, sous INicos,
roi d'Egypte , firent le tour de l'Afrique et franchirent les
colonnes d'Hercule, six siècles avant Jésus-Christ, Ils
s'embarquèrent sur la mer Rouge, entrèrent dans la partie
de l'Océan qui baigne les côtes orientales de l'Afrique; et,
comme ils n'osaient pas tenir la mer dans la mauvaise
saison, ils s'arrêtaient, en automne, sur les terres auprès
desquelles ils se trouvaient, les ensemençaient, recueil-
laient le grain l'année suivante, et se rembarquaient après-
la moisson. Cette manière de voyager sur mer est sans
doute moins habile et moins expéditivc que la nôtre; mais
<'lle pourra sembler plus mervcilleus-e encore, si Ton
réfléchit aux faibles moyens et aux secours imparfaits avec
lesquels les Phéniciens osèrent entreprendre citle expé-
100 SCIENCES MORALES
(litiuu. Aussi de savans géographes, au nombre desquels est
M. Gosselin, en ont-ils révoqué en doute la réalité; et le
témoignage d'Hérodote, qui n'est guère moins le père des
labiés que celui de l'histoire, ne me suffirait pas pour contre-
balancer leur opinion , sans une circonstance qu'il rap-
porte, et qui est fort remarquable. Hérodote nous dit que
les Phéniciens, à leur retour en Egypte par l'Océan, ra-
contèrent qu'en doublant l'Afrique , ils avaient eu le soleil
à leur droite. Ce fait auquel Hérodote ne pouvait croire,
et qui cependant marque le récit des Phéniciens du sceau
de la vérité, combat avec avantage les doutes qui se sont
élevés sur leur périple.
Long-tems après eux, sous Ptolémée Evergètes, un
simple particulier sans appui, et même en butte à la per-
sécution , Eudoxe de Cyzique ( que la Biographie univer-
selle a oublié ), se distingua par une entreprise hardie. Le
hasard amena dans Alexandrie, pendant qu'il s'y trouvait,
un Indien qui avait été jeté à la côte au fond du golfe ara-
bique. Cet homme s'offrit à montrer la route navale de
rindc aux vaisseaux égyptiens. Une telle entreprise con-
venait au génie aventureux d'Eudoxe; le roi lui en confia
la direction. Eudoxe revint chargé de la dépouille des ri-
vières et des mines, d'aromates, de pierres précieuses et
d'autres richesses, qu 'Evergètes s'appropria en totalité. Le
Christophe- Colomb des anciens devait, comme le mo-
derne, éprouver l'ingratitude des rois.
Sous le règne de Cléopâtre, veuve d'Evergètes, il re-
partit pour la même destination. Les vents le portèrent sur
les côtes orientales de l'Afrique; il y débarqua plusieurs
. fois , et communiqua fréquemment avec les naturels du
pays, qu'il se conciliait par des présens.
Ce voyage lui ayant inspiré le désir de faire le tour du
continent africain, il retourna chez lui après avoir échappé
I
ET POLITIQIES. 101
aMxperséculioiis île Ptolômée Lathyre, réalisa sa foiliino, et
leula de nouvelles aventures. Positlonius raconte qu'il visita
Marseille et d'autres ports célèbres de la Méditerranée, et
se rendit à Cadix, ville déjà très-commerçante, où ses
projets d'ouvrir une nouvelle route à la navigation ne pou-
vaient manquer d'être accueillis avec le plus vif intérêt.
Secondé par d'autres hommes entreprenans, il équipa trois
vaisseaux avec une magnificence presque royale. Il em-
barqua non seulement des provisions et des marchandises,
mais des médecins , des savans des artisans et une troupe
nombreuse de musiciens. Mais bientôt l'indiscipline de son
équipage le fit toucher sur un banc de sable, d'où il ne put
être dégagé. On parvint ù sauver la cargaison, et même
une partie de la charpente. Eudoxe en fit construire une
barque, du port d'un navire à trente rames. Ayant repris
son voyage, il finit par rencontrer des peuplades qui par-
laient le même langage queleahabilansdes côtes orientales,
et qui lui semblaient appartenir à la race mauritanienne.
La petitesse de son navire ne lui permit pas d'aller plus
loin.
Il olTrit ses services à Jocchus, roi de Mauritanie, qui
les accepta d'abord avec joie, mais qui, prévenu, bientôt
contre lui, venait de donner l'ordre secret que, durant la
traversée, il lût jeté dans quelque île déserte, lorsque
Eudoxe , averti à tcms, parvint à se sauver et à retourner en
Espagne. Là, ce navigateur infatigable prépara une nou-
velle expédition moins considéral)le que la première, mais
mieux appropriée au but de son voyage. Strabon , de qui
nous tenons ces détails, en reste là , et ne nous donne au-
cune lumière sur les aventures uîtérieures d'Eudoxe, ni
sur sa fin, probablement malheureuse.
La navigation d'Hannon , dans le double but d'établir
des colonies et de faire des découvertes sur les côtes d'A-
102 SCIENCES xMORALES
friijiic , et les expédilions de Cainbyse et d'Alexandre dans
I intérieur de l'Ethiopie sont des événemens trop connns
pour qu'il soit nécessaire de s'y arrêter. Passons aux
voyages africains du moyen âge.
« A la décadence de l'empire romain, une nouvelle
puissance s'éleva, qui changea totalement l'aspect du con-
tinent africain. Les Arabes reculèrent jusqu'à l'Océan les
bornes de leur empire, dont l'Afrique septentrionale devint
une des grandes divisions ; ce peuple remarquable , accou-
tumé, dans sa patrie,auxdései'ts, àla sobriété, aux fatigues,
à toutes les manières de voyager par terre, semblait fait
pour surmonter les obstacles de toute espèce que la nature
avait semés sur le sol de l'Afrique. »
L'Afrique les intéressait spécialement par ses esclaves
et par son or non déguisé. La première route qu'ils s'y
ouvrirent paraît avoir été celle du Fezzan, que la caravane
de Cassina suit encore pour profiter des oasis qui coupent
àc ce côté l'immense largeur du désert, te désert franchi,
les Arabes trouvèrent une contrée dont la beauté et la
fertilité les charmèrent d'autant plus, qu'ils avaient con-
sumé plus de tems et de fatigues pour y parvenir. Les
colons n'y manquèrent pas. « Ceux qui se dérobèrent par
la fuite aux armes victorieuses des Sarrasins, ceux qui
succombèrent dans les querelles intestines, causes de la
chute du califat, cherchèrent également un asile et une
patrie nouvelle au fond de ce vaste continent. On ne peut
assigner l'époque précise de ces émigrations. Mais il paraît
incontestable que, du dixième au onzième siècle, il s'éleva,
sur les rives du Niger, plusieurs royaumes dont les Maho-
métans formèrent la principale et dominante population. »
Celte même époque fut certainement celle de beaucoup
d'expéditions particulières entreprises parles Arabes, dans
l'espoir des découvertes ; malhcurcusemen.t les relations
i;t politiques. 103
en sont perdues ou ignorées de nous. Ce qu'on sait seule-
ment, c'est que les Arabes ont pénétré plus avant dans
l'Afrique que n'avaient fait les Grecs et les Romains, et
qu'ils connaissaient mieux l'intérieur de cette partie du
globe que nous ne le connaissons même aujourd'hui.
Une tradition curieuse, consignée par Schéhabeddin,
dans son Livre des perles , fait descendre des Amalécites
les Berbers^ aborigènes de la côte septentrionale d'Afrique.
Ce fut, dit-on, Afrikis, prince hémyarite, qui, par l'ordre
de David, les transféra dans ces lointaines contrées. Leur
chef, les voyant mécontens , dit : « Ces Cananéens mur-
murent (/>'e/Z>e77zaj de ce que je les ai fait passer d'une terre
stérile dans un lieu d'abondance» ; de là leur vint le nom
de Berbers , et au pays celui d'Afrikia.
Cette tradition n'est pas sans vraisemblance. Il est cer-
tain que, dès les tems les plus reculés, l'Afrique fut peuplée
par l'Asie. Les Ethiopiens, les Egyptiens même ont une
origine primitivement asiatique; et je ne comprends pas
des critiques aussi éclairés que paraissentl'être MM. Leyden
et Murray, lorsque, sur la foi d'Hérodote, ils font remonter
la civilisation et les lumières d'Egypte en Ethiopie, tandis
qu'évidemment elles sont descendues d'Ethiopie en Egypte.
Comment n'ont-ils pas vu, sur ce point comme sur beau-
coup d'autres , qu'Hérodote a été induit en erreur par la
vanité des prêtres égyptiens?
Nous possédons, par les soins de M. Kosegarten, pro-
fesseur à Jéna, l'intéressante relation du voyage que flt en
Afrique, au quatrième siècle, Ebn Batonta de Tanger, autre
personnage remarquable dont la Bio^rapJiie universelle ne
fait pas mention. Il raconte que, s'élant proposé de visiter
l'intérieur du pays des nègres, il se rendit à Regasa, ville
dont les maisons et les temples sont construits de sel
gemme, eJ recouA cris en peaux de chameaux; qu'on fait,
lOA isCIEiNCES 310KALES
chez les nègres , commerce de sel ; qu'ils le divisent par
petites tablettes, dont ils se servent en guise d'eau, et qu'ils
portent ces tablettes sur eux en traversant le désert dont
le trajet est de dix jours et où l'on ne trouve point d'eau ,
mais beaucoup de truffes; que, pour tuer les tiques dont la
multitude est extrême, les hommes se mettent sur la nuque
une baguette de vif argent; qu'entre Tassahl et Eiwelûten
s'étend, l'espace de onze journées, un désert fréquenté par
des esprits qui souvent fascinent le messager au point de le
faire périr, et avec lui une partie de la caravane ; car si le
messager atteint heureusement Eiwelûten, leshabitans vont
au-devant de la caravane l'espace de quatre journées en
apportant de l'eau; mais s'il lui arrive accident, personne
ne vient, et la caravane est exposée à périr de soif. Ce dé-
sert, ajoute-t-il, est si resplendissant que l'ame s'en réjouit;
l'ame d'un Arabe, c'est possible:- j'aimerais mieux les eaux
et la verdure ; mais on sait qu'il ne faut pas disputer des
goûts.
Il paraît que le messager de la' caravane d'Ebn Batonta
fut ménagé parles esprits; car elle arriva heureusement à
Eiwelâten, où les nègres prirent sous leur garde les mar-
chandises apportées. « Les Messofites, qui forment la ma-
jeure partie de la population d'Eiwelâten, ont des mœurs
particulières; les hommes ne sont point jaloux; la chaleur
y est excessive ; les palmiers y sont rares, et l'on sème des
melons à leur ombre; les habilans entretiennent beaucoup ■
de brebis. Les femmes sont d'une grande beauté, et plus
considérées que les hommes. Les hommes ne prennent pas
le nom de leur père, mais celui de leur oncle, et ils n'ont
pour héritiers que les enfans de leurs sœurs : Jusqu'alors,
dit Ebn Batonta, j'avais observé cet usage seulement chez
les païens du Malabar; mais ceux-ci sont musulmans et
très-assidu.- a la juièrc. Ils ont des relations étroites avec
ET POLITIQUES. 105
les femmes des autres, et les femmes en forment récipro-
quement avec les maris d'autres femmes : un homme qui,
en rentrant chez lui, y surprend l'ami avec sa emme, ne
s'en offense pas. En allant un jour voir le juge d'Eiwelâten,
je trouvai auprès de lui une jeune femme fort belle : saisi
de son aspect, je voulus reculer; mais le juge se mit à rire,
etla femme ne rougit point: « C'est mon amie, me dit-il.»
De savans orientalistes prétendent qu'EiAvelâten veut dire
Paris ; mais ce qui semble prouver la fausseté de leur con-
jecture, c'est qu'Ebn Batonta ajoute, en parlant du juge,
que c'était un homme très-versé dans les lois et un pieux
pèlerin.
Le même voyageur rapporte sur les nègres musulmans
les détails qui suivent : ils font fréquemment la prière dans
leurs temples, et ils y forcent également leurs enfans ,
même par des coups. Ils savent parfaitement le noble Coran;
et les garçons qui ne rapprennentpasbien,reçoiventles fers
aux pieds jusqu'à ce qu'ils le sachent. Lorsqu^en entrant un
jour de fête dans la maison du juge, j'y vis les enfans ayant
les fers aux pieds, je lui dis : Est-ce que tu ne leur fais pas
grâce aujourd'hui? Il me répondit : Certainement non;
leurs fers ne tomberont pas, tant qu'ils ne sauront pas le
Coran. »
La relation du célèbre Léon l'Africain, postérieure d'un
siècle à celle-ci, est fort connue; néanmoins l'extrait
qu'en donnent MM. Leyden et Murray sera consulté avec
plaisir et avec fruit. Je ne les suivrai point dans les voyages
des modernes; ce serait excéder mes limites et m'exposcr
à des répétitions. Je me borne à finir comme j'ai com-
mencé, en disant qu'aujourd'hui tous les peuples se pénè-
trent que, suivant l'expression d'un noble député, les voilà
qui deviennent la proie de l'industrie cl des lumières, et
106 SCIENCES MORALES.
que s'ils finissent par devenir celle de la tolérance, ce sera
vraiment l'abomination de la désolation. »
AiGNAN.
%/%/V\\/W\ l/VVVt' vv\ ww
L'Europe et l'Amérique , depuis le congrus d'Aix-la-
Chapelle. Par m. de Pradt (i).
On ne doit point s'étonner que beaucoup d'écrivains
habiles, inspirés par la hauteur du sujet, trouvent dans le
moment actuel des idées et des expressions dignes des ma-
tières qu'ils traitent. M. de Pradt n'est pas celui qui médite le
plus profondément sur ce qui se passe sous nos yeux, ni qui
élabore le plus soigneusement ce qu'il écrit. La pensée et
la rédaction vont chez lui , au contraire, avec une rapidité
qui a quelque chose de surprenant; le défaut d'ordre, de
méthode, de précision se fait sentir dans chacun de ses
derniers ouvrages. Il convient lui-même qu'on n'a plus le
tems de penser et d'écrire; cependant, voilà le vingt-
deuxième ouvrage qui sort de sa plume ! Mais assurément
M. de Px-adt est l'un des écrivains qui traitent les sujets
politiques de la manière la plus intéressante, et j'ose dire
la plus populaire ; cet intérêt tient à une foule d'aperçus
judicieux ou de remarques ingénieuses , exprimées dans
un style piquant, quelquefois incorrect et singulier, d'au-
tres fois original et pittoresque.
Le but du nouvel ouvrage de M. de Pradt est de prouver
que, depuis le congrès d'Aix-la-Chapelle, le monde a fait
des pas bien prononcés dans cette carrière de réformation
de l'ordre social , commencée à l'époque de la révolution
française, et que désormais les efforts de qui que ce soit ne
(i) Paiis , Bcclut, 2 vol. in-S". 1821.
I
ET POLITIQUES. 107
sauraient le faire rétrograder vers le régime arbitraire d'où
il se hâte de sortir. L'auteur aurait pu ne pas répéter si
souvent les mêmes argumens et les mêmes idées pour
prouver cette vérité, et se réduire ainsi à un volume ; mais
quelquefois un libraire trouve son compte à faire deux vo-
lumes au lieu d'un, et l'auteur est assez complaisant pour
s'étendre et se délayer au profit de son éditeur.
Voici une des nombreuses pages dans lesquelles M. de
Pradt traite le thème également vrai et important que nous
venons d'indiquer.
« Le monde a changé, il change, il changera encore:
on peut qualifier sa marche comme l'on voudra; mais il
faut savoir se résigner et accepter le changement. Mais
quel en est le but ? La réponse est simple ; la fin des insti-
tutions discordantes avec l'état du monde. Il ne peut pas
être à la fois de deux âges, comme l'homme ne peut être
tout ensemble l'être de l'enfance et celui de la virilité; il
ne peut pas être à la fois le monde des ténèbres et celui
des lumières ; le monde de la civilisation et celui de la
barbarie ; le monde des arts et celui de l'absence de l'in-
dustrie; le monde de la liberté et celui de l'esclavage; le
monde de la philosophie et celui de la superstition ; le
monde du contrat social et celui de la Bastille; le monde
de Montesquieu, de Piousseau, de Voltaire, deMably, de
llaynal , et celui des docteurs de l'Ecole ; le monde de l'im-
primerie et celui des lentes transcriptions , ouvrage de la
vie entière de quelques moines; le monde des muséum et
des bibliothèques, et celui où toutes les bibliothèques de
nos rois comptaient à peine quelques volumes et quelques
tableaux informes ; le monde de l'Amérique et celui dans
lequel les trois parties du globe ne connaissaient pas leur
quatrième sœur; le monde de la navigation , du commerce ,
>]r< bourses, des dettes publiques, des grands cliciuin.'-.
108 SCIENCES MORALES
(les postes, du mélange des peuples par leurs communi-
cations habituelles, et le monde qui ignorait tous ces nou-
veaux moyens de l'existence sociale moderne ; et , pour
compléter cette confrontation , le monde de la poudre à
canon et celui des lances. Qu'il est plaisant de rencontrer
dans ce nouveau monde tant d'hommes qui se croient en-
core habilans de l'ancien !
« C'est donc par le renouvellement de la fabrique en-
tière des sociétés que le mouvement actuel est poussé; qui
pourra lui résister? Mais où tend-il? à régulariser l'ordre
social, à donner le calcul pour successeur au hasard , à
faire partir du sein même des sociétés les principes des-
tinés à les régir, au lieu de les rattacher à des faits dont
les trois quarts sont injustifiables ou bien inapplicables,
ou bien encore à des titres trop peu certains. Des archives
remplies par la seule main des hommes , vaste monument
de violences ou de déceptions , on est passé aux titres
qu'une main qui ne trompe jamais, celle de la nature, a
gravés en caractères ineffaçables dans des archives immor-
telles, le cœur de l'homme son plus bel ouvrage. »
Le monde est, non pas dans le délire, comme quelqu'un
l'a dit à Presbourg, mais dans l'enfantement. M. de Pradt
ne voit dans l'Europe qu'un état pi'OTisoire, où dans ce
moment le contraste entre les coiiforuiistes et les non con-
formistes est trop choquant, pour qu'on puisse espérer le
repos des élémens avant qu'ils se soient remis en équi-
libre. « Le monde est devenu, dit encore notre auteur,
une école d'enseignement mutuel entre toutes les parties ,
une banque générale des mêmes goûts , des mêmes idées ,
des mêmes intérêts, affectant des sociétaires qui pour-
suivent un but commun , et la recherche de jouissances
semblables , rangées également sous une loi uniforme
d'existence sociale adoptée par tous. Dans cet ordre gé-
Eï POLITIQUES. u\9
ncral, chacun travaille à améliorer sa position; de là cet
effort commun vers une prospérité croissante, qui se fait
remarquer dans les sciences, dans les arts de tous les
pays, dans le commerce et dans tous les élcmens de la vie
sociale; mais chacun de ces accroissemens pariiculiers
porte, en lui un germe d'accroissement de civilisation,...
Toute civilisation tend à perfectionnement; tout perfec-
tionnement à son tour tend à civilisation, et tous les deux
à la régularité de l'ordre, c'est-à-dire à son amélioration ;
et toute amélioration, de son côté, devient exigeante à l'é-
gard de ceux qui l'ont suhie, et les porte à un accroisse-
ment graduel ; ceux-ci sont supérieurs à ceux qui sont au-
dehors du même mouvement ascendant ; ce qui, dans ce
cas, fait règle pour les individus, trouve aussi son appli-
cation à l'égard des états; il faut qu'ils se civilisent pro-
gressivement avec leurs voisins pour ne pas leur rester
inférieurs; l'accroissement de la puissance exige celle de
la civilisation; il faut marcher à hauteur avec elle, pour
ne pas rester en arrière en puissance. »
A la question : que faut-il faire? M. de Pradt répond
très-judicieusemenl : h demandez-le au restaurateur de Bi-
zance , au fondateur du bas empire. Quand il vit le
monde de son tems devenu chrétien, que fit Constantin?
Resta-t-il païen? Non," il se rangea sous la croix devenue
le nouvel étendard de l'univers, et le salut de l'état fut
son véritable labarum. Il arbora sur sa couronne le signe
qui prévalait sur la terre; des hommes pieux, mais sans
lumières, ont fait de belles dissertations pour prouver que
ce prince l'avait vu distinctement dans les cieux; oui, ces
cieux étaient sa politique. Recherchez ce que ce prince fût
devenu, si, s'établissant en opposition directe avec l'état
de l'empire au lieu de s'attacher aux nouveaux autels, il
se fût cramponné aux autels croulans du paganisme, et
110 SCIENCES MORALES
s'il eût fait la tentative insensée de régir, avec la partie
restée païenne, la presque totalité devenue chrétienne.
Dans ce tems, le christianisme était comme dans l'air que
l'on respirait; toute autre affaire avait disparu devant
celle-là; l'impulsion était devenue irrésistible; Constantin
la jugea, et , d'un trait de génie, il sauva à la fois l'empire
et lui-même. »
Ces réflexions paraissent aussi profondes qu'instructives ;
Constantin s'Fst rendu odieux par des actes de cruauté ,
mais sa politique, à l'égard de la nouvelle religion de l'em-
pire, peut encore être proposée pour modèle.
Je remarquerai, en passant, que M. de Pradt, tout en
examinant avec la plus grande attention les progrès des
idées sociales, ne dit pas un mot des progrès que font
également, et avec la même rapidité, les idées religieuses.
Celte réforme est pourtant un sujet de méditation aussi
grand que l'autre. Elle date du seizième siècle , et elle ne
s'est point^ arrêtée à cette époque : profitant au contraire
du développement des idées sociales , elle s'est tenue au
niveau de celles-ci, et elle ira sans aucun doute de pair
avec la réforme sociale. L'Europe ne nous présente aucun
état qui ait reconnu ouvertement ces changcmens impor-
tans; si nous voulons les voir reconnus d'une manière en
quelque sorte oflicielle, il faut tourner nos regards vers les
Etals-Unis ; c'v;st là que les cultes sont déjà ce qu'ils devien-
dront probablement en Europe, dans le cours de ce siècle.
Par une exagération un peu forte, M. de Pradt prétend
que la révolution d'Espagne est l'événement le plus im-
portant qui ait eu lieu depuis la création du monde. Il
me semble que la chute des empires d'occident et d'o-
rient, l'établissement du christianisme, la réforme d
Luther avaient pourtant aussi quelque importance , et
la révolution d'Espagne n'est que le corrolaire de '
ET POLITIQUES. 111
lution française , de laquelle date la nouvelle ère du inonde ,
et qui, à son tour, tire son origine de nombreux anlécé-
dens. Je sais bien que c'est relativement à l'Amérique que
M. de Pradt juge la révolution d'Espagne aussi importante ;
mais je crois que l'auteur donne aussi trop de poids à l'A-
mérique dans la balance des étals. Il l'appelle la caisse
du monde, et blrmie les gouvernemens de ce qu'ils la
laissent aller à son gré, sans voir le danger qui en ré-
sultera pour eux. M. de Pradt ne remarque peut-être pas
assez l'énorme distance morale qui règne entre l'Amérique
du nord et celle du sud. La première paraît destinée à
être le premier état du monde; mais si la seconde doit
partager cette gloire avec les Etats-Unis , elle a encore un
long chemin à faire. La faiblesse physique, morale et po-
litique de l'Amérique du sud n'a pu être cachée que par
celle de l'Espagne qui lui faisait là guerre. Et comment
pourrait-il en être autrement? A-t-on vu jamais traiter la
race humaine avec autant d'insouciance qu'elle l'a été,
pendant des siècles , dans les colonies d'Amérique ? Il
faudra , à mon avis , un long espace de tems pour que cette
partie du monde puisse jouer un rôle dans la politique ;
jusque-là, les européens auront le tems nécessaire pour
aviser aux moyens de n'être pas écrasés par la prépondé-
rance de ce pays. Quant à l'Europe , 31. de Pradt pense
que, bien qu'en ce moment tout y soit en contraste, les
esprits sont tournés entièrement à la paix, parce qu'ils ont
vu que les guerres ruinent tout le monde, vainqueurs et
vaincus , et parce que d'ailleurs des idées plus saines, plus
sociales leur inspirent de l'horreur pour les expéditions
guerrières et les envahissemens. Puissent les événemens
de cette année ne pas démentir cette observation , et jus-
tifier la bonne opinion qu'inspirent à notre écrivain la gé-
nération actuelle, et les espérances qu'on a droit de fonder
sur ceux qui la gouvernent! Depping.
112 SCIENCES MORALES
^^A^ \,'V*'\\ W\W\/\ \.'t.'»%
L'Europe au moyen âge , traduit de l'anglais, de
IM. Hexri Hallam, par MM. P. Dudouit, avocat à
la cour royale de Paris, et A.R. Borghers. Tom. I,
contenant, i" l'Histoire de France, depuis Clovis
jusqu'à l'invasion de Naples par Charles VIII; 2° l'Ex-
position du système féodal; 5° l'Histoire d'Espagne
jusqu'à la conquête de Grenade (1).
( Second article. Voyez Tom. VIII , pag. 5o3-5o9).
L'ouvrage de M. Hallam ne serait pas bien jugé par
ceux qui croiraient y trouver une histoire complète et
une série d'événemens ou de faits assez développés pour
les apprécier. Il faut voir qu'il a voulu faire un Tahleau
législatif et moral de V Europe au moyen âge ^ ainsi, ce
qu'on doit désirer d'y trouver et ce qu on y trouve en
effet, ce sont des recherches très-curieuses sur les points
contestés de la législation de ces anciens tems.
Les questions les plus diversement traitées par Montes-
quieu, Rohertson, Mahly ., Duhos , Boulainvillers, Dani-elf
Vèly, clc. y sont approfondies sans pesanteur, et aussi
lumineusement éclaircies que possible par des faits, par
des citations de lois, de monumens historiques, des for-
mules de Marculfe , du glossaire de Diœange , et par des
capitulaires. Il disserte sans ennuyer, discute sans ai-
greur et décide sans présomption; le plus souvent même
il nous prouve une grande vérité, c'est que, dans ces
siècles de barbarie, on trouve si peu de stabilité, de régu-
(1) Palis, 1820. 1 \o]. 111-8". Delcslre-Boulagé, libraire de l'e'cole
de droit , rue des Malliurins-Saint-.Tacqucs , n° ï. Prix , 7 fr. , et 8 fr.
5o c. franc de port.
ET POLITIQUES. 11.1
larité , de justice, que les exceptions violenl continuel-
lenient les règles, <^ que la force y remplace presque
toujours le droit; c'est ce qui fait que chacun y rencontre
facilement des faits, des actes contradictoires, et en grand
nombre , dont il se sert à son gré pour appuyer le système^
qu'il préfère.
M. Hallam évite philosophiquement toute partialité et
tout esprit de système; aussi ne prend-il, pour émettre
et soutenir une opinion quelconque, que les faits les plus
répétés et les coutumes les plus générales; de sorte qu'en
suivant ce guide éclairé, on est certain d'éviter la plupart
des écueils contre lesquels tant d'auteurs de systèmes ont
échoué.
J'ai dit que son Précis historique n'est pas une histoire^
mais il n'en mérite pas pour cela moins d'éloge. S'il
n'apprend pas l'histoire, ill'explique; il en donne une idée
générale, qui suffit pourle suivre après, sans embarras, dans
le cours de ses savantes recherches. Quant au style de ce
Précis , il a plusieurs genres de mérite : la clarté , la pré-
cision , la gravité , avec une simple el noble élégance. Il
faudrait un volume pour analyser le sien, dont tous les
chapitres offrent des sujets d'intérêt aussi grands que va-
riés ; chacune des questions qu'il traite et des décisions
qu'il offre, entraînerait facilement dans de longues disser-
tations sur l'origine de nos institutions modernes et sur
les points qui excitent encore aujourd'hui parmi nous les
plus vives disputes d'opinions et de partis.
Ce qui ne m'a point paru traité d'une manière aussi
complète dans cet ouvrage, est précisément ce que je vou-
lais chercher et ce que j'espérais rencontrer dans le travail
d'un auteur aussi savant. Il nous parle en peu de mots et
très-légèrement des lois et des coutumes des Francs en
I Tome x. 8
I
IIA SCIENCES MORALES
Germanie, et ne nous donne même qu'unefaible et courte
ébauche de l'immortel tableau de leurs mœurs, tracé par
Tacite : or, depuis cette époque, la Germanie avait dû
totalement changer.
La ligue des Francs s'était formée en confédération par-
ticulière; leurs guerres, leurs liaisons fréquentes avec les
Romains, l'admission d'une foule de leurs chefs aux grades
les plus distingués et aux plus hautes dignités de l'empire,
enfin leurs premiers établissemens dans la Gaule germa-
nique, dans la Toxandrie et dans l'île des Bataves, ainsi
que leurs colonies introduites dans la Gaule par Cons-
tantin, Constance et Julien, avaient dû apporter de no-
tables variations dans leurs mœurs et dans leur organisa-
tion sociale.
Je sais qu'ils n'avaient ni annales, ni historiens; mais
j'espérais qu'en fouillant avec tant de soin dans les écrits
des auteurs latins et grecs du moyen Sge et dans les ar-
chives des monastères, où se sont enfouies tant de lumières,
notre auteur aurait pu nous donner des renseignemens
plus sûrs et des notions plus curieuses sur les leudes , les
anlrustions , la noblesse des barbares, sur les droits des
chefs et sur ceux des Francs en général, à l'époque qui
précéda la conquête de la Gaule.
Alors, tout ce qui est obscur et douteux aurait été éclairci
pour nous; c'est cette clef qui nous manque encore. En
effet , tant que nos historiens n'ont consulté que les contes
grossiers et les vieilles ébauches des Grégoire de Tours,
des Fredegaire, A(t?, ylimoin, notre histoire a manqué tota-
lement de flambeau. Ce n'est que depuis un siècle et demi
environ qu'on s'est heureusement avisé de chercher d'autres
lumières dans Procope, dans Ammien Marcellin, dans
Agafhias^ dans l'Histoire bysantine , et il en est résulté
ET POLITIQUES. US
quelques notions plus certaines , relativement aux tribus
barbares qtii occupaient si constamment les armes ro-
maines.
Peut-être, avec un travail plus complet dans ce genre ,
on aurait rencontré l'explication de beaucoup de problèmes
qui divisent encore les esprits, sur l'origine du système
féodal, sur les antiques usages et sur la pi-imitive législa-
tion de nos aïeux.
Une courte citation donnera une juste idée de la conci-
sion et de la clarté du Précis historique de M. Hallam.
Il parle ainsi de l'empire envahi par les barbares :
« Une race d'hommes, jadis inconnus ou méprisés,
avait non seulement démembré cette fière puissance et
s'était établie en permanence dans ces belles provinces ,
après avoir imposé son joug aux anciens possesseurs. Les
Vandales étaient maîtres de l'Afrique, les Suèves d'une
partie de l'Espagne, les Visigoths possédaient le reste avec
une portion considérable delà Gaule, les Bourguignons
occupaient les provinces arrosées parle Rhône et la Saône,
les Ostrogoths presque toute l'Italie. Quelques écrivains
ont peuplé d'une république armorique le nord-ouest de
la Gaule, entre la Seine et la Loire; le reste, encore sou-
mis nominativement à l'empire romain , était gouverné
par un certain Syagrius, avec une raitorité plutôt indé-
pendante que déléguée ( année 486 ).
(1 Ce fut alors que Clovis, roi des Francs Salieiis, peu-
plade de Germains, long-tems attachée à Rome, et qui,
de la rive droite du Rhin où elle était originairement
établie , avait pénétré depuis peu jusqu'à Tournai et Cam-
brai , envahit la Gaule et défit Sj'agrius à Soissons,
« Cette victoire entraîna la soumission de ces provinces
qui, jusqu'alors, avaient été considérées comme romaines.
Leur obéissance avait toujours été douteuse , et leur perte
S'
116 SCIENCES MORALES
en fut moins sensible; aussi les empereurs de Constan-
linople ne crurent pas abaisser leur orgueil , en conférant
:\ Clovis les titres de consul et de patrice , et Clot^is avait
trop de prudence pour les refuser. »
Dans ce passage si court, si clair, et qui contient tant
de faits en si peu de mots, on trouve déjà trois difficultés
et trois problêmes historiques , que l'auteur, dans trois
notes , cherche à éclaircir. Le premier est relatif i\ la ré-
publique armorique.
« On ne peut, dit M. Hallanij, parler qu'avec défiance
de cette république, ou plutôt de cette confédération de
cités indépendantes, sous l'administration de leurs évêques
respectifs, que Duhos a bâtie avec beauconp d'art, sur
des évidences historiques très-légères , et malgré le silence
de Grégoire de Tours, dont le diocèse touchait leur pré-
tendu territoire. Il serait cependant injuste de rejeter en-
tièrement cette hypothèse : elle n'est pas en elle-même
dépourvue de probabilité , et d'ailleurs Grégoire est suc-
cinct et négligé, dans la première partie de son ouvrage.»
Il me semble que M. Hallam aurait pu rendre son ob-
servation plus complète et plus concluante : il est vrai que
Duhos a construit sans fondemens certains sa république
armorique j gouvernée par des évêques; mais, ce qui n'est
pas douteux, c'est que les Armoriques ^ menacées par les
Visigoths e,X\ts Bourguignons, et abandonnéesparlalâcheté
àei empereurs , qui ne les défendaient pas et les accablaient
d'impôts, s'étaient rendues indépendantes de fait, ne res-
taient soumises que de nom , refusaient le tribut et veil-
laient à leur propre défense, suivant les anciennes cou-
tumes des cités gauloises j sous l'autorité de leurs divers
sénats, et au moyen des milices particulières que les lois
romaines leur avaient toujours permis de conserver.
C'est ce que plusieurs l'aiis démontrent évidemment,
ET POLITIQUES. 117
puisqu'en revenant de vaincre les Francs, Aëtius_, et de-
puis son lieutenant Celsus ^ entrèrent en armes dans les
Arriioriques , sans pouvoir ramener ces provinces ù l'obéis-
sance , et tentèrent vainement, par l'entremise d'un
évêque, les voies de négociations pour parvenir au même
but.
Les comtes Egidius et Paulus s'illusti'èrent depuis , en
défendant l'indépendance des Armoriques ^ et ils furent
soutenus dans cette lutte contre les Kisigoths et les 6'rtxo/zs
par les armes de Childéric_, roi des Francs.
La seconde difficulté que présente le Précis historique
concerne l'établissement des Francs dans le Tournaisis :
sur cet objet, l'auteur s'exprime ainsi dans une note : «Le
système du père Daniel _, qui prétend que les Francs n'a-
vaient formé, avant Clovisj aucun étal)lissement permanent
sur la rive gauche du Rhin , me paraît insoutenable ; il est
difficile de résister à la présomption qui résulte de la dé-
couverte faite à Tournai ^ en 1655, de la tombe et du
squelette de Childéî-ic j père de Cloi^is.»
L'auteur aurait pu ajouter d'autres présomptions non
moins fortes, pour réfuter le père Daniel. Il est vrai que
Clodion fut chassé du Tournaisis par Aëtius; mais il y
revint, puisqu'en vingt ans il y fut battu deux fois; et
l'on ne concevrait pas pourquoi Mérovèe ^ son successeur,
serait venu avec les Francs défendre la Gaule contre At-
tila j de concert avec les Romains, les Visigoihs et les
Bourguignons , s'il n'avait rien possédé dans la Gaule, et
s'il n'eût régné que dans le pays de longres. Il ne serait
pas moins surprenant qu'après la déposition de Childéricj
Egidius , chef des Amoriques , eût été choisi pour roi par
les Francs, s'ils n'avaient été sesvoisins; etl'on compren-
drait encore moins comment Childéric, rétabli sur le
trône, aurait combattu si souvent en Anjou a\cc Egidius
118 SCIENCKS MORALES
contre les Visigothsj si leur voisinage n'eût pas fait pour
eux, de cette guerre, un intérêt commun.
La troisième question que présente le Précis , est celle
de savoir si Clovis a gouverné ses conquêtes comme sou-
verain ou comme lieutenant des empereurs romains. « La
théorie de Duhos, dit M. Hallam^ qui considère Clovis
comme une espèce de lieutenant des empereurs^ ne gou-
vernant qu'à ce titre ses sujets romains , a justement paru
extravagante à des écrivains qui se sont livrés après lui à
un examen critique de l'histoire de France. Il est cepen-
dant possible que les relations établies entre Clovis et
l'empire , et les insignes de la magistrature romaine dont
il était revêtu , aient contribué à réconcilier les vaincus
avec leurs nouveaux maîtres. Telle est du moins l'opinion
judicieuse du duc de Nivernais (Mémoire de l'académie
des inscriptions et belles -lettres, ïom. XX). 11 paraît
toutefois qu'au 6.^ siècle, les Grecs connaissaient à peine
les compatriotes de Clovis. On ne peut rien conclure d'un
passage dans lequel Procope semble désigner les peuples
dCAnnorique sous le nom à^Arborikoy ; et AgatJiias nous
fait une description aussi étrange que romanesque des
Francs^ qu'il célèbre pour la conformité de leurs coutumes
avec les lois romaines. Il fait aussi l'éloge de leur union
mutuelle, et observe surtout que, dans les divisions fré-
quentes du royaume, ils n'avaient jamais porté les armes
les uns contre les autres, ni ensanglanté la terre de leurs
discordes civiles. On serait tenté d'interpréter ce passage
dans un sens ironique. »
Je croirais plutôt que M. Hallam saisit mal ici le vrai
sens ^Agathias j car il ne signifie point que 'lés Francs,
les Gothsj les Bourguignons ne se battaient pas entre eux,
ce qui serait démenti par tous les faits : il veut dire seule-
ment que les Romains,, ou habitans de V A rmoj-ifjue, n^ ont
ET POLITIQUES. 119
juiuais repris Jcs iiriiics contre les Fnuia, depuis iabuiaillc
(le Soissons, et qu'il n'y eut plus sous Clui^'ia et ses suc-
cesseurs de guerre civile entre les Romains et les Franca j
ce qui est un fait avéré.
Il serait impossible, dans un cadre aussi court, de
donner une analyse de l'immense travail de M. Hallam ;
aussi nous nous bornerons, pour en présenter quelques idées,
à en extraire un petit nombre d'observations relatives à
l'établissement des Francs , au sort divers des vainqueurs
et des vaincus, à la nature des biens, des fiefs, et à l'ori-
gine de la noblesse. Après avoir rappelé ce fait non con-
testé, que dans leurs conquêtes les Bourguignons et les
f^isigoLlis s'emparèrent du tiers des terres, les Vandales
de toutes celles qui leur parurent les plus fertiles , et les
Lombards du tiers des produits , M. Hallam ajoute :
« Nous ne pouvons découvrir aucun indice d'un semblable
arrangement dans les lois ou dans l'histoire dos Francs ;
mais il est certain qu'ils occupèrent, par suite d'un partage
public ou d'un partage individuel , une grande portion
des terres de France.»
Nous sommes obligés, par le silence de l'histoire et par
l'absence de tout acte authentique, de rester , comme
M. Hallam, dans l'incertitude sur ce point important.
L'aj^bé Dubos tire du même silence des historiens un ar-
gument pour appuyer son système et pour prouver que
Clovis s'est établi dans les Gaules moins en maître et en
vainqueur, qu'en allié de la république romaine ou gau-
loise des Armoriqucs, qui volontairement avaient réuni
leurs armes aux siennes, pour combattre les Visigolhs et les
Bourguignons; mais la bataille, livrée et perdue par Sya-
grius, réfute suffisamment un pareil système, qui est
d'ailleurs évidemment renversé par la disposition de la loi
galique, puisque celte loi marque durement la différence
120 SCIENCES MORALES
du sort des vainqueurs et de celui des vaincus, en impo-
sant pour le meurtre d'un Franc une amende double de
celle qu'on payait pour la mort d'un Romain ou d'un
Gaulois.
Cependant, à défaut de certitude, ne pourrait-on pas
conjecturer que la Gaule fut traitée moins rigoureusement
par les Francs, relativement au partage des terres, qu'elle
ne l'avait été par les autres nations barbares, parce que
les Francs amenés par Clovis étaient très-peu nombreux,
qu'il leur suffît peut-être, pour s'enrichir, de prendre les
terres qui faisaient partie dans chaque cité du domaine
impérial, en y ajoutant celles qu'ils confisquèrent, suivant
le droit de ce tems, sur ceux qui préférèrent la résistance à
la soumission , sur les guerders de Syagrius et di'Alaric;
car on sait qu'alors la victoire faisait subir aux captifs, non
seulement la perte de leurs biens, niais celle de leur
liberté.
Clovis, au-dessus de son siècle par son génie, dut penser
qu'après avoir pris ainsi une assez grande portion de terres
pour lui et pour récompenser ses leudes, ses officiers et
ses soldats qui ne composaient qu'une vaillante, mais faible
tribu , il devait, pour attirer les Romains et les Gaulois à
son joug, leur laisser le reste de leurs possessions, comme
il leur laissa leurs lois. Les évêques lui donnèrent proba-
blement ce conseil; car ils désiraient ses succès, pour
être protégés par lui contre l'arianisme intolérant des
rois visigolhs et bourguignons.
Je suis surpris que M. Hallom , en parlant de ces dis-
positions favorables du clergé gaulois et catholique, ait
paru en oublier le plus pressant motif. Sidonius Apollinaris
nous le découvre , en racontant que récemment le père
û'Alciric avait chassé ou mis à mort plus de vingt évêques.
Les Francs possédèrent ainsi dans leurs conquêtes deux
ET POLITIQUES. 121
sortes de biens, les uns héréditaires , c'étaient les alleux;
les autres à vie, c'étaient lesjlefi, qui souvent même étaient
des dons révocables, soit par jugement, soit par autorité.
A cet égard, plusieurs recherches savantes de M. Hallam
prouvent avec évidence combien ces coutumes varièrent
suivant le caractère, la force ou la faiblesse des rois,
et selon le degré d'obéissante ou de turbulence des
grands.
« Les biens, dit notre auteur, dont les Francs jouis-
saient à titre de propriété, étaient appelés alodia; le sens
de ce mot est quelquefois restreint aux biens échus par
succession. Ils étaient exempts de toute autre charge que
de celle de la défense publique. Ils passaient aux enfans
par portion égale, et, à leur défaut, au plus proche pa-
rent. Il existait pourtant une espèce particulière de ces
alleux, qu'on appelait s«Ziy«e, et dont les femmes étaient
exclues.
Il y a eu beaucoup de disputes sur la question de savoir
ce qu'étaient ces terres, et quelle était la cause de cette
exclusion. Nulle solution ne semble plus probable que celle
qui suppose que les anciens législateurs des Francs Saliens
interdirent aux femmes le droit d'hériter des terres assi-
gnées à la nation dans les Gaules, après la conquête, tant
pour se conformer à leurs anciens usages, que pour s'as-
surer du service militaire de chaque propriétaire. La loi
salique, ajoute-l-il dans une note, pai'aît avoir été faite
par un prince chrétien , et après la conquête de la Gaule.
C'est pourquoi elle ne peut pas remonter à une époque
antérieure au règne de Clovis; et, d'un autre côté, elle ne
peut pas être de beaucoup postérieure à ce prince, puis-
qu'un de ses fils y introduisit quelques modifications.
Il remarque, dans une autre note, que cette exclusion dos
122 SCIENCES MORALES
femmes était loin d'être généralemeDt approuvée, puisque
Marculfe, dans sa formule 12% livre II, appelle cette
exclusion une CQu\.y\vaQ journalière, mais impie : diuturna
et impia consiietudo. »
Je crois qu'on pourrait combattre l'opinion de M. Hal-
lam , sur l'époque qu'il attribue à la loi salique ; car, puis-
que, selon son avis, Clodion^ Mérovée, Childéric, avaient
eu des établissemens fixes dans la Gaule, on peut croire
aussi qu'ils avaient senti le besoin d'une législation nou-
velle, et que peut-être l'un d'eux avait rédigé, le premier,
celte loi salique ; de même que d'autres princes Francs,
établis sur les rives du Rhin, étaient certainement les au-
teurs delà loi ripuaire _, qui diffère très-peu de celle des
Saliens.
Au reste, on a beaucoup étendu depuis le sens attaché à
et vi\(i\. salique , puisque plusieurs capitulaires de la seconde
race ont môme reçu ce nom. Mais ce qui est très-remar-
quable , c'est que la seule disposition de la loi salique que
tout le monde cite tous les jours, celle qui exclut en France
les femmes de la succession au trône, est précisément la
seule qui ne s'y trouve pas. Elle est gravée dans les mœurs,
et ne le fut jamais dans la loi.
Nous terminerons sans commentaire cette analyse, par la
citation du passage où M. Hallam, parle de la noblesse.
Après avoir observé judicieusement que les Francs, avant
la conquête de la Gaule, ne connaissaient point la noblesse
sous le rapport de classe privilégiée, quoiqu'il existât des
traces nombreuses du respect qu'on avait chez eux et dans
toute la Germanie pour les familles d'une antiquité re-
connue, il ajoute : « L'aristocratie de la richesse précéda
celle du sang, qui, dans le fait, tire encore de l'autre une
partie de son éclat.» In Franc, grand propiiélaire, avait le
ET POLITIQUES. 123
litre de noble; s'il était ruiné et dépouillé de sa richesse,
ses descendans retombaient dans la foule, et le nouveau
possesseur devenait noble â sa place.
Dans ces premiers tems, la propriété ne changeait pas
souvent de mains, et n'abandonnait point les familles qui
l'avaient long-tems possédée; elles étaient donc nobles par
leur naissance, puisqu'elle était la source de leurs ri-
chesses. La richesse leur donnait le pouvoir, et le pouvoir
leur donnait la prééminence; mais aucune distinction,
excepté en faveur des vassaux du roi , n'était faite par les
lois saliqucs et lombardes.
Dans la composition pour homicide, mesure certaine du
rang politique, il semble résulter de quelques lois des
barbares, notamment de celles des Bourguignons, des
Visigoths, des Saxons et de la colonie anglaise de cette
dernière nation, que les hommes libres étaient distribués
en deux ou trois classes, et qu'il y avait une différence dans
le prix auquel leurs vies étaient évaluées; qu'ainsi les
élémens des privilèges aristocratiques existaient chez ces
peuples, quoique nous ne les trouvions pas encore parfai-
tement établis à cette époque.
Les antrustions des rois de France étaient également
nobles, et la composition qu'on exigeait pour le meurtre
de l'un d'eux était triple de celle que l'on payait pour un
simple citoyen; mais c'était une distinction personnelle,
et non héréditaire. II manquait un lien pour assurer leurs
éminens privilèges^ à leur postérité, et ce lien devait ré-
sulter des bénéfices héréditaires.
On sait que de ces bénéfices héréditaires naquirent bien-
tôt le chaos féodal et l'usurpation de tous les pouvoirs. Nous
ne nous flattons point d'avoir, dans une si courte notice, pu
donner une idée du mérite de l'auteur, de son travail et de
-I - riches et nombreuses notes. Cependant nous croyon?
12A SCIENCES MORALES
que cette esquisse suffira pour inspirer le désir de connaître
un livre si utile à tous ceux qui cherchent une solide et
agréable instruction.
Le comte de Ségiîr.
VV V\it'W\> WXA'WVl ww
Observations sur les iNcoNVÉNijiNs du système actuel
d'instruction publique en Europe, et surtout en
France, et sur les moyens d'y remédier; par F. G.
PoTTiER, membre de l'Académie d'Iéna (i).
Depuis long-tems, tous les bons esprits sentaient le vice
du système actuel d'instruction publique , et déploraient
le mauvais emploi de huit ou dix des plus belles et des
plus heureuses années de la vie, uniquement consumées
à tourmenter et à fatiguer la jeunesse par des études fasti-
dieuses , sans aucune utilité comme sans aucun résultat.
Un des professeurs de l'Université de Paris , dans une
brochure beaucoup plus riche en choses qu'en mots, vient
de développer avec une grande clarté tous les inconvé-
niens d'un système suranné, dont l'existence semble faire
insulte au progrès des lumières et à l'état des connais-
sances du dix-neuvième siècle.
L'ouvrage de M. Pottier se divise en trois parties. Dans
lâpjemière, il développe les inconvéniensdu système actuel.
Il examine les divers objets d'occupation, propres aux
quatre époques distinctes, dans lesquelles se partage le
tems consacré à l'instruction. Il démontre, par des faits,
que les différens cours préliminaires et spéciaux de gram-
(i) Pai'is, 1821, 111-8° (le 110 pages en ptlils c;\raclciTS ; cliez
railleur, rue tles Fosbe's-Saiiil-Viclor, 55 j cl ilicz Aillnis Boliiuul^viie
llaulereuillcj u" 20. Prix, 2 fr. 5o ccul.
ET POLITIQUES. 125
maire, d'humanités, de belles-Ieltrcs, dans l'état actuel
des livres élémentaires et des moyens employés , ne pro-
duisent et ne peuvent produire aucun résultat, et que ce
résultat lui-même, en supposant qu'on pût l'obtenir, ne
présenterait aucun avantage.
Considérant ensuite l'instruction littéraire dans son en-
semble , il établit :
Qu'elle ne sert pas même la mémoire, quoiqu'elle la
cultive exclusivement ;
Qu'elle étouffe l'intelligence, en forçant, pendant huit
années consécutives, à répéter uniquement des sons qui
n'ont aucune valeur déterminée;
Qu'elle fausse le jugement, en l'asservissant en tout et
sans cesse à l'autorité d'autrui ;
Qu'elle éteint l'imagination, en ne donnant aucune idée
exacte ;
Que l'aversion qu'elle inspire pour les auteurs anciens
ne lui permet pas même de former le goût ;
Que cette même instruction , par le résultat nécessaire
et obligé d'un mode essentiellement vicieux, tient soixante-
quinze jeunes gens sur cent dans un état continuel d'oisi-
veté ;
Qu'elle les met sans cesse en rivalité avec leurs cama-
rades ;
Qu'elle les constitue dans un état de guerre et d'hosti-
lité perpétuel avec leurs maîtres ;
Qu'elle leur vante sans cesse des mœurs et des usages
différens de ceux de leur pays;
Qu'elle exalte à leurs yeux le mérite d'un système poli-
tique, tout opposé àceluidanslequelils sont destinés à vivre;
Et que , sous tous ces rapports , il lui est impossible de
former des hommes vertueux et sociables, des sujets
126 SCIENCES MORALES
dociles , des citoyens amis de leur pays et attachés à leur
gouvernement.
Dans la seconde partie ^ l'auteur passe en revue tous
les moyens de défense que l'on peut alléguer en faveur
du système actuel :
Ce système a formé Racine, Boileau, Fénélon , etc. ;
L'on peut bien savoir le latin sans atoir recours à une
méthode analytique ;
En supposant que cette méthode fût indispensable pour
acquérir une connaissance approfondie du latin, il n'est
pas nécessaire de bien savoir cette langue ;
L'étude des langues ne peut d'ailleurs être soumise aux
principes rigoureux des sciences exactes;
Le système qui existe a pour lui la sanction du tenis ;
Nos pères ont été élevés de la même manière;
Toute l'Europe sent le même système;
Tous les pères de famille l'approuvent ;
Les hommes ne seraient pas meilleurs avec un autre;
Ce serait d'ailleurs un malheur, si l'éducation formait
un trop grand nombre de savans.
L'auteur attaque franchement tous ces argumens; il les
combat avec une dialectique rigoureuse, et les réfute vic-
torieusement.
Enfin, il récapitule tous les inconvéniens, et il établit,
en dernier résultat, que le système actuel néglige les
facultés physiques; tend, dans tous ses élémens, à altérer
et à dépraver les facultés morales, à étouffer et à détruire
les facultés intellectuelles, et qu'il est , sous tous les rap-
ports , essentiellement préjudiciable à la gloire et à la
tranquillité des états , aux intérêts les plus chers des pères
de famille, au bien-être présent et futur des jeunes gens.
Il déplore l'aveuglement et l'insouciance de la plupart
ET POLÏTIOLES. 127
des pères de famille dans un ol)jct d'une aussi haute im-
portance.
11 ne suffisait pas de démontrer les vices du système en
usage, il était nécessaire de le remplacer par un autre plus
conforme à la raison. C'est ce que fait l'auteur, dans la
t?'oisième parlie de ses observations. La nouvelle méthode
qu'il propose a pour but de développer également et en
même tems les facultés physiques , morales et intellec-
tuelles (i) : \q% facultés physiques ^ par une gymnastique
(i) La même division, qui est la seule qu'on puisse raisonnable-
ment suivre dans un plan d'éducation , a servi de base à un traité
publié en iSoS, sous le titre d'EssAi général d'éducation, physique,
morale et intellectuelle , suivi d'un Plan d éducation pratique pour
r enfance , l'adolescence et la jeune s se ; par M. M. A. Jullien ( i vol.
in^" avec tableaux. Paris, 1808, Firmin Didot).
Ce traité est divisé en trois parties , dont la première expose des
considérations générales sur les avantages et les inconvéniens res-
pectifs de l'éducation publique et de l'éducation domestique, et sur
l'utilité d'une éducation mixte et les moyens d'en assurer le succès.
L'auteur établit ensuite séparément les principes géniaux des diffé-
rentes branches dans lesquelles l'éducation se subdivise , de l'édu-
cation physique , de l'éducation morale et dcrinstiniction religieuse,
de l'éducation ijitellectuelle , ou de l'instruction proprement dite.
La seconde partie contient l'exposition d'une méthode qui a pour
objet de régler avec économie et discernement le bon emploi du
<e7res , premier instrument du bonheur. Cette seconde partie, sous
le titre d'EssAi sur l'emploi du tems , publiée séparément avec de
grands développemens, est devenue un ouvrage, pour ainsi dire, clas-
sique , quia eu deux éditions en France, et quia été traduit en
allemand, ainsi que l'agenda général ^Om livret pratique d'emploi du
tems , dont il a été publié cinq éditions, en France et dans l'étranger.
La troisième partie de ce traité comprend des tableaux synop-
tiques et analytiques, composés de colonnes parallèles, qui per-
mettent de suivre pas à pas , année par année , la marche progressive
et l'exécution du plan proposé , d'après la division des trois branches
de l'éducation et la distribution méthodique dos divers objets d'en-
\
128 SCIENCES MORALES
sage et éclairée; les facultés morales, par le résultat , en
quelque sorte obligé, de toutes les habitudes que doit don-
ner l'instruction, de toutes les connaissances qu'elle doit
procurer; \es facultés intellectuelles, par des principes fon-
dés sur la marche même de la nature.
Comme ces facultés, dans leur développement, sont
subordonnées les unes aux autres, et qu'il devient indis-
pensal)le de les cultiver successivement et dans l'ordre où
seignement, et des différens emplois de tous les instans , année par
année , jour par jour, et pour ainsi dire heure par heure.
Dans la récapitulation , ou résumé analj tique du plan d'éduca-
iJOTipz-rt/j^He , l'auteur considère l'ÉDucATio.\, science de la culture
et du développement de nos différentes facultés , sous trots points
DE VUE : 1" son sujet, I'homme ; 2° son but , le bonheur ; 5" son instru-
ment, le TEMS ; puis il expose avec précision les conséquences immé-
diates de ces idées fondamentales.
Les mêmes divisions, les mêmes titres de chapitres, les mêmes
vues préliminaires , le même point de vue général et analytique , ont
été reproduits depuis peu, avec de légères altérations qui souvent les
dénaturent , par l'éditeur d'un ouvrage intitulé : De l' Éducation
selon V Évangile , la Charte et le siècle ( M. de Foclaines ) , qui
n'en a encore publié que l'introduction , dans laquelle il ne s'est fait
aucun scrupule de copier, sans jamais le citer ni rendre aucun hom-
mage à son auteur, une partie du traité dont nous venons d'offrir le
résumé. L'homme qui veut fonder l'éducation sur l'Evangile , ne
devrait-il pas commencer par en suivre les principes; et la charité,
comme la justice, qui défendent de s'emparer du bien d'autrui,
n'auraient-elles pas dû lui rappeler ce précepte : rends à César ce
gui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ? Prendre en totalité ou
en partie le plan, les divisions , les titres d'un livre, en copier mot
pour mot des passages entiers sans le citer, c'est violer doublement,
et de la manière la plus ouverte, la propriété des ouvrages littéraires.
Ce vol , prévu , défini et punissable par les lois , n'a rien de commun
avec l'art d'emprunter les pensées d'autrui pour les' présenter dans
un autre ordre , les faire passer au creuset de la méditation, et les
revêtir de couleurs nouvelles. N. d. R.
ET POLITIQUiiS. 129
elles se forment , l'auteur établit trois époques distinctes :
li?i première , de six ans, employée à exercer la mémoire
et l'intelligence par des faits élémentaires, propres à don-
ner une idée générale de toutes les sciences dont la con-
naissance peut être utile ou même agréable à un homme
bien né ;
La seconde, de deux ans, destinée à éclairer le juge-
ment et la raison par l'exposition logique ou l'histoire
méthodique des faits appris dans la première époque, et
l'explication des auteurs anciens et modernes, développés
et analysés comme écrivains, sous le rapport du style ;
La troisième, également de deux ans , consacrée à for-
mer l'imagination et le goCitpar la connaissance plus appro-
fondie des diverses sciences, par l'analyse et la compa-
raison des auteurs appréciés sous le rapport des choses et
par divers sujets décomposition.
L'auteur traite ensuite du mode d'enseignement propre
à chacune de ces trois époques.
Pour la première, qui est en même tems la plus intéres-
sante, il s'est attaché à l'adapter aux principaux traits du
caractère général dei'enfance. Il fait marcher de concert
l'étude des choses avec celle des mots. Pour les choses ,
les objets d'enseignement sont classés dans une espèce
d'ordre géométrique , déterminé par le degré de difficulté
particulier à chacun d'eux. Les faits relatifs à chaque objet
d'enseignement sont limites et fixés par un programme ;
la connaissance de chaque fait est communiquée à l'élève
par la pratique , en même teins que par la théorie.
Pour les mots, la langue latine, soumise aux principes
analytiques des sciences exactes , sert de règle pour l'é-
lude des autres langues. Les langues modernes sont
apprises par la pratique journalière, et raaienées, dans
la seconde époque, au même esprit d'analyse. L'étude
de la grammaire est différée jusqu'à ce que les élèves
Tome x. V
130 SCIENXES MORALES ET POLITIQUES.
aient acquis des notions assez étendues des langues.
Pour mieux fixer les objets dans l'esprit des élèves,
outre la mémoire, l'écriture et le dessin, l'auteur fait
usage de cahiers particuliers pour chaque objet d'ensei-
gnement. Ces cahiers, contenant par ordre toutes les con-
naissances que la méthode a procurées à l'élève, auraient
le double avantage de lui mettre sans cesse sous les yeux
l'état exact de ses richesses intellectuelles et de lui faciliter
les moyens d'en acquérir de nouvelles.
Voulant réunir les avantages de l'enseignement mutuel
à ceux d'une louable émulation, l'auteur forme des com-
pagnies de dix élèves, qui portent le nom d'un Français
ancien et illustre, et qui, solidaires pour l'instruction seu-
lement, sont mises en rivalité les unes avec les autres.
Lemoded'enseignementrelatifauxdeuxautres époques se
trouvant implicitement énoncé dans les objets mêmes d'en-
seignement, nous ne croyons pas devoir en faire mention.
L'ancienne méthode semblait viser uniquement à créer
des hommes de lettres. Tout le système de la nouvelle tend
à former des hommes de bon sens , amis de leur patrie et
attachés à leur gouvernement.
Cette analyse succincte ne peut donner qu'une idée très-
imparfaite du mérite d'un ouvrage qui réunit l'élégance et
l'énergie du style à la profondeur et à la justesse des pen-
sées, et qui, sous ce double rapport, se recommande puis-
samment à l'intérêt des pères de famille et à l'attention
des personnes chargées de l'administration et de la sur-
veillance de l'instruction publique.
L'auteur a le projet, dit-on, de former un établissement
dans lequel il chercherait à mettre sa nouvelle méthode
en pratique; nous ne pouvons que former des voeux peut
qu'une entreprise aussi utile soit favorisée et encouragée
par le gouvernement, el pour qu'elle obtienne un heureux
succès. B.
LITTERATURE.
Epitres et Poésies suivies du poème de Parga , par
J. P. G. ViENNET. (l).
Notre siècle, que l'on accuse de toutes parts d'une dé-
daigneuse indifférence pour les ouvrages en vers, et qui
aurait droit peut-être d'alléguer pour sa justification la
stérilité générale dont le champ de la poésie seml)le depuis
long-tems aiïligé, paraît cependant réclamer un geure
de poésie dont le succès serait grand sans doute, si l'uti-
lité peut être considérée comme la juste mesure de la fa-
veur publique. Ce genre serait celui de la satire. Un petit
nombre de nos poètes actuels s'occupe de cette espèce de
composition , et nul d'entre eux n'en a fait l'objet exclusif
de ses éludes. La plupart s'obstinent à braver la disgrâce
dans laquelle les poèmes descriptifs sont justementtombés.
Il en est qui, renouvelant tant d'essais infructueux,
s'arment d'une audace sans espérance et embouchent la
trompette épique. Quelques-uns, moins heureux encore,
soupirent la plaintive élégie, ou s'élèvent jusqu'à l'ode
pindarique, poème qu'un homme d'esprit et de sens a fort
justement surnommé la sonate de la lilthature.
Le succès passager que les poèmes descriptifs ont ob-
tenu en France , doit être attribué au besoin d'émotions
douces et de jouissances tranquilles que tous les esprits
ont éprouvé après les scènes tragiques de la révolution
française. Il doit être attribué aussi au talent distingué du
chef de l'école descriptive, talent qui eut quelque tems ie
pouvoir de nous faire goûter un genre défectueux, et dont
(i) Uu vol. in-8", à la librairie française de Latlvocat, PalaisRojal,
galerie de bois, n" 197 et 198. Prix, 3 l'r.
9"
132 LITTÉRATURE.
les l)rillans délauts furent rachelés par un grand nombre
de beautés de l'ordre le plus élevé. Mais, quel que ffit
l'empire de la séduction, il fut impossible de ne pas re-
connaître que le genre descriptif était faux, parce qu'il
avait jpour fondement ce qui, dans tout ouvraged'esprit,nc
doit être que l'accessoire ; on dut s'apercevoir bientôt
que l'intérêt réel d'une production poétique ne peut re-
poser que sur les passions de Tboinme. La nature est sans
doute une vaste et brillante scène ; mais elle a besoin
d'être animée par la présence d'un acteur. C'est par les'
rapports que l'auteur de l'univers a établis entre elle et
BOUS que la nature nous plaît, que nous aimons à en goûter
les charmes; et l'art, qui n'est que l'expression des rap-
ports des choses et des lois éternelles de la raison humaine,
ne peut avouer tout ouvrage, quel que soit d'ailleurs le
mérite de l'exécution , dans lequel l'homme est , pour ainsi
dire, exilé de son propre domaine. Le poème descriptif,
à cet égard, fait du monde une vaste solitude.
Sans doute, on ne pensera pas que je prétende enve-
lopper dans le même arrêt de réprobation le genre de
l'épopée, consacré par des chefs-d'œuvre de tous les siècles
et considéré par Boileau comme le premier et le plus dif-
ficile de tous. Je n'ignore pas que plusieurs des poètes le?
plus distingués de notre époque ont depuis long-tems
achevé différentes épopées, et que quelques autres touchent
à la fin d'un édifice dont la construction leur a coûté beau-
coup de soins et d'années. Aucun ami de la littérature n'a
oublié le titre de la Grèce saui^ée _, quoique l'auteur de ce
poème (feu M. de Fontanes)en eûtpromisla publication de-
puis quinze ans au moins. On attend avec beaucoup d'es-
pérance une épopée de Tilits ou Jénisalem détruite ^ que
l'auteur du Génie de Vhomme (M. Chenedollé) vient d'a-
chever: et il serait injuste de ne pas fonder également un
litterailkl;. 1,33
légiliinc cspoii' sur le poème de Fraiicati_, que noui de-
vrons bientôt au littérateur distingué dont les poésies
servent de texte à cet article. Toutefois, peut-on, sans être
taxé d'un trop grand scepticisme, concevoir de justes
doutes sur le goût actuel du public pour la poésie héroïque.
Les fictions, sans lesquelles l'épopée ne semble pas pou-
voir exister, ont perdu aujourd'hui une grande partie du
crédit qu'elles obtenaient jadis. Notre siècle est celui de
l'examen; et, hors les choses qu'il l'autcroirc avec une foi
religieuse, nous sommes devenus dilîîciles sur les men-
songes un peu surannés de la poésie épique. Entraînés
par le torrent des révolutions, specttrtcurs obligés de réa-
lités souvent tragiques, nous représentons aujourd'hui une
scène dont la vérité et l'intérêt ont émoussé notre sensi-
bilité pour les infortunes fictives. L'iiistoire de notre tems
est une grande et sanglante épopée, qui nuit à l'intérêt de
toutes les inventions que le génie pourrait nous offrir.
Mais ces mêmes révolutions, qui ont commencé à ré-
générer le corps social et à changer sa physionomie, ont
ouvert une nouvelle carrière au moraliste observateur de
la société. Les institutions récentes, les obstacles que leur
établissement a rencontrés, le choc des opinions, ^c^ in-
térêts et des passions contraires, tout ce que nous voyons
aujourd'hui ressemble si peu à ce que l'on voyait autre-
fois, que l'observateur est frappé sans cesse de faits in-
connus à nos devanciers; résultat d'idées, de principes,
de préjugés nouveaux. Telle est malheureusement la con-
dition de l'homme, qu'il mêle sans cesse le mal au bien,
le ridicule au sublime : d'autres vices, d'autres erreurs,
des travers diflférens se sont produits sur la scène ; et c'est
là un champ nouveau que pourraient exploiter de concert
la comédie, si elle jouissait d'une assez grande liberté, et
iU LITTÉRATURE.
la satire, si quelque écrivain distingué consacrait son ta-
lent à ce genre de composition.
Sans doute , le poète satirique de notre époque s'écar-
terait des routes battues; sans doute, il ne consacrerait
plus son talent à peindre les embarras de Paris ou les dé-
sagrémens d'un mauvais dîner; il ne disputerait point au
néant les ouvrages ou le nom des Cotin de notre âge ; sa
muse, émule de Juvénal et de Perse, irait chercher plus
haut des sujets plus utiles et plus grands. Amie de la li-
berté et de la philosophie , elle combattrait, sous cette double
bannière, leur commune ennemie, l'ignorance; son indi-
gnation poétique ne s'exercerait que sur les véritables
fléaux de la société nouvelle. Elle n'oublierait ni les préjugés
antiques ni les préjugés modernes. Que de tableaux s'of-
friraient enfouie à sa plume! Ici, les gothiques prétentions
qui tendent à faire revivre ce qui n'est plus, ce qui ne
peut plus être ; là, l'insouciance dorée de ces favoris du
pouvoir, qui vivent en courtisant tous les régimes, sans
empêcher la chute d'aucun; plus loin, ces calculateurs
habiles qui, spéculant sur les progrès d'un parti comme
sur les chances de la bourse , s'associent toujours au succès
de toute opinion quelconque. Tantôt c'est un ancien ami
de la tyrannie qui, livré à un parti populaire, cherche à
déguiser son allure de courtisan , et voudrait accoutumer
sa bouche à prononcer le nom du peuple; tantôt c'est un
vieux partisan des excès révolutionnaires, qui offre aux
rois son encens déshonoré. Le satirique confondrait, dans
le même tableau, et le ci-devant esprit-fort qui parle de
sa piété nouvelle, et le ci-devant républicain qui aflTecte
les habitudes de la cour, et l'homme du sabre qui implore
des cordons pour le prix de services rendus autre part que
mv le champ de bataille; mais, ce qu'il peindrait surtout
LITTEIUTUIIE. ISS
avec énergie, ce sont les ravages de l'esprit de partie de
cet esprit qui corrompt tous les sentimens honnêtes, qui
divise les familles, arme les frères les uns contre les autres,
place le père et le fils dans des armées opposées ^ change
les discussions en combats, les dissentimens en fureurs ,
altère les plus saines opinions, substitue à l'amour de la
justice l'amour d'une secte, à la liberté philosophique la
dépendance d'un parti, à l'amour du sol natal l'indifférence
du cosmopolisme, et trop souvent la passion de l'étranger.
Si quelquefois le satirique descendait des hauteurs de
la philosophie, et se livrait à la critique littéraire, ses re-
gards se détourneraient de ces auteurs sans talent, que
l'oubli punit assez de leurs ennuyeuses, mais inofifensives
productions. Mais il fouetterait d'an vers sanglant ces
méprisables écrivains qui, suivant les expressions de Dide-
rot, ne rougissent point de ressembler à ces insectes im-
portuns qui passent les instans de leur existence éphémère
à troubler l'homme dans ses travaux et dans son repos.
S'occuperait-il des doctrines littéraires, il opposerait l'auto-
rité de son talent à ce débordement de germanisme qui
menace de corrompre notre littérature; il vengerait nos
chefs-d'œuvre des attaques des Welches nouveaux^ il dé-
clarerait la guerre à ce genre bâtard qui, paré du nom de
romantique, échappé des tréteaux du mélodrame, aspire
à s'élever jusque sur nos théâtres nationaux, offre comme
un effort de génie ce qui n'est souvent qu'un effort de
déraison, substitue à la saine critique les exaltations d'un
enthousiasme enfantin , et voudrait nous faire sacrifier nos
grands hommes à des auteurs dont le génie, semblable ad
ciel monotone qui inspirait le barde écossais, n'offre que
de rares clartés, au milieu de ténèbres orageuses.
Mais, en développant une opinion sur un genre qui pour-
rait être avantageusement traité aujourd'hui, je m'aperf ois
136 LITTÉRATURH.
que j'oublie insensiblement le sujet principal de cet article.
Ce n'est pas qu'il ne soit facile de trouver une transition
naturelle entre l'exposition des ressources que cette époque
présente au satirique, et la nouvelle publication de M. Vien-
net, dont plusieurs épîtres sont de véritables satires. Il
semblerait que les réflexions que j'ai offertes à mes lecteurs
ont été plus d'une fois celles du poète, qui a signalé dans
ses vers la plupart des travers et des ridicules de la société
et des partis. Une portion des épîtres de M. Viennet est
consacrée à soutenir les droits de la raison et les droits de
la liberté, et les inspirations d'une noble philosopbie ont
souvent prêté ù son talent des accens dignes d'elle. Soit
que, dans une patriotique indignation, il s'adresse à un
écrivain allemand (Kotzcbiie), dont les diatribes insul-
taient jadis la France, soit qu'il remercie un homme d'état
et un militaire illustre (le maréchal Gouvion-Saint-Cyr)
d'avoir recréé une armée dispersée par des revers aussi
peu attendus que peu mérités; soit qu'il s'élève contre les
fureurs de la délation, qu'il combatte la superstition et le
fanatisme, qu'il tienne au roi d'Espagne le langage d'un vrai
patriote, ou soit que des accens plus tendres aillent con-
soler les malheureux habitans de Parga, victimes d'une poli-
tique barbare, arrachés à leur douce patrie, la quittant, les
ye ux baignés de larmes, et courbés sous le poids des ossemens
de leurs ancêtres, M. Vionnet nous montre partout un
poète distingué, un écrivain philosophe et un bon citoyen.
Le recueil qu'il vient de publier se compose de seize
épîtres et du poème de Parga. Quelques-unes de ces
épîtres sont purement littéraires. Dans plusieurs autres ,
l'auteur jette un coup d'œil sur la société et sur les travers
de notre âge; une d'entre elles rentre dans le genre de THé-
roïde, genre, il faut le dire, assez malheureux en France,
où il n'a encore produit de très-remarquable qu'un mor-
LITTERATURE. 137
ceau de poésie, qui n'est lui-même que la traduction
d'un poème de Pope, inférieure à l'original, comme
toutes les traductions. En général, les sujets qui exigent
de Ininergie et une sorte d'indignation poétique convien-
nent beaucoup mieux à M. Viennet que ceux qui demandent
de la douceur, des images et des sentimens tendres. Son
vers a quelque chose d'inflexible , et parfois même de sau-
vage, qui rappelle plutôt la brûlante énergie de Juvénal que
la grâce élégante d'Horace. Il semble que l'auteur dédaigne
de polir sa phrase, et de donner à sa période cette rondeur
harmonieuse qui séduit l'oreille. On serait porté ù croire
qu'il aime mieux frapper l'esprit et le surprendre , que de
l'entraîner doucement vers le but qu'il se propose.'
Toutefois, comme il nous est impossible de renoncer au
devoir que nous impose la critique, nous ne pouvons dissi-
muler que, si cette espèce d'âpreté de style convient à cer-
tains sujets, et même est souvent un effort de l'art, il faut
prendre garde qu'elle ne devienne une manière, et que,
trop fréquemment reproduite, elle ne se change en un per-
pétuel défaut. Un écrivain, qui connaît toutes les ressources
de son art, saitàpropos briser sa phrase, couperses périodes,
interrompre brusquement l'ordre naturel des expressions,
réunir même à dessein des consonnances rudes et d'une har-
monie sauvage. Mais si de tels moyens, qui ont la variété
pom' but, sont toujours, ou trop souvent, mis en usage, il
en résulte un genre de monotonie bien moins supportable
que celle qui est l'effet d'une trop longue continuité de
tournures uniformément élégantes , et de sons d'une har-
monie toujours pareillc.Cessortesde combinaisons doivent
être d'autant plus sobrement employées, qu'elles paraissent
s'écarter davantage de l'ordre naturel des idées. De leur
usage modéré naît l'originalité; leur abus produit le singu-
lier et le bizarre. On se tromperait, au reste, si l'on pensait
138 LITTÉKATUllE.
que le style de M. Viennet mérite toute l'étendue de cette
critique. Il sait, quand il le yeut, donner à ses tournures
de la grâce et de l'élégance. On désirerait seulement qu'il
le voulût plus souvent. Notre but est de le prémunir contre
l'affectation d'une manière qui, parfois, d'un heureux effet,
peut, par l'abus, devenir un grand défaut.
Si nous passons de l'examen du style à celui de la pensée,
nous trouverons tout à louer dans les poésies de M. Viennet.
Cet écrivain a mis à profit le précepte d'Horace qui établit
la raison comme le fondement de tout ouvrage d'esprit. Ce
n'est plus tei l'un de ces poètes auxquels on est obligé de
pardonner leurs opinions, leurs idées, en faveur de l'exé-
cution, chez lesquels, en louant le style, il faut condamner
le fonds. Il n'est pas du nombre de ces écrivains qui, re-
gardant la poésie comme une combinaison plus ou moins
heureuse d'images, de sons et de mots, s'inquiètent peu de
l'utilité d'un sujet, si ce sujet prête à des développemens
poétiques ; vont chercher dans les répertoires de l'orien-
talisme des images éclatantes, se plaisent à revêtir des
couleurs de la poésie quelque fragment des écritures, et
présentent ce futile travail à des hommes du dix-neuvième
siècle, qu'ils prétendent ainsi distraire des idées graves, et
des pensées utiles qui les occupent. M. Viennet a fait preuve
d'un jugement sûr et d'une raison élevée, en s'écartant
d'un sentier trop facile; il a conçu une plus haute idée de
la mission du poète; et, loin de bannir la politique du do-
maine de l'imagination, il a noblement pensé que l'ima-
gination et le talent n'ont pas moins que toutes les autres
facultés de l'homme leur dette à payer à la civilisation.
Mais en même teins il était digne d'un poète de pen-
ser que, si la poésie doit remplir la mission d'éclairer les
hommes, son rôle, dans des tems de discorde, n'est point
d'irriter les passions, et de courir, Euménide sanglante, au
LITTERATURE. 139
milieu des partis, échauffei' les discordes et souffler la
guerre civile. La poésie remplit, sans doute, un rôle hono-
rable et sacré , lorsque, sur la lyre de Tyrtée, elle inspire
à un peuple la haine d'une domination étrangère; mais,
quand des discordes publiques troublent ces enfans d'une
même patrie, quand tous les membres d'une même société
doivent détester des combats dans lesquels les vainqueurs
sont plus à plaindre que les vaincus , où la mère com-
mune est partout déchirée par des fils révoltés, le rôle de
la poésie est de calmer l'agitation des cœurs, de rappro-
cher les esprits, de réconcilier les haines, d'inspirer enfin
l'amour de la paix. M. Viennetn'a point ignoré ce devoir,
et l'a plus d'une fois accompli. Pour moi, dit-il dans son
épître sur l'armée :
« Pour moi , dont les talens , voués à ma patrie ,
Out toujoui's des partis combattu la furie,
Moi qui, depuis vingt ans, céle'brant nos hauts faits.
Voudrais unir ensemble et la gloire et la pars ,
Puisse'-je être entendu des guerriers que j'admire ,
Inspirer à leur coeur ce que mon cœur m'inspire ,
Le me'pris des ingrats qui pensaient les flétrir,
Et l'horreur des médians qui les veulent aigrir! »
Lorsqu'en i8i5, les troupes étrangères occupaient notre
territoire, M. Yiennet osa s'adresser à l'empereur de
Russie, et lui faire entendre le langage d'un Français. Il
lui représenta noblement les devoirs qu'un trône impose,
et ceux que la victoire même commande ; il conseilla ù
ce souverain de donner à ses alliés l'exemple de la mo-
dération.
« Coramencej fils des czars , ils suivront ton exemple ;
Songe qu'en ce moment l'histoire le contemple ;
Qu'un jour, précipité du faîte des grandeurs,
Salis sceptre, sans armée, et surtout sans Uallcurs^
lAO LITTÉllATLllE.
Aux siècles à venir , piésente par l'histoire ,
Tu dois à leur justice exposer la iiiémoire.
Quels que soient ton pouvoir et la prospérité ,
Tu naquis le vassal de la postérité.
Malheur aux souverains dont l'orgueil la dédaigne !
B'un œil incorruptible elle juge leur règne ;
S'ils furent des humains l'horreur et le fléau ,
La honte pour jamais s'assied sur leur tombeaii.
Le monde avec effroi s'entretient de leur vie j
L'éternitépour eux est toute ignominie.
Mais un roi qu'elle honore, et dont le peuple en deuil
 regretté les lois et suivi le cercueil ,
Aux princes de la terre est offert pour modèle;
Les arts parent son front d'une palme iinuiorlelle ,
La tombe n'est pour lui que la porte des cieux ,
L'hommage des mortels l'élève au raug des dieux. »
Plus tard, M. Viennet s'adresse au roi d'Espagne, qu'il
cherche à prémunir contre les flatteurs et contre les per-
fides conseillers. « C'est Dieu, lui dit-il, qui t'inspira le
dessein d'asseoir la liberté sur le trône.
« Sans craiulc et sans regret supporte sa victoire j
Elle fit ton salut, elle fera ta gloire.
Loiu d'attaquer les rois , elle seule aujourd'liui
Des trônes ébranlés peut devenir l'appui;
Ses amis sont les tiens , vos in tcrêts vous lien l j
De ses ennemis seuls que les rois se défient.
Je sais par quels discours ils out pu l'égarer;
De l'intérêt public, adroits à se parer ;
K Des états, disent-ils, les nouvelles doctrines
« Les couvrent tôt au tard de sang et de ruines.
« Un roi ne peut borner, sans trahir de^aïeux ,
« Cet absolu pouvoir qu'il a reçu des cieux.
« Le peuple, en ses désirs, toujours iusaliable,
« Ne tient pas compte aux rois des biens dont on l'accable;
« Il n'arrache un bienfait que pour en abuser,
« 11 u'afTdiblil 11 s lois <juc pour les écraser;
« C'esl pour briser l'aulel qu'il reforme l'église ,
« Et Dieu même biculôt csl un frein qu'il méprise, -j
LITTERATURE. lAl
C'est ainsi , Ferilinan J , cjii'almsanl ton cspiil ,
De mensonges adroits s'est voilfi leur dépit.
Avec la liberté, confondant la licence ,
lis t'auront rappelé les malheurs de la France ;
Ces mallieurs furent grands ; et , loin de les nier,
Je hais trop les forfaits pour les jusliBcr.
Mais qui lit tous ces maux? d'où vinrent tous ces crimes?
Le peuple n'exprimait que des vœux légitimes.
Pai'-un facile accord l'empire était sauvé ,
L'orgueil refusa tout , tout lui fut enlevé , etc. »
Ces trois citations mettent le lecteur à poitée de juger les
épîtrcs de M. Viennet, sous le rapport du style et sous
celui de la pensée.
j'ai réservé , pour la fin de cet article, le poème le plus
intéressant et sans contredit le plus remarquable du recueil
de M. Viennet. Il était , certes, difficile de choisir un sujet
plus digne d'inspirer la muse d^un poète, que le récit des
dernières infortunes des enfans de Parga. Un peuple mal-
heureux , vendu par une cruelle politique à des tyrans
qu'il déteste , préfère un exjl éternel à la domination d'un
barbare étranger ; il abandonne ses cités asservies , il s'ar-
rache aux champs que fécondaient ses mains, aux humbles
temples où il adorait le Dieu de ses pères; peuple simple
et généreux, peuple de laboureurs, qui ne connaissait que
le luxe modeste des campagnes, que les pompes de la na-
ture si riche dans ses climats favorisés , et qui^ cultivant
les arts sans partager la corruption des peuples civilisés ,
s'était fait une douce et longue habitude de l'innocence,
du courage et de la liberté. Le contraste de l'ignorante
férocité du Musulman, de la candeur à la fois naïve et
polie des vertueux Parganiotes et de la politique cruelle
et cependant civilisée de l'Anglais, pouvait-il ne pas
échauffer l'imagination d'un poète ? Quelques épisodes
rattachés à l'action principale , quelques comparaisons in-
1A2 LITTERATURE.
génieuses, le langage poétique, et voilà un poème tout
entier.
M. Viennet a traité ce noble sujet avec un talent remar-
quable. Il a su donner du mouvement à ses tableaux; ses
réflexions sont souvent profondes; ses images réunissent
souvent la grâce à l'éclat. On reconnaît, dans les différens
caractères qu'il introduit sur la scène , et dans les discours
qu'il prête à ses personnages, le poète tragique qui depuis
a produit une composition dramatique d'un ordre élevé.
Il montre une habileté devenue bien rare aujourd'hui dans
l'exécution des vers libres , qu'il a choisis pour écrire son
poème de Parga. Rien ne paraît en effet plus aisé, et rien
peut-être n'est plus difficile que ce genre de versification,
dans lequel notre littérature ne possède qu'un petit nombre
de bons modèles. Sans doute, il arrive quelquefois à
M. Viennet de négliger certains détails; mais ce défaut
est ici plus rare que dans ses épîtres. La peinture suivante
semble remplie de charme et d'élégance.
« Dans les champs de Parga réguail la liberté,
Son souffle créateur animait l'iudustrie;
De l'opulence oisive et de la pauvreté
Le travail préservait celle terre chérie^
Parga s'applaudissait de sa félicité.
Les enfans de Parga bénissaient leur patrie.
Cérès, dans leurs étroits vallous ,
Ne faisait point flotter des moissons abondantes ;
Mais la nature est riche , et ses mains bienfaisantes
Leur prodiguaient ses autres dons.
L'olivier, dont Pallas avait doté la Grèce ,
Pour eux surchargeait ses rameaux.
Bacchus, sur leurs rians coteaux.
De ses pampres joyeux étalait la richesse ;
Sur des prés émaillés bondissaient leurs troupeaux ;
Les échos redisaient les chansons des bergères ,
Et la mer^ où voguaient leurs cent barques légères ,
LITTÉRATURE. US
Livrant à leurs filets riia])itaiit deses eaux.
Leur portait les tre'sors des plages e'trangères.
Vingt ruisseaux limpides et frais
Baignaient en murmurant leur rive parfume'e,
Et dans leurs odorans bosquets ,
Au feuillage immortel du chêne et du cyprès,
L'oi'ange. mariait sa verdure embaumée. »
L'auteur peint avec beaucoup d'énergie le départ des
habitans de Parga, lorsqu'ils s'arrachent à leur patrie. Nous
regrettons de ne pouvoir offrir à nos lecteurs ce touchant
tableau; mais nous croyons nos citations suffisantes pour
faire juger si l'ouvrage de M. Viennet est au-dessous du
noble sujet qu'il a choisi. Selon sa coutume, il a fait jail-
lir, du récit des infortunes de Parga, de hautes leçons
pour les monarques et pour les peuples. Tacite, disent de
savans critiques, n'a offert aux Romains une si séduisante
peinture des peuples de la Germanie que pour donner à
Rome corrompue une énergique leçon; ce grand écrivain
voulait faire rougir de son abaissement une nation dégé-
nérée de sa vertu première, en opposant à ses mœurs dé-
gradées le simple récit de celles d'un peuple que Rome
qualifiait encore du nom de barbares ; ii voulait lui faire
sentir le prix des vertus qu'elle n'avait plus. Puisse le ta-
bleau des mœurs modestes de Parga, de la naïve candeur
de ce peuple sage et pieux, de son amour pour la liberté,
dont la corruption du vice est la plus grande ennemie,
toucher plus vivement la France que les admirables ta-
bleaux de Tacite ne touchèrent jadis cette Rome si cou-
pable, et si déchue de sa splendeur antique!
LÉON Thiessé.
m. BULLLETTN BIBLIOGRAPHIQUE.
LIVRES ÉTRANGERS (i).
AMÉRIQUE.
ÉTATS-UNIS.
K. B. Comme nos relations avec les Etats-Unis d'Amérique sont
encore tiès-irrégulières et mal établies, nous ne pouvons donner que
de loin en loin ceux des ouvrages périodiques ou autres qui viennent
à notre connaissance. Nous invitons nos honorables correspondans de
cette partie si intéressante du globe à vouloir profiter de toutes les
occasions les plus sûres dont ils pourront disposer pour nous trans-
mettre , soit les annonces des meilleurs ouvrages , publiés récemment
dans leur pays, soit les nouvelles qui peuvent intéresser les sciences,
les arts et la littérature.
1. — The American Médical Recorder of original papers and in-
telligence in Medicine and Surgerjr. — Philadelphie, octobre 1S20,
vol. III, n» XII.
Ce cahier contient , entre autres articles , des observations sur la
cataracte , par M. G. Feick, M. D. de Baltimore ; une revue analy-
tique des première et deuxième livraisons de la Revue médicale ,
historique et philosophique de Paris; un examen des observations
sur les fumigations sulfureuses , -p ai Jean deCwiKO, docteur en
médecine ; une lettre du docteur Hase , professeur de chimie dans
l'université de Pensylvanie, sur son calorimoteur, avec une planche,
et la réponse du docteur Eeeele.
2. — New YorJ: Médical Reposilory , or Original Essays avd in-
telligence relating to Physic ^ Surgery, etc. — Netf Séries, octobre
1820, I^ew York, n» i, vol. VI.
Les principaux articles contenus dans ce cahier sont ; un Précis
de la fièvre jaune qui a régné à la Nouvelle- Orléans , en 1 S 1 9 ; par
M. J. Baxteb, m. D. ; une Esquisse historique de la fièvre jaune
(:) Nous indiquerons, par un astérisque (*' plscé a. côté du tilj-e
de chaque ouvrage , ceux des li\ res étrangers ou français qui paraîtront
iligncs d'une .Tltcntion particulière, et dont nous rendrons quelquefois
compte dans la section des Analyses.
LIVRES ETRANGERS. \/,%
endémique qui exerça ses ravages à la Nouvelle-Orléans , pen-
dant V été et V automne de 1819, écrite premièrement en français
par M. Dupoy, de Chamhéry ^ M. D. secrétaire de la société médi-
cale de la Louisane ; une analyse du Sclerotium gifçanteum , ou Tuc-
kahoe,pav John Tobrev , M. D. ; un article sur le Traité de la fièvre
jaune, par Ihvine, publié à Charleston , etc.
3- — The W'estern Revieiv and Miscellaneous Blagazine, vol. II.
— N^^forMay.Lexington^i). — Idem. — Vol. III, n° i.for Augusl
1820. — Revue de l'ouest, etc., pour les mois de mai et d'août 1820.
Le premier de ces cahiers contient une dissertation sur cette
question : L^ambition contribue-t-elle plus au bonheur que la vie
domestique? Un article sur Ivanhoe , roman désir Tf^alter Scott-
une dissertation sur l'esprit; un article sur les idylles orientales •
un autre sur les poissons de l'Ohio, par M. Rafinesqde; et l'extrait
d'un ouvrage intitulé , Le Livre d'esquisses de Geoffroy Crayon , par
M. Irvine. — Le second cahier renferme un examen des Lettres de
Pierre à ses concitoyens ^'un autre, des ouvrages poétiques de John
Trumbull; une lettre à Caleb Atwaler , de Circleuille , sur les mo-
numens Alleghawian supérieurs de North Eikhorn Creek , comté
de la Fayette , dans le Keniucky, par M. Rafinesque, etc. et quel-
ques pièces de vers.
EUROPE.
ANGLETERRE.
4. — Report of the Society for bettering the condition and in-
^reasinglhe comfortsof thepoor. — Rapports de la société fondée pour
améliorer la situation des pauvres et augmenter leur aisance. Londres,
1820. Hatchard et fils. Piccadilly, n" 187. 6 volumes in-12. Prix,
) 2 schellings.
5. — Aa Essay on the Em.ploy ment of the poor. — Essai sur la ma-
nière d'employer les classes pauvres, par Robert A. Slaneg. Londres,
1820. Hatchard. Brochure in-8°. Prix , 2 schellings.
6. — Travels in various countries of the east, etc. — Voyages en
diverses contrées de l'orient , faisant suite aux mémoires sur la
fi) L'emplacement deLexington, chef-lieu de l'état de Ken-
tucky, n'était, en 1779, qu'une vaste fort't; ce ne fut qu'en 1781 qu(j
le plan de la ville fut tracé,
V
Tome x. 10
U6 LIVRES ih'RANGERS.
Turquie d'Europe et celle d'Asie, par Robert Walpolb. Londres,
1820, in-4° de 65o pages, avec treize planches.
Les mémoires cités dans ce titre, et ce volume qui en est la con-
tinuation , renferment beaucoup d'anciennes inscriptions grecques ,
avec des explications, des observations, des descriptions les plus
instructives et les plus satisfaisantes.
7. — Picluresque illustrations of Buenos- Ay res and Monte- J^ideo.
— Vues pittoresques de Buenos- Ayres et de Monte- Video; composées
de vingt-quatre gravures, avec la description du pays, des costumes,
des mœurs , etc. , des habitans de ces villes , et de ceux des environs;
par E. E. Vidal. Londres, 1820. Linibird. 1 vol. in-4°.
Les événemens qui se sont passés depuis dix à quinze ans dans les
provinces espagnoles de l'Amérique méridionale , Axèrent sur ces
contrées l'attention de toute l'Europe. La prise de Buenos-Ayres par
sir Home Popham , en 1806, fut comme le prélude de la révolution
qui s'étendit ensuite sur tout ce vaste continent. Le marquis de
Sobre-jMonte, vice-roi, homme dépourvu de talent et d'énergie,
abandonna la ville à une poignée de troupes anglaises. Don Santiago
Liniers répara cet échec par sa valeur: ce brave Français attaqua la
ville deux mois après, s'en empara, et fit prisonnier le général an-
glais et sa petite armée. Indignés de la conduite de leur vice-roi,
les habitans le dépouillèrent de sa charge, et en investirent leur li-
bérateur , auquel ils accordèrent l'autorité suprême tant civile que
militaire , avec le titre de capitaine général. Cette démarche fut le
premier pas vers l'insurrection qui a, depuis, séparé ces provinces de
la mère-patrie. L'année suivante, les Anglais, commandés par sir
Samuel Auchmuty, prirent possession de Monte-Video, qu'ils per-
dirent après, par suite d'une capitulation ignominieuse à laquelle
souscrivit le général Whitelock, s'engageant à faire évacuer toutes les
provinces de Rio de la Plata , y compris Monte-Video.
Le rang et la popularité dont jouissait Liniers excitèrent l'envie
d'Elio , gouverneur de Monte- Video. Il essaya de se faire des parti-
sans et réussit à former une junte distincte , à l'imitation de celle de
l'Espagne , indépendante du capitaine général. Liniers fut remplacé
par Don Baltasar Hidalgo de Cisneros. Celui-ci fit connaître aux
habitans la déclaration de la régence d'Espagne , qui dispensait les
Américains de toute obéissance au gouvernement espagnol. On as-
sembla aussitôt un congrès , et l'on forma une junte ; mais les chefs
espagnols du Paraguay ayant voulu s'opposer à l'exécution de ces
LIVRES ETRANGERS. 1A7
projet.'i, Liniers, abandonné des troupes qu'il avait levées, fut pris
et décapité. Au commencement de l'année 1811 , Don José d'Arti-
gas , natif de Monte-Video , offrit ses services à la junte de Buenos-
Ayres, pour exciter à l'insurrection les habitans de la rive gauche
(Est) de la Plata : il en obtint des secours d'armes, de munitions ,
de soldats, et parvint à établir l'indépendance de cette province. A
l'exception de Monte-Video, dit notre auteur, Artigas possède toute
la rive orientale ( Banda) qu'il gouverne seul; il vit en bonne intel-
ligence avec les membres du congrès dont l'autorité est maintenant
reconnue par toutes les provinces de Rio de la Plata, qui sont au
nombre de vingt, divisées en hautes et basses, suivant leur situation.
Les premières sont : Maxos et Chiquitos , Apalobamba , Santa-Cruî
de la Sierra , La Paz, Cochabamba, Garangas, Misque, Paria, Char-
cas, Potosi et Atacama. Les dernières sont : Tarija , Calta, Paraguay,
Tucuman, Cordoba, Cuyo, Entrerios , Monte- Video, ou Banda-
Orientale, et Buenos- Ayres. La population de cette immense étendue
de pays ne s'élève pas à plus d'un million trois cent mille âmes.
Après avoir donné quelques détails sur l'histoire de Buenos-Ayres ,
l'auteur passe à la description de cette ville, telle qu'elle est aujour*
d'hui. Avant de devenir la résidence du vice-roi, elle était regardée
comme la quatrième ville de l'Amérique méridionale ; mais, sa popu-
lation et son opulence augmentant chaque jour, parmi les villes de
cette cùte de l'Amérique , elle n'est plus aujourd'hui inférieure qu'à
Lima. Le tableau des mœurs et des coutumes de ses habitans est
neuf et plein d'intérêt : en général , cet ouvrage renferme tout ce
qu'on peut désirer de connaître sur un pays qui a été depuis peu le
théâtre d'événemens importans, et féconds en résultats.
8. — Journal of an ojjicer, etc. — Journal d'un officier employé
dans le commissariat de l'armée ; comprenant une relation des cam-
pagnes du duc de Wellington, en Portugal, en Espagne, en France
et dans les Pays-Bas , depuis 181 1 jusqu'en iSi5 ; et quelques détails
sur l'armée d'occupation restée en France, pendant 1816, 1817
et 1818. Londres, 1820. Limbird. 1 vol. in-S" de 5oi pages.
On ne peut raisonnablement s'attendre à trouver beaucoup d'im-
partialité dans un ouvrage de ce genre , publié par un Anglais faisant
partie de l'armée de Wellington. Aussi l'auteur passe-t-il sous silence
les revers de ses compatriotes ; mais, en revanche, il s'arrête avec com-
plaisance sur les succès des armes britanniques, auxquelles il at-
10*
Îi8 LIVlUiS ETRANGERS.
tribue entièrement la victoire de Waterloo. Avec plus de sincérité
et moins de préjugés, il eût pu offrir un récit fort intéressant des
grands événemens de la guerre dont il a été témoin pendant plus de
huit années. Ge journal peut encore, tel qu'il est, devenir utile aux
militaires ; les détails de tactique y paraissent traités d'une manière
claire et précise.
g. — Select female Biograp/iy ; comprising Memoirs of Eminent
British Ladies , etc. — Biographie des dames , ou Mémoires originaux
de quelques dames anglaises célèbres par leurs vertus , tirés de
sources authentiques. Londres , 1821. i vol. in-12 de 33i pages.
On s'est surtout appliqué, dans cet ouvrage, à représenter le»
femmes que la religion a soutenues dans les épreuves de la vie. On a
voulu flxer ainsi l'attention du lecteur sur l'importante liaison qui
subsiste entre notre vie présente et nos destinées futures. Les vies des
principaux personnages dont il est parlé dans ce volume ont déjà
été offertes au public ; mais on les retrouve ici écrites avec plus de
charme et une élévation d'ame, en harmonie avec le sujet.
ip('). — Memoirs of the lifeofy4nne Bolej^n, queen of Henry VIII.
— Mémoires de la vie d'Anne de Boleyn , femme de Henri VIII. Par
Miss Benger, auteur des Mémoires de madam.e Elisabeth Ha~
milton.; de John Tobin, etc. Londres, 1821. Longman, Hurst, Rees.
a vol. in-8''.
Déjà connue en Angleterre par plusieurs excellens ouvrages bio-
graphiques, miss Benger vient de donner au public , sous le titre de
Mémoires d'Anne de Boleyn, une peinture vraie et piquante des
mœurs de la cour de Henri VIII. Cette époque, féconde en grands
résultats, vit la réforme s'établir en Angleterre et y semer les germes
d'indépendance qui se développèrent ensuite , et fondèrent la pros
périté de l'Etat. Miss Benger a traité son sujet plus en historien
qu'en biographe , ou plutôt elle a su faire un heureux mélange des
deux genres. L. S.
11.— Georgiana; or Anecdotes of George the Third.— Georgiana ,
ou Anecdotes sur Georges III ; suivies de quelques morceaux de
poésie; par Ingram Cobbin. Londres, 1820. Colburn. in-8". Prix,
a schellings 6 pences.
M. Cobbin a rassemblé différens passages de plusieurs écrivains,
qui ont parlé du roi et de sa vie privée; il y a joint quelques traits
qui honorent le caractère du monarque, qui n'ont été publiés que
LIVRES ETRANGERS. 1A9
depuis sa mort ; et il a rangé cette compilation dans l'ordre suivant :
nr»œurs et habitudes, esprit, politique, littérature et beaux arts ,
bienveillance, tolérance religieuse, piété, etc. La première section
des anecdotes est terminée par ce portrait du roi.
«Georges III était robuste et d'une taille ordinaire (il avait cinq
pieds dix pouces 'anglais). Il passait pour beau dans sa jeunesse ,
mais les pommettes de ses joues étaient trop proéminentes ; il
avait les cheveux d'un blond de lin , les yeux gris et à fleur dn
tête, les sourcils blancs, les lèvres épaisses, les dents blanches et
bien rangées, et la bouche fort grande. Dans les dernières années
de sa vie , sa figure était souvent d'un rouge terne et foncé. Lorsqu'il
était grave , sa physionomie exprimait la tristesse; mais, quand il
s'égayait, elle prenait un caractère de frivolité qui semblait annon-
cer une grande faiblesse d'esprit.» Il était doux dans son intérieur ,
affable pour ceux qui l'approchaient, ami des arts et des artistes, et
charitable avec discernement. Pendant une maladie qu'il eut, en
1789, on nomma un comité pour examiner l'état de ses dépenses
particulières , et il se trouva que , sur un revenu de 60,000 livres
sterling, il en dépensait 14,000, paran, en charités. » Parmi lespièces
de vers qui terminent ce recueil, nous en avons remarqué une inti-
tulée Le Contraste ^ qui renferme de belles pensées et des images
touchantes de l'état de démence habituelle du roi.
12. — The life of ihe Réf. Thos. Coke, L. L. D., etc. — Vie du
révérend Thomas Coke, contenant en détail ses divers voyages et
ses missions extraordinaires en Angleterre, en Irlande, en Amérique
et dans les Indes occidentales. Par iSamMe/ Drew , de Saint-Austlb.
Londres, 1820, in-S» , cartonné, 8 schellings, avec un portrait.
i5. — Metrical Legends of exalted characters. — hégendcs en vers
sur quelques personnages distingués, par Joanna Baillie. Londres,
1821 , 1 vol. in-S" de SjS pages.
L'auteur de cet ouvrage jouit depuis loug-tems en Angleterre
d'une réputation méritée. Ses ouvrages dramatiques , dans lesquels
elle s'est attachée à mettre successivement enjeu toutes les passions,
l'ont placée au premier rang des poètes anglais. Sa poésie , forte de
pensées, est remplie d'énergie et d'enthousiasme. Les légendes que
nous annonçons sont au nombre de trois. La première célèbre le
grand caractère et le noble dévouement du héros de l'Ecosse, Wi!-
150 LIVRES ETRANGERS.
iiam Wallace; c'est un récit fidèle des principaux cvénemens de la
Tie de ce patriote. Ce poème est d'une simplicité et d'une beauté
remarquables; la fin tragique de Wallace et les souvenirs qu'il a
légués à sa patrie y sont dépeints avec une grande sensibilité. Le
héros de la seconde légende est Christophe Colomb, qui unissait
à l'indépendance de pensées d'un vrai philosophe, à la sage intré-
pidité d'un chef et à l'ardeur aventureuse d'un voyageur, la dou-
ceur et l'humanité du chrétien. Ses projets, ses voyages, la révolte
de son équipage , la découverte de l'Amérique, ses relations avec les
naturels du pays, son retour en Espagne, l'ingratitude de ses com-
patriotes , ses revers , ses malheurs , ont fourni à l'auteur une suite
de tableaux animés et pleins de sentiment. Des réflexions inspirées
par la vue de la tombe de Colomb terminent cette composition
poétique. Le sujet de la troisième légende est le caractère noble et
élevé d'une femme , dont le nom est inconnu dans l'histoire , lady
Griseld Baillie, mais dont les vertus donnent l'idée de la perfection.
Ce poème, quoique inférieur aux deux autres, est cependant une
production très-distinguée. L'auteur a joint aux légendes quatre bal-
lades, dont la poésie, beaucoup plus correcte, se rapproche, par sa
simplicité et par son charme , des anciennes ballades anglaises. On
assure que le libraire qui s'est chargé de publier cet ouvrage l'a payé à
l'auteur la somme exorbitante de mille livres sterling. Ce siècle est
léellement l'âge d'or des poètes anglais. L. S.
14. — Philibert , a poeùcal Romance. — Philibert, roman poé-
tique, en six chants, par Thomas Colley Grattai». Londres, 1820,
Longman , Hurst, Rees. 1 vol. in-S" de 2S8 pages.
Le sujet de ce poème est emprunté aux Causes célèbres : la
scène se passe en France. Une poésie facile, des tableaux gracieux
et des scènes intéressantes ont valu à l'auteur d'honorables succès.
i5. — Giovanni Sbogarro. — Jean Shogar, conte vénitien, imité
du français par Perceual Gordon. 2 vol. in~ii, Londres , 1820.
Baldwin. 12 sch.
16. — Les Ogres du seizième siècle, contes de Fées, par Madame
D**. m- 12. Londres, 1820. Baldwin.
17. — Such is ihe iforld.~Le monde tel qu'il est. Londres, 1821.
Limbii'd. 3 vol. in-12: prix, 2 guinées.
Les caractères des personnages de ce roman , depuis le duc jus-
LIVKKS ETRANCEilS. 131
qu'au garçon d'auberge, sont peints avec une fidélité qui prouve
une parfaite connaissance du monde , un grand esprit d'observation
et un tact fin et délicat. On n'y trouve pas non plus de ces allusions
grossières , de ces plaisanteries indécentes , qui souillent trop sou-
vent les écrits de ce genre. La vertu et le vice y sont représentés
sous leur véritable aspect , de manière à faire aimer l'une et haïr
l'autre. Ce but moral, loin de nuire à l'intérêt, ne fait qu'y ajouter.
18. — The Mystery , or farly years a^o.— Le Mystère, ou il y a
quarante ans. Londres, 1820. Limbird, 3 vol. in 1.2.
ig. — Calthorpe , or fallen fortunes. — Calthorpe , ou les revers de
fortune, par l'auteur du y>7/i7é/-e. Londres, 1820. Limbird, 3 vol.
in-12.
Ces deux romans, écrits par le même auteur, ^-t publiés à très-peu
de distance l'un de l'autre , diffèrent essentiellement par le plan et
par les détails. Le premier est fondé sur des faits historiques, auxquels
se rattache une intrigue qui ne manque ni d'intérêt ni de vérité. La
scène se passe en 1780; les mœurs de Londres, à cette époque, y
sont retracées avec fidélité. Dans Calthorpe , on a essayé de peindre
des scènes de la vie, d'une nature tantôt grave, tantôt comique ; l'as-
sassinat d'un des principaux personnages du roman, soupçonné de
s'être suicidé, est un des grands ressorts de l'action. L'auteur a
voulu imiter Walter Scott, mais il a échoué dans cette entreprise.
POLOGNE.
20. — JF'yktad leorjuzno-praktjezny , etc. — Traité théorique et
pratique de l'art de fabriquer les eaux-de-vie et liqueurs , par
A. DcNiN. 1 vol. in-8.° fig. Varsovie. Glucksberg, 1820.
Cet ouvrage est une bonne compilation de ce que contiennent les
derniers et les meilleurs ouvrages français et allemands qui traitent
de cette matière.
21. — Ballady i piesni, etc. — Ballades de Schiller , traduites en
vers polonais par J. N. Kamiensri, in- 12. Léopol. Wild. 1820.
C'est une traduction fidèle et bien versifiée des principaux poèmes
de Schiller.
22. — l'isma ff^lasne , etc. —Œuvres de A. Felinski. Tome II,
in-S". Varsovie, N. Glucksberg. 1821.
Ce volume renferme trois tragédies, qui ont été publiées, après la
la mort de M. Felinski, par sa famille ; savoir: Barbara , tragédie po-
1^2 LIVRES ETRAiNGERS.
1 onaise ; la traduction du lihadanuite de Crébillon , et celle de
f^'irginie , tragédie d'Alfiéri. Le premier volume de cette coUectioD,
publié en 1816, contient une traduction de l'Homme des champs ,
de Delille , et quelques morceaux en prose. M. le comte Gustave
Olizar, un des amis du dçfunt, a déjà pris des arrangemens avec le
libraire-imprimeur, Glucksberg, à Varsovie, pour faire paraître une
édition complète des œuvres de M. Felinski, édition qui, par sa beauté
typographique , doit être un monument digne du mérite de l'auteur.
La plupart des ouvrages que nous venons d'indiquer sont imprimés
par M. Glucksberg avec des caractères fondus par M. Didot , et on
y reconnaît avec plaisir les soins et les succès de cet imprimeur , qui
n'épargne aucuns frais pour rapprocher, en Pologne, l'art typogra-
phique du degré de perfection où il est porté en France.
23. — Podrez do Ciemnogrodu, etc. — Voyage au pays des ténèbres-
4 vol. in-iS. Varsovie, 1S20. N. Glucksberg.
C'est une satire extrêmement spirituelle, sous la forme d'un ro-
man. L'auteur indique, dans l'introduction, le but de son ouvrage ; et,
quoiqu'il consei've l'anonyme , on ne peut y méconnaître l'homme
d'état habile et le littérateur profond.
ALLEMAGNE.
24- — Paris und London fur den Arzt. — Paris et Londres pour le
médecin, par Weise. Halle, 1820. Tome I, contenant Paris.
25. — Island lucksichtUch seiner Vulcane , etc. — De l'Islande ,
«ous le rapport de ses volcans , de ses sources chaudes et de se*
mines de soufré, par C. Gaetlieb-Freybehg, 1S19, in-B".
Si ce petit livre est recommandable , ce n'est pas précisément sous
le rapport géographique : il y a des choses utiles , mais elles appar-
tiennent pour la plupart à Olassen ou à Mackensie ; souvent même
elles sont tirées de sources moins connues. La description des grands
et petits volcans [Hrauns et Jôkuls) présente beaucoup d'intérêt;
seulement, l'histoire de 7eurs éruptions est fatigante par sa minu-
tieuse exactitude. L'auteur cite un passage du livre de Bedemar sur
les produits volcaniques de l'Islande. Ce passage est assez singulier
pour mériter de trouver place ici. « On peut comparer toute l'île à
im vaste toit percé par une infinité de cheminées qui s'élèvent d'un
foyer commun , d'où se dégage sans cesse et avec violence im calo-
rique toujours renaissant. » Ceux qui veulent se livrer à l'étude de^
LIVRES ETRANGERS. 155
phénomènes volcaniques feront bien de visiter l'Islande. Celte ile
sera pour eux une terre classique ; il s'y forme d'un moment à l'auUe
des volcans qui disparaissent aussi promptement. Un homme ayant
creusé la terre, il en sortit des flammes qui causèrent de grands dé-
gâts. Un autre , prévoyant une éruption à l'endroit même où était sa
maison, la démolit et la releva plus loin , et l'éruption eut lieu. Les
habitans sont avertis de ces sortes de visites par le bruissement des
eaux dans les puits. L'ouvrage de M. Gartlieb contient des choses
fort instructives sur les sources chaudes , sur les sources bouillantes ,
sur le soufre , etc. Ph. Goi.behy.
26.—Entdeckungs Heise , etc.— Voyage de découvertes dans la
mer du sud et au détroit de Bering, pour trouver un passage par le
pôle septentrional, fait en i8i5, i8i6, 1817 et 1818, aux frais du
comte de Romanzoff, chancelier de l'empire russe, sur le vaisseau
le Rurick, sous le commandement du lieutenant de la marine impé-
riale de Russie , OUon de Kolzehue ■ 3 vol. in-4.», avec planches, la
plupart coloriées, et 7 cartes terrestres et maritimes. Berlin, Co-
penhague, Hambourg.
On trouve dans cet ouvrage, 1.» une introduction par M. dbKhisens-
tehpt; 2." une revue des voyages entrepris pour découvrir un passage
par le pôle arctique, par le même; 5.° un exposé général des travaux
faits durant le voyage actuel, relativement à l'astronomie et à la
physique, par M. de Hor>eb ; 4.° la première partie de la description
historique de ce grand voyage.
Le second volume contiendra la seconde partie de l'histoire de
ce voyage; la description des îles nouvellement découvertes dans le
grand Océan, par les hommes du vaisseau le Rurick, et le tableau
des maladies qu'ils ont éprouvées pendant leur navigation , par M. le
docteur Eschsschelz.
On trouvera dans le troisième volume les observations et les dé-
couvertes des naturalistes employés sur ce vaisseau pendant le cours
du voyage ; cette dernière partie a été rédigée par M. /Idelbert de
Chamisso. Lanjuinais.
aj. — Gemdhlde aus dem Zeitalter der A'r<?Mzzî/^e.— Tableaux du
tems des croisades. 1821. Tom.I, grand in-8<»de 5a8 pag. Prix, n fr.
Les recherches historiques les plus profondes sont exposées dan*
r<ît ouvrage avec clarté, et le style en est châtié et soutenu, mérite peu
15A LIVRES ETRANGERS.
commun dans les écrits historiques des Allemands. L'auteur n'em-
brasse point l'ensemble des événemens mémorables qu'il décrit ,
mais il rattache le Cl de sa narration à quelques-uns des chefs les plus
célèbres des croisades; et , en traçant leur biographie comme objet
principal, l'histoire du royaume de Jérusalem, quoique complète,
n'y paraît qu'un accessoire. Les personnages qui figurent dans ce
premier volume, sont Tancrède et Baudouin III. Le second volume,
qui doit paraître incessamment , complétera cet intéressant ouvrage.
H.-s.
28. — Isaac Martin eine spart ische inquisitions -geschichte^ etc.—-
Isaac Martin , anecdote sur l'inquisition d'Espagne , communiquée
par 3Iendoza y rios , et traduite en allemand sur le manuscrit espa-
gnol, par Jrrederich Habenstreit. Leipsick, 1820, in-S".
Lorsque l'on arrache une plante vénéneuse, il arrive quelquefois que
la racine laisse sous le sol des fibres qui , plus tard , en reproduisent
tout le poison. Fuisse cette remarque n'être pas une prophétie quant
à l'inquisition, et que jamais ce tribunal odieux ne se relève de sa
chute. L'anecdote dont il s'agit ici est arrivée à un protestant, nommé
Isaac Martin, que des aifaii'es de commerce appelèrent à Malaga.
Après quatre ans de séjour, il se disposait à retourner en Angleterre,
lorsqu'au milieu des apprêts de son départ, on l'enlève à sa femme
et à ses enfans , on le plonge dans un cachot obscur et infect, où il
reste soixante jours, sans savoir pourquoi il est arrêté. Enfin, les
suppôts de l'inquisition l'en viennent retirer, pour l'exposer aux ou-
trages de la populace , après quoi on le hisse sur une mule , et on le
conduit à Grenade, où il est renfermé dans le palais du Saint-OflBce.
Là , et sous le prétexte d'en avoir soin , on lui ôte son argent , ses
bijoux et jusqu'aux boutons d'or qu'il portait à son habit. On lui
commande le silence le plus absolu; il ne marchera que sur des
semelles de feutre, il ne bougera point, quelque chose qu'il entende.
Pour nourriture on lui donne du pain , des noix et des châtaignes.
Enfin, le neuvième jour après son arrivée à Grenade, on lui annonça
qu'il serait interrogé , mais il n'en fut guère plus avancé , car on ne
lui dit d'abord autre chose que de réfléchir à sa conduite passée , à
ses anciennes relations, et ce n'est qu'après plusieurs interrogatoires ,
subis tant dans l'intérieur du cachot qu'au-dehors , qu'on lui laisse
entrevoir qu'il est soupçonné de professer secrètement le judaïsme.
LIVRES ETRANGERS. 155
Aprts avoir vainement exhorté le malheureux Isaac Martin à s'accu-
ser lui-même , on se détermine à lui présenter une longue accusation
en vingt points; et, quels que soient ses moyens de défense, c'est
le secrétaire qui répond pour lui. écrivant selon son bon plaisir, tantôt
l'accusé nie, tantôt ilat^oue, tantôt enfin L'accusé implore la clé-
mence du Saint-Office. Toutes les voies sont employées pour con-
traindre Isaac Martin à se faire catholique ; les séductions même ne
sont pas épargnées, et l'on a recours aux apparitions nocturnes; mais
il persiste dans sa résistance. Lassé de ses tentatives infructueuses,
le Saint-Office , après huit mois, par grâce spéciale , et en considé-
ration de l'ambassadeur anglais , voulut bien ne le condamner qu'à
deux cents coups d'étrivière (qu'il recevrait en public pour l'édifica-
tion du prochain) et au bannissement perpétuel. Le Saint-Office
retint aussi 2000 piastres sur l'argent d'Isaac Martin , apparemment
pour prix du cours de théologie dont on lui avait orné l'esprit pen-
dant sa détention. La femme de ce malheureux négociant avait aussi
éprouvé des persécutions , et tous deux se hâtèrent d'exécuter la
sentence de bannissement, contre laquelle sans doute ils n'avaient
pas envie de réclamer. Après ce récit, M. Ilabenstreit a placé des
détails sur la procédure usitée à l'inquisition ; il cite un grand nombre
d'actes arbitraires et cruels , qui tous sont tirés de l'excellent ouvrage
de M. Llorente. Ph. Golbehy.
2^.— Die ^gape, oder, etc. — L'Agape ou la ligue secrète des chré-
tiens, fondée sous le règne de Domitien , par Clément de Rome;
exposée par le docteur A. Kesthkb. lena, 1819. In-S" de 556 pag.
M. Kestner a fait quelque bruit en Allemagne, par cet ouvrage,
qui a beaucoup intéressé les francs-maçons, parce qu'il tend à faire
remonter leur origine jusqu'aux premiers tems du christianisme. Il
est vrai que quelques maçons remontent jusqu'à Salomon; mais ils
conviennent que cette première époque présente quelque obscurité.
Voici de quoi il s'agit dans le savant Mémoire du professeur d'Iena.
L'auteur, en étudiant l'histoire ecclésiastique, fut frappé de certaines
expressions mystiques employées par les premiers écrivains chré-
tiens , et qui paraissaient se rapporter à quelque ligue secrète. Une
fois préoccupé de cette idée , il lut plus attentivement tous les ou-
vrages du tems, et à la fin il trouva, ou crut trouver les preuves les
plus certaines de l'existence et des progrès d'une ligue secrète qui,
selon lui, fut fondée par un sectaire ardent et entreprenant, Clément
iôG LIVRES ETRANGERS.
de Rome, et dont le but était à la fois religieux, politique et phi-
lantropique ; c'était la régénération de l'humanité. Il faut dire que
M. Kestner a beaucoup puisé dans les livres rejetés comme apo-
CiTphes par l'église. Peut-être a-t-on en effet trop négligé cette source
de renseignemens sur les premiers tems du christianisme. La ligue
comprenait, suivant M, Kestner, sous le nom d'^gape (charité),
des chrétiens , des juifs, etmême-des païens. Les riches secouraient
les pauvres ; des affiliations se formaient dans les provinces de l'em-
pire romain. Clément donna à la ligue des symboles et des consti-
tutions ; il falsifia les écrits des apôtres pour les adapter à sa société
secrète ; les initiations se faisaient par des épreuves ; les symboles
étaient empruntésde l'architecture "et de la maçonnerie. Dès le com-
mencement du deuxième siècle, M. Kestner suppose déjà à cet ordre
secret un million de sectaires, divisés en plusieurs classes ou grades.
Si les empereurs exercèrent des persécutions si violentes contre les
chrétiens, c'est que cette ligue secretemenaraitleurdespotisme.il
y eut aussi dans l'association même de violentes scissions , qui en
causèrent la dissolution.
Une question qui se présente d'abord à la lecture de ce livre , c'est
celle-ci : comment se fait-il que personne n'ait jamais entendu parler
de cette ligue, dont M. Kestner donne une histoire si détaillée ? 11
faut que les auteurs qui se sont occupés de l'histoire ecclésiastique,
aient été bien aveugles, ou que M. Kestner possède une sagacité
extraordinaire, pour découvrir une histoire entière dont on n'avait pas
la moindre connaissance . Aussi les critiques allemands ont-Us vivement
attaqué le système de l'auteur. Ils le blâment d'avoir bâti une hypo-
thèse , et d'y avoir rattaché des faits qui ne sauraient s'y rapporter.
Par exemple, saint Ignace exhorte les Romains dans une lettre, au
nom de VAgape, d'être unis. M. Kestner voit dans ce mot sa ligue
secrète; avantlui, on n'y avait vu que la charité chrétienne. De même,
dans le martyrologe de Clément , il est dit qu'il avait eu à cœur
d'unir chrétiens et païens dans l'agape ; c'est encore la ligue qu'on
veut désigner, suivant le professeur d'iena. Les constitutions aposto-
liques sont, d'après lui, les statuts de l'ordre secret; mais celles que
nous avons sous ce nom ont été forgées au quatrième siècle, et mises
à la place des anciennes. !\ous ne pouvons développer davantage ce
sujet. Les carbonari d'aujourd'hui intéressent maintenant le monde
plus vivement que les carbonari de l'ancien tcms, que IM. Kestner
LIVRES ÉTRANGERS. 157
croit avoir retrouvés. 11 serait pourtant dommage que son ouvrage,
où l'érudition est prodiguée , ne fût que l'exposé d'une chimère.
D-G.
3o. — Tripartilum , seu de analogie Unguaruni libellas. — De
l'analogie des langues. Vienne, 1820, in-4'', oblong. de 200 pages,
divisées en cinq colonnes.
Cet ouvrage important par son objet, qui est de comparer le ma-
tériel de beaucoup de langues , est une table assez étendue d'un choix
nombreux de mots allemands des principaux dialectes , comparés
avec des mots analogues de divers dialectes de l'esclavon, et des
deux langues grecque et latine , ainsi que de plusieurs dialectes qui
en sont dérivés. Tel est le contenu des trois premières colonnes qui
ont fait intituler l'ouvrage /riparlitum (opus'). Une quatrième co-
lonne présente des mots analogues à ceux des trois premières tirés
des langues orientales et d'autres langues encore, comme l'égyptien,
le hongrois, le lapon; enGn, la cinquième contient des renvois et des
observations relatives à différens mots rapprochés dans les quatre
premières colonnes. C'est donc réellement un ouvrage quinquepar-
titum. Ce qu'il rassemble sous le même coup d'œil est plus ou moins
utile, mais le serait bien davantage, si l'auteur avait distingué les
âges des langues principales, et surtout les classes grammaticales et
les accidens grammaticaux des mots qu'il a recueillis, et si, plus
versé dans la science des langues, il avait pu éviter dans ses rap -
prochemens certaines confusions ou méprises évidentes. Quoi qu'il en
soit, ce livre, dans un genre qui n'est pas commun, facilite à un
certain degré les travaux des linguistes et des philosophes; mais il
faut s'en servir avec précaution et discernement. Laniuinais.
ôi. — Nouas Thesauras philologico criiicas, sive Lexicon in LXX
et reliquos interprètes graecos ac scriptores apochryphos veteris Testa-
menti, post Bielium et alios viros doctos, congessit et edidit Johan.
Frederich Schleusneb. Pars prima, grand in-S". Lipsiœ, 1820.
En 1786, l'auteur publia des essais qui firent dès-lors désirer un
travail plus complet. Depuis trente-quatre ans , il a travaillé sans
relâche à l'exécution de son plan. Non content d'avoir reproduit et
revu le travail de Biel, il a considérablement augmenté le nombre des
mots et des locutions hébraïques expliqués par son prédécesseur; il
les a comparés au grec, en y ajoutant de» remarques de tout genre.
158 LIVRES ETRANGERS.
M. Schlcusner a mis à profit un grand nombre de variantes , entre
autres celles de Holmes. Enfin, l'on peut dire avec justice qu'il a fait un
livre indispensable à ceux qui veulent connaître les saintes Ecritures.
Néanmoins, on lui reprocbe de n'avoir pas mis assez de méthode
dans la division des matières ; de n'avoir pas étalé autant de ri-
chesses philologiques que Fischer dans son Spécimen clauis, ver-
sionum grœcarum veteris Testamenti. On forme des vœux pour que
M. Schleusner accélère la publication des volumes suivans. Déjà on
fait en Angleterre une contre-façon du premier. Ph. Golberv.
32. — National gesdnge der Jlebrâer , etc. — Chants nationaux
des Hébreux, traduits et expliqués par Charles-Guillaume 3\:sT:i ,
3 vol. in-S". Leipsick, iSo5 à iSi8.
Marchant sur les traces de Herder, M. de Justi s'est appliqué, dès
les dernières années du siècle passé, à nous faire connaître la littéra-
ture hébraïque par des traductions élégantes. Avant lui, Michœlis et
Reiscke avaient donné de savans ouvrages en ce genre ; mais ces doctes
écrivains ont essentiellement manqué de goût , ils ont plus fait pour
la science que pour la littérature. La collection de M. de Justi a
maintenant trois volumes. Le premier a été publié en i8o5; le
second, en i8i6; le troisième, en iSiS. Malheureusement, l'auteur
a fait bien peu de chose pour l'érudition. Il l'a traitée comme ses
devanciers avaient traité le goût ; il s'est borné à emprunter leurs
remarques sans y rien ajouter de son propre fonds, et souvent même
il a emprunté sans choix. Le titre du livre n'est pas non plus une
indication sûre de ce que l'on y trouvera. Les chants traduits par
M. de Justi ne sontpas, à proprement parler, des chants nationaux ;
ce sont des morceaux choisis parmi les plus beaux de l'ancien Tes-
tament, tels que la bénédiction de Jacob, les adieux de Moïse, la
prolongation du jour de la victoire , etc. ; mais le lecteur ne perd
rien à cette infidélité du titre. Ph, Golbery.
35. — Callimachi IJymni el Epigram-mata , edidit et indice philo-
logico instruxit Volger. Lipsix 1817, in-S".
Cette édition est destinée à remplacer dans le commerce celle de
Lœsner, comme celle qui a paru en Angleterre, en 1819, devait tenir
lieu de l'édition d'Ernesti. Il y a cependant cette différence, que
l'éditeur anglais a donné au public un livre expédié avec précipi-
tation, tandis que M. Volger a dès long-tems préparé son travail.
Aussi promet-il sur Callimaque un ouvrage plus étendu. L'auteur
LIVRES ETRANGERS. 159
parait capable de bien traiter son sujet ; espérons qu'il y aura moins
de négligences dans son nouveau Commentaire , et qu'en paraissant
expliquer des difficultés, il ne se bornera plus à faire disparaître
quelques virgules. Espérons aussi qu'il reconnaîtra que son style
latin n'est pas assez châtié , et qu'il tâchera d'écrire plus purement
cette langue. Ph. Golbery.
7>\.—Joh. WiNKELMANNS Werke. — Œuvres de Jean Winkelmann.
Dresde 1820, 1 vol. in-S".
On a fait, dans ces dernières années, à Dresde, une édition des
œuvres de Winkelmann, édition digne de ce célèbre antiquaire. Com-
mencée par Fernow, elle a été continuée, après la mort de cet artiste,
par Meyer et Schulze. Le 8= volume, qui la termine , contient une
table générale des matières, une table des auteurs qu'il a cités. Les
lettres de Winkelmann n'ont pas été comprises dans cette édition ;
l'éditeur annonce qu'il laisse aux suffrages du public à décider si
la correspondance du savant antiquaire fera suite à ses œuvres.
35. — Ueber Verhesserun^ der musikalischen Liturgie, etc. —
Sur l'amélioration de la liturgie musicale dans les églises protes-
tantes, par G. FaANTZ , in-8'>. Halberstadt, 1819. Vogler.
SUISSE.
56. — Prodrumus d'une monos;raphie de la famille des Hypé-
ricinèes , par 3. D. Choisy, membre de la société helvétique des
sciences naturelles , in-4'' de 9 feuilles et demie , plus 9 planches.
Imprim. de J. J. Pasclioud , à Genève , 1821. A Paris, chez Pas-
choud. Prix, 6 francs.
37. — Discours d'ouverture de la session de 1820 de la société
helvétique des sciences naturelles , siégeant à Genève , le 25 juil-
let 1820, broch. de 22 pages.
On y trouve des détails intéressans sur les travaux de divers
membres ou correspondans de cette société savante , et notamment
sur feu M. Jurine.
58. — £rœstnungsrede der Jahresversammluns; der Schweizeris-
clien Gesellschaft, etc. — Discours d'ouverture de la séance annuelle
de la société suisse générale pour les sciences naturelles ; prononcé
le 6 octobre 1817, par le docteur et conseiller d'état Ustebi. Zu-
rich, 1817, 59 pages, in-S".
59. — Erœsfnungsrede , etc. — Discours d'ouverture de la séance an-
i60 LIVRES ETRANGERS.
nuclle de la société suisse, etc., parle docteur et juge d'appel Zoi-
I.IK.OFER. Saint-Gall, 1819, 48 pag. in-8".
On a eu une très-bonne idée en Suisse pour suppléer au défaut
d'une académie des sciences, qui ne saurait subsister dans une con-
fédération de petits états républicains où il n'y a aucune capitale ;
c'est de former , de tous ceux qui cultivent les sciences naturelles ,
une société générale qui ne s'assemble qu'une fois par an , et alter-
nativement, dans les principales villes de la Suisse. Il y a deux ans
qu'elle comptait déjà 5oo membres, et peut-être en a-t-elle davan-
tage aujourd'hui ; on pense bien que ce ne sont pas tous des savans
du premier ordre; la Suisse serait plus riche que de grands états , si
elle comptait 3oo naturalistes ; la plupart ne sont que de simples
•amateurs , et le nombre des véritables savans se réduit peut-être au
dixième de toute la société. Ses séances ont commencé en 181 5.
Cette même année, elle se réunità Genève, en assignant pour rendez-
vous de l'année suivante la ville de Berne; en 1817, 1818 et 1819,
les membres se réunirent successivement à Zurich , Lausanne et
Saint-Gall. A chaque réunion générale on propose un sujet de prix ;
un membre, pris dans la ville où est le rendez-vous de la société,
la préside , et prononce un discours qui contient ordinairement un
rapport sur les travaux annuels ; peut-être cette dernière tâche con-
viendrait-elle mieux à un secrétaire perpétuel, comme dans nos
académies. Les deux brochures dont nous venons de transcrire les
titres , contiennent les discours d'ouverture , prononcés dans les
séances tenues à Zurich et à Saint-Gall; nous n'avons pas recules
autres. Nous suivrons rapidement les deux discours de MM. Usteri
et Zollikofer , dans leur résumé des travaux des savans suisses.
M. Usteri parcourt successivement les divers cantons ; dans celui
de Berne, il est question de reprendre la publication du Musée
suisse d'histoire naturelle , dont il a pWu six cahiers in-4<'. M. Se-
ringe continue de faire , pour des amateurs , à des prix modiques , des
herbiers propres à faciliter l'étude de la botanique ; le public a ac-
cueilli favorablement le travail utile de M, Kasthofer sur l'économie
forestière des Alpes. L'auteur en prépare une seconde édition ; il a
aussi le projet d'établir une école forestière et rurale dans les Hautes-
Alpes. Le bel établissement de M. de FellenbergàHofwyl est connu
et apprécié ; le respectable directeur dépose ses observations et ses
perfectionnemens des procédés et des outils d'agriculture, dans les
LIVRES ETRANGERS. 16i
feuilles d'économie rurale de Hofwyl, qui paraissent par cahiers. Un
de ses collaborateurs, le docteur Schubler, y a inséré aussi les résul-
tats intéressans de ses observations sur les qualités physiques de la
terre et des substances qui entrent dans la composition du lait ; ré-
sultats qui prouvent de quelle utilité la chimie peut être dans l'éco-
nomie domestique.
Dans le canton de Fribourg , la société n'a qu'un seul membre,
le conseiller d'état Bourquenoud , qui s'est occupé d'enrichir la
Flore suisse de nouvelles espèces; la société économique de Fribourg
a cessé, depuis quelques années, de publier ses mémoires; mais oa
sait que les procédés de Hofwyl ont été imités en plusieurs endroits
du canton.
Dans le pays de Vaud , la politique a long-tems occupé presque ex-
clusivement les citoyens; ils reviennent maintenant aux sciences, et
le canton a de bonnes institutions pour les perfectionner. La société
d'agriculture et d'économie continue &es feuilles niWes; M. Chavannes
étend sans cesse ses collections zoologiques, dont la partie ornitho-
logique a presque atteint à sa perfection ; on attend de M. Gaudin
une Flore suisse ; M. Lardy a soumis à la société générale des obser-
vations sur les gîtes du gypse dans la vallée du Rhône et dans le haut
Tessin , ainsi que sa description du corindon , fossile rare de Campo-
longo, dans la vallée du Tessin. — Dans le Valais et dans le canton de
Soleure , l'histoire naturelle attend encore des observateurs labo-
rieux.
■ 11 n'en est pas de même à Genève, où toutes les sciences natu-
relles sont cultivées avec zèle , ainsi que l'atteste la BibUolhèque
unit/enelle, publiée dans ce canton. Genève a de belles collections,
et des professeurs qui font honneur à la science.
La société patriotique du canton de Neuchâtel, où le dicton an-
cien , bene vixit qui bene latuil, paraît être une maxime d'état,
distribue, chaque année, des prix pour les meilleures statistiques des
vingt et xme juridictions de la principauté. La ville de Neuchâtel
doit au général de INIeuron une jolie collection d'histoire naturelle.
Bâle a régénéré son antique université , et son ancienne société do
naturalistes, qui a publié de bons mémoires, a été remplacée par
une société cantonale.
L'Argovie se distingue , parmi les cantons suisses, par l'excollento
organisation de sa société savante et littéraire , qui a eli( -inèine dos
Tome x. Il
I(i2 LIVRES ÉTRANGERS.
sociétés affiliées dans les principaux endroits du pays. L'une des cinq
classes dans lesquelles elle est divisée se consacre aux sciences , et
correspond avec les sociétés étrangères. On publie, dans la ville d'Arau,
àtsarchiues de médecine, chirurgie et pharmacie.
Il s'est formé, à Lucerne, une société savante, divisée en cinq
classes , comme celle d'Argovie. Le docteur Attenhofer est auteur
d'une topographie médicale derSaint-Pétershourg.
\ Dans les petits cantons démocratiques de l'intérieur de la Suisse ,
il existe des sociétés de médecine. C'est dans le canton de Claris
qu'on a fondé la colonie de la Linth, après avoir redressé d'une
manière très-ingénieuse le cours de celte rivière.
Dans le canton du Tessin, aucun savant ne s'est fait remarquer, sf
ce n'est M. d'Alberti, auteur de la Revue analytique de la grande
collection des écrivains italiens sur l'économie politique, en 5i vol.
Les Grisons n'offrent aucun travail savant. Le journal que publiait la
société économique de Coire , a cessé en 1812. On ne pourrait citer
non plus aucun travail scientifique des cantons de Saint-Call, Appen-
Tsell et Thurgovie , quoique plusieurs personnes zélées «s'y occupent
des sciences; dans le dernier, on a introduit les procédés perfectionnés
de Hofwyl. Dans le canton de Schaffhouse, M. Fischer s'est fait une
réputation par ses découvertes dans la technologie.
Zurich a une société d'histoire naturelle , avec des collections de
zoologie, entomologie, ornithologie, botanique et minéralogie, ainsi
qu'un observatoire. Le docteur Horner vitnt de publier les observa-
tions qu'il a faites dans l'expédition du capitaine russe de Krusenstern
autour du monde, et l'on espère que le docteur Ebel achèvera son
tableau des peuples montagnards de la Suisse. Le docteur Schintz ,
qui possède des collections précieuses, a annoncé des cahiers omitho-
logiques. M. ZoUikofer va nous faire connaître les travaux plus récens
des naturalistes suisses. Il publie, depuis quelques années, un indi-
cateur d'histoire naturelle , qui contient des articles intéressans.
M. Schintz a commencé de publier les descriptions des oiseaux
suisses et allemands , avec des gravures enluminées qui représentent,
outre les oiseaux , leurs nids et leurs œufs. Le même a presque
achevé la nouvelle édition des Tatles phylo graphiques de Jean
Gessner. M. Seringe, dans ses Mélanges botaniques ^ a traité spé-
cialement les roses et les céréales de la Suisse. Rœmer et Schultes
ont donné une nouvelle édition du système de Linnée , en l'augmen-
tant des espèces découvertes depuis la i5' édition.
LIVRES ETRANGERS. 163
Dans le canton de Vaud, la culture de la vigne paraît être devenue
l'objet d'un soin particulier; il a été fondé à cet eifet des sociétés
particulières à Lausanne et à Kollon ; M. Baup a publié un mé-
Tiioire sur la culture des vignes de la côte. Une société d'économie
rurale , fondée à Genève , a fait paraître le rapport de M. Decandolle,
directeur du jardin de botanique , sur l'emploi des pommes de terre,
considéré comme moyen de soutenirleur culture. A Saint-Gall, il s'est
formé également une réunion pour l'économie rurale. MM. Pictet
et Esclier se sont livrés à des observations météorologiques. Le doc-
teur Falkner , à Bâle , a écrit une dissertation sur les proportions et
les lois d'après lesquelles les élémens des corps sont mêlés, disser-
, tation dans laquelle il développe les principes établis parJIM. Gay-
Lussac et Berzelius. Le professeur Struve a fait paraître des élémens
de géologie. Deux médecins ont analysé, l'un ks eaux minérales do
Lostorf, en Argovie, et l'autre, M. Wettstein, celles de Saint-Mau-
lice, dans les Grisons. Les archii^es de médecine , dont il a été parlé
plus haut, sont déjà suspendues ; on dirait qu'aucun journal de mé-
decine ne peut prospérer en Suisse.
Les sociétés des sciences naturelles, à Zurich, à Genève et à Bâle,
tiennent régulièrement leurs séances, et se sont occupées, en 1819,
d'un grand nombre d'objets intéressans. 11 s'est formé dés sociétés
semblables à Lausanne et à Saint-Gall.
La société générale suisse a perdu récemment quelques membres
distingués, tels que les docteurs Ziegler, Kœmer et Lavater. Le
premier, mort en 1S18, est auteur de l'Histoire de l'or et de celle
des couleurs , traduites de l'anglais , et d'une dissertation de diges-
tore Papini, 1769. Le botaniste J.^J. Rœmér, né à Zurich, en 1765,
avait publié la Flora Europœa inchoata , qui, étant conçue sur un
plan trop vaste , n'a pas été achevée ; il a donné de nouvelles édi-
tions du système de Linnée , et de la llora britannica de Smith,
des insectes de Fabricius , etc. ; enfin, le médecin Lavater, fils du
célèbre pasteur de Zurich , n'a publié , outre quelques articles peu
importans, qu'une Introduction à la connaissance anatomique du
corps humain , 1790.
Avant de terminer, nous ferons mention encore d'un discours que
M. Usteri a adressé , en 1820, à l'ouverture des cours de médecine,
aux étudians de l'institution cantonnale de Zurich , et qui a été
publié sous le titre de Errinnerungen fur die Studierenden ( Avis
11 *
16A LIVRES ETRANGERS
aux étudians). L'orateur dit, dans ce discours, que les moyens de ce^
établissement sont très-bornés , et que les professeurs qui se sont
chargés de bon gré des cours, ne peuventyconsa«rer que le tems que
leur laissent leurs occupations- et leurs places , mais que cette insti-
tution peut suffire aux médecins des campagnes. II recommande,
comme études préparatoires à la médecine, les langues anciennes,
les sciences philosophiques, les mathématiques; il y joint de très-
bons avis sur la conduite des élèves. Nous avons encore sous les yeux
un Compte rendu de l'institution pour les aveugles, fondée dans la
même ville par des souscriptions particulières; elle renfermait,
en 1819 , quatorze élèves qui se rendent utiles par divers ouvrages,
tels que tisseranderie , sparterie, vannerie; on leur enseigne aussi la
musique. D-G.
4o. — La décadence de la nature , discours offert à la société helvé-
tique des sciences naturelles , par Db Loges, docteur de la faculté
de Montpellier. Brochure de 27 pag. in-S" ( en Suisse ).
C'est ici un ouvrage systématique ; mais comme il est fondé sur
beaucoup d'observations, on ne le lira pas sans curiosité, et peut-
être même sans quelque utilité.
4i. — Notice de la vie et des écrits deBénédict Préuost^^zt Pierre
PaivosT. In-S" de 7 feuilles. Imprimerie de Paschoud» à Genève,
i8ai. — A Paris et Genève, chez Paschoud. Prix, a fr.
42. — Eugenia von Nordenstern. — Eugénie de Nordenstern ; par
M. de Pfister. Aarau, 1820, 2 vol. in-8''. Sauerlander. Prix, i4 fr.
Cette production mérite d'être distinguée de la foule des romans
éphémères qui abondent dans tous les pays civilisés, et ne servent
qu'à fausser le sentiment du lecteur frivole. 11 en est bien autre-
ment A' Eugénie de Nordenstern, qui ne jouira pas seulement d'une
vogue momentanée , et qui causera de justes regrets à tout lecteur
doué d'un esprit cultivé et d'une véritable sensibilité, quand il ap-
prendra qu'immédiatement après la publication de ce roman, soa
auteur fut enlevé aux lettres par une mort prématurée. M. Pfister
a placé son action dans la classe la plus distinguée de la société ; et
quoiqu'il ait choisi la forme épistolaire , la narration ne languit
jamais. Une profonde connaissance du coeur humain, une richesse
inépuisable de pensées et d'observations fines; une imagination
riante; un esprit pénétré de tout ce qui est beau et aimable; en
LIVRES ETRANGERS. 165
un mot, les sentimens les plus nobles et les plus di^licats recommandent
cet ouvrage à l'attentiOD d'un traducteur français.
II-s.
ITALIE.
^"h. — Tavole lof!;aritiniche, etc. — Tables de logarithmes jointes
aux élémens d'algèbre et de géométrie du chevalier Bboîtacci.
Milan, 1820, in-S". Typographie J. et R.
L'éditeur de cet ouvrage est un élève du professeur Brunacci.
Quoique jeune encore, il a développé de vastes connaissances dans
la préface dont il l'a enrichi.
44. — Corso cU chimica economica, etc. — Cours de chimie éco-
nomique; par Giuseppe Gi'CLii , etc. Florence, 1819 et 1S20. Leo-
nardo Ciardetti, 2 vol. in-8°.
Les observations que l'on trouve consignées dans cet ouvrage sont
assez exactes, et l'auteur a su les mettre à la portée de tout le monde ,
par un style à la fois clair et précis.
45. — Le Opère c?f Buffon , etc. — Œuvres de Buffow et de Li-
cÉPÈDE, traduites en italien, in-8°, avec fig. Venise, 1820. Molinari.
46. — Élémens de p/ij^siologie de la nature, ou résultat des re-
cherches proposées par l'académie impériale des sciences de Péters-
bourg, sur le» propriétés des substances métalliformes des diffé-
rentes terres , et notamment sur le kali , le natron et V ammoniaque ;
par le docteur Louis Foawi. Turin , 1S21. Ghiringhello et Bonaudo ,
in-S" de 586 pages.
Cet ouvrage; très-savant place l'auteur au rang des chimistes les
plus distingués de l'Italie septentrionale.
4/. — Délia puhbliva am,ministrazione sanitaria\ in tempo di
peste, etc. — ï>c l'administration publique delà santé, pendant la
peste; par le sénateur D. Aznsi, etc. Cagliari , 1820. Imprimerie
royale , in-8°.
L'auteur démontre la nécessité de réunir dans un même ouvrage
tous les réglemens relatifs à la santé publique en Europe. Il indique
toutes les attributions particulières d'un magistrat de santé, les lois
qui regardent la police qu'il faut exercer en tems de peste, et les
précautions à prendre pour en prévenir et en aiTÛter la prop-"'a"ation.
Une partie de l'ouvrage est consacrée à l'examen des réglemens
généraux , concernant surtout l'administration de la santé dans les
106 LIVRES ETlUîs^GEKS.
ports où il existe des lazarets. On trouve dans ce traité des détails
d'une utilité générale.
48. — Joannis Cahmigivasi in Pisana Academia antecessoris
juris criminalis eltmenta. — Elémens du droit criminel , etc. Pise,
1819. 2 vol. in-S°.
L'auteur, en publiant les élémens du droit criminel, s'est étudié
à éviter les deux extrêmes où sont ordinairement tombés les écrivains
qui en ont traité jusqu'ici, c'est-à-dire l'excès de l'esprit philosophique
et la servilité de la routine du barreau. Il a tâché de réduire les théories
de la sûreté publique et privée en un système de principes scientifiques,
déduits, avec un ordre analytique, de la nature de l'homme et de la
société. On trouve, combinées dans son ouvrage, deux espèces de
recherches, celles qui appartiennent à la science de la législation, et
celles qui concernent la jurisprudence. II est divisé en quatre livres.
L'auteur développe , dans le premier , la théorie générale de l'impu-
tation du délit et de la sanction pénale ; dans le deuxième , il expose
ce qui regarde la foi ou la probabilité juridique ; dans le troisième ,
l'application de ces trois théories -à chaque classe de délits ; et dans
le quatrième , il donne la théorie des moyens non coactifs , par les-
quels on prévient les délits. L'auteur, tantôt tire profit des doctrines
des plus illustres écrivains dans ce genre , tantôt corrige ou rectifie
leurs opinions. Sous ce rapport, il expose et améliore ce qu'ont en-
seigné de mieux IMontesquieu , Beccaria , Filangieri , Blackston ,
Bexon , Romagnosi , Bentham , etc.
49- — Cliiave delV Apocalisse di S. Giouanni, etc. — Clef de
l'Apocalypse de saint Jean , vérifiée par son accord avec l'histoire
ecclésiastique , et par la facilité d'y découvrir le vrai sens des pro-
phéties; par F. RiCABDi, d'OncgIia. Gênes, 1S20, in-12.
M. Ricardi espère prouver que certains hérétiques se sont beau-
coup trompés dans l'interprétation de ce livre, qu'on a voulu regarder
comme prophétique, et qui , peut-être, n'est qu'un recueil de pièces
symboliques que jouaient dans leurs sociétés secrètes les anciens
chrétiens, à l'exemple des Hébreux eux-mêmes. Au reste, M. Ricardi
nous a convaincus que si Newton et les hérétiques ont mal réussi dans
ce genre d'interprétations , les catholiques et lui-même n'ont pas
obteivç un plus grand succès.
.5o. — Dell'illustraïione délie lingue anliche ,6 moderne etc. — Tra-
vaux sur les langues anciennes et modernes, et principalement sur la
LIVRES ETRANGERS. 1G7
langue italienne, faitspar les Italiens, pendant le dix-huitième siècle;
par César Lucchesini. Lucques, 1819, chez François Baroni.
Cet ouvrage est divisé en deux parties ; la première traite de la
langue italienne et des autres langues modernes de l'Europe ; la
seconde , des langues anciennes et de celles des langues modernes
qu'on appelle orientales. L'auteur a voulu montrer, et peut-être a
même exagéré les richesses des Italiens dans ce genre de travaux.
On rencontre souvent dans son catalogue des noms qu'il aurait été
mieux d'oublier. Il croit pouvoir conclure de son long discours histo-
rique : 1° que les Italiens ne doivent pas être regardés comme in-
férieurs aux étrangers , en ce qui concerne l'étude de leur propre
langue ; 2» que les Allemands, les Hollandais et les Anglais surpassent
les Italiens, en ce qui concerne les travaux sur la langue grecque; 5<* que
les Italiens se distinguent , à leur tour, par leurs traductions du grec ;
4° qu'ils sont supérieurs à toute autre nation dans l'étude de la langue
latine; 5" et qu'ils ont de quoi disputer aux autres la gloire de la
culture des langues orientales. On a fait un reproche à l'auteur de ce
qu'au milieu de toute l'érudition qu'il a déployée, il n'a parlé, ni de
la langue gothique parmi les anciennes, ni de la langue slave parmi
les modernes.
5i. — Vita di Melchiorre Cesarolli, etc. — Vie de Melchior Cesa-
rotti; par G. A. M. Milan, 1820, in-8°. Imprimerie de la Société
des classiques italiens.
Cette biographie précède les ouvrages choisis de Cesarotti , qu'on
publie à Milan dans la belle collection des classiques italiens. Le
mérite de cette production consiste dans la pureté et la simplicité
du style , dans la vérité et le piquant de la pensée, dans le choix de
l'érudition, et dans la justesse des ji^gemens par lesquels l'auteur
apprécie les ouvrages du célèbre Cesarotti, à qui l'Italie doit savoir
gré d'avoir porté dans sa littérature l'esprit de la philosophie.
Sa. — Istoria délia vercellese letteratura ed arti, etc. — Histoire de
la littérature et des arts, de Vercelli, etc., par de Gregory. Turin,
1820, chez Chirio et Mina.
La première partie de cet ouvrage est divisée en cinq grands ta-
bleaux. Le premier présente l'état de la littérature dans les siècles I^',
II* et III", jusqu'au règne de Constantin. Le second comprend les IV»
et V» siècles, jusqu'à la chute de l'empire d'Occident. Le troisième
expose l'état des trois siècles suivans (VI, VII et VIII); et Je qua-
168 LIVRES ETRANGERS.
trième s'étend jusqu'au Xll" siècle; enfin, le cinquième tableau
expose la renaissance des sciences et des arts au XIII* siècle. Peut-
être l'auteur donnera-t-il, dans un autre volume, l'histoire littéraire des
siècles suivans, jusqu'à nos jours. Nouslui recommandons plus d'exac-
titude et de correction. Mais quand les Italiens, déjà assez riches
en histoires littéraires , s'occuperont-ils de celle de leurs grands
citoyens , qui pourrait intéresser encore plus que celle de la plupart
de leurs littérateurs ?
53. — La Vila umana, etc. — La Vie humaine, poème de Samuel
JRogerSj traduit en italien , avec des annotations j par yitiorio Pa-
ciOTTi. Turin, 1820, in-8°, chez la veuve Pomha.
C'est le traducteur de Lalla Rookh qui a donné la nouvelle traduc-
tion que nous annonçons. Nous ne croyons pas qu'elle mérite les éloges
que lui a prodigués la Bibliothèque italienne (N" LIX, page 266J.
Il nous semble que, dans cette occasion , elle a été moins sévère qu'eu
plusieurs autres.
54. — Ildegonda Novella , etc. — Hildegonde, conte de l'avocat
Tommaso Gbossi. Milan, 1820, chez Vincenzio Ferratio.
Cette nouvelle, ou ce conte , diffère par son étendue de ceux con-
nus jusqu'ici. II contient 289 otlai-'e, et est divisé en quatre parties.
Les romantique» et les classiques, occupés souvent à disputer plutôt
sur les mots que sur les choses , ne sont plus d'accord sur la qualifi-
cation de cette production littéraire, qui parait aux uns ingénieuse, et
aux autres bizarre. Quels que soient l'étendue et le titre d'une compo-
sition , c'est l'intérêt du sujet , c'est l'art de le développer , c'est la
beauté du style qui décident de sa nature et de son mérite. On a dit
que les romantiejues ne connaissent point de mesure dans leur genre ;
mais manque-t-il d'exemples dans l'école classique auxquels ils puis-
sent appliquer le même reproche ? Que ces deux écoles s'entendent
un peu mieux , et lorsqu'elles se combattent, et lorsqu'elles négocient.
Peut-être n'est-ce plus que des mots qui maintiennent leurs divisions,
dont une analyse impartiale et comparative démontrerait l'illusion et
le ridicule.
55. — Enciclopedia metodicacritico-ragionala délie belle arli, etc.
—Encyclopédie méthodique, critique et raisonnée des beaux arts , par
l'abbé PietroZikm. Parme, i8j5, imprimerie ducale.
C'est en 1S19 qu'avait paru le premier volume de la seconde par-
tic de cette belle collection. Les volumes suivana ont été publiés «n
LIVRES ETRANGERS. 169
1819 et i8ao. L'auteur a profité de ses longs voyages dans l'Italie ,
l'Allemagne et la France, pour choisir les plus belles gravures classi-
ques , anciennes et modernes , dont il a donné un catalogue enrichi
de réflexions très-justes sur l'histoire et le mérite de cesmonuraens des
artistes les plus célèbres. En les décrivant , il a suivi Tordre adopté
'par M. Bresciani, de Parme; il les divise en neuf classes. La i" com-
prend les sujets de la Bible ; la 2^, les sujets sacrés et moraux ; la 3«,
les sujets historiques ; la i', les sujets mythologiques; la 5", les sujets
familiers; la 6^, les sujets appartenant à l'histoire naturelle; la 7*,
ceux de l'architecture ; la 8', ceux de la sculpture; et la g', les por-
traits. Chaque classe a son ordre particidier divisé par sections. Les
amateurs des beaux arts ont accueilli cet ouvrage avec beaucoup
d'intérêt , et ils désirent que l'auteur se hâte de l'achever avec le
même zèle et la même exactitude. S.
ESPAGNE.
56. — Apuntes sobre medidas , pesos , jy monedas. — Remarques
concernant les mesures, les poids et les monnaies ; par Don Gabriel
CiscAR , conseiller d'état et vice-amiral d'Espagne : 1 vol. in-S".
Madrid, 1821 , au bureau de la direction hydrographique,
M. Ciscar est l'un des hommes les plus savans de l'Europe, auteur
de différens ouvrages concernant diverses branches des sciences ma-
thématiques , particulièrement la nautique , l'optique et l'astronomie.
Il a été membre , dans le tems , d'une commission de l'institut de
France, créée pour régler les mesures, les poids et les monnaies de
France, Il parle, dans son ouvrage, de tout ce qui concerne le
système décimal , et de la facilité de son application à l'Espagne. En
adoptant quelques légers changemens dans la vara (terme central
delà mesure espagnole), en la diminuant d'une seule ligne, elle se
trouve comprise douze millions de fois dans le cadran du méridien
terrestre. La braza (qui est composée de deux varan) , la stade at-
tique, le mille romain, et presque toutes les mesures géographiques
et nautiques peuvent s'y rapporter d'une façon si simple, que la
mémoire peut facilement les retenir. L'auteur considère le pied
comme divisé en décime , centime, et millime , sans préjudice de la
division par moitié, tiers, quart, etc. Enfin, il instruit ses compa-
triotes des avantages du système français, adaptée l'Espagne, au
moyen des modifications convenables.
170 LIVRES ETRANGERS.
57. — Espiritu de las /ey es.— L'esprit des lois par Montesquieu,
traduit par Don Jean Lopez Pegnalveh. Quatre vol. in-S». Ma-
drid, 1821, chez Sojo.
Cet ouvrage se trouvait mis à l'Index par l'ancien tribunal de
l'inquisition, ce qui était facile à supposer. J'ajouterai que M. Pe-
gnalver connaît fort bien les langues française et espagnole, comme
il l'a fait voir dans sa traduction du Gonsaluede Cordoue de Florian ,
qui est écrite dans un langage pur, correct et harmonieux.
58. — El remédia de la melancolia. — Le remède de la mélancolie ;
par Don Augustin Peeez de Zaeagoza : trois volumes in-12. Ma-
drid, 1821, chez Sanz.
Cet ouvrage n'est autre chose qu'une collection de bons mots,
apophthegmes , anecdotes , contes , fables , etc. , destinée à faire rire
dans les réunions des habitans des villages et petits bourgs, pendant
les soirées de l'hiver. Il y avait déjà beaucoup de livres de ce genre
en Espagne : l'auteur n'a eu qu'à copier et compiler. Néanmoins, s'il
eût eu de la sagacité, c'était l'occasion d'amuser les mêmes personnes,
en leur racontant des anecdotes concernant la liberté , l'égalité et
les autres avantages d'un système constitutionnel ; ce qui ne serait
pas impossible , ni même tiès-difficile , en donnant aux contes une
certaine direction. Alors le remède contre la mélancolie le serait
aussi contre les maladies politiques de l'ignorance et de la pré-
vention , qui sont capables de faire beaucoup de mal à l'Es-
pagne.
59. — Cartas de Don Roque Leal, — Lettres de Don Roch Loyal.
Ouvrage semi-périodique. Madrid, 1821 , chez Hurtado.
L'objet de cet ouvrage pseudonyme est d'éclairer le public espa-
gnol sur la légitimité du pouvoir des Cortès , à l'égard des personnes
et des choses ecclésiastiques ; sur la justice de leurs arrêts, la néces-
sité de les rendre, et l'utilité qui en résultera, malgré tout ce qui
est débité à ce sujet , par quelques prêtres et moines ignorans , ou
prévenus en faveur des opinions ultramontaines, ou excités par l'in-
térêt , ou même par de plus mauvaises intentions.
J. A. Lloberte,
ROYAUME DES PAYS-BAS.
<50' (') — Esprit, origine et progrès des institutions judiciaires des
principaux pajs de l'Europe, par J. D. Mbïbh, chevalier de l'ordre
LIVRES FRANÇAIS. 171
royal du Lion Belgique, de l'institut royal des Pays-Bas, des aca-
démies royales des sciences de Bruxelles et de Gottingen, de celles
du Gard à Nîmes, de Leide, de Groningue et d'Utreclit. Tom. IV.
La Haye, de Timprimerie Belgique; et Paris, V« Lepetit. In-8° de
43o pages.
C'est la suite d'un savant et important ouvrage, dont le plan et
l'objet ont été déjà développés précédemment ( Voyez Tom. II ,
pag. 255 et4o4 ).
Si. — Mercure Be/^e, recueil consacré à la littérature, aux arts et aux
sciences. Bruxelles, in-8°. Delemer, rue des Sablons, n" 1042. — II
parait, chaque mois, un cahier de trois feuilles d'impression, formant
un volume de Goo pages, tous les six mois. La collection forme actuel-
lement 10 vol. Prix de l'abonnement, i5 fr. pour six mois, 3o fr.
pour l'année.
Nous croyons devoir accorder une mention particulière à ce recueil,
recommandable par une rédaction soignée et par la bonne foi litté-
raire qui préside à sa rédaction. Le Mercure Belge est écrit en fran-
çais , et en fort bon français. On y trouve l'analyse des ouvrages les
plus remarquables de notre littérature moderne ; et , il faut l'avouer,
ces analyses sont faites en général avec plus de soin , plus d'impar-
tialité , et souvent plus de talent que celles que nous lisons dans
plusieurs de nos journaux. Nous avons notamment remarqué un
article très-bien fait sur les poésies de M. de Lamartine, et un examen
judicieux , quoiqu'un peu sévère , de la brillante traduction de la
Jérusalem délivrée, de M. Baour-Lormian. Nous croyons rendre
service aux amis de la bonne littérature en leur faisant coûnaître ce
journal , dont les rédacteurs paraissent être des hommes de mérite
et des hommes de conscience. Nous devons ajouter que les articles
de plaisanterie nous ont paru inférieurs aux articles sérieux. Peut-
être , pour plaisanter avec grâce en français, est-il nécessaire d'ha-
biter la France.
LIVRES FRANÇAIS.
62. — Essaisur la nature et lespropriétés d'unjftuide impondérable,
ou nouvelle Théorie de l'unifers matériel, par P. E. Moein , ancien
élève de l'école polytechnique , ingénieur au corps royal des ponts
et chaussées.— Au Puy, chci Guillaume ; à Paris , chez Gœury, quai
des Augustins,
172 LIVRES FRANÇAIS.
Les phénomènes que présente notre monde planétaire sont le
résultat de la force attractive dont la matière est douée ; mais
quelle est la cause de cette puissance? quelle est celle de la chaleur
répandue dans l'univers , ou développée dans diverses circonstances î
l'attraction, la répulsion électrique sont-elles dues à l'existence de
deux fluides particuliers ? La réponse à ces questions et à plusieurs
autres , d'un haut intérêt , a été vainement recherchée par plusieurs
habiles physiciens; et il est bien difBcile , peut-être impossible,
d'assigner avec certitude la cause de ces phénomènes variés. Heu-
reusement, leur mode d'action , les lois qui les produisent , importent
seules à nos besoins , et la science est bien avancée sous ce rapport ;
le reste n'est plus qu'un objet de curiosité, qu'on cherchera peut-être
toujours à satisfaire sans y parvenir. Il ne nous est pas donné de
pénétrer ainsi dans les secrets profonds de la nature. M. Morin croit
pouvoir tout expliquer , en admettant l'existence d'un seul fluide
impondérable, dont l'action varie selon les circonstances. L'auteur
est instruit du sujet qu'il traite ; il a généralement des idées exactes
des choses, mais le lecteur ne jugera pas toujours ses conséquences
rigoureusement déduites, et je crains qu'il ne trouve pas les raisonne-
mens liés entre eux avec cette précision géométrique dont M. Mo-
rin connaît si bien la force et l'importance. Fbahcqecb.
65. — Histoire de la rose chez les peuples de Vantiquité et chez les
modernes; description des espèces cultivées; culture des rosiers;
propriété des roses, et leurs diverses préparations alimentaires , cos-
métiques, etc., par M. le marquis de Cheshel. Toulouse, 1821.
In-S» de 1 1 feuilles. Imprimerie de F. Vieusseux.
64. — Monographie des greffes , ou description technique des di-
verses sortes de grefl"es , employées pour les végétaux ; par M. A.
THoriN, professeur de culture au muséum d'histoire naturelle. Paris,
1821. Un vol. in-4° avec planches.
65. — Comjite rendu des irat'uux de lasociéié de médecine de Ljon,
depuis le mois de juillet 1818 jusqu'au mois de septembre 1S20;
par M. R. de la Pbade, D. M. M. , médecin du collège royal et de
l'hôtel-dieu de Lyon, etc. , secrétaire de la société de médecine.
Lyon , 1S21. V« Catty. Id-8° de 86 pages.
Cette brochure, écrite en très-bon style et dans un esprit vraiment
philosophique, sera lue avec intérêt par tous les hommes de l'art.
66, — Mémoire concernant les effets de la pression atmosphérique
/
LIVRES FRANÇAIS. 173
sur le corps humain , et l'application de la ventouse dans différens
ordres de maladies » lu à l'académie des sciences, par le docteur
GoNDBET. Paris, 1819, in-S". Biaise, quai des Augustins.
67. — Considérations sur V emploi du feu en viédecine , lues à l'aca-
démie des sciences, avec le rapport des commissaires, parle même.
Paris, 1820. Biaise, quai des Augustins.
M. Gondret a heureusement déterminé le mode d'action, la con-
venance et les effets de ces deux moyens d'agir sur l'état des organes
dans des maladies données. L'action du feu et celle de la pesanteur,
si puissantes dans toutes les opérations de la nature, ne devaient pas
tester inertes sur le corps de l'homme; et si quelque agent pouvait
être utile en médecine , par son énergie et par sa rapidité , c'était
sans contredit le fer rouge et la ventouse ! La ventouse n'est , comme
on sait, qu'un moyen d'opérer le vide , sur une surface plus ou
moins étendue de la peau. Le résultat de cette soustraction locale de
la pression de l'air est , sur le point d'application de la ventouse ,
la formation subite d'une fluxion de tous les liquides et de tous les
gaz circulant ou stagnant dans les tissus vasculaires. Cette fluxion est
d'autant plus rapide et énergique, que le vide est plus parfait sous la
cloche, et l'on conçoit qu'il importait souvent de graduer cette
fluxion. M. Gondret y a pourvu par un appareil composé d'une
cloche et d'une pompe pneumatique , de sorte que l'on peut sous-
traire et restituer l'air , suivant la convenance de l'opération. Si la
surface ventousée a été scarifiée , il y a écoulement des fluides qu'y
chasse de toutes parts la pression atmosphérique. Les courans qui
s'établissent alors partent de distances proportionnelles à la sensi-
bilité des organes et au degré du vide. Ces courans transportent les
matériaux de composition des organes. Les organes ne sont ma-
lades que par l'excès des fluxions dont ils sont le siège. La guérison ne
peut donc être que l'effet de la cessation de la fluxion. Or, une fluxion
dépend de la rupture d'un équilibre. C'est donc en rompant l'équi-
libre sur un autre point par une force supérieure, que l'on pourra
déplacer une fluxion actuellement. en exercice. Tel est le mode d'ac-
tion de la ventouse; tel est aussi celui du fer rouge; seulement,
la fluxion qu'il détermine dépend du degré de l'irritation locale
qui s'ensuit et de la durée de cette irritation. D'après cela, il est
facile de conclure la convenance de ces moyens dans tous les cas
17A LIVRES FRANÇAIS.
où il y a fluxion ; mais quelle maladie n'a pas pour cause une
fluxion?
Il reste à savoir dans quel cas on doit préférer le fer rouge à la
ventouse. Cette question est résolue par l'expérience. Dans les ma-
ladies aiguës , la ventouse a toujours réussi, ainsi que dans beaucoup
de maladies chroniques ; mais, dans la plupart de ces dernières, l'effet
de la ventouse ne serait pas assez durable. La persistance des effets
de l'application du fer rouge doit donc lui obtenir alors la préfé-
rence , c'est surtout aux maladies anciennes du cerveau que l'a
appliqué M. Gondret. Il a le plus souvent réussi , et il est certain
qu'alors tous les autres moyens eussent échoué. Nous n'hésitons pas
à dire que ces deux opuscules nous semblent plus importans que
certains gros volumes publiés sur la matière médicale.
A. Desmoulins.
68. — Elémens d'arithmétique , par M. Bocrdoit, ofiBcier de l'uni-
versité , docteur ès-sciences et professeur de mathématiques au
collège royal de Henri IV. Paris, 1821 ; 1 vok in-S" Madame veuve
Courcier, rue du Jardinet-Saint- André-des- Arcs, n» 12.
Les meilleures méthodes d'enseignement sont le fruit d'une
longue expérience fait« sur toutes les intelligences : l'ordre à suivre
dans l'exposition des doctrines , l'emploi des moyens propres à éveil-
ler la mémoire et à frapper l'esprit, le choix même des expressions
qui offrent plus de clarté dans les détails , sont autant de difBcultés
qui ne peuvent être surmontées que par un long exercice du profes-
sorat. M. Bourdon s'est trouvé dans toutes les circonstances favo-
rables aux épreuves que nous venons d'énumérer. Les chaires qu'il
a occupées dans les plus grands étahlissemens d'instruction publique,
l'ont mis à même de reconnaître les procédés les plus propres à fa-
ciliter l'étude des mathématiques.
Le traité d'arithmétique de M. Bourdon est un préliminaire à
l'excellent ouvrage d'algèbre du même auteur. Ayant observé que
souvent les élèves sont retardés dans leurs études, parce qu'ils ont
négligé celle du calcul numérique et qu'ils se sont contentés de se
livrer à la routine des opérations , sans en raisonner les principes ,
M. Bourdon a voulu éviter à la jeunesse studieuse une partie des
difficultés et des dégoûts attachés à ce genre d'étude. Sa réputation
dans l'enseignement public , les honorables succès qu'il y a obtenus,
sont garans du mérite de ce nouvel ouvrage.
LIVRES FRANÇAIS. 175
La première division suffit à peu près à l'instruction des jeunes
gens qui ne se livrent pas à l'étude spéciale des sciences : ceux qui
se destinent au commerce, à la jurisprudence, à la littérature,
pourront se contenter de cette partie de l'ouvrage. La seconde traite
de sujets plus relevés, et renferme des doctrines plus difficiles à con-
cevoir; elle est surtout destinée aus aspirans à l'école polytechnique.
Tout le monde n'approuvera peut-être pas que l'auteur y ait intro-
duit un peu de cette algèbre élémentaire qui doit bientôt devenir ua
objet d'études plus profondes. Cette innovation ôte à l'art de rai-
sonner une des plus heureuses occasions de s'appliquer, en subs-
tituant quelques opérations mécaniques à celles de l'entendement:
mais s'il est vrai que l'enseignement en retire des avantages marqués,
que l'étude soit plus facile et plus courte par cette voie , l'auteur doit
être excusé par ce louable motif. C'est donc à l'expérience à juger
cette innovation , à laquelle je ne crains pas de dire que mon senti-
ment est opposé.
Quoi qu'il en soit, ce traité d'arithmétique est une nouvelle preuve
du talent et du zèle dont M. Bourdon ne cesse de donner des
preuves dans l'accomplissement des fonctions pénibles qui lui sont
confiées dans l'enseignement public. Fhancoecb.
69. — Des fonds publics en France et des opérations de la Bourse
de Paris , ou Recueil contenant des détails sur les rentes, cinq pour
cent consolidés , les reconnaissances de liquidation , les actions de la
banque de France , les obligations et les rentes de la ville de Paris,
les actions de la compagnie des ponts, celles des diverses compa-
gnies d'assurances , etc. ; les règles pour calculer les fonds publics et
évaluer l'intérêt que rapporte chacun d'eux; la manière de spéculer,
soit à la hausse , soit à la baisse , soit sur les reports , etc. etc. ; par
Jacques Bresson. Paris, 1821. 5* édition, 1 vol. in- 12. Bachelier,
quai des Augustins, n" 55; Painparré , rue de Richelieu, n" 65.
Prix, 1 fr. 5o c, et 1 fr. jS c. franc de port.
Cet ouvrage est divisé en deux parties. La première , consacrée
aux effets publics, fait connaître leur nature, la quantité qui s'en
trouve en émission, s'ils sont transférables ou au porteur, les intérêts
ou les dividendes dont ils jouissent, les formalités à remplir pour
vendre ou acheter ces mêmes effets et en toucher les arrérages , des
détails importans sur l'emprunt d'Espagne qui vient d'être contracté
au nom d'une compagnie française. Dans la seconde partie, non
176 LIVRES FRANÇAIS.
moins intéressante que la première, M. Jacques Bresson a traité
toutes les opérations que les spéculateurs ont imaginées sur les effets
publics. Ce livre donne une idée exacte de notre dette publique ;
dire qu'il est arrivé à sa troisième édition en moins de quatre mois,
c'est annoncer un succès mérité , d'autant plus remarquable qu'il
est le début de l'auteur. D.
-o. — Notice sur V archipel de Jean Potocki , situé dans la partie
septentrionale de la mer Jaune , par Jules Klaphoth , avec une
carte géographique. Paris; Eberhart, 1S21. 8 pages in-4°.
L'archipel dont il s'agit, composé de 18 îles principales, au midi
de la côte méridionale de la province tartaro-chinoise de Liao-Toung,
est situé entre le Sg» et le 4o^ degré de latitude nord , et les 120^ et
121= de longitude, à l'est de Paris. Il manque dans les cartes de
Banville et dans celles de tous les géographes de l'Europe jusqu'ici
publiées. Le savant orientaliste, M. Klaproth, nous en donne ici la
carte , ainsi que de la mer et des régions environnantes , d'après les
originaux chinois et mandchous des cartes de l'empire chinois, levées
environ vers l'an lyiS par ordre de l'empereur Chin-tsou-jin-
houang-ti, appelé en Europe du nom de Khang-hy ^ qui n'est que
le oom de son règne. Le comte Jean Potocki est connu par de
nombreux et utiles ouvrages sur l'histoire et la chronologie des
peuples anciens et modernes , par la protection qu'il accorda aux
sciences et aux lettres, et parle voyage de la dernière ambassade
russe, inutilement destinée pour la Chine. M. Klaproth accompagna
dans ce voyage le comte Potocki, et c'est cet illustre philantrope
qui avait, le premier, conçu le plan du voyage qu'a fait M. Klaproth
au Caucase ; il avait même rédigé en partie les instructions qui
furent remises à M. Klaproth. C'est à ces titres que l'archipel , qu'on
fait ici connaître aux Européens, est nommé, dans cette notice et
dans la carte jointe, V archipel de Jean Potocki. Lanjuinais.
71. — Relation d' un séjour à Alger , traduit de l'anglais. Vsi-
ris, 1820. Le Normand, 1 vol. in-S° de 606 pages.
« Cette relation d'un séjour à Alger , dit le traducteur dans son
avertissement, a été donnée en italien par M. Pananti, littérateur
toscan. M. Blaquièbe , à qui l'on doit les Lettres écrites de la Médi-
terranée, l'a traduite en anglais; et c'est sur cette version que nous
l'avons traduite en français. » On pourrait s'étonner de la voie
oblique qu'a prise le voyage de M. Pananti pour arriver à la connais-
LÏVPtES FRANÇAIS. 177
sance du public français, si l'on ne savait que les livres italiens, et
plus encore les livres espagnols, arrivent très-lentement et en très-
petit nombre à Paris, et qu'aucun libraire de cette grande capitale
n'est à même de tenir les amateurs au courant des productions litté-
raires de ces deux peuples , tant les relations de la librairie sont
imparfaites chez eux.
M. Pananti est un auteur italien qui, revenant par mer de l'An»
gleterre en Italie, eut le malheur de tomber, avec ses compagnons
de voyage, entre les mains d'un corsaire algérien, et fut fait esclave,
mais pour vingt-quatre heures seulement : car il fut aussitôt réclamé
par le consul anglais , et mis en liberté. Il proGta de son séjour à
Alger pour décrire cette ville, ainsi que les mœurs et usages des
habitans , leur piraterie , leur gouvernement, etc. Je voudrais indi-
quer avec précision l'époque de ses aventures; mais il n'y a pas une
seule date dans sa relation. On devine seulement, par quelques
allusions aux événemens de l'Europe , que l'auteur a dû être pris par
les pirates , à l'époque de l'invasion de Bonaparte en Espagne. Il
faut convenir que cet oubli de la part d'un voyageur qui raconte ses
aventures est un peu bizarre. Mais, en revanche, l'auteur a fait de
grands frais d'esprit , et prouve , par ses nombreuses anecdotes et
citations, qu'il a beaucoup lu, et qu'il possède une mémoire excel-
lente. Ces citations ne sont pas toujours bien amenées ; cependant
elles égaient le récit, naturellement peu divertissant, d'un séjour au
milieu d'un état où l'oubli des droits de l'humanité est poussé jusqu'à
la férocité.
Quoique M. Pananti n'ait pas eu l'occasion de faire des observa-
tions bien neuves, celles qu'il a recueillies sont intéressantes. A la
fin de son ouvrage , il insiste fortement sur la nécessité de prendre
des mesures vigoureuses contre les barbaresques , qui, malgré le
bombardement d'Alger , tiennent toujours une conduite hostile à
l'égard des chrétiens , et de coloniser le nord de l'Afrique. Il croit
môme que les mam-es finiraient par devenir de bons sujets, si l'on
travaillait sérieusement à répandre la civilisation parmi eux. Quand
M. Pananti écrivit ces réflexions, l'Europe était en paix, et elle pou-
vait se livrer alors à des projets tendant à protéger sa marine contre
les insultes des barbaresques. Mais, dans les circonstances ac-
tuelles, il faut ajourner les expéditions lointaines ; car il y a asse?
d'occupation en Europe même. M. Pananti ou ses traducteurs appuient
Tome x. 12
178 LIVRES FRANÇAIS.
leurs conseils de raisons très-plausibles ; les chrétiens qui traversent
la Méditerranée, risquent à tout moment d'ôtre enlevés et de
tomber dans l'esclavage ; une flotte combinée et munie d'amples
instructions pourrrait mettre pour jamais Cn à la piraterie et au règne
de ces barbares ; le territoire qu'ils habitent est de la plus grande
fertilité, et l'agriculture pourrait y devenir très-florissante. Les Eu-
ropéens ont d'ailleurs long-tems possédé ces côtes, ainsi que l'attes-
tent les ruines qu'on y trouve éparses; et, de la côte barbaresque,
ils pourraient diriger leurs travaux de civilisation vers l'intérieur de
l'Afrique , qui est encore une terre inconnue pour nous, M. Pananti
nous fait voir cette perspective brillante ; mais ce n'est pas dans les
circonstances actuelles que les gouvernemens y feront beaucoup
d'attention.
Le traducteur anglais a ajouté à l'ouvrage de M. Pananti de bonnes
réflexions sur la position de l'Italie , où l'esclavage ne devrait pas
régner plus que chez les barbaresques ; à ce morceau qui ne tient
pas essentiellement au voyage de M. Pananti, le traducteur français
a substitué des observations sur les relations de la France avec Alger;
je ne trouve qu'une seule assertion à y relever, c'est que le traducteur
adopte le préjugé vulgaire en France, qui suppose que l'Angleterre
n'a aboli la traite des nègres que pour en profiter seule. Cette incul-
pation a déjà été réfutée dans la Rcfue Encjclopédique. Ce n'est pas
du gouvernement anglais qu'est émané la proposition d'abolir la traite;
l'honneur en est dû à de simples particuliers philantropes , et cette
proposition a été faite simultanément en Angleterre et en France ,
vers le commencement de la révolution française; si le gouvernement
y a ensuite accédé, c'est que l'opinion publique appuyait fortement
la demande impérieuse de l'humanité. 11 se peut, au reste, qu'il y ait
encore bien des abus dans l'esclavage chez les colons anglais , et la
continuation de l'esclavage cn est même un très-grand. Une note
du traducteur anglais me paraît déplacée ; il s'y élève avec aigreur
contre le gouvernement espagnol, pour avoir imposé un droit sur l'in-
troduction des cotons anglais en Espagne. Il appartient aux Anglais
moins qu'à d'autres peuples de se plaindre des tarifs de douanes ,
dont ils ont donné l'exemple, et qu'ils ont trouvés très-commodes,
tant que les autres peuples n'ont pas usé de représailles.
La traduction française est ornée d'une vue lithographièe d'Alger;
mais l'éditeur n'a pas fait copier, sans doute par économie, une carte
LIVRES FIIANÇAIS. I79
de la régence d'Alger, et un plan du port et de la ville, qui se
trouvent dans la traduction anglaise. Deppikg.
72. — Les Prophéties, nouvellement traduites sur l'hébreu, avec des
explications et des notes critiques. Jériîmie. Paris, 1821. 2 vol. in-S"
chez Eberhart et Méquignon jeune.
C'est la continuation du grand ouvrage de M. le président Agier
sur toutes les prophéties de l'Ancien et du Nouveau Testament. Elle
mérite les mêmes éloges que nous avons donnés aux travaux de ce
respectable magistrat , sur les psaumes , les prophéties d' Isaïe et les
prophéties éparses. L'auteur s'y montre partout chrétien éclairé, hér
braisant habile, critique profond, théologien courageux, traducteur
fidèle , «crivain distingué , excellent citoyen. L.
JJ. — Les vices communs à tous les concordats , entre les puissances
séculières et le Saint-Siège. Paris , 1S21. In-S" de 68 pages, chez les
marchands de nouveautés.
Cet ouvrage est tout en faveur de l'indépendance des nations chré-
tiennes contre les abus modernes des concordats ; il est attribué à
M. Tabbé Feuillant.
74- (') — Principes de la science morale et politique, ou Résumé des
leçons données au collège d'Edimbourg, par Adam Fekgusom, pro^
fesseur de philosophie morale, traduit par A. D, Paris, 1821. 2 vo-
lumes in-8° pai-aissant en quatre parties , d'à peu près 200 pages
chacune. Prix de la i'* partie, en papier Cn, 2 fr. 5o ; en vélin sa-
tiné, 5 fr.— Kleffer, rue d'Enfer-Saint-Michel, n" 2.
C'est ici un excellent ouvrage de métaphysique que les personnes
méditatives , et qui ont fait des études profondes, accueilleront avec
beaucoup d'estime et liront avec fruit.
. 75. (*) — Histoire de r administration des secours publics , par M. le
V)aron Ddpiw, conseiller-maître à la cour des comptes. Paris, 1821.
Eymcry, rue Mazarine , n° 3o. In-S" de 470 pages. Prix, 6 fr, , et
par la poste 7 fr. 5o cent.
On ne manque pas d'ouvrages didactiques sur l'administration
des secours publics, mais aucun ne présente l'analyse historique
de la législation dans cette partie ; c'est ce tableau que l'auteur a
tracé. La première partie traite des hôpitaux ; la seconfZef , des secours
institués cn faveur de l'enfance ; la troisième , des mesures prises pour
prévenir et réprimer la mendicité. Les secours à domicile et plusieurs
inslitutions philantropiques se rattachent à celte jiarlie. Le livre d«
12*
180 LIVRES FRANÇAIS.
M. Dupin sera surtout très-utile aux magistrats municipaux chargés
de la surveillance des hospices, auxadministrateurs, surveillans, et
employés des établissemens philantropiques.
j6. (*) — Histoire générale des institutions militaires de France ,
■pendant la révolution , ou leurs principes, leur esprit , leur influence
et leurs résultats. Tom. I et II. Paris , 1821. Baudouin frères , rue de
Vaugirard, n* 36. In-S». Prix , 10 fr.
C'est un ouvrage très-remarquable et qui obtient un grand succès ;
OQ l'attribue à l'un des officiers les plus distingués de l'armée.
77. — De y influence du christianisme sur la condition des femmes-,
par M. Geégoieb, ancien évêque de Blois. Paris, 1821. In-S» de
48 pages. Baudouin frères.
Cet opuscule, plein d'érudition, comme tous ceux qui sortent de
la plume du célèbre auteur, tend à la démonstration de la sainte
alliance du christianisme et delà liberté, dont les écrits de M. Gré-
goire ont souvent resserré les nœuds. Il offre d'ailleurs une lecture
curieuse et instructive. La question particulière qui en fait l'objet s'y
trouve traitée d'une manière approfondie et tout-à-fait concluante.
Après avoir passé en revue les difiPérens genres d'avilissement, de
tyrannie et d'oppression, qu'on a fait subir aux femmes chez presque
tous les peuples, l'auteur s'élève contre cet abus révoltant de la force,
qui fait sans cesse opprimer le faible. Il montre comment la civili-
sation, dont le christianisme seconda si puissamment les progrès,
rétablit une sorte d'équilibre entre les deux sexes, et comment la
religion chrétienne, en leur donnant les mêmes espérances , en leur
imposant la même obligation de se perfectionner, en leur promettant
enfin la même récompense pour prix de leurs efforts, fonda leur vé-
ritable égalité : si la route est différente, le but est le même pour
tous deux. Il peint ensuite le noble dévouement des femmes à leurs
devoirs, dans presque toutes les situations de la vie, comme
épouses, comme mères de famille ou comme vierges pieuses, dé-
vouées au service de l'humanité souffrante ; anges du ciel envoyés
près des malheureux pour adoucir leurs peines , pour ranimer leurs
espérances et pour écarter de leur lit de mort les terreurs qui les
assiègent. Si les exemples de piété , de constance et de fidélité à
leurs engagemens sont plus rares parmi les femmes du monde,
M. Grégoire pense qu'il faut attribuer cette absence de vertus au
vice général de ce qu'on appelle abusivement chez nous l'éducation.
LIVRES FRANÇAIS. 181
L'enfanca et la jeunesse des femmes, «lit-il encore, doivent èlia
dirigées de manière à correspondre au but du créateur et à leur des-
tination dans la société. Appelée aux mêmes destinées que l'homme,
cherchant comme lui à conquérir la couronne brillante de l'immor-
talité, la femme doit marcher près de lui comme son égale et sa
compagne, jamais comme son esclave. L. S.
78. — Vingl-sixiéme rapport des directeurs de la société mission-
naire de Londres^ à l'assemblée généraledu 11 mai 1820. Paris, 1821.
In-8° de 84 pages. Poulet, et au bureau des Archives du christia-
nisme.
On trouve dans ce rapport des détails curieux sur les succès de la
société anglaise des missions à Otahiti, Rimeo, Rajatea, Iluaheine,
à Malaca , à Batavia , à Canton , dans les Indes orientales , en Russie,
à Malte et à Zante , en Afrique et en Amérique.
79. — Société royale pour l' amélioration des prisons, séance
du mois de mars 1S21 , présidée par S. A. R. Monseigneur le duc
d'Angoulême. — Rapport sur les travaux du conseil général, pendant
l'année 1819, par M. le comte Dabu. Paris, de rimprimerie de
Denugon ; petit 10-4° de 60 pages.
Le but important que se propose la société philantropique à
laquelle M. Darua rendu compte de ses premiers travaux, fait désirer
vivement qu'elle veuille parcourir avec persévérance la carrière où
elle s'est engagée. Il ne suffit pas en effet de signaler les abus; il
faut les attaquer dans leurs derniers retranchemens , et arracher, par
une volonté forte et active, les réformes et les améliorations jugées
nécessaires. Un de nos collaborateurs s'est chargé, pour la Revue,
d'un travail d'ensemble sur l'état actuel et le régime des prisons, dans
lequel il fera une mention spéciale du rapport que nous annonçons.
80. {*)— Histoire générale de France, par MM. Vély, Villaret,
Garnieb et DuFAu; 55 vol. in-12. Paris, 1819. Desray, rue Haute-
feuille, n" 4-
81. (•) — Histoire générale de France, depuis le règne de Charles IX
jusqu'à la paix générale, en i8i5; par M. Dufau : ornée de plus de
23o portraits, i5 ou 16 vol. in-12. Paris, 1820. Desray, rue Haute-
feuille , n° 4' { Les 4 premiers volumes sont publiés).
82. {*) — Collection des mémoires relatifs à la révolution fran-
çaise, avec des notices 6ur leurs auteurs et des éclaircissemen» histo-
182 LIVRES FRANÇAIS.
riques , par MM. Bebvillk et Baehièbe. Deuxième livraison ( Mé-
moires du marquis de Fbbeièees), in-S" de 5o4 pag. Paris, i8ai.
Baudouia frères , rue de Vaugirard , n" 56. Il paraît , tous les deux
mois, une livraison de deux vol. Prix, ii fr. par livraison, pour les
souscripteurs, et 12 fr. pour les non souscripteurs.
Les éditeurs annoncent la prochaine publication d'une partie iné-
dite des Mémoires de Ferrières, qui s'étend depuis les premiers jours
de l'assemblée législative jusqu'au 21 janvier, communiquée par
madame de Messelière, fille de l'auteur. La troisième livraison, qui
est sous presse, comprendra 1° les Mémoires de Linguel sur la Bas-
tille et ceux de DussauLv sur le 1^ juillet (i vol.); 2» les Mé-
moires du marquis de Bouille ( 1 vol.).
83. — Essai historique sur la ville de Caen et son arrondissement ,
par Vabbé de la Rue , chanoine honoraire de l'église cathédrale de
Bayeux. a vol. in-S" , ensemble de 62 feuilles et demie. Imprimerie
de F. Poisson , à Caen. A Rouen , chez Renault.
84. (*) — Dictionnaire historique et critique de J^ierre Baylm. Nou-
velle édition, augmentée de notes extraites de Chaufepié, Joly,
La Monnoie , Leduchat, L.-J. Leclerc, Prosper Marchand, etc.,
en seize vol. in-S", publiée par M. Becchot. Les trois premiers vol.
(a-boe.) sont en vente.
L'édition entière sera satinée ^ et formera seize volumes in-S"., im-
primés avec le plus grand soin. Le prix de chaque volume broché sera,
pour les souscripteurs , de 9 fr. en papier fin , 1 4 fr. en papier co-
quille , et 18 fr. en papier vélin. Il faut ajouter 2 fr. par volume
pour les recevoir francs de port. Il parait un volume de mois en mois.
Paris, chez Th. £>esoer, rue Christine , n» 2; Liège, chez J.-F.
Desoer , et chez les principaux libraires des départemens et de
l'étranger. On ne paie rien d'avance. Nota. On s'engage à ne pas
faire plus de seize volumes, ou à délivrer gratis auj. Sousceiptklbs
les volumes qui excéderaient ce nombre.
Le plus illustre et le plus instructif des lexicographes n'a pas en-
core autant de lecteurs qu'il en mérite , et la cause en est dans le for-
mat incommode dans lequel ce livre a été imprimé jusqu'à présent.
On a pensé qu'une édition faite dans un format commode et agréable
le ferait lire par beaucoup de monde. On s'est donc décidé à réim-
primer dans le format in-8° le Dictionnaire historique et critique
LIVRES FRANÇAIS. 183
de Pierre Bayle; mais ce ne sera pas une simple rt-iniprcssion.
Le Dictionnaire historique et critique est l'ornio de deux parties.
« J'ai, dit Bayle, divisé ma composition en deux parties : l'une est
purement historique , un narré succinct des faits ; l'autre est un grand
commentaire, un mélange de preuves et de discussions , où j6 fais
entrer la censure de plusieurs fautes, et quelquefois même une tirade
de réflexions philosophiques ; en un mot, assez de variété pour pou-
voir croire que, par un endroit ou par un autre, chaque espèce de lec-
teurs trouvera ce qui l'accommode. » Cette division indique la ma-
nière dont Bayle doit être lu pour l'être avec fruit; il faut d'ahôrd lire
tout le texte d'un article , puis, après l'avoir achevé, passer aux remar-
ques qui le concernent.
On avait désiré ajouter un éloge académique de Bayle , mais on se
rappelle que, lorsqu'en ijja l'académie de Toulouse proposa pour
sujet du prix de i-jô l'éloge de Bayle, une lettre de cachet Gt dé-
fense de le traiter , et l'académie substitua au nom proscrit le nom
de saint Exupère. Dès les premières années du dix-huitième siècle ,
les Toulousains avaient rendu hommage à l'homme illustre né dans
leur province. Le parlement de Toulouse avait reconnu la validité du
testament de Bayle, malgré la loi qui frappait delà mort civile touslcs
léfugies. Senaux , l'un des membres de cette cour ^ si connue depuis
l'affaire des Calas 1 ; , disait qu'il était indigne de traiter d'étranger
celui que la France se glorifiait d'avoir produit; et à ceux qui ar-
guaient de la mort civile il répliquait : C'est pendant le cours même
de cette mort civile que son nom a obtenu le plus grand éclat dans
toute l'Europe. La principauté de Dombes n'avait pas encore été réu-
nie au gouvernement de Bourgogne , lorsqu'en 1/34 on fit une édition
du Dictionnaire de Bajle à Trévoux , le quartier général des jésuites.
L'édition actuelle sera donc la première qui aura été faite en France.
Le travail est dirigé par M. Beuchot , si connu par son habileté en
ce genre, aidé du concours de plusieurs hommes de lettres.
85. (') — Biographie nouvelle des contemporains, ou Dictionnaire
historique et raisonné de tous les hommes qui, depuis la révolution
française, ont acquis de la célébrité par leurs actions, leurs écrits ,
leurs erreurs ou leurs crimes, soit en France, soit dans les pays
étrangers; par MM. A. V. Absault, ancien membre de l'Institut;
A. Jav ; E. Joiv, de l'académie française; J. Norvihs, et autres
hommes de lettres, magistrat» et militaires; ornée de 24o portraits
J8A LIVRES FRANÇAIS.
au burin, d'après les plus célèbres artistes. Tonte II. Paris, 1821. A
la librairie bistorique, rue Saint-Honoré , n" i23.
Cet ouvrage est rédigé dans un très-bon esprit, et surtout avec im-
partialité et modération ; il est à regretter que la partie bibliographi-
que soit traitée avec trop de légèreté, et qu'on y puisse désirer
quelquefois plus d'exactitude.
86. — Documens hisUri(]ues sur les derniers éuénemens arrivés en
Sicile. Paris , 1821. Baudouin frères, rue de Vaugirard, n» 56.
L'auteur de cet opuscule semble s'être proposé de rectifier ce que
les journaux italiens et français ont publié de faux ou de peu exact
sur les dernières agitations de la Sicile ; mais, lors même que les faits
cités par lui seraient avérés, nous ne saurions approuver l'espèce
d'égoïsme national qui perce dans son ouvrage. Ce ne sont pas ces
restes d'une ancienne division utile à l'étranger seulement, c'est
au contraire un esprit de réunion, bien entendu, dont a besoin
l'Italie , et c'est par cette nouvelle tendance que se distinguent
aujourd'hui les vrais Italiens , quî savent apprécier les intérêts de
leur pays. On ne peut cependant refuser à cet ouvrage , intéressant
sous plusieurs rapports , le mérite de la franchise et de la modération.
Quoique l'auteur cherche à soutenir une espèce d'indépendance
éphémère de la monarchie sicilienne, il sent, il proclame la néces-
sité de la plus stricte alliance entre les royaumes de Naples et de
Sicile. Comme il semble animé du plus noble sentiment de patrio-
tisme , nous avons lieu d'espérer qu'il se convaincra que, si l'Italie
ne peut obtenir cette unité dont jouissent les nations de l'Europe ,
elle doit au moins aspirera cette organisation fédérative qui peut se
combiner avec les circonstances politiques où elle se trouve , ainsi
que l'a prouvé l'auteur de l'Italie au XIX" siècle. S.
87. — Bappel de quelques prédictions sur l'Italie, exti-aites du
congrès de Vienne, iSi5, par M. de Pkadt, ancien archevêque de
Malines. Paris, 1821, brochure in-8"> de i4 pages. Béchetaîné, quai
des Augustins , n" 5-.
88. — De Naples et de la déclaration de Laylach , par L. A. F.
Cauchois-Lemaibe. Paris , Antoine Bailleul , 1S21, in-8° de 20 pages.
Cette brochure, écrite d'un ton très-énergique, a été dénoncée à
la tribune de la chambre des députés.
89. — Des idées républicaines ^ par Caebion Kisas fils. Paris, 1821.
Bataille et Bousquet , au Palais-Royal , in-S" de 26 pages.
Biochuie piquanlc, et curieuse sous plusieurs rapports.
LIVRES FRANÇAIS. 185
90. — Procès des assassins du maréchal Brune devant la cour
d'assises de Riom, les 24 et 25 février 1S21 ; in-8° de Co pages.
Riom, 1821 , Salles.
91. — Procès intenté par le conseil municipal de Bordeaux à
Vauteur de la Tribune de la Gironde , relativement à la journée du
13 mars i8i4. Périgueux, 1821 ; in-S" d'environ 3oo pages.
Ces deux procès appartiennent à l'histoire, et font honneur au
talent et au courage de M, Dupin, qui a plaidé pour madame la ma-
réchale Brune , et de M. Merilhou qui a défendu l'auteur de la
Tribune de la Gironde. Chacun d'eux a été couronné d'un plein
succès; mais ce sont principalement les faits historiques long-tems
contestés, dénaturés par un parti, et ici expliqués et démontrés,
qui attachent du prix à ces deux brochures. L.
92. — Réflexions sur les majorats et sur les substitutions , par
M. Hedlakd db MoNTiGNY, jugc à la cour royale de Bourges. 1821.
1 vol. in-8° de i32 pages; Bourges, chez Debrie; Paris, chez Ron-
donneau et Delaunay.
L'auteur prouve que les majorats et les substitutions ont toujours
été considérés comme nuisibles à l'intérêt de l'état et à celui des
familles ; que Napoléon les a rétablis comme bases d'un gouverne-
ment militaire, et qu'enGn cette institution en Fzance est non seu-
lement dangereuse , mais inconstitutionnelle. C'est ce qu'a déjà dé-
montré plus brièvement M. le comte Lanjuinais , dans sa brochare
intitulée la Charte et les Majorats. Paris, 1S19 , chez Baudouin.
93. — Du Mégime municipal et de l'administration de départe-
ment; 2' édition. Paris, 1821; in-S" de 290 pages. Barrois l'aîné ,
rue de Seine, n" 10.
Le projet de loi , présenté par le gouvernement à la chambre des
députés, sur Y organisation municipale , a donné lieu à la réim-
pression de cet ouvrage, qui obtint un succès justement mérité,
lorsqu'il parut pour la première fois en 1818. L'auteur juge néces-
saire d'attribuer le droit de suffrage au plus grand nombre possible
de citoyens, pour la nomination des officiers municipaux; il propose
d'interdire les assemblées communales aux électeurs des députés; il
cherche à établir que la démocratie est l'un des élémens de tous les
gouvernemens qui ne se vantent pas d'être absolus, et que c'est par-
ticulièrement dans l'organisation municipale que cet clément doit
186 LIVRES FRANÇAIS.
exercer l'action fcconde et salutaire qui lui est propre. 11 expose cl
attaque les inconvéniens des d«ux noblesses; puis, examinant les ca-
ractères de la propriété foncière, il soutient que Vin dus trie est une
propriété aussi réelle que la tdrre et qui doit conférer les mèines
droits politiques. Il analyse les plans de MM. d'Argenson, Turgot,
Necker, Letrùne, Calonne, sur les administrations provinciales; et
il rappelle les inconvéniens des intendances, inconvéniens dont une
grande partie est applicable aux préfectures. Enfin , l'auteur si-
gnale tous les vices du régime municipal actuel, qui, selon lui,
seraient inévitablement aggravés et consolidés par l'adoption de la
loi que l'on propose.
94. — De l'organisation municipale en France, et du projet pré-
senté aux chambres en 1821 , par le gouvernement du Roi sous l'em-
pire de la Charte; par M. le comte Lanjuinais , pair de France , et
M. Kébatry , député du Finistère. Paris, 1821. In-S" de 100 pages.
Baudouin frères, rue de Vaugirard , n° 56.
Cette brochure, fruit des talens réunis de deux hommes hono-
rables , nous parait mériter un succès continu et indépendant des
circonstances. Sans doute la discussion du projet de loi concernant
l'organisation municipale, dont on s'occupe en ce moment, ne peut
que lui donner un intérêt de plus; mais on aimera toujours à con-
sulter un ouvrage écrit avec tant de supériorité sur une matière aussi
importante.
95. — Théorie nouvelle et raisonnèe du participe, par Michel,
employé à la préfecture de la Mcurthe. Nancy, imprimerie de C. J.
Hissette, 1821; in-12 de 126 pages. A Paris, chez Depellafol , rue
des Grands - Augustins , n° 21. Prix 2 fr. , et 2 fr. 25 c. par la
poste.
Ce nouveau traité de grammaire nous a paru rédigé avec méthode,
«"xactitude et précision. L'auteur a mis à contribution les grammai-
riens ses prédécesseurs. Son travail sera utile, principalement dans
les maisons d'éducation. 11 paraît, muni de l'approbation de la so-
ciété des sciences, lettres et arts de Nancy, à laquelle le manuscrit
a été soumis.
ifo.— ŒSuvres de Mibaheau. • — Histoire secrète de la cour de
Berlin. — Lettre à Frédéric- Guillaume II. Paris, 1821; Brissot-
Tliivars, rue Chabannais, n" 2. In^". Prix, 7 francs.
Nous avons déjà parlé de cet ouvrage , en annonçant le volume
LIVRES FRANÇAIS. 187
précédent (f^oy. T. IX, p. 171). Le volume actuel est sans conlrcdil
le plus curieux de ceux qui ont paru jusqu'à présent. La préface ,
fort bien écrite et fort bien rédigée par le libraire-éditeur lui-même,
M. Brissot-Thivars , est un morceau curieux d'iiisloire littéraire.
M. Brissot a rétabli dans leur entier les noms propres, sur les indi-
cations de M. Louis Dubois, qui a vu dans le tenis les épreuves de
l'édition originale, exécutée à Alençon d'après le manuscrit auto-
graphe. Ce manuscrit est aujourd'hui perdu ; mais la mémoire de
M. Dubois y a presque complètement suppléé. On trouve, en tète
du volume que nous annonçons, l'arrêt du parlement qui le con-
damne au feu , avec le réquisitoire de l'avocat-général Séguier. La
lettre à Frédéric-Guillaume II complète très- naturellement l'ou-
vrage. Les 5* et 6" volumes sont sous presse ; ils contiennent , entre
autres choses , divers écrits relatifs à l'agiotage et aux affaires des
Bataves. Ils formeront , avec les Lettres à Sophie qui ont déjà paru ,
la collection complète des œuu'res choisies de Mirabeau , en S vol.
in-8" , avec portrait. L'exécution typographique continue à mériter
les plus grands éloges.
97. — Les Romances du Cid , imitées de l'espagnol (par M. Creuzé
Delessert) ; nouvelle édition, (2") Paris, 1821; imprimerie de
P. Didot; chez Sunmonnet , quai des Augustins, n" 27. i vol. in-16
de XXXV et 220 pag. , pap. vélin. Prix, 3 francs.
Ces romances forment une espèce de poème historique , divisé en
six livres ; elles sont traduites de l'espagnol. C'est une collection de
rhapsodies ou chants populaires visigoths , fortement empreints de la
couleur de l'époque. L'auteur, qui a bien senti que là. était le
charme principal et le mérite essentiel de ces chants, s'est attaché
à leur conserver cette teinte parfois étrange. Il y a réussi, autant
que cela était possible , sans blesser notre langue ; il a saisi cette
ligne difficile avec une précision qui fait honneur à son habileté et à
son goût. La première édition est de i8i4, et forme un volume in-iS.
Celle-ci lui est de beaucoup supérieure pour l'élégance; c'est un vé-
table bijou de bibliothèque. On trouve à la fin du volume des
apologues orientaux.
98. — Traduction de l'TLssAi sur l'homme, de Pope, en vers fran-
çais, précédée d'un discours et suivie de notes, avec le texte anglais
en regard, par M. de Fontanes, de l'académie française. Paris,
1831 ; grand in-8° de i5 feuilles et demie. Le IVormant. Pris, 5 fr.
188 LIVRES FRANÇAIS.
Ce volume a été publié quelques jours avant la mort de l'auteur;
c'est une seconde édition. La première avait paru , il y a environ
vingt ans. On assure que des curieux se sont déjà amusés à comparer
les discours préliminaires des deux éditions , et qu'il en est résulte
des observations assez piquantes.
99. — Poésies de M. le comte .Anatole db MoNTESQcion. Paris,
1820; imprimerie de Firmin Didot. Chez Potey, rue du Bac, n" 4;
in-izde 110 pages, plus la table. — Deuxième recueil, 1821; in-ia de
1)3 pages, plus la table.
La facilité , la grâce , l'élégance , distinguent ces poésies. Il n'y a
point d'art; non qu'aucune des règles y soit jamais violée, mais
leur observation y produit si peu de contrainte, qu'on dirait qu'elle
est tout naturellement l'allure du poète. Ce sont des fables , des
contes et d'autres morceaux légers , dont la philosophie naïve et les
narrations tant soit peu négligées font dire, sprès leur lecture facile :
11 y a du La Fontaine là-dedans. M.
100. — U Ecole des Français ,coméàïe en cinq actes et en vers.
Paris, i82i,inS°; Lerichc, quai des Augustjns, n" 4i » et Corréard ,
Palais-Royal, galerie de bois, n« 258. Prix, 2 fr. , et 2 fr. 5o c. franc
de port. ' ^
« Je sens, dit l'auteur, que ma pièce laisse beaucoup à désirer.
Elle ne brille point par l'invention ; c'est plutôt une satire en dia-
logue qu'une véritable comédie. On y trouve peu d'action, peu d'in-
térêt, peu d'effet théâtral; en revanche, on y remarquera peut-être
des caractères assez bien soutenus, un dialogue où les interlocuteurs
se répondent , ce qui est assez rare aujourd'hui , et un style , sinon
élégant , du moins naturel et exempt de pointes. » Quand on se juge
soi-même aussi sévèrement , on a quelque droit à l'indulgence des
lecteurs.
101. — F'qyage autour de ma chambre, suivi du Lépreux de la
cité d'Aoste; nouvelle édition d'après celle de Saint-Pétersbourg
(1812), revue et augmentée. Paris, 1821. Delaunay, Palais-Royal,
galerie de bois, n° 245, in-18. Prix, 1 franc 5o c, et 2 fr. franc
de port.
Le Vojage autour de ma chambre peut être considéré comme
un des plus agréables badinagcs écrits dans notre langue ; le Lépreux
de la cité d'Aoste , dû au même auteur , renferme l'épanchement de
la plus vive sensibilité envers l'être du monde le plus à plaindre ,
LIVRES FRANÇAIS. 189
puisqu'il doit à la nature tousses malheurs. J'ai à me féliciter d'avoir
procuré, il y a quatre ans, la lecture de ces deux opuscules réunis.
Cette édition me fit faire la connaissance de M. le comte Joseph de
Maistre, frère de l'auteur des deux ouvrages. C'est lui qui a com-
posé la préface dont l'édition de Saint-Pétersbourg a été enrichie
et que j'ai fidèlement reproduite. Il a eu la complaisance de relire,
la plume à la main, l'édition du Fqyage, faite à Hambourg en 1796,
et d'y ajouter quelques notes pour l'édition qui était sous presse ,
au moment de son arrivée à Paris. Dans le cours de nos entre-
tiens, je lui ai parlé souvent de ses Considérations sur la France,
qui avaient fait une si vive impression en Europe , à l'époque de
leur publication, et qui ont eu tant d'éditions; je le priai de me
dire quelle était la meilleure de ces éditions. Il m'avoua qu'il donnait
la préférence à celle qui porte sur le fj-ontispice , seconde édition
revue par l'auteur , Londres , mars 1797, in-8". Cependant VAuer-
tissementdes éditeurs, ou p\uiôt de l'éditeur (Mallet du Pan), l'amusa
beaucoup dans le tems , à cause d'une assertion qui s'y trouve , et
qui lui fit dire que Mallet du Pan ne se doutait pas de la ques-
tion. Dans le cas d'une réimpression , M. de Maistre me conseilla
de supprimer cet Avertissement. Il fut encore plus mécontent de
l'édition publiée à Paris en i8i4, à cause des suppressions qui y
ont été faites et des additions qu'elle renferme. Comme je possé-
dais l'édition de mars 1797, M. de Maistre a eu la bonté de la re-
lire avec soin ; il en a corrigé les fautes et supprimé un court pas-
sage; il y a joint aussi quelques notes nouvelles. Puisque la mort
nous a enlevé ce publiciste célèbre, l'exemplaire dont je parle
doit être considéré comme le manuscrit autographe de l'auteur, et
il servira de copie pour l'édition que je me propose de publier des
Considérations sur la France, véritable chef-d'œuvre de M. le
comte de Maistre ; car je suis trop bon Français pour donner cette
qualification au Traité du Pape, lequel d'ailleurs renferme plusieurs
principes contraires à la saine théologie. J'ai cru devoir consigner
ici ces détails, qui m'ont un peu écarté du principal objet de cette
notice, c'est-à-dire de la nouvelle édition du f^oyage autour de
ma chambre et du Lépreux de la cité d'Aoste , dans laquelle j'ai
corrigé quelques fautes qui étaient restées dans l'édition de 1819.
BARBIEn.
102. — Thiil jourx d'ahsenree ^ ou l'Hospice du Monl-Cenis, par
li>0 LIVRES FRANÇAIS.
Sa^t-Thomas , avec quatre gravures d'après les dessins de Chasse-
lat. Paris, 1821 , 4 vol. in-12. Chez l'auteur, quai de la Mégisserie ,
n" 7S; Bossange , rue de Tournon. Prix, 10 fr, , et la francs par
la poste.
L'auteur de cet ouvrage, déjà connu avantageusement comme
traducteur de l'histoire de Russie par M. Karamsin, dont nous
avons rendu compte dans notre Rei>ue (T. II, pag. 542, et T. VI,
pag. 5i6), a choisi pour ses héros deux jeunes amans qui sont au
moment de s'unir. Une séparation de huit jours donne lieu à une
correspondance, dans laquelle leur ame se développe tout entière.
L'amant voyageur, pour tromper ses ennuis, trace une espèce de
journal , dans lequel il peint à son amie ce qu'il voit , et lui rend
compte de ses impressions , presque à chaque heure du jour. On
sent bien que , ponr un auteur qui a pris ii tâche d'être vrai et
naturel, huit jours ne sauraient fournir des événemens pour quatre
volumes ; aussi M. Saint-Thomas a-t-il semé son ouvrage d'épi-
sodes intéressans et de descriptions charmantes, qui prouvent qu'il
a vu et qu'il doit même avoir habité long-tems le lieu de la scène
où il transporte ses lecteurs. Aujourd'hui, que ce pays est devenu le
théAtre d'une grande commotion politique , ces tableaux ne peuvent
qu'avoir un attrait de plus. J'adresserai à l'auteur, sans craindre
d'être démenti par ceux qui liront son ouvrage, ces mots qu'Er-
nestine , l'héroïne du roman, écrit à son Auguste. «Votre heureuse
imagination se plie à tous les tons ; vous peignez, avec les couleurs
les plus vraies, les ridicules des hommes, les charmes de la nature
et les douces émotions de la sensibilité.» L'épisode d'Edmond,
surtout, est d'un intérêt, d'un charme inexprimable, qui rappelle la
manière de Sterne. Pauvre Edmond! — Pauvre Blanche !... Qui
pourrait lire l'histoire de vos amours, et ne pas vous donner des
l.irmes? Je recommanderai encore celui de dom Boisud, dans lequel
l'auteur a peint des couleurs les plus fortes l'animosité de deux
familles corses, et l'esprit héréditaire de haine et de vengeance
qui fait des descendans de chacune d'elles autant d'assassins armés
pour la perte de l'autre. Sans sortir de la nature , il a su faire , de
ret épisode, le tableau le plus terrible et le plus effrayant de la
passion qui exerce l'empire le plus tyrannique sur le cœur de
l'homme, de cette passion dont on a dit : La vengeance est un
mets des dieux. E. lIiiaEAi'.
LIVRES FRANÇAIS. i;)l
loi^. — hc Châtaan de Valmiic , ou Pauline et Théodore ; par
mademoiselle Vanhove, dédié à niademoisolle Dcinerson, artiste du
théâtre français. 2 vol. in-i 2 ; figures; Paris, 1821. Madame Locliard^
rue Hautefeuille , n" 3. Prix , 5 fr.
Le caractère du héros de ce roman est celui du Jaloux sans
amour. Voici comment le peint l'auteur : « Celte agitation déli-
cieuse où se trouvait son ame , ces plaisirs qui doublaient de pris
alors qu'ils étaient loin de lui , ce bonheur idéal ; tout cela n'était-
il pas, en eflet, le véritable état où son cœur avait besoin de se
trouver pour être heureux?» Qu'on ne s'y trompe point, ce per-
sonnage n'est peut-être pas aussi fantastique, aussi romanesque,
qu'on serait d'abord tenté de le croire , et la société pourrait nous
en offrir plus d'un modèle. Mais, ce qui n'est guère vraisemblable,
ou du moins guère excusable , c'est la facilité , la promptitude avec
laquelle l'héroïne, d'accord en apparence avec les vœux secrets de
Théodore, après avoir fait preuve du plus sincère amour pour celui-
ci, passe à un amour plus grand encore pour l'ami qu'il lui présente;
et , si nous ne pouvons raisonnablement nous affliger beaucoup pour
celui qui, après avoir souhaité l'infidélité de sa maîtresse, pousse le dé-
sespoir où le jette cette même infidélité jusqu'à se détruire lui-même,
nous ne pouvons non plus prendre un intérêt bien vif à celle qui l'y
a pour ainsi dire porté par sa légèreté. On voit que l'auteur a visé à
l'effet plutôt qu'au naturel; mais la transition est trop subite, elle
n'est pas assez ménagée, et les oppositions ne sont pas nuancées avec
assez d'art. Toutefois , nous croyons que l'on peut tirer une bonne
leçon de morale du fond même de l'ouvrage , et la peinture du ca-
ractère de Théodore est faite pour inspirer une terreur salutaire à
ceux qui se sentiraient des dispositions à ce vague d'idées et de senti-
niens, fruit d'ime éducation mal dirigée. E. Héheac.
104. — J^eiUées d'une solitaire de la Chuussca-d' Antln^ par ma-
dame M.... d'Avot, auteur des Lettres sur V Angleterre .,0x1 Mon sé-
jour à Londres en 1817 et en iSi8. Paris, i82i,Guien, libraire-éditeur,
et chez, Eymery, rue Mazarine, n» "ho. 2 vol. in-12.
Ces deux volumes renferment huit contes ou fragmens, écrits avec
lacilité; on y distingue une imagination brillante, mais souvent
égarée. 11 est difficile d'(,'xpliquer quel est le but de l'auteur : s'il n'a
voulu que plaire et attacher , il a réussi. Cependant on n'est point
jiarfaitement content de ce recueil, après l'avoir achevé : on sent
192 LIVRES FRANÇAIS.
qu'il y manque beaucoup de choses. L'auteur semble se plaire à pro-
mener ses lecteurs au milieu des fugitives créations de son esprit,
qui naissent et disparaissent à ses yeux, sans laisser aucune trace
dans son souvenir. Le manque d'ordre et de liaison dans les idées se
retrouve partout. Dans le premier conte , la Vanité corrigée^ je ne
vois rien qui justifie ce titre. Il est clair que l'auteur ne s'est sou-
venu du but moral qu'au commencement et à la fin de l'histoire , et
qu'elle s'est livrée au genre romanesque qui lui plaît davantage, et
avec raison ; car elle y réussit beaucoup mieux. L'allégorie intitulée
L^ homme et ses passions , a plus de suite; elle est ingénieuse. On re-
grette cependant beaucoup de ne pas entrevoir la patrie brillante des
âmes immortelles après l'île désolée de la ]Mort. Maria ou la Rose
blanche est un joli conte de fées. Le petit Paul a de la grâce et du
sentiment; mais il serait dommage que madame d'Avot se bornât à
écrire de simples contes détachés. Elle paraît avoir l'esprit d'obser-
vation; elle peint avec fraîcheur et vérité des scènes de la nature; elle a
beaucoup d'imagination, elle aime les effets tragiques; c'est plus qu'il
n'en faut pour composer des romans. Si elle se voue à ce genre de
littérature , nous lui prédisons de véritables succès.
La publication de ces Veillées d'une solitaire précède de quelques
jours la deuxième édition des Lettres sur V Angleterre , dont nous
avons rendu compte {Voy. Revue Encyclopédique, Tome III, \ Cette
seconde édition sera mise en vente dans les premiers jours de mai,
chez Guien et compagnie, boulevard Montmartre, n" 20. L'auteur
l'a enrichie d'un aperçu très-intéressant , sur l'Ecosse et sur la ma-
rine anglaise en général. L. S. .
io5. — Annuaire de l'imprimerie et de la librairie françaises. In-i 2
de 216 pages. Paris, 1821. Baudouin frères, rue de Vaugirard ,
n° 56. Prix , 5 fr.
Ce petit volume, rédigé avec beaucoup de soin , est indispensable
aux libraires et aux imprimeurs , dont il est destiné à devenir le
vade mecum.
106. — Description de la chasuble de saint Regnobert , suivie de
l'explication d'un monument arabe du moyen âge existant à Baveux ;
dissertation lue à l'académie royale de Caen , dans sa séance publique
du i4 avril i820,parJ. Spencer Smythe, membre delà société royale,
de celle des antiquaires , et de celle pour l'encouragement des arts,
manufactures et commerce de Londres, docteur en droit civil de
LIVRES FRANÇAIS. 195
l'université d'Oxford , associé-correspondant de l'académie royale
des sciences, arts et belles-lettres de la ville de Caen, etc. A Paris,
chez Rey et Gravier, quai des Augustins , n» 55 ; et Lance , rue Croix-
des-Petits-Champs, n° 5o. A Caen, chez A. le Roy, imprimeur du
Roi, rue Notre-Dame ; Mancel , rue Saint-Jean, n" 87 ; et chez l'édi-
teur, rue Saint-Martin , n" 72 , au fond de la cour.
107. — Description historique de V église métropolitaine de Rouen ,
par M. Gilbert, avec le plan et la vue du grand portail de cette
basilique. Rouen , 1816. Frère, libraire ; in-S" de 86 pages.
L'auteur, qui a décrit plusieurs cathédrales de France, a rassemblé
dans la description présente les particularités de l'intérieur et de
l'extérieur de la cathédrale de Rouen, ainsi que des tombeaux qu'on
y trouve.
108. — J^oj'age pittoresque autour du inonde, offrant des portraits
de sauvages d'Amérique, d'Asie, d'Afrique et des îles du grand
Océan; leurs armes, habillemens, etc.; des paysages et des vues
maritimes; plusieurs objets d'histoire naturelle, tels que mammifères
et oiseaux, accompagnés de descriptions par M. le baron Covier;
et des crâties humains, accompagnés d'observations par M. le doc-
teur Gall; le tout dessiné par M. L. Choris, peintre, dans le voyage
qu'il a fait, de i8i5 à i8i8, sur le brick le Rurich, commandé
par M. Kotzebuë, et armé aux frais de ^I. le comte de Romanzoff,
chancelier de Russie. — L'ouvrage sera composé de douze à quinze
livraisons , contenant chacune cinq planches petit in-folio et plusieurs
feuilles de texte. Prix de la livraison, en noir, 7 fr. 5o c. ; les objets
d'histoire naturelle coloriés, g fr. ; toutes les planches coloriées, i5 fr.
On souscrit à Paris, chez M. Choris, rue de Seine, n» lo, et chez
Firmin Didot , rue Jacob.
Le titre que je viens de rapporter, faisant suffisamment connaître
l'origine et le but de l'ouvrage, il ne me reste plus qu'à rendre
compte delà manière dont l'ouvrage même est exécuté, et de l'intérêt
qu'il mérite.
Il a déjà paru six livraisons ; dès la première , l'auteur écartant les
pays intermédiaires, parce qu'ils sont complètement connus, trans-
porte son lecteur au nord de la Californie, et le fait aborder au port
de San-Francisco (latitude nord 57», 48' ) ; après y être resté un
mois , il le conduit aux îles Sandwich , célèbres à jamais par la mort
de Cook. Ces six livraisons sont entièrement consacrée» à ces deux
lOME X. l'>
19A LIVRES FRANÇAIS.
pays, dont M. Choris a pris plusieurs vues. Les Indiens que les mis
sionnaires, dépendant du presidio de San-Francisco, cherchent à
civiliser, répondent assez mal aux leçons de leurs instituteurs. 11 est
vrai que les moyens employés par ces bons pères sont quelquefois
bien singuliers. Par exemple, c'est parle bruit qu'ils ébranlent leur -
imagination; aussi la messe, à laquelle assistent tous les Indiens
qu'ils ont pu réunir et retenir, se dit-elle au son des tambours, des
trompettes, des tambours de basque, etc. « Sitôt, dit M. Choris,
que les tambours commencent à battre, ils tombent à terre comme
s'ils étaient à demi-morts ; tous restent étendus jusqu'à la fin de
l'office, sans faire le moindre mouvement; et il faut même alors
leur répéter plusieurs fois que la messe est dite pour qu'ils se re-
lèvent. Le missionnaire qui a dit la messe leur prononce un sermon
en latin , après quoi ils se réunissent devant la maison du mission-
naire et se mettent à danser. » Le paragraphe suivant complétera le
tableau moral de ceux de ces sauvages qui vivent dans un état com-
plet d'indépendance.— « Que le ciel préserve un navire de faire nau-
frage sur cette cùte ! On dit que , chez plusieurs des tribus qui
l'habitent , règne encore la coutume barbare de dévorer leurs pri-
sonniers. Quand on construit une maison , quand on termine une
affaire importante , on met plusieurs esclaves à mort, de même que
lorsqu'une guerre est terminée. A la mort d'un homme , on enterre
avec lui sa femme et les esclaves qu'il aimait le mieux. »
Les habitans des îles Sandwich, lieu de relâche pour les vaisseaux
qui vont, de la cùte nord-ouest de l'Amérique à la Chine , sont beau-
coup moins barbares, et cependant leurs mœurs offrent encore des
usages qui attestent combien ils sont peu avancés dans la civilisa-
tion. Ainsi, chaque homme a trois maisons ou cabanes ; il dort dans
l'une , mange dans la seconde , et fait du feu dans la troisième. Les
femmes en ont un nombre égal. Ceci n'est que singulier; mais voici
un usage cruel autant que singulier : Il est défendu aux femmes,
sous peine de la vie, de manger du cochon, des bananes et des
cocos ; de faire usage du feu allumé par des hommes ; d'entrer dans
l'endroit où ils mangent. Quand une femme enfreint une de ces dé-
fenses , on la tue sans pitié. M. Choris rapporte un événement de
cette nature arrivé pendant son séjour. « Les gens du commun (c'est
M. Choris qui parle) et les femmes sont exclus des mystères de la
religion. Les prières se font dans une langue qui n'est comprise de
LIVRES FRANÇAIS. 195
personne , et pourtant tous les nobles les savent par cœur. » Ce
passage pourra bien faire naître dans l'esprit du lecteur plusieurs
rapprochemens que je m'interdis.
Les Indiens qui habitent les environs de la baie de San-Francisco
et les insulaires des îles Sandwich sont très-jaloux de leurs compa-
triotes; mais ils font honneur, aux blancs, de leurs femmes, de leurs
sœurs et de leurs enfans. Au reste, quand un bâtiment arrive aux îles
Sandwich , il est entouré , au coucher du soleil , de centaines de pi-
rogues , dans lesquelles sont de jeunes Clles des classes communes
qui témoignent les intentions les plus bienveillantes ; mais les filles
des nobles ne cèdent qu'à des sollicitations réitérées.
Les planches lithographiées et coloriées jointes à cet ouvrage ne
sont pas au-dessous de l'intérêt qu'offi-e le texte. Les descriptions les
mieux faites ne donneront jamais une idée aussi positive ni aussi
complète de l'objet décrit, que ne le fait un dessin, même médiocre ;
et la gravure elle-même est impuissante à rendre les objets maté-
riels dans toute leur vérité , parce qu'elle ne peut reproduire que
la forme , el qu'elle est obligée de renoncer à rendre la couleur.
M. Choris a donc fait un ouvrage très-intéressant , puisqu'au moyen
de ses planches coloriées, il donne une idée précise de la variété de
couleurs des sauvages qu'il a visités , de la bizarrerie de leurs ta-
touages et enluminages , de la nature de leurs ustensiles et de leurs
armures , etc. A la vérité , ces dessins ne sont pas remarquables
sous le rapport de l'art; mais un homme d'un grand talent vou-
drait-il quitter ses études et ses travaux pour aller faire les por-
traits des sauvages du nord de l'Amérique et des îles Sandwich ?
D'ailleurs, il n'est pas nécessaire que de semblables travaux soient
exécutés par un homme d'un grand talent : ici, la finesse et l'extrême
pureté des contours ne sont pas indispensables ; je dirai plus , il
règne dans les dessins de M. Choris une naïveté qui me prouve qu'il
a cherché à être fidèle ; et peut-être un artiste plus habile aurait-il
oublié la fidélité pour se livrera ses inspirations; ou bien il aurait
reproduit la nature qu'il avait sous les yeux, bien plus dans ce qu'elle
lui aurait oflèrt d'extraordinaii-e , que dans ce qui en constitue , pour
ainsi dire, l'état habituel. L'ouvrage de M. Choris sera donc recher-
ché par tous ceux qui aiment l'exactitude et la vérité, avec d'au-
tant plus de raison que les ouvrages de cette nature sont rares; quand
il sera terminé, je rendrai compte avec soin des livraisons qui auront
-'jjvictlle que j'annonce, P- A.
I
196 LIVRES FRANÇAIS.
\o<j{*).— Description de 'l' Egypte , deuxième édition, dédiée au
Roi. Panckouàe, libraire, rue des Poitevins, n" i4. {l'^oyez ci-dessus.
Tome IX,pag. 363.)
QuATRiiMB LïvaAisoj». — Antiquités. Vol. I,pl. 71. Cette planche
représente : 1° un petit temple bien conservé, qui est situé dans la
plaine voisine des ruines d'Elethya, et tout-à-fait semblable au
temple du sud à Eléphantine ; 2" le plan de la principale des grottes
d'Elethya, et les détails des bas-reliefs qui sont sculptés et peints
dans ces grottes. — £tat moderne. \o\. II , pi. 4o. Deux dessins re-
présentant la plus grande place du Caire , appelée EI-Ezbekiéh , et
le palais d'Elfy-Bey. — Histoire naturelle. — Mammifères. — PI. 6,
représentant l'ichneumon , appelé aussi le rat de Pharaon. — Bo-
tanique.—T>é^ve\opl)eInent de la feuille et du fruit du palmier doûm
{cucifera thebaïca).
CiKQDiÈME LiTRA»soN. — Antiquités.\o\. I, pi. 4o. Ruines d'Ombos.
— Vol. I,pl. 75. Douze chapiteaux différens du grand temple d'Esné
(l'ancienne Latopolis), l'un des plus anciens de la Thébaïde. —
JËtat moderne. Vol. II, pi. 65. Bassin du port-neuf d'Alexandrie , vue
prise de la place des tombeaux. — £tat moderne. Vol. II, pi. B. B.
Divers instrumens de musique. — Histoire naturelle. — Botanique.
PL 20, représentant l'arbre appelé Cordia et la plante nommée
ArgeL
Sixième livraison. — Antiquités. Vol. I, pi. 17. Vue de la cour du
grand temple d'Isis et d'une partie de ce temple. — Vol. I, pi. 4. Bas-
reliefs. — Etat moderne. \ol. I,pl. 102. Parallèle entre les construc-
tions de Malte et celles des quatre principales villes d'Egypte. —
Histoire naturelle. — Botanique. Vol. I, pi. 19. Fleurs et fruits du
cordier {cordia mj'xa ).
Septième tivsAiso:^. — Antiquités. Vol. II , pi. 2. Deux des plu»
anciens et des plus grands monumens de l'ancienne capitale de
l'Egypte. — Etat moderne. PI. 5. Vues d'un village égyptien, dans la
pleine, et du port de Minych, dans la Haute-Egypte. Vol. II, pi. A.
Portraits, d'après nature , d'un &ïys ou palefrenier, et d'une jeune
femme qui revient du Nil, chargée d'une cruche pesante. — Histoire
naturelle. — Zoologie. — Oiseaux. Pi. 11, aigle d'Egypte, individu
femelle. — Botanique. Pl. 1. Vue et détails du palmier doûm (cuci-
fsra thebàica).
LIVRES FRANÇAIS. 197
Ouvrages périodiques.
1 10. — Journal général de législation et de jurisprudence ; par
MM. Babthb, Behville jDupiN jeune, Mehillhou, avocats à la coût
royale , et autres jurisconsultes et publicistes , etc. Un cahier de huit
feuilles d'impression in-S» paraît tous les mois. On s'abonne à Paris,
rue Guénégaud, n" 23. Pr;x, 32 fr. pour Paris, et 56 fr. pour les
départemens; pour 6 mois, 17 et i() fr.
Ce journal, rédigé sur un nouveau plan, se divise en trois parties.
La première embrasse la théorie du droit, la discussion des lois civiles
et criminelles, et la comparaison des différentes législations anciennes
et modernes, nationale et étrangère. La deuxième comprend l'ana-
lyse des ouvrages qui ont trait à l'étude du droit, delà législation et
de la jurisprudence. La troisième , sous le titre de Mélanges, offre
divers articles qui, rentrant dans le plan de l'ouvrage, ne se rattachent
pas aux deux premières divisions.
On trouve, dans la septième livraison, deux articles très-re-
marquables. L'un est intitulé : Obserualions sur l'ordonnance du
^octobre 1820, qui règle le roulement (des juges ) dans les cours et
tribunaux. Ce roulement de chambre à chambre, si important pour
assurer l'entière indépendance des juges dans leurs décisions , était
réglé par l'ordre numérique des juges, dans une liste générale. Selon
cet ordre pratiqué depuis i8io, l'arbitraire ne pouvait influer sur
la formation des chambres; et lorsque, dans un cas donné, cette
équitable et naturelle formation de la chambre offrait des inconvé-
niens, il y était remédié sur demande spéciale de la partie i'ntéressée
par la cour assemblée, le procureur général entendu. L'ordonnance
du 4 octobçe 1820 a détruit le principe du roulement numérique,
et a confié le roulement au seul choix arbitraire des présidens et des
doyens. Cette nouveauté dangereuse est combattue avec beaucoup
de force dans le numéro que nous annnonçons ; ce morceau nous a
paru mériter à un haut degré l'attention des magistrats éclairés.
Nous remarquons aussi, comme un article important, luie disser-
tation savante , courte et judicieuse sur l'emprisonnement du mi-
neur , par forme de correction , à la réquisition de la mère survi-
vante. En général, ce journal est rédigé avec beaucoup de savoir et
détalent, et dans les intentions les plus dignes d'encouragement,
L.
198 LIVRES FRANÇAIS.
1 11. — 'Thèmis , ou Bihliollièque du jurisconsulte ; par une réunion
de magistrats , de professeurs et d'avocats. Il paraît , pendant l'année,
dix livraisons , chacune de six feuilles au moins , qui forment en-
semble a vol. in-S". On souscrit, à Paris, chez A. A. Benouard,
libraire , rue Saint- André-des-Arcs , n° 55. Prix , pour les 2 vol. , 24 fr.
et franc de port ; pour les départemens , 27 fr. 60 cent.
La Reuue Encyclopédique , destinée, dès sa fondation, à suivre
et à marquer les progrès de l'universalité des connaissances hu-
maines, ne peut manquer d'applaudir au succès des journaux spé-
ciaux qui, particulièrement consacrés à une seule science, déve-
loppent avec plus de détails chacune des parties que la Reloue a pour
objet de réunir toutes, en saisissant seulement les poinîs'de vue les
plus généraux, et en les montrant dans leur ensemble. La Thèmis,
ou Bibliothèque du jurisconsulte , rédigée avec soin , et par des
hommes très-distingués , offre un état exact des travaux de la juris-
prudence dans les principaux pajs de l'Europe , et principalement
en France. Le second volume que nous avons sous les yeux contient
un grand nombre d'articles remarquables.
La Thémis est divisée en cinq parties : la première traite de la
législation et de l'histoire du droit. Les principaux articles de cette
partie, contenus dans le second volume , sont de MM. Romanazzi,
DuCacrhoy, Dvpjw aîné , Dvvw jeune , Ch. Renodard et Cohmeniw-
Nous avons aussi remarqué plusieurs articles de droit criminel, ré-
digés avec beaucoup de sagesse par un magistrat qui a gardé l'a-
nonyme. La seconde partie est consacrée à la jurisprudence des
arrêts. Elle offre, dans plusieurs tableaux bien faits, l'état de la juris-
prudence des cours sur quelques matières importantes. Mais ce qui ,
dans cette partie, méiùte surtout l'intérêt, et que l'on ne trouverait
nulle part ailleurs , est ce qui concerne la jurisprudence administra-
tive. Le droit administratif, qui se confond en une multitude d'oc-
casions avec le droit public , et qui , en même tems, touche de si
près aux fortunes privées, a été toujours négligé en France. On
dirait que la jalousie du pouvoir s'est efforcée d'épaissir des ténèbres
qu'il serait indispensable de dissiper. MM. Macaeel etCoEMEsii»,
dans une suite d'excellens articles , auxquels on ne trouverait rien
d'analogue dans aucun autre recueil , s'appliquent à défricher ce
champ , à peine encore cultivé , et à initier le public dans les mys-
tères administratifs. Dans leur troisième partie , les rédacteurs de
LIVRES FRANÇAIS. 199
la Tliéinis examiiienl les doctrines des jurisconsultes, et passent en
revue , quelquefois avec beaucoup de sévérité , les ouvrages nouveaux
ou les réimpressions d'anciens ouvrages. MM. Dupm aine , Isamdkrt,
BtOKDEAD, MiLLELOT, sont les principaux auteurs de celte partie dans
le second volume. Nous y avons encore particulièrenxent remarqué
deux articles , l'un de M. Demante sur un traité des substitutions par
M. Rolland de Villargues, l'autre de M. Jocrdan, contenant un
examen critique du Traité des sers^-itudes par M. Pardessus. La
quatrième partie sur l'enseignement du droit offre un grand intérêt ;
les doctrines des professeurs y sont exposées , et les livres élémen-
taires appréciés. Celle partie n'est pas consacrée aux seuls étudians ;
elle peut servir de guide, même à beaucoup de professeurs. Nous
pensons qu'on lira avec fruit les articles de M, JouROArf sur Vhistoire
de la science du droit en France , de M. Ch. Renouard sur la loi na-
turelle par Volney, de M. Du Caurroy sur les thèses de doctorat et
sur un chapitre de Gibbon.
La dernière partie j ou appendice , donne les nouvelles qui inté-
ressent la science , des notices nécrologiques , des arrêts célèbres ;
enfin , une bibliographie exacte et complète de toutes les publications
relatives à la législation et à la jurisprudence.
Ou voit, par cette analyse, quelle doit être l'utilité de ce recueil,
qui mérite de devenir le centre des travaux des jurisconsultes , et
qui , rédigé dans le seul intérêt de la science , est digne d'un véri-
table succès. B — T.
Livres en langues étrangères imprimés en France.
112. — Les séances de Ilariri Y>uhïiécs en arabe, avec un commen-
taire choisi par M. Silvestre de Sacy. Première partie, in-folio de
4o feuilles. Imprimerie royale. Paris, 1821. Debure frères.- — Il y aura
un second et dernier volume.
n3. — The Laj ofthe last minslrel ^ a poem. — Le chant du der-
nier ménestrel ; poème en six chants, par sir Walter Scott.
Paris, 1S21. J. Smith; et chez Glashin , rue Vivienne , n" 10. 1 vol.
in-12.
Ce poème est spécialement consacré à la description des mœurs
et des coutumes en usage parmi les habitans des frontières limitro-
phes de l'Angleterre et de l'Ecosse. Leur vie, alternativement pas-
torale cl guerrière, l'influence qu'exerçait encore l'cspiil de che-
200 LIVRES FRANÇAIS.
Talerie , des scènes de guerres civiles , oEfraient de riches matériaux
au talent du poète. Afin de donner à ses vers la couleur du tems, el
de compléter par là l'illusion , Walter Scott a composé ses chants
dans le rhythme qu'employaient les poètes de cette époque ; il les a
mis dans la bouche d'un vieux ménestrel, qui raconte dans ses vers
des événemens du seizième siècle , et qui célèbre la mémoire des
guerriers illustres dans les combats. L'action qui fait le sujet du
poème , est supposée durer pendant trois jours et trois nuits. Le
chant cinquième s'ouvre par des stances pleines d'harmonie et de
sentiment sur la mort du poète ; la nature pleure son adorateur et
célèbre ses obsèques ; les échos de la caverne et de la montagne ,
immortalisés par ses chants, répètent, en gémissant, les derniers ac-
cords de sa lyre ; les ruisseaux murmurent tristement autour de sa
tombe, et les ombres des guerriers auxquels il rendit une nouvelle
vie mêlent leurs cris plaintifs aux gémissemens des vents. Les
«tances qui commencent le sixième chant , inspirées par l'amour de la
patrie , sont remplies de verve et d'enthousiasme. Mais c'est surtout
dans les scènes descriptives qu'on retrouve l'inimitable talent de
l'auteur. Des notes détaillées expliquent tout ce qui pourrait paraître
obscur dans le poème. Cet ouvrage fait partie de la collection com-
plète (i^s (Euvres poétiques de TV aller Scott , imprimées en anglais ,
en 7 vol. Le prix de la souscription est de 20 fr. pour la collection
entière. L. S.
114. — I^a religiosa escrita en francès, por M. Diderot, de la
academia francesa ; traducida libremente al espanol por don
M. V. M. Licenciado , con lamina. In-12 de quinze feuilles. Im-
primerie de Migneret. Paris, 1821, chez Rosa. Prix, 4 fr.
Il faut observer que Diderot n'a point été membre de l'académie
française.
IV. NOUVELLES SCIENTIFIQUES
ET LITTÉRAIRES.
AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
Martinique. — Fobt-Royal. — Flammes sur la mer. — Pendant les
nuits des lo, ii et 1 4 juillet 1820, toute la surface de la mer a paru
lumineuse. A l'est, se trouve une chaîne de récifs situés à 4 ou 5oo
mètres de l'île ; c'est là surtout que se Grent remarquer des flammes.
Le 10 et le 11 , elles étaient élevées et jetaient une lumière assez
vive, d'une couleur livide et blanchâtre. Pendant ce phénomène, la
mer était peu agitée, comme à l'ordinaire. Elle a été également lu-
mineuse de l'autre côté de l'île , à l'ouest, où elle est toujours calme
et où il n'y a ni brisans ni courans. Le i4, même au-delà des bri-
sans, elle a jeté encore plus d'éclat. Les flammes qui sortaient des
récifs ressemblaient à de grandes gerbes de feu d'artifice : elles ré-
pandaient tant de clarté, surtout après que la lune fut sous l'horizon,
qu'on pouvait lire à un demi-mille du rivage. Cette clarté était con-
tinue , comme celle de la vapeur enflammée qui se dégage du phos-
phore en combustion. Ce spectacle, dont les plus anciens habitans
de l'île disent n'avoir jamais été témoins, dura presque toute la
nuit, avec une intensité qui diminuait insensiblement. Il occasionna
une espèce d'efl'roi , surtout chez les esclaves. Ces détails sont tirés
d'une lettre adressée du Fort-Royal à M. Biot, et insérée dans les An-
nales de chimie et de physique (T. XV, p. 428). M. Piivière fils, à
qui on les doit, attribuant d'abord les flammes à des dégagemens
phosphoriques produits par le choc des vagues sur les récifs , croyait
que la surface de la mer ne paraissait lumineuse que par la réflexion
de CCS flammes. Mais , ayant eu ensuite la certitude que le même
phénomène avait eu lieu du côté de l'île, où il n'y a point de ré-
cifs; de plus, ayant observé qu'en s'avançant dans la mer sur les
pointes de rocher, on la voyait lumineuse dans les petites anses,
entre la terre et soi, là où toute réflexion était impossible, et que
l'eau remuée avec une pagaie devenait plus lumineuse, M. Rivière a
renoncé à sa première explication. D'après l'élévation de la tempé-
rature , la sécheresse extrême et les nuages noirs et épais qu'il a
m.
I
202 AMERIQUE.
remarqués pendant le phénomène, il croit qu'on peut l'attribuer à
l'électricité , qui a pu produire l'inflammation lente et continue de»
corps phosphoriqucs contenus dans la mer.
États-Unis. — Sociétés des amis de la paix. — Les États-Unis d'A-
mérique sont la première nation qui ait fondé une société organisée
pour la propagation des principes pacifiques. Ils possèdent mainte-
nant cinq de ces institutions qui s'étendent chaque jour: les plus
importantes sont celle de New-York (formée au mois d'août i8i5
et la plus ancienne de toutes) , et celles de l'Ohio et des Massachus-
sets. Cette dernière se compose de plus de quatre cents membres,
parmi lesquels se trouvent un des anciens présidens des États-Unis,
plusieurs législateurs , des juges de différentes cours de justice , le
président de la cour suprême , deux des anciens gouverneurs et en-
viron quatre-vingt-dix ministres de la religion. Le lieutenant gouver-
neur de l'état préside cette respectable assemblée. Le but de ces
bienfaisantes institutions est de prévenir la guerre , de montrer les
maux qu'elle peut causer, de faire naître entre les hommes des sen-
timens d'union et de bienveillance conformes à l'esprit du christia-
nisme. Les philantropes qui les ont fondés en Amérique , ont été
secondés dans leurs efforts par plusieurs écrivains et par plusieurs
orateurs , qui ont écrit et parlé dans le même esprit de tolérance et
de charité.
New- York. — Encouragemens pour la littêiature. — Il a été pré-
senté à la législature un bill , ayant pour objet l'établissement d'un
fonds destiné à encourager la littératme parmi les femmes. Il serait
fourni par les hommes non mariés , âgés de plus de vingt -huit ans.
AMÉRIQUE MÉRIDIONALE.
Bbésil. — Fernambocc. — Pluie de soie. — E.xlrait d'une lettre de
M. Laine , consul de France, i" novembre 1820. — «Il est tombé
ici , dans le commencement d'octobre , une pluie d'une espèce de
soie, dont beaucoup de personnes ont ramassé des échantillons. Cette
pluie s'est étendue à 5o lieues dans les terres , et à peu près autant
dans les mers. Un bâtiment français , arrivé ici, en a été couvert. Ce
phénomène , dont on n'avait pas encore eu d'exemple , excite une
grande curiosité dans ce pays. »
La vue des échantillons envoyés par M. Laîné a fait penser, aux
rédacteurs des Annales de phjsique ei de chimie, que la substance
ASIE. 20 Ti
recueillie à Fernambouc pourrait avoir quelque analogie avec ces
iilamens soyeux , qui , dans les environs de Paris et h certaines
époques de l'année , sont transportés par les vents dans toutes sortes
de directions. L'analyse chimique éclaircira ce doute.
ASIE.
Indes orientales. — Calcutta. — Jardin botanique. — Ce jardin,
quoiqu'il n'ait encore que peu d'années d'existence , ofire aujourd'hui
des richesses que l'on ne saurait trouver réunies dans aucun établisse-
ment de ce genre en Europe. Il est sous la direction de M. Wallich,
danois de naissance et élève du professeur Hornemann, directeur du
jardin botanique de Copenhague. La compagnie des Indes fait tant
de cas du mérite de M. Wallich, qu'elle lui a assigné un traitement de
72,000 francs et une pension annuelle de 54,ooo francs, à condition
qu'il ne retournera dans sa patrie qu'après avoir rempli , pendant
douze ans , la place qu'il occupe aujourd'hui avec tant de distinction.
H.-s.
— Zoologie. — Tapir Asiatique. — M. Diard, jeune naturaliste fran-
çais, a eu occasion d'observer, en 1819, un tapir découvert à Suma-
tra ; cet animal n'avait été trouvé jusqu'ici que dans le nouveau
monde. Il ne diffère du tapir américain que par les couleurs , l'extré-
mité des oreilles , la croupe , le dos , le ventre et les flancs étant
blancs, tandis que , partout ailleurs, il est d'une couleur noire foncée.
Le naturaliste ayant vu ensuite la tête d'un animal apportée de
Malacca, un examen attentif des dents ne lui perijiitplus de douter
qu'elle appartint au tapir asiatique. Ces faits sont d'autant plus
curieux qu'ils détruisent les raisonnemcns de BuCTonsur la différence
entre les races de l'Asie et celles de l'Amérique. (Voyez Maîùa,
Hist. nat. des mammifères, par MM. G. Saint-IIilaire et F. Cuvier. )
— Société asiatique. — Le journal de Calcutta, du 7 mai der-
nier, contient un article très-long et très judicieux sur la société
asiatique. Varm'i les améliorations que réclame l'auteur, on remarque
la suivante : « Pour faciliter la propagation des connaissances et des
lumières, les secrétaires des classes de physique et de littérature
entretiendront une correspondance suivie avec les savans de toutes
les nations de l'Europe. Ils mettront sous les yeux de la société les
résultats de leurs travaux.»
SERAMtovR. — Une société d'agriculture y^ se former dans cetlc
ville.
20A ASIE.
— Médecine. — Dains le n" du 2 mai 1820, un des corrcspoudans
du Calcutta journal assure que l'on obtient d'heureux effets de l'ac-
tion de la pile voltaïque sur les personnes atteintes du cholera-
morbus. £• G.
Chine — Macao. — Vaccine. — Tandis que des personnes , enra-
cinées dans leurs préjugés, élèvent encore des doutes, en Angleterre
et dans différens pays de l'Europe, sur les avantages de la vaccine,
ce précieux préservatif de la petite vérole est généralement en
usage dans la Chine : nous citerons , pour preuve de ce fait , l'extrait
d'une lettre de M. John Livingstone , l'un des chirurgiens de la
compagnie de Chine, écrite de Macao, le aS mars 1820. «Je suis
tout-à-fait surpris, écrit-il, devoir, par les lettres et les journaux
périodiques qui m'arrivent de l'Angleterre, que la question de
l'utilité de la vaccine y est encore vivement agitée. Nous n'avons
point de doutes ici. Je vaccine quelquefois jusqu'à cinq cents cnfans
par semaine ; et , depuis dix ans , je n'ai par vu un seul exemple de
non-succès. M. Pearson , premier chirurgien de la factorerie de Canton,
qui est encore plus occupé que moi, a également réussi. Cependant
vous savez que la petite vérole fait d'affreux ravages en Chine,
tous les printems. J'ai souvent vu des personnes attaquées de cette
terrible maladie, .occuper la même maison et quelquefois le même
lit que les personnes que j'avais vaccinées, sans que ces dernières
aient senti la moindre atteinte de ce mal, et sans qu'aucun symp-
tôme inquiétant se soit manifesté sur elles.
IKDES0B1E^TALES. — Calcotta. — Socîété asiatique. — Dans sa séance
du 19 juin 1S20, la société a entendu une lettre du major général
Hardwike, dans laquelle il traite de là substance appelée Gez, que
le capitaine Edouard Frederick a fait connaître dans le premier vol.
des Mémoires de la société de Bombay. — W. B. Baylen présente
à la société quelques vases grecs découverts à Athènes par le doc-
teur Wilson. — Le docteur Tytler envoie des cornes d'Ammon trou-
vées dans le lit de la Scan , rivière de l'Inde. Il fait présenter
en même tems quelques antiquités indiennes de la forteresse da
Kallingur. — La société élémentaire de Calcutta offre les exemplaires
de vingt ouvrages qu'elle a fait publier. — Il est fait hommage de
quelques pétrifications: d'un carquois contenant trois des flèches
empoisonnées dont se servent les Malais ; d'un livre samscrit et de
planches en cuivre, couvertes de caractères inconnus. — Le secré-
ASIE. 205
taire lit ensuite une description de la province de Rohilkund.
Le iZ" volume des Asiatics researches a paru; le i4* est sous
presse.
— Dans la séance du 16 septembre 1820, M. le capitaine Loc-
ke*t a transmis à la société l'hommage de plusieurs ouvrages , par
MM. de Hammer, Langlès, de Sacy et Kieffer. — Le colonel Hal-
loran a offert quelques statues en argent des divinités indiennes.
— Le lieutenant Bell a présenté un livre renfermant plusieurs des-
sins de monumens indiens. — M. Tytler a fait lire un mémoire
sur les connaissances des Arabes en mathématiques. — Le lieute-
nant Ouseley a envoyé la peau d'un serpent long de 21 pieds. —
M. Moorcroft a adressé une lettre contenant l'alphabet usité dans
le Cachemire. — Le capitaine Price a fait hommage de la traduc-
tion d'une inscription samscrite. — MM. Pope et Adams ont été nom-
més membres de la société.
— Bombay. — La société de celte pille a entendu deux mémoires
dans sa séance du 28 mars 1820; le premier du capitaine Mac
Murdo, sur le tremblement de terre de l'année précédente; et le
second, du capitaine Sykes, sur les excavations souterraines d'Elora.
— Empieb BiRMAif. — AvA. — MissioTis. — M. Judson a fait de vains
efforts pour obtenir la permission de prêcher le christianisme ; il
s'est rendu à Ava pour présenter lui-même sa demande au roi :
le prince a rejeté et la requête et les livres qui lui étaient pré-
sentés.
Russie ASIATIQUE. — Voyage commercial. {V. Tom. VIII, pag. 617,
etTom. IX, pag. 601). La caravane armée du docteur IVeri s'est
réunie aux bandes de Tatars , commandées par Sulthân-Aroun-
Aghasi. Après avoir traversé les plaines sablonneuses de Kara-Koum
et côtoyé les bords du lac Aral, elle s'est arrêtée le 10 novembre 1820
sur les rives du Sir (l'ancien laxartés); ]à,elles'est occupée derecon-
naître le cours et la navigabilité de ce fleuve , qui est à peu près de
la grandeur 'de l'Elbe. On s'est assuré en jnème tems qu'il commu-
niquait avec le lac Telegoul. Itcher-Aghasi et Aman-Beyg, khans de
quelques hordes tatares , ont rejoint l'expédition qui avait reçu de
nouvelles forces par une caravane partie d'Orerabourg, quinze jours
après elle. Le 22 et le 23 , l'armée et les canons ont passé le fleuve
sur la glace, qui s'est rompue le lendemain. Elle s'est dirigée sur la
206 AFRIQUE. EUROPE.
Couvan , qu'elle a atteint le 2.4. Après avoir exploré cette petite
rivière, la caravane marchera sur le Kizil-Deriah et sur l'Oxus, dont
elle doit examiner l'ancienne et la nouvelle embouchure. De ce point,
elle se dirigera sur Bokhara, Balkh et Samarcande.
Thibet. — Nécrologie. — M. Schrceier , missionnaire chrétien, (jui
travaillait avec beaucoup d'ardeur à la confection de la grammaire
et du dictionnaire de la langue du Thibet , vient de mourir dans ce
pays, le 1 5 juillet 1820. E- G.
AFRIQUE.
Egypte. — Voyage scientifique. — Le 22 novembre dernier, M. Fré-
déric Caillaud se préparait à partir de Syène pour Dongolah. Ismaël-
Pacha , fils de Mohammed-Ali , vice-roi d'Egypte , a remporté une
grande victoire. Le quartier général de l'expédition est à Dongo-
lah, d^où les mamelouks ont été expulsés. Abdi-Kachef y a été placé
comme gouverneur : c'est un homme , ami des Européens. Le voyage
de Syène à Dongolah , sur la rive gauche du Kil , est d'un mois.
M. Cailliaud doit faire des observations astronomiques le long de la
route, et recueillir toutes sortes de renseignemens sur les antiquités
du pays, peu connues jusqu'à ce jour {Voye^Tom. VIII , pag. 617).
JoMAHD , de Vinstitut.
EUROPE.
GRANDE-BRETAGNE.
YoECK. — HcLL. — Éclairage par le gaz. — Dans une assemblée qui
s'est tenue-dans cette ville, le i5 janvier dernier, pour décider si
l'on éclairerait la ville avec le gaz, une discussion s'est engagée sur
les avantages comparés du gaz provenant de l'huile , et du gaz pro-
duit par le charbon. Il a été prouvé que le gaz de l'huile éclaire
beaucoup mieux que celui du charbon , qu'il exige un appareil beau-
coup moins coûteux , qu'il n'en a point l'odeur désagréable et quel-
quefois malsaine, qu'il n'attaque pas les tuyaux, qu'il ne ternit
ni ne décolore les métaux polis , les étoffes de soie , etc. , comme le
fait l'autre gaz ; enfin , qu'on s'en sert avec succès pour éclairer le
théâtre de Covent-Garden , les salles d'Argyle , la brasserie de
Whitbread , et quelques autres ctablisscmens. L'un des membres de
l'assemblée , se prononçant pour le gaz tiré du charbon , a dit qu'il
EtJROPK, 207
avait obtenu 4«7 gallons de gaz (1668 pintes ou i584,6 litres), de
10 livres de charbon (5 kilogrammes), qui lui revenaient à deux sous
( 1 franc) ; qu'il revendait ces lo livres deux sous après l'opération ,
dont il avait déjà retiré encore pour deux sous de goudron, de manière
qu'il gagnait deux cent pour cent, et avait en outre tout le gaz néces-
saire pour son éclairage ,• il a assuré aussi qu'il ne s'était jamais aperçu
d'aucune odeur désagréable, et que ses tuyaux ( qui sont en plomb)
n'avaient jamais été endommagés par l'action du gaz. ( Voyez
Tom. VIII, pag. 2i2,etTom. IX, pag. C27 et ci-aprés, article Pam.)
Avant de terminerla séance, on a lu une lettre d'un habile chimiste,
qui certiQe que mille pieds de tuyaux de gaz, obtenu parla combus-
tion de l'huile, fournissent une lumière égale à celle que produisent
3333 pieds de tuyaux de gaz, résultant de la combustion du charbon.
L'assemblée a arrêté à l'unanimité qu'on adopterait l'éclairage par
ie gaz de l'huile. Il paraît que l'empereur Alexandre va faire éclairer
son palais de Saint-Pétersbourg de la même manière.
Londres. — Mâts enfer. — Un essai, dont beaucoup de physiciens
révoquent en doute le succès, vient d'être tenté sur le vaisseau /e
iSeringapatnam. Les mâtures de ce navire , forgées en fer, offrent
le double avantage de l'économie d'argent et d'espace, mais il y a
lieu de craindre que le fluide électrique ne soit trop fortement solli-
cité par un aussi puissant attrait ; l'expérience fera connaître jusqu'à
quel point cette nouvelle disposition peut compromettre la sûreté
des bàtimens. E. G.
LivERPOOL. — Musée de l' Institution royale. — Têtes de sauvages.
— Parmi plusieurs curiosités qui ont dernièrement été offertes à ce
musée, on remarque deux têtes d'habitans de la Nouvelle-Zélande,
apportées et offertes par le capitaine Anstess. Les peuples de ces con-
trées paraissent avoir pour coutume de sécher et de conserver les
têtes de leurs chefs ou de leurs amis , qui sont morts sur le champ
de bataille; c'est une marque d'estime, d'honneur ou d'attachement.
Ils commencent par extraire la substance médullaire, et conservent
la peau entière, qui reste attachée au crâne. La tête, ainsi préparée,
conserve l'apparence de la figure humaine, et n'a point un aspect
aussi désagréable qu'on pourrait le supposer. Elle est parfaitement
sèche et n'a aucune odeur ; les traits sont fixes , et les coins de la
bouche légèrement tirés ; la peau est cuivrée et tatouée avec beau-
coup de soin en plusieurs endroits ; les dents semblent bien faites.
508 EUROPE.
mais petites et usées. Ces deux crûnes ont dû appartenir k deux
braves guerriers, si l'on en juge par les inégalités et les fracture»
dont ils sont couverts. Le froat du plus jeune est haut et large ; ses
cheveux sont bouclés et d'un noir de jais. La chevelure de l'autre est
grise et peu fournie. Ses traits ont moins d'expression et moins de
hardiesse que ceux du jeune homme. Grâce aux efforts des mission-
naires, pour détruire ces coutumes barbares , le prix des tètes ainsi
conservées est considérablement augmenté : celles-ci ont coûté
douze guinées.
Londres. — Récompenses pour les découvertes géographiques. —
En conséquence d'un mémoire présenté par les commissaires pour
la découverte de la longitude en mer, le roi, d'après l'avis de son
conseil privé , a substitué l'échelle suivante de récompenses à
celle qui avait été établie le 19 mars 1819 : Au premier vaisseau,
appartenant à la marine ou à un de ses sujets , qui parviendra au
i5o' degré de longitude occidentale du méridien de Greenwich et
au-delà du cercle polaire arctique , 5, 000 liv. sterl. ; au premier qui
parviendra au i5o= degré de longitude O. du méridien de Greenwich
et au-delà du cercle arctique, uue nouvelle somme de 5, 000 liv. st. ;
au premier qui pénétrera jusqu'à l'Océan pacifique par un passage
N.-O., une autre somme de 10,000 liv, st. ; au premier qui parviendra
au 8J« degré de latitude N. , 1,000 liv. st. ; au 85« degré, une autre
somme de 1,000 liv. st.; au 87^ degré, une autre somme de 1,000 liv. st.;
au 88» degré, une autre somme de 1,000 liv. st. ; au 89" degré et au-
delà, une autre somme de 1,000 liv. st. E. G.
Noia. On sait que le capilaine Parry a gagné le prix antérieure-
ment proposé. Il a eu pour sa part 10,000 liv. st. ; le reste a été par-
tagé proportionnellement entre les officiers et l'équipage de son brick.
— Société rcyale. — Sir Humphrey Davy, nommé président de
cette société, a prononcé un discours éloquent dans la séance du
7 décembre 1S20. Il s'est attaché à peindre le but de la société
royale , ainsi que ses relations avec les autres institutions savantes
formées pourseconder la marche de la civilisation et des connaissances
humaines. Il a présenté un tableau intéressant de l'état actuel des
sciences ; après avoir loué les travaux des membres de la société, il
a énuméré les différens sujets qui restent à approfondir dans les
sciences naturelles. Il a terminé son discours , en engageant ses con-
frères à se laisser toujours guider dans leurs recherches par l'esprit
EUROPE. 209
philosophique de Bacon et de Aewton, et à ne jamais perdre de vue
l'honorable mission qui leur est conQée, de développer les faculté»
de l'esprit humain , et d'agrandir la sphère de nos jouissances intel-
lectuelles, en nous apprenant à mieux comprendre la puissance, la
sagesse et la bonté de l'auteur de la nature. P. G-y.
— amélioration dusorl des catholiques . — Depuis quelques années,
le sort des catholiques de la Grande-Bretagne et de l'Irlande s'est
beaucoup amélioré. Le nombre de leurs églises, en Angleterre et en
Ecosse, s'accroît tous les ans; et, l'année dernière encore, on en a con-
sacré une très- belle dans la cité de Londres, pour laquelle le pape
a donné des vases sacrés d'or massif. En outre, les jésuites ont un
collège considérable à Ilonyhurst , aux environs de Preston.
Nous espérions que le bill d'émancipation qui a passé à la chambre
des communes, serait adopté parla chambre des pairs, et établirait
d'une manière solide la liberté politique et religieuse des catholiques ;
mais, le bill étant rejeté, on doit craindre qu'ils ne soient long-tems
traités dans la Grande-Bretagne , comme les juifs le sont encore, à la
honte de la civilisation, dans quelques parties de l'Allemagne.
LojiDBEs. — Prisons. — Actes d'humanité de madame Ery dans la
prison de Neifgate. — M. Thomas Clarkson avait publié, en iSo3 ,
un ouvrage en 5 vol. in-S.": A portraiture ofqaakerism (tableau de
la secte des quakers). C'est l'ouvrage le plus étendu qui ait paru sur
ce sujet. Madame Adèle Duthou, dans son Histoire de la secte des
Amis [uoy. T. IX de la Jlef. EncjcL, pag. Sûg), après avoir offert,
dans un ordre méthodique, l'histoire très-abrégée des quakers, place
à la suite de son ouvrage deux articles intitulés : Madame Frj et J^a
prison de Newgate. Nous croypns devoir en donner ici un extrait ,
propre à faire connaître madame Fhv, l'une des femmes qui honorent
le plus son sexe et son pays , et dont nous avons déjà eu occasion de
parler (T. IX, p. 379).
Madame Fry, qui, par ses ancêtres normands , est d'origine fran-
çaise, n'était pas encore mariée, lorsqu'avec la permission de son
père elle forma chez elle une école, oii elle reçut quatre-vingts
pauvres enfans. En 1800, elle épousa M. Fry, dont la bonté, la gé-
nérosité justifient la préférence que madame Fry lui a donnée. Ja-
mais il ne s'est opposé à ses bonnes œuvres; au contraire, il lui faci-
lite , il lui donne les moyens de soulager les malheureux , en la
laissant disposer chaque année d'une somme considérable, qu'elle
Tome x. ^'^
210 EUROPE.
consacre entièrement aux besoins des pauvres. La vie de madame
Fry est réglée par les bonnes actions; son tems est divisé par ses vi-
sites charitables et journalières. Elle ne fait aucune distinction ; les
malheureux sont frères, quels que soient leur pays, leur religion:
elle ne refuse pas ses secours aux coupables ; car elle ne comprend le
vice que comme une maladie , et jamais elle ne s'éloigna des
malades.
Toujours occupée du bien qu'elle peut faire , madame Fry, ins-
truite de l'état déplorable de la prison des femmes à Newgate, ré-
solut de la visiter. Elle s'adressa au gouverneur pour obtenir la
permission d'y être admise ; il répondit qu'elle courrait de vrais
dangers en entrant dans cet asile du vice et du désordre, et que lui-
même il n'osait en approcher; que les propos qu'elle entendrait et
les horreurs dont elle serait témoin la révolteraient , et qu'il
croyait de son devoir de l'engager à abandonner son dessein. Madame
Fry dit qu'elle savait bien à quoi elle s'exposait , et qu'elle désirait
seulement la permission d'entrer dans la prison. Le gouverneur lui
conseil/a de ne prendre avec elle ni sa bourse, ni sa montre. Madame
Fry répondit ; Je te remercie ; je n'ai aucune crainte, je garderai ma
bourse et ma montre. Elle fut conduite dans une chambre de la
prison, où se trouvaient à peu près cent soixante femmes; celles qui
étaient condamnées, celles qui n'étaient pas encore jugées, toutes
ensemble. Les cnfans élevés à l'école du vice, n'entendant, ne pro-
férant que des blasphèmes, ajoutaient encore à l'horreur de ce ta-
bleau. Les prisonnières mangeaient, faisaient leur cuisine, couchaient
dans la même chambre; enfin, on eût dit que Newgate était un
antre de sauvages. Madame Fry ne fut point découragée : malgré une
santé très-délicate et qui l'était surtout alors, elle persévéra dans son
pieux dessein. Ces femmes l'écoutaient , la contemplaient avec éton-
nement: cette Cgure si pure, si calme, semblait déjà avoir adouci
leur férocité.
Madame Fry s'adressa aux prisonnières : a Vous semblez malheu-
reuses, leur dit-elle; vous manquez de vêtemens ; n'aimeriez-vous
pas qu'un ami s'occupât de vous et vînt soulager votre misère ? »'
— Certainement, répondirent-elles, mais personne ne se soucie de
nous, et où trouverions-nous un ami? Je suis venue avec le
désir de vous servir, reprit madame Fry, et je crois que, si vous
voulei m'aider, je pourrai vous être utile. • Alors, elle leur dit des
EUROPE. 211
paroles de paix, leur fit eatrevoir l'espérance; elle ne parla point
de leurs crimes; elle était là pour consoler, et non pour juger et
condamner. Quand elle voulut partir , ces femmes se pressèrent
autour d'elle, comme pour la retenir: vous ne reviendrez plus, di-
saient-elles; mais madame Fry promit de revenir. En effet, bientôt
elle fut au milieu d'elles ; elle entra dans la prison avec l'intention
d'y passer la journée; les portes se fermèrent sur elle, et elle de-
meura seule avec les prisonnières. «Vous ne pouvez penser, leur
dit elle , que je sois venue ici sans en avoir reçu la commission (i) ;
ce livre (elle tenait une Bible), le guide de ma vie, m'a conduit
vers vous. Il m'ordonne de visiter les prisonniers , et d'avoir pitié
des pauvres et des affligés ; je suis prête à faire tout ce qui est en
mon pouvoir; mais mes efforts seraient vains, si vous ne vouliez pas
les seconder. » Elle leur demanda si elles ne désiraient pas qu'elle
leur lût quelques passages de ce livre ; elles y consentirent. Madame
Fry choisit la parabole du père de famille , saint Mathieu, chap. 20 ;
et, quand elle en vint à cet homme qui fut choisi à la onzième heure,
elle s'écria : « Voici maintenant la onzième heure qui sonne pour
vous : la plus grande partie de vos vies a été perdue , mais le Christ
est venu pour sauver les pécheurs. »
Quelques-unes demandèrent qui était le Christ. D'autres disaient
que sûrement il n'était pas venu pour elles ; que le tenis était passé ,
et qu'elles ne pouvaient plus être sauvées. Madame Fry répliquait
que le Christ avait souffert , qu'il avait été pauvre aussi, et que
c'était surtout pour sauver le peuple et l'affligé qu'il était venu.
Madame Fry obtint que les enfans fussent réunis dans une école ,
qui s'établit dans la prison même , et qu'on s'occupât de leur ins-
truction religieuse. Les prisonnières, malgré leurs vices et leurs
désordres, saisirent avec joie la pensée d'améliorer le sort de leurs
enfans. Avoir pu rappeler ces femmes au premier sentiment de la
nature, l'amour maternel , c'était avoir déjà beaucoup obtenu.
Une femme, qu'on nomme la matone, eut la direction des pri-
sonnières , sous la surveillance des vingt-quatre dames de la société
des Amis qui composent le comité de Newgate.
Quand madame Fry eut rédigé une règle de conduite pour les
prisonnières, un jour fut fixé ; le lord maire et un des aldermea
(i) Il faut se rappeler que madame Fry est de la secte des 4/'iis=
lA"
212 EUROPE.
étaient présens. Madame Fry lut à haute voix chaque article, en
demandant aux prisonnières si elles les adoptaient ; elles devaient
lever la main en signe d'approbation. Le règlement de madame Fry
fut reçu à l'unanimité, tant étaient vrais le respect et la confiance
qu'elle inspirait.
Grâce à la pieuse persévérance de madame Fry, aux années
qu'elle y a consacrées, la prison de ÎSewgate a changé d'aspect ;
l'influence de la vertu a adouci l'horreur du vice : Nev\'gate est de-
venue l'asile du repentir.
Les vendredis sont les jours publics ou l'on peut visiter la prison;
on entend madame Fry lire la Bible aux prisonnières.
La feue reine voulut voir cette dame , et lui témoigner toute
l'admiration que sa conduite lui inspirait. La cité de Londres lui vota
«les remercîmens. Enfin, il n'est pas un Anglais qui ne bénisse le
nom de madame Fry.
Mais aussi dans quel autre pays que l'Angleterre aurait-on per-
mis à une femme, et surtout à une femme qui ne professe pas la
religion dominante , de se mêler des prisons, d'y donner des règles ?
Partout ailleurs , des intérêts personnels , des haines de partis se
seraient opposés aux grands résultats de la vertu persévérante.
L'éloquente morale de madame Fry pénètre l'ame ; on se croit
meilleur en l'entendant , ou du moins on sent qu'on peut le devenir;
on ne la craint pas, on l'aime; comment ne pas l'écouter, la res-
pecter? Que de détails touchans je pourrais donner!..
Nous terminerons ici ces détails ; heureux de penser que madame
Fry est là , qu'elle est jeune encore , et que long-tems sa famille ,
les pauvres et ses amis peuvent espérer de la conserver 1
Grâce au zèle actif de cette dame, maintenant l'intérieur de
IVewgate a plutôt l'air d'une manufacture que d'une prison. Point
de cachots, point de chaînes, toutes les portes de communication
sont ouvertes dans la prison. Les prisonnières soumises aux lois
qu'elles ont adoptées n'essaient pas de s'en écarter.
Les efforts de madame Fry, couronnés d'un plein succès , montrent
le bien que peut opérer un zèle actif, éclairé, couFageux et persévé-
rant ; c'est un modèle qui , sans doute , aura des imitateurs.
— Institution de bienfaisance en faiseur des artistes. — Cette
société a pour but d'encourager le mérite et de récompenser le
talent ; elle distribue des secours aux artistes privés de fortune et
'd ceux que des accidens imprévus ont arrêtés dans leur carrière.
EUROPE. n$
Les membres s'assemblent tous les ans, quelques jours avant l'ou-
verture de l'exposition de l'Académie royale. Le duc de Sussex ^
connu par sa philantropie , préside habituellement dans ces occa-
sions. L. S.
Londres. — Nouueau journal des Catholiques. — h'oiivrage jiù-
riodique, que, depuis sept ans, les Catholiques font paraître tous
les mois, pour la défense de leur cause, a eu tant de succès que le
rédacteur va eu agrandir le cadre et le changer en feuille hebdo-
madaire , ayant pour litre : The catholic Aduocnte of civil and
religious liierty , ( l'Avocat catholique de la liberté civile et reli-
gieuse.)
Ecosse. — Glasgow. — Momie Egyptienne. — M. lleywood, habi-
tant de cette ville, a donné au musée une momie égyptienne parfaite-
ment conservée. Elle était enveloppée d'une pièce de toile com-
mune d'un rouge pâle , qui était roulée cinquante à soixante fois
autour du corps, qui est celui d'une femme. Le morceau de la même
étoffe qui servait de linceuil à la momie, avait été trempé dans
de V asphalte liquide , sorte de bitume qui empêche la putréfaction.
Le cercueil est richement orné d'une quantité de caractères hiéro-
glyphiques. La figure était d'abord d'une couleur brune; mais, après
avoir été exposée à l'air pendant trois heures, elle est devenue tout-
à -fait noire..
LoKDBES. — Antiquités Egyptiennes, — M. Belzoni a invité, le 3o.
mars dernier, un petit nombre de savans à assister à l'ouverture
et au déroulement d'une momie , et à examiner quelques autres
antiquités égyptiennes, aVant qu'il ait complété l'intéressant yiic
simile des tombeaux de ce pays, qu'il prépare au muséum de Bul-
lock ; le docteur Baillie et autres célèbres anatomistes étaient pré-
sens. La momie, qui paraît être celle d'un jeune homme, avait
quatre pieds neuf pouces de longueur, était entière et saine dans
toutes ses parties, ainsi que les bandes de linge qui l'enveloppaient.
M. Belzoni a déroulé aussi la momie d'un singe, objet du culte des
Egyptiens, et qui était de même parfaitement conservée. L'exposition
dont M. Belzoni compte faire jouir le public, sera extrêmement
curieuse , en ce qu'elle offrira une vue des tombeaux égyptiens beau-
coup plus satisfaisante qu'aucune description. Les objets imités
«ont de la même dimension que les originaux , dont quelques frag-
nicnsssront mis sous les yeux des speclatsurs, pour leur prouver avac
21A EUROPE.
quelle fidélité les imitations ont été faites. Cette exposition don-
nera une idée complète de l'état des arts en Egypte , à l'époque
où ces objets y ont été exécutés.
Islande, —Bailymabon, — Hommage à la mémoire de Goldsmith.
— L'anniversaire de la naissance d'Olivier Goldsmith, dont les ou-
vrages sont connus de tout le monde, a été célébré dernièrement
dans cette ville. Cet aimable écrivain naquit dans un village , à peu
de distance de Ballymahon , le 29 novembre 1728. On se propose de
lui ériger un monument à Dublin, et de fêter, tous les ans , le jour
de sa naissance.
ScssEX. — Eartham. — Nécrologie. — Hajlay. — Le poète William
Haylay est mort dans cette ville le 11 novembre dernier. Né en 1745
à Chichester , il fit ses études à Cambridge , où un poème ,
que la naissance du roi actuel d'Angleterre lui avait inspiré ,
fit dès -lors augurer favorablement de son talent. Ses produc-
tions poétiques sont très-nombreuses. Celle qui paraît avoir eu le
plus grand succès est intitulée : Essai sur les vieilles filles. Cet ou-
vrage, publié en 1785, en 3 volumes in-8°, a été réimprimé plusieurs
fois ; il est encore recherché aujourd'hui. M. Haylay était l'ami in-
time de l'historien Gibbon, du poète Cowper et du peintre Romney.
Ce fut à ce dernier qu'il adressa, en 1778, une épitre sur la pein-
ture , qui est réellement son premier ouvrage remarquable. Il a
écrit aussi la vie de ce même ami, ainsi que celles de Milton et de
Cowper. H-s.
Londres. — Nécrologie. — Tooke. — La littérature anglaise a perdu,
au mois de novembre dernier, un auteur fécond et un bon historien,
dans la personne de M. Guillaume Tooke, mort dans cette ville à l'âge
de soixante-dix-sept ans. Quoique ecclésiastique, il débuta dans la car-
rière des lettres, en 1767, par un roman , le seul cependant qu'il ait
écrit. Attaché comme aumônier à la factoterie anglaise de Saint-Pé-
tersbourg, l'histoire de l'empire de Russie fixa bientôt son attention ;
et, depuis 1780 jusqu'à 1800, il a fait paraître successivement:
IlistoÏTe de toutes les nations gui composent Vempire de Russie
(4 vol. in-8»); Vie de Catherine II {Z vol. in-S" ) ; Tableau de
Vempire de Russie , depuis le règne de Catherine IL jusqu'à la fin
du dix-huitième siècle {"h vol. in-S"); Histoire de Russie , depuis la
fondation de cetempire jusqu'à rauênement au trône de Catherinell
(3 vol. inS" \ Pendant son séjour à Pétersbourg, M. Tooke s'était
EUROPE. 215
familiarise avec la langue allemande, et c'est lui qui a fait connaître
à ses compatriotes, dans une traduction soignée, le tableau de Pé-
tersbourg , par Storch ( i vol. in 8» ] , et presque tous les ouvrages du
célèbre prédicateur ZoIIikofer (lo vol. inS"). Il était en outre édi-
teur du Dictionnaire de biographie générale et collaborateur d'un
recueil littéraire , publié à Londres sous le titre de Genlleman's
magazine. H-s,
RUSSIE.
Finlande. — Abo. — Obseruatoire. — L'empereur Alexandre a fait
construire dans cette ville un observatoire magnifique, dont ila confié
la direction au célèbre astronome Balbeck.
Sai.m-Pétersbourc. — Instructiun publique. — Le^sfait aux écoles.
— La princesse Anna Narischkin , morte , il y a environ six mois ,
dans un âge très-avancé, a laissé par testament une somme de i5o,ooo
roubles aux établissemens destinés à l'éducation de la jeunesse ;
savoir: l'académie pour l'éducation des jeunes dames nobles; les
écoles de l'ordre de Sainte-Catherine , à Saint-Pétersbourg et à
Moscou ; l'école des orphelines , filles de militaires , et l'institutioa
des sourds-muets.
— Musée asiatique de l'Académie des sciences. — Manuscrits
orientaux. — Les collections littéraires de l'académie des sciences
de cette ville ont été enrichies, en 1819, de trésors philologiques
qui, pour la nouveauté et la rareté, autant que pour l'influence
qu'ils auront à l'avenir dans la culture d'une branche des sciences
long-tems négligée en Russie , méritent qu'on en fasse une mention
particulière. Une collection d'environ 5oo manuscrits arabes, per-
sans et turcs , a été ajoutée à la fois à celle du musée asiatique
de l'académie, recueillie en Sj'rie, en Mésopotamie et en Perse,
par un homme versé dans ces langues , M. Rousseau , ci-devant
consul général de France à Alep, et maintenant à Bagdad; cette
collection avait été envoyée en France. C'est au zèle du respectable
président de l'académie que la Russie doit cette belle acquisition,
et à peine a-t-elle été faite que l'empereur Alexandre en a fait don
à cette société. Le Musée asiatique, déjà si riche en ouvrages
chinois, mandchous, japonais , mongols , kalmouks et tangutiens,
de même qu'en monnaies et antiquités orientales , a , par ce grand
accroissement en manuscrits mos'cmims, acquis une nouvelle impor-
216 EUROPE.
tance , et contient aujourdhui , dans chacnnc des trois langue*
eitées, et presque dans chaque science, un grand nombre d'ou-
vrages classiques de l'Islam , qu'on chercherait en vain, même dans
les bibliothèques des IMollahs les plus savans de ses habitans maho-
métans. La partie lexicographique contient deux manuscrits du
grand Dictionnaire arabe , connu sous le titre dcKamous , c'est-
à-dire l'Océan; un ouvrage sur la pureté de la langue, par Dgen-
heri , dont Rasi nous a donné un fort bon extrait; le Diction-
naire arabe du Mai-onite Gabriel Ferhat; celui qui est appelé
Ferheng Dgihangiri , et qui est très-important pour l'étude de
l'ancienne langue persanne. On trouve en outre des règles sur le
siyle sublime par Ibn Koreïba , ouvrage classique pour le philo-
logue arabe, et qui a été constamment expliqué dans ces écoles de
l'Orient. La quintessence de l'éloquence, ou exemples des divers
genres du style arabe , par Abul liusein , le Sabéen ; enfin, les
Ononiasliques , si utiles pour l'étude approfondie de la langue
arabe. L'histoire, la géographie et la biographie offrent un nombre
considérable d'ouvrages d'un grand intérêt. Nous citerons, parmi les
ouvrages d'auteurs arabes, l'histoire des conquêtes de la Syrie , de
VEgypte et d'Iral- par les Arabes , par Jfukedi, le père de l'histoire
arabe, qui a écrit vers le commencement du g» siècle ; l'histoire de la
Mecque, par Asraki ( contemporain du précédent), ouvrage histo-
rique le plus ancien , et peut-être le plus intéressant parmi le grand
nombre de ceux qui ont paru sur cette fameuse ville.
— Architecture. — Quatre des colonnes qui doivent être employées
dans la construction de l'église d'Lsaac sont arrivées par eau , de la
Finlande ; elles sont d'une très-grande dimension ; le fût a huit
brasses (environ 48 pieds) de hauteur , en un seul morceau. Trente-
six colonnes semblables orneront cet édifice colossal. Sous le fronton,
qui sera en marbre , il y aura trente-deux poêles pour chauffer l'église
en hiver: les tuyaux passeront sous le pavé. Chacune des colonnes
dont nous venons de parler pèse, telle qu'elle est à présent,
i3,ooo pouds ( environ 229,060 kilogr. ) ; on les polit , à l'aide d'une
machine à vapeur.
POLOGNE.
Vabsovie. — I\ouvelles machines. — JL Kuhaïewski vient d'in-
venter une nouvelle machine pour battre le blé. Avant d'y mettre
EUROPE. 217
la dernière main , il a fait , en présence d'un grand nombre de
connaisseurs, plusieurs essais qui ont eu un succès complet et qui
constatent l'utilité de cette invention. Le mécanisme de cette ma-
chine est simple, et peu coûteux; il est durable; et si quelque
réparation devient nécessaire , elle peut être faite facilement par les
ouvriers de la campagne. La possibilité de la transporter sans incon-
vénient d'un local dans un autre, rend son usage très commode pour
l'agriculteur. De toutes les machines pour battre le blé , inventées
jusqu'à présent, elle est la seule qui, en séparant le grain de l'épi,
ne brise ni le grain ni la paille. En employant un seul homme
pour mettre cette machine en mouvement , on lui fait faire le tra-
vail ordinaire de plusieurs dizaines d'ouvriers. Le mécanisme se
compose de plusieurs roues , dont deux , armées de quarante-huit
fléaux, et placées à chaque bout de la machine, à une distance
d'environ trois pieds l'une de l'autre , sont mises en mouvement
par un treuil à fuseaux placé entre elles, et dans lequel marche
un homme. La machine a un mouvement qui la porte en avant ,
autant que cela est nécessaire ; et , quand elle est arrivée à l'en-
droit déterminé, elle recule d'elle-même. Dans ce mouvement
de va et vient, les fléaux battent les épis sans discontinuer, et le
résultat de cette opération est semblable à celui que produirait un
ouvrier habile dans la pratique de battre le blé. A l'aide d'un seul
homme, la machine peut, sur un terrain uni, être poussée à une grande
distance en avant ou en arrière, à droite et à gauche. M. Kuhaïewski
se propose de publier une description de cette machine ; le nouveau
mécanisme qu'il a inventé peut être employé utilement dans la com-
position des machines destinées à un autre but. Cet habile mécani-
cien a imaginé aussi un moulin à scier , mis en mouvement par
une seule personne, sans le secours de l'eau ; on lui doit aussi un
nouveau moyen d'effectuer le mouvement rétrograde qu'on obtient
ordinairement à l'aide d'une manivelle. Il s'occupe en ce moment
de faire connaître ces deux inventions par des modèles exécutés
en grand. On doit aussi à M. Kuhaïewski l'invention d'une montre
astronomique , qui indique la différence des heures dans les prin-
cipaux endroits des diverses parties du globe. L'empereur Alexandre,
en ayant agréé l'hommage, a fait remettre à l'auteur une magni-
fique tabatière, et lui a fait assigner un fonds pour pouvoir conti-
nuer ses importans travaux.
%iS EUROPE.
— 3Ionumenl à Copernic. — La statue colossale en bronze, qui doit
être élevée dans cette ville à Nicolas Copernic , sera placée devant
le magnifique édifice de la Société des amis des sciences, au faubourg
de Cracovie, dans les environs de l'emplacement de l'église des
Dominicains qui a été abattue. Cet homme illustre sera représenté
assis sur un siège antique, couvert d'une toge académique, richement
drapée. D'une main, il tiendra le globe céleste, divisé par ses cercles
astronomiques. Les Polonais fournissent aux frais de ce monument,
par des souscriptions volontaires.
-—Théâtres. — La tragédie de Jeanne d'Arc de Schiller, traduite
en polonais et jouée sur le théâtre national de Varsovie , n'a pas eu
de succès. On va y représenter incessamment la Vestale, opéra de
MM. Jouy et Sponlini. — Le théâtre français s'est ^lacè dans le beau
palais de Mniszck, dans un local petit, mais très-bien distribué, où
il donne , trois ou quatre fois par semaine , des représentations très-
suivies par la bonne compagnie. Pendant quelque tems, la troupe
a été obligée de se borner à ne jouer que de petites pièces ; mais ,
depuis qu'il est arrivé de nouveaux acteurs de Paris, on y joue la
haute comédie.
Journaux. — Dans toute la Pologne russe, autrichienne. prussienne,
polonaise et à Cracovie, on publie , depuis le i*' janvier i^zi^^vingt-
quatre feuilles périodiques, tant scientifiques que politiques. A Var-
sovie, oîi toute la population, y compris les militaires, se compose
tout au plus de 210,000 habitans, les presses sont occupées à faire
paraître douze journaux, dont voici les titres: 1. Pamietnik JVars-
zawski [journal de Varsovie ) ou journal des sciences et des arts. Il
paraît tous les mois un cahier de 7 feuilles in-S". Le rédacteur est
M. le professeur d'histoire, Fel. Bejîtk.owski. 2. Izys Folska (l'/sw
polonaise) ou \e journal des sciences -, des découvertes, des arts et
des manufactures ; il est entièrement consacré à l'industrie. Tous les
mois, il en paraît un cahier de 8 feuilles in-8°, avec figures. Le rédac-
teur est M. Gral. KoawiN. 3. Sylwan {Sjluan). Ce journal, dont
on ne publie que tous les trois mois un cahier de 8 feuilles in-8» avec
figures, traite de tout ce qui a rapport à la science forestière. 4- i^-
billa nadivislanska [la Sj bille de la Vistule). Ce journal national
traite de la littérature , de l'histoire, de la politique et de tout ce qui
touche aux intérêts de la patrie. Deux fois par mois, il en paraît un
cahier de trois à quatre feuilles. Le rédacteur est M. Franc. Gbzv-
EUROPE. 219
MAL*. 5. Dékala pvlska (la Décade polonaise) j ce journal portait
auparavant le titre de Polonais constitutionnel, qu'il a quitté depuis
peu : il rapporte exclusivement les événemens politiques d'une im-
portance majeure. Conformément à son titre, il paraît, tous les dix
jours, un cahier de 3 feuilles in-S". Le rédacteur est M. F'ict. Heltman.
6. Uganda ( journal consacré aux belles-lettres et aux beaux-arts ).
Il en paraît, toutes les semaines, une demi-feuille. Les rédacteurs sont
MM. Franc. Dmochowski et Dom. Lisiecki. -. Mumus , une demi-
feuille in-8» par semaine , remplie d'anecdotes plaisantes , d'épi-
grammes, de jeux de mots, etc., etc. Le rédacteur est M. Alqys.
ZoLKOwsKi , excellent acteur comique. Cette feuille est suspendue
dans ce moment. S- Ty godnik muzjczny {journal de musique). Il
paraît in-4° une fois par semaine. Le rédacteur est M. Charles Kua-
piNSKi. p. Gazeta literacha {Gazette littéraire). lien paraît, toutes
les semaines, une feuille in-4°. Elle embrasse tout ce qui a rapport à
la littérature nationale et étrangère , et donne des articles souvent
profonds et généralement bien rédigés, lo. Kurger TVarszawki (le
Courrier de Varsovie)., 5 fois par semaine, un quart de feuille in-4".
11. Gazeta Korrespondenta If^arszawsTciego (la Gazette, le Cor-
respondant de Varsovie), 4 fois par semaine, une feuille et demie
in-4°. 12. Gazeta IFarszawska (la Gazette de Karsouie), ^îoïs par
semaine, une feuille et demie in-4*. Ces trois derniers journaux sont
entièrement politiques.
SUÈDE.
SxORCHOLM. — Académie des sciences. — Le roi ayant sanctionné les
nouveaux statuts de l'académie des sciences , rédigés par elle-même,
cette société -lui a fait exprimer, par une députation, la reconnais-
sance dont elle est pénétrée. Voici la réponse que le roi a faite aux
députés: « Messieurs, j'ai approuvé avec d'autant plus de plaisir le
règlement que l'académie m'a soumis, qu'il est sorti de la plume
d'hommes connus par leur sagacité autant que par leurs profondes
connaissances, et dont les travaux feront époque dans l'histoire des
sciences. Dans tous les états éclairés , mais surtout dans les états
libres, le monarque est le protecteur des sciences; et lorsqu'il les
protège, comme il le doit, la nation, ainsi que lui-même, peuvent
espérer de voir s'affermir davantage , de jour en jour, les droits que
la nature a gravés au fond du cœur de chaque homme. Continuez,
Î2Ô EUROPE.
messieurs, de travailler à rendre de plus en plus généraPle dévelop-
pement des facultés intellectuelles. Le flambeau des lumières fera
pâlir ces étoiles sinistres dont la funeste influence a désolé tour à tour
non seulement notre pays, mais encore les autres contrées de l'Eu-
rope , les plus fertiles comme les plus stériles. Paix générale , repos
intérieur, sûreté des états, voil.'» les bienfaits qu'appellent par leurs
Toeux toutes les nations. »
— L'académie a nommé son correspondant M. Chaumelte des
Fossés, consul général de France pour la Suède et la Norwège.
— Société commerciale. — Le roi vient d'accorder à la société qui
s'est formée pour faire une expédition commerciale aux Indes et à la
Chine , sous la direction du capitaine Hantson , les mêmes privilèges
que le gouvernement avait concédés , en i8oG, à la ci-devant com-
pagnie des Indes orientales.
— Une banque d'épargnes doit s'établir incessamment dans cette
capitale.
DANEMARCK.
Copenhague. — L'académie des sciences a proposé plusieurs su-
jets de mémoires, pour chacun desquels elle décernera une mé-
daille d'or de la valeur de cinquante ducats. Les ouvrages seront
reçus jusqu'à la Cn de 1821.
Classe de mathématiques : Generaliter superGciem datam in aliâ
superficie ita exprimere ut partes etiam minimœ imaginis arctè fiant
similes. — Classe de physique : Cum circà mixturas metallorum
Dulla adhuc constet lex , juxta quam eorum densitas et cohœsio , ut
etiam temperatura caloris quâ liquéfiant, ex metallis componentibus
deduci etcomputari queant, societas prœmium solitum auctori pro-
mittit, qui an te Cnem anni proximi disquisitionemipsi obtulerit qui
nostram hujusrei scientiam insigniter locupletet. — Classe d'histoire :
Proposuerat classis historica , anno i8i6,thema de linguae frisicae
ratione. Quaestio nullum habuit commentatorem licettempusaliquot
menses ultra terminum constitutum ampliaretur, cum veroresipsa
ad disquirendum gravis sit quumque sit periculum ne paucae quae su-
persunt istiuslingusereliquiœ,breviprorsusevanescant, rursus propo-
nendum censet societas idem thema. — Classe de philosophie : Dis-
quiratur fons ex que philosophia historica deducenda sit. Constitua-
tur notio hujus scientije explicenturque principia cjusdem nec non
EUROPE. 221
methodus quae ia ea pertractanda adhibeii possil ; adeo ut piolego-
mena philosopbiœ historiae quodammodù sislantur, simulque ratio
inter banc et generalem quam tentarunt nonnulli bistoriam generis
hutnani , sive quam vocant bumanitatis, exponatur.
— Théâtre. — M. Œlanscblâger, auteur de plusieurs pièces de
tbéâtre fort admirées et de quelques autres ouvrages , vient de ter-
miner une nouvelle tragédie , intitulée : Erich et Abel, qu'on doit
représenter incessamment sur le tbéâtre de Copenbague. — Le pro-
fesseur Kruse a fait paraître sa tragédie d'£zzelino , qui a été jouée
avec beaucoup de succès dans cette ville, le 20 novembre dernier.
ALLEMAGNE.
Prusse. — Erfurt. — Nouvelle presse. — M. Hellfortb a inventé
une presse , avec laquelle on peut mettre en forme buit feuilles à
la fois.
Bavière. — Muxich. — L^académle a célébré , le laoctobre 1S20,
dans une séance solennelle, la fête du roi de Bavière. M. de Scblicbte-
groU a prononcé un discours sur les travaux de cette compagnie. L'an-
née précédente , à pareil jour, la classe d'histoire avait proposé un
prix à l'auteur du meilleur mémoire sur la procédure obseruée tant au,
civil qu au criminel par les anciens habitans de la Bauière', 2° sur
V influence que cette procédure pouvait exercer en bien ou en mal ,
en ce qui concerne ■J'application des lois, l'accélération des affaires
et leur diminution. — C'est avec surprise que l'académie se voit
obligée de déclarer qu'aucun mémoire ne lui est parvenu. Elle avait
beaucoup espéré d'un sujet qui présente tant d'intérêt à ceux qui
aiment l'bistoire de leur pays ; elle se croyait d'autant plus fondée
à compter sur un meilleur résultat, que, même au sein de l'assem-
blée des états, on s'est occupé de ces questions. M. de Scblicbtegroll
a proposé de proroger encore d'une année le délai fixé. L'académie
fera connaître sa détermination par la vole des journaux. La classe
philosophique et philologique attend également la solution d'une
question du plus baut intérêt : Quel était, au XP'l^ siècle, l'état de la
liltérature en Allemagne ? Les mémoires seront reçus jusqu'au
i8 mars 1822. Le prix sera décerné le 12 octobre de la même
année. P. G-y.
Dessau. — Formation d'une Bibliothèque publique. — Les biblio-
tlièques particulières qui se trouvaient dans les divers châteaux du
"222 EUROPE.
duc de Dessau , ou qui appartenaient aux grandes écoles et aux col-
lèges , ont été réunies dernièrement, dans la ville de Dessau, en une
seule bibliothèque, qui a été ouverte au public, en juin 1820. Elle
est particulièrement riche en belles éditions d'ouvrages anglais ; elle
renferme aussi des livres précieux par leur antiquité , et principale-
ment des auteurs classiques et des manuscrits de poètes latins. Le
duc régnant, Léopold- Frédéric , avait chargé son conseiller intime ,
M. A. de Rede, d'en diriger la formation; depuis M. W. Muller,
connu dans le monde littéraire par plusieurs productions estimées ,
en a été nommé le bibliothécaire. Des fonds assez considérables lui
ont été assignés pour augmenter progressivement cette nouvelle
source d'instruction. H-s.
Pelsse. — DissELDORF. — InslruclioTi publique.— \jdi direction su-
prême d'instruction publique qui siège en cette ville, a fait lithogra-
phier des plans et des instructions , aCn que les écoles fussent bâties
à l'avenir d'une manière uniforme et convenable à un objet aussi
important.
Weimah. — Instiliiiion de hicnf aisance. — Depuis les batailles
d'Iena , de Lutzen et de Leipzick, quelques amis de l'bumanité , à
Weimar, s'étaient cotisés , dans le généreux dessein de secourir un
grand nombre d'enfans qui avaient perdu leurs parens par suite de
la guerre , ou qui, séparés des corps de trrupes qu'ils avaient suivis,
rôdaient sans asile dans les environs de cette ville , située au centre
des divers champs de carnage. Le respectable pbilantrope, M. J.
Falk , fut le premier qui donna à ses concitoyens l'exemple d'arra-
cher ces jeunes vagabonds à l'ignorance, à la misère et au crime,
en les plaçant comme apprentis chez des artisans recommandables ,
et en leur donnant, avec une instruction religieuse, les premiers
élémens des connaissances utiles. M. Falk alla de maison en maison
pour faire une collecte qui, quelque modique qu'elle fût, ne l'empê-
cha pas de poursuivre avec zèle la bonne œuvre qu'il avait commencée.
Dans la suite, non seulement les habitans de Weimar y contribuèrent,
mais aussi ceux d'Iena et d'Erfurt; et, quoique ces secours res-
tassent toujours au-dessous des besoins de cette petite colonie ,
M. Falk parvint, dans l'espace de sept ans , à placer chez les divers
artisans de \Yeimar plus de cinq cents pauvres enfans, appartenant
à toutes les nations combattantes , et qui , élevés presque miracu-
leusement, promettent de devenir un jour des citoyens utiles. Ces
EUROPK. 2-25
jeunes gens, désirant laisser un souvenir touchant de leur recon-
naissance, ont résolu de construire une chapelle, dont tous les ma-
tériaux , depuis la tuile jusqu'au drap qui couvre l'autel, depuis le
moindre clou jusqu'à la serrure, soient l'ouvrage de leurs mains.
Pour leur procurer les fonds nécessaires à cette entreprise , M. Falk
propose la publication d'un livre de cantiques , particulièrement de
l'Oraison dominicale , telle que les élèves la chantent dans leurs
réunions des dimanches, consacrées spécialement à leur instruction
morale et intellectuelle. Cette partie principale sera suivie d'un
précis historique de l'institution. Ce livre, qui comprendra six feuilles
d'impression, huit pages de notes et neuf gravures , sera également
l'ouvrage des élèves. M. Falk invite tous les amis de l'humanité à
contribuer à cette bonne œuvre. La maison Treuttel et Wijrtz, rue
de Bourbon , n" 17, à Paris, s'est chargée de la souscription pour
la France. Prix de chaque exemplaire, 4 fr. H-«.
Wurtemberg. — Stuttgard. — Economie rurale. — Le libraire Cotta
fait paraître une édition allemande du bel ouvrage que M. le comte
Lasteyrie publie à Paris, sous le titre de Machines , instrurnens.
Ustensiles, etc., emplojy es dans V économie rurale. L'éditeur allemand
a réduit le prix de la souscription à deux francs, pour chaque cahier
de dix feuilles in-4°, renfermant, outre le texte, 5o à 4o figures.
Saxe-Gotha. — Altenbourg. — Publications prochaines. - Le libraire
Habn annoace la publication prochaine de traductions de divers
ouvrages français , tels que les Pièces officielles sur les affaires de
NapJes, le Guide de Parit, et l'JEssai sur la philosophie des sciences,
par M. M. A. Jullien, de Paris. ( On imprime en ce moment, à
Paris, une seconde édition française , très-auo-mentée, de ce dernier
ouvrage. )
Francfort-sur-le-Mein. — Lifre de prophéties. — Le conseiller de
justice de LilHenstern a publié un ouvrage, dans lequel il prouve mé-
thodiquement que l'Ante-Christ arrivera en 1S25 ; dix ans après, nous
aurons des guerres de religion; enfin, en i836 . s'ouvrira le fameux
règne de mille ans.
Autriche. — Vienne. — Concordia journal. -'M. Schlcgel imprime
un recueil périodique, sous le titre de Concordia. Ce titre est un vé-
ritable contre-sens par rapport à l'ouvrage. Il n'y a effectivement de
concorde qu'entre les rédacteurs qui s'entendent à merveille, lors-
qu'il s'agit de jeter la division dans le monde littéraire. Ces messieurs
22A EUROPE.
déclarent la guerre à quiconque n'a pas les mêmes idées qu'eux. C'est
surtout en religion qu'ils veulent dominer. Leur intolérance se ma-
nifeste dans le traité intitulé Signatur des Zestalles. L'auteur de ce
traité se montre l'ennemi de toute espèce de lumières ; il approuve
fort ceux qui , dans le bon vieux tems , ont appelé l'invention alors
récente de l'imprimerie Eine TeufelsJcunst, un art diabolique. Pour-
quoi donc impriment-ils? P. G-v.
Prusse. — Iema. — Journal de morale. — MM. Frédérich Bœhme^
inspecteur ecclésiastique, et Charles Mùller , ministre à Neumarck ,
publient un journal intitulé : Zeitfchrist fur moral ; mais il paraît
que le troisième cahier sera le dernier. La sécheresse du titre a effrayé
les lecteurs : de nos jours , on entend par morale quelque chose de
contraire aux plaisirs. Les auteurs de ce recueil avaient pris ce mot
dans toutes les acceptions que lui donnait l'ancienne philosophie. Ils
avaient appliqué leurs principes à des faits sur lesquels l'attention
publique était particulièrement dirigée, par exemple, au meurtre
commis par Sand.... Les critiques Allemands souhaitent à ce journal
une prompte résurrection , surtout avec un titre plus piquant. G. J.
Stdttgakd. — Nouveau journal politique. — Les Annales d'Eu-
rope {Europaische uinnalen), recueil mensuel très-estimé, publié
depuis long-tems par la libi-airie de Cotta à Stuttgard et à Tu-
bingue, ont été remplacées, depuis le commencement de cette année,
par les Annales politiques universelles {Allgemeine poUtische
Annalen^. On y trouve, i° un tableau précis de tous les événemens
qui se rattachent à l'histoire de nos jours , et dont les matériaux sont
puisés dans des sources authentiques ; 2° un examen analytique des
travaux des assemblées constitutionnelles de tous les pays qui jouis-
sent d'un gouvernement représentatif; 5° une analyse des ouvrages
politiques qui paraissent dans ces pays; 4° des mémoires originaux
de publicistes et d'écrivains politiques distingués. M. Fuederich
Mi'EHAKD, littérateur estimé, s'est chargé de la rédaction de ce re-
cueil périodique, qui paraîtra par mois, en cahiers de huit feuille*
d'impression. H-s.
SiLÉsiE PE^sslEN^■E. — Bbeslatv. — Archéologie — M. Kruse , déjà
connu par un opuscule sur les monumens de la Silésie , travaille
maintenant à un livre plus important : il étend ses recherches à tout*
la Germanie. M. Kruse publiera, tous les ans, trois on quatre cahiers.
Le premiertraitera des peuples de l'Orient, depuis le Danube jusqu'à
KUROPE. 5?5
la mer Baltique. L'auteur a compris de quelle importanre est, dan*
un livre de ce genre , la partie géograpliique ; c'est par là qu'il a com-
mencé ; et , pour donner une garantie de plus , il a soumis la carte de
l'ancienne Germanie à l'académie des sciences de Berlin. En outre ,
M. Kruse propose une souscription pour la recherche des antiquités ;
il pense qu'un écu d'empire par chaque signature suBRrait : i" pour
faire commenter avec un soin plus particulier les auteurs grecs et
latins qui ont parlé de sa patrie; 2° pour fairn imprimer les écrits
de ceux des sociétaires qui auront montré le plus d'activité ; Ti" enfin
pour créer un musée central d'antiquités nationales. Pu, Golbérv.
Stuttgard. — Poésie. — Le Morgenblall (Journal du matin) con-
tient, dans sa feuille du 8 janvier, un fragment en vers allemands
du Dithyrambe, sur l'Egj'pfe , de M. Joseph Agoub, du Caire; Di-
thyrambe , déjà emprunté à la Reloue par deux journaux français , et
traduit en italien dans l'yénthologie, publiée à Florence. ( Heuue ,
vol. VIII , page 45 , et tome IX, pageGii). Cette traduction con-
serve toute l'énergie qui caractérise l'original français.
PausSE. — Berlin. — Académie des beaux-arts. — A l'exposition
de 1820, on a remarqué plusieurs tableaux exécutés parles élèves de
l'académie des beaux-arts. La plu^iart de ces jeunes artistes , après
avoir passé quelques années en France et en Italie, sont revenus
orner de leurs ouvrages la capitale de la Prusse. M. Schadow, fils du
célèbre sculpteur de ce nom , et M. Wach , sont au premier rang. Le
portrait d'une jeune paysanne de Velletri, près de Rome , peint par
ce dernier , a réuni tous les suffrages , tant pour l'éclat du coloris
que pour la délicatesse de l'exécution. Les tableaux de M. Zimmer-
man ont réveillé les regrets qu'avait excités dans le public la mort
prématurée de ce jeune liommc, qui s'est noyé l'été dernier. M. Rauch,
célèbre sculpteur, qui exécute en ce moment les statues en marbre
des généraux Bulow et Scharnhorst, avait exposé un fort beau buste
du roi , ainsi que celui de la grande duchessp de Prusse. On a fort ad-
miré le modèle d'une statue de Blûcher , par le même artiste. Elle
est destinée à l'une des places publiques de Berlin. L. S.
Ilmenau. — N'écrolo'^ie. — Koigt. — Nous avons perdu, le i"'"' jan-
vier 1821, l'infatigable na^turaVist^ Jean'CharIe;:-Giiillaiime Yoicr ,
conseiller des mines; il est mort à l'âge de soixante-huit ans. Dans le
cours de son honorable et laborieuse vie , il avait su se concilier l'amour
ei l'estime de tous ses concitoyens. Voici comment s'exprime , an sujet
Tome X. l'o
de ce I liste cvéïicincnl , la garcl te officielle deBerliii ; « M. Voigt était
connu parla vivacité et la fratichise de son caractère ; les soucis n'ont
jamais troublé le repos de sa belle anie , et , jusque dans ses derniers
inomens, il conserva sa gaîté. » — Voulez-vous me voir mourir (dit-
il à l'un de SCS amis qui venaitle visiter sur son lit de douleur), restez
encore quelques instans , et vous serez témoin de ma fin. — n A peine
avait-il parlé, que sa prédiction s'accomplit. » Le dernier ouvrage de
^I. Voigt est un traité sur les mines d' llraenau. Nous ne dirons rieu
des autres , qui sont connus de tous les savans.
Pu. GoLcÉav.
SUISSE.
GE.NÎiVE. — Botanique. — Dans la dernière séance anniversaire delà
Société heluéLique des sciences naturelles , M. de Candolle a missous
les yeux de cette Société une Flore du Mexique, composée de 1740
IVuilles, et renfermée en ij volumes grand in-folio. C'est au zèle de
ses compatriotes pour les sciences que le savant naturaliste est , en
grande partie, redevable de la possession de cette collection précieuse.
Voici quelques détails à ce sujet, que l'on trouve dans le Morgenhlalty
j)ublié à Stuttgardt. MISI. Scssé , ÎMocino et Cervantes avaient par-
couru la Nouvelle-Espagne, dans la vue de composer une Flore du
Piïexique ; ils avaient fait faire le dessin de chaque plante sur le lieu
• même. M. Mocino s'était rendu à Madrid, pour y faire graver cçs des-
sins , lorsque les premiers troubles de l'Espagne le forcèrent à se ré-
fugier avec sa Flore à Montpellier. M. de Candolle, qui se trouvait
alors daus la même ville, accueillit son illustre confrère avec bien-
veillance, lui procura tous les secoui's possibles pour continuer ses
travaux botaniques , et les deux savans travaillèrent ensemble pen-
dant dix -huit mois, pour classer systématiquement les nombreux
f)bjets de toute la collection. IMais le malheur, l'.'ige et des infirmités
avaient tellement découragé M. Mocino, que, lors du départ de
M. de Candolle , qui retournait de Montpellier à Genève, il lui remit
sa Flore, pour la publier un jour en son nom. Cependant, quelque
Icms après, le naturaliste espagnol lui manda qu'il avait pris la ré-
solution de retourner dans sa patrie , et qu'il désirait emporter la
collection dont M. de Candolle était devenu dépositaire. L'idée
de se séparer de tant de richesses botaniques devait nécessairement
causer des regrets à un homme qui fj.',ç,^is.l;e g[ne pour la science.
EUIVOFE. 227
Désirant doue en garder au moiiiii un souvenir, M. de CandoUe prie
quelques-uns de ses amis de lui copier les dessins les plus curieux.
Aussitôt, un grand nombre de personnes des deux sexes otFrcnt leurs
services ; tous les liabitans de Genève, capables de manier le crayon
ou le pinceau, sont occupés de la Flore du Mexique. On travaille
avec ardeur; les dames surtout montrent une complaisance et un
zèle sans bornes, et, en huit jours de tems, il ne reste plus un seul
dessin à copier. IIexkichs.
— Le même M. de Gandolle vient de faire un appel à tous les
naturalistes de la Suisse méridionale , pour qu'ils le secondent dans
son projet défaire une Flore physico-géographique de la vallée du
Léman, d'après les principes qu'il a développés dans l'article géogra-
phie botanique du Dictionnaire des sciences naturelles. Cette idée
a été accueillie de la manière la plus favorable : l'ouvrage qui résul-
tera de son exécution sera le premier qui aura été publié dans ce
genre.
Casto.-^ dk Vald. — Lausa^.>e. — Poéle-cheininée. — M. Bischop a lu
ix\a. Société des sciences naturelles la description d'un poéle-cher/iinée
de son invention qui joint à une grande économie de combustibles
l'avantage de conserver beaucoup plus long-tems sa clialeur que les
autres. Il en fait usage depuis deux ans, et les expériences les plus
rigoureuses ont confirmé ce double résultat. En attendant la publi-
cation de son mémoire , qui paraîtra dans un des premiers numéros
de la feuille du canton de Vaud , nous nous bornerons à dire qu'il a
atteint ce but, en entourant sa cheminée de doubles parois, dont
l'intervalle est rempli d'eau.
— Le Cercle littéraire de celte ville a mis au concours les trois
questions suivantes : i» l'Eloge biographique du docteur Tissot ,
avec une notice raisonnée de ses ouvrages. — 2" Présenter le plan
d'une institution charitable qui, avant pour but de secourir les indi-
vidus sorlant des maisons de force et de détention du canton, leur
procurerait des moyens de travail et de subsistance pour ces premiers
momens où la société les repousse de toutes parts. Ce plan doit
ollrir les meilleurs moyens de se procurer les fonds nécessaires ,
l'organisation du personnel de l'administration, et l'indication des
moyens à employer par cette administration pour remplir le but
proposé. — 5" En quoi consiste, relativement à une petite république,
ce qu'on appelle l'esprit public ? Quels soiil les caractères auxquels on
15*
228 l'XTiOPi:.
peut let.uiHiaîlie son t-xisteiicu, sa natuie et le degré auquel il est
])arveiiu ? quels sont les obstacles qui s'opposent à ses progrès?
quels sont les moyens de détruire ou d'écarter les obstacles ?
R.— r.
ITALIE.
Sicile. — T'qyage scientifique. — M. Brocchi , continuant son
voyage et ses observations dans la Sicile , s'est arrêté à considérer
quatre écueils qui se trouvent près de Catane, qu'on appelle aujour-
d'hui Faraglioni et qu'on nommait anciennement les Ecueils des
Cyclopes. D'après le scoliaste Eustace , on avait cru que ces géans,
dont le chef était Poliphême , habitaient la campagne de Lentini et
le mont Etna , et qu'en cela il était d'accord a.vec Homère.
M. Brocchi pense que tout ce que le poète immortel dit des Cyclopes
et d'Ulysse ne cadre point avec les assertions d'Eustace et de ses com-
mentateurs. Il lui semble plus probable que \es faraglioni étaient
le véritable séjour des Cyclopes, comme Pline l'avait déjà indiqué.
Ces écueils , après les découvertes faites par Dolomieu de l'analcime
ou zeolile blanche, que Fcrrara a nommée Cjclopite , sont devenus
plus célèbres chez les physiciens qu'ils ne l'étaient chez les érudits.
M. Brocchi a donné une description nouvelle et encore plus détaillée
des mêmes lieux ; il y examine une cave qui s'étend à deux milles de
largeur. Il a trouvé dans un champ contigu l'atropa mandragora ,
plante qu'il regarde comme indigène dans l'Italie méridionale; il
fait des remarques fort ingénieuses sur la formation des grandes ca-
vernes , qui se trouvent dans les courans de lave tombés perpendi-
culairement dans la mer. Il trouve çà et là des traces de lave qu'il
rapporte à une date fort ancienne. Les observations faites sur les îles
des Cyclopes sont encore plus curieuses, surtout par rapport à l'anti-
quité prodigieuse qu'annoncent des laves accumulées près d'Aci.
{F'oy. la Bibliothèque Italienne , n" lix, pag. 217).
Véhose. — Publications nouvelles- — Pharmacie. — On a imprimé
dans cette ville une traduction du Code pharmaceutique , publiée à
Paris en 181S par la faculté de médecine. On la trouve préférable,
sous tous les rapports, à celle dePalerme, qui paraît avoir été faite
par une personne peu familière avec cette science.
RoMK. — Peinture. — Le pape vient de confier à plusieurs artistes
distingués la restauration des principaux tableaux qui ornent les
EUROPE. 229
églises de Rome. La direction de ce travail a été Confiée au chevalier
Caumlcini.
Beaux-arts. — Sculpture. — M. Canova vient de ternniner un ou-
vrage qu'on dit supérieur à tout ce qui est sorti de son ciseau. C'est
un groupe de deux statues colossales , dont l'une représente Thèses
tuant un centaure. Le héros serre de la main gauche le cou de son
ennemi, dont la partie humaine lait encore quelques efforts inutiles
contre son redoutable vainqueur, qui soulève de sa main droite la
lourde massue de Périphète. Ce groupe est destiné pour la cour im-
périale de Vienne.
MiLAPf. — Gravure. — M. le chevalier Longhi, célèbre graveur, qui,
comme Morgen et Gandolfi , a suivi la méthode de Woolet, a publié,
l'année dernière, une gravure, la plus grande qui ait été produite
jusqu'ici. Elle représente le mariage de la Sainte Vierge, de Ra-
phaël. Les artistes italiens, tout en appréciant ce beau travail, sont
loin de mettre cette gravure au même rang que la Transfiguration ^^ax
Morgen. On loue surtout les têtes du prêtre, de saint Joseph, d'une ser-
vante, etc. Une autre gravure, quia obtenu un plus grand succès dans
son genre, est celle de VAinore dorniienle, exécutée par M. Gandolfi.
On la compare à V Amour de Barlolozzi pour l'invention, le dessin et la
grâce. Le même artiste s'occupe à graver le fameux saint Jérôme du
Corrège, dont on a déjà fait près de trente gravures, toutes peu dignes
de leur modèle.
PiÉMOJiT. — Turin. — Hommage à Alfieri. — Le marquis de Brème,
voulant venger la mémoire du célèbre Vittorio Alfieri, son conci-
toyen , avait proposé, il y a quelque tems , une médaille d'or, repré-
sentant l'image de ce grand poète, pour celui des Piémontais qui
aurait le mieux démontré dans une dissertation le mérite des pièces
dramatiques d' Alfieri. La médaille fut décernée à l'avocat Gaetano
Marré , qui , dans une savante dissertation , a réfuté complètement
l'écrit de M. le professeur Carmignagni sur le même sujet. Le mar-
quis de Brème a voulu faire encore plus ; il a donné des médailles en
bronze, frappées d'après le même modèle, à plusieurs hommes de
lettres qui partagent son enthousiasme pour ce grand poète. Une de
ces médailles a été envoyée à M. Salfi , l'un de nos collaborateurs ,
auteur de l'article sur la célébrité d'Alfieri, inséré dans le T. Vil,
pag. 202.
jSécrologie. — UeMaistrc.— M. le comte Josrph de Maislre, miiiisfra
230 EUROPE.
d'état du roi de Sardaigne , est mort à Turin , le 25 février i8ai. Ses
Considérations sur la France, quoique dominées par une opinion sys-
tématique et partiale , offrent une supériorité de vues et une profon-
deur de pensées remarquable. Son livre du Pape, publié en 1819, et
dont le troisième volume doit paraître incessamment, a augmenté sa
réputation ; c'est un ouvrage écrit avec talent, quoique, plus qu'aucun
de ceux de l'auteur, il manque de justesse et d'impartialité. On
imprime en ce moment un nouvel ouvrage de î>I. de Maistre, les Soirées
de Sainl-Félersbûurg, ou Entretiens sur le gouvernement temporel
de la Providence j ouvrage que ses amis regardent comme son chef-
d'œuvre. 11 formera 3 vol. in-8». — M. de Maistre avait été ministre
plénipotentiaire de Sardaigne à Saint-Pétersbourg, et il avait les
titres de ministre d'état, régent de la grande chancellerie, membre
de l'académie des sciences de Turin , chevalier grand-croix des
ordres de S. -Maurice et S. -Lazare , etc.
GRÈCE ET TVRQX'IE.
A>DBi>-OPLK. — Instruction publique. — Un riche marchand de cette
ville vient d'y fonder depuis peu une école à ses frais.
— Athèîîes. — Lf école de celte ville continue à prospérer.
— BccnAKKST. — Le lycée de cette ville fait des progrès journaliers ;
il a l'avantage de po«séder actuellement qn troisième professeur, qui
a fait d'excellentes études en Allemagne et en France, et il se montre
déjà l'émule de l'école de Chios.
M. Stéphanos Kanélos, un des premiers professeurs de ce lycée,
a pronencé , cette année (1821"), devant un nombreux auditoire , un
discours énergique adressé aux laborieux élèves qui fréquentent cet
utile établissement. On a remarqué dans ce discours le passage sui-
vant: « Oui, chers cnfans de la patrie ! l'amour du bien public doit
vous animer constamment : le bien public sera toujours le seul but
de vos études et de tous vos efforts. Vos travaux produiront des
fruits salutaires. La patrie vous encourage de tous ses moyens :
rendez-vous toujours dignes de son amour maternel et de ses bril-
lantes espérances. Mais que dis-je ? Je lis sur vos fronts l'expression
de vos nobles sentimcns , et ma joie est inexprimable, etc. » Le
discours de M. Kanélos, éciit avec chaleur et prononcé avec force ,
a électrisé toute l'assemblte, et a été couvert d'applaudissemens.
Tous les boyars faisaient partie ce cette réunion.
EUROPE. 231
— Ciiios. — M. Baiijaqui vient de faire, à l'école de Cliios, un nou-
veau legs qui porte la totalité de ses dons à plus de 120,000 fr.
Cette augmentation des capitaux de l'école a mis l'administration
a même d'envoyer deux jeunes gens à Paris pour y perfectionner
leurs études ; on espère qu'il va en être envoyé un troisième au
célèbre institut de M. de Fellenberg, en Suisse , pour s'occuper par-
ticulièrement dé l'éducation proprement dite. Si l'inconstance des
événeniens en Turquie, et , nous osons le dire , si la malveillance de
quelques Européens, indignes d'appartenir à des nations civilisées,
n'opposent point quelques obstacles imprévus au perfectionnement
de l'école de Chios , on peut se flatter dé voir bientôt l'ile de Chios
devenir; dans la Grèce moderne, ce qu'était anciennement la ville
de Milet, en lonie. La traduction de la Chimie de M. 2'hênard est
sous presse; on peut espérer de voir bientôt imprimer dans cette
ville celle du Cours de mailièrnatiques de M. Francœur.
— ■ CoNSTANTi?iorLE. — Ccttc viUc renferme une grande école et dix
écoles inférieures, peut-être plus actives que la première. — On a
publié récemment ici la traduction en grec moderne, par un ecclé-
siastique , de la cbimie de M. Brugnateîli.
— CvDbiviE. — Le digne archevêque d'Eplièse, monseigneur Dib-
nysios, a consacré lès revenus de quelques églises de Cydonie aux
besoins de l'école de cette ville.
— Epire'.^— Le fléau de la guerre a causéla ruine des deux anciennes
écoles de Janina, et, ce qui est plus alliigeant encore, l'incendie
des deux bibliothèques de cette ville. Cependant les habilans d'urt
canton de l'Epire , les Zagoriotes , malgré les calamités qui ont af-
iligé le pays, persévèrent dans la résolution d'établir une école au
milieu de leurs montagnes, et viennent défaire passer ir l'un de leurs
compatriotes, à Paris, une somme d'argent pour acheter des livres.
— ^Iont-Péliox [Thessalie . — L'école de cette ville continue ses
traraux avec succès.
— Smyrne. — La fermeture d'une des écoles, amenée par quelques
événemens fâcheux , n'a pas diminué le zèle des Smyrniotes pour
le perfectionnement des études. L'ancienne école de la même ville
vient de s'enrichir par l'acquisition de M. Benjamin , ancien profes-
seur à l'école de Cydonie, daus l' Asie-Mineure, qui a fait d'exciiUenles
études en Italie et en France, et qui a visité aussi l'Angleterre. Oa
vient de s'abonner, pour cette école , à la Renie Encyclopédique ,
Zn EUROPE.
afin de se tenir au courant de tout ce qui se fait dans le monde civi-
lisé. Les Smjmiotes ont aussi établi une école d'enseignement mutuel ,
à la tète de laquelle ils ont mis un maître sorti de l'école normale
d'enseignement mutuel établie à Yassy, capitale de la Moldavie , par
MM. Rosnovano et le professeur Cleobulos. Ces deux honorables
philantropes continuent toujours avec succès leurs utiles travaux ; ils
viennent de donner des certificats à dix autres maîtres, qui ont subi
leur examen dernièrement à Yassy. Un de ces nouveaux maîtres est
destiné pour l'île de Candie.
IiEs Ioniennes. — f rétendue découverte géographique. — M. le ca-
pitaine G. H. Smith, dans une lettre adressée, le 21 août 1820, à M. le
baron de Zach , s'est empressé de lui donner une liste des îlots dé-
pendans du gouvernement d'Ithaque, dont l'existence était, dit-il ,
entièrement inconnue des géographes, et même du sénat ionien.
Les noms de ces îles sont : ^rcudi , jitoco , Calamo , Castus , Ta-
rachinico , Mangelaria , Fermecula j Profatuchi , Claronissi , To-
sia , Lambrino , Dragonara , Calogero , Filipo , Pistro , Zacalonissi,
Prouati, Carlonissi , Pondico , Modi , Uromana , Maori, Claro-
nissi , Oxia. Ces îles inconnues pour MM. le baron Théotocki , prési-
dent du sénat ionien , le baron de Zach , le haut commissaire britan-
nique, sir Maitland, et le capitaine Smith, étaient déjà indiquées
dans plusieurs cartes géographiques , telles que celles du Falma , de
D. Dionisio Alcala Paliano, du Péloponèse par Cantelio, et du golfe
de Venise et de la Morée , par Bellin. On trouve aussi une longue
dissertation du père Coronelli , ainsi qu'un article dans l'Encyclopédie
méthodique, sur les Cunolaires. Les mêmes îles avaient été citées
par Pline , Tacite , Ovide , Stiabon, Plolomée, etc., etc. (^Voy. Bi-
bliothèque italienne ■, n" lxi et lxii , page 200].
ESPAGNE.
Madrid. — Médecine. — Pectirologe du docteur Laennec. — On a fait
un grand nombre d'expériences pour vérifier si les effets an pectirologe ,
inventé par le docteur Laennec , médecin de Paris , sont tels que
l'auteur les avait annoncés dans l'ouvrage qu'il a publié à Paris, sur
ce sujet. Les résultats ont été aussi satisfaisans qu'il est possible , et l'on
a reconnu combien est précieux cet instrument, au moyen duquel les
poumons révèlent en quelque sorte au médecin l'état dans lequel ils
se trouvent, La gazette de .Madrid ajoute qu'on a reconnu dans deux
EUROPE. 233
cadavres disséqués la lésion organique du poumon , telle qu'on l'a-
vait présumée d'après le son da pectirologe.
— Médailleen lave du Vésuve. — Les corlès ont fait placer
dans la salle de leurs séances une superbe médaille , faite de lave
ardente du Vésuve, dont le savant M, Gimbernat leur a fait hom-
mage, et sur laquelle on lit: a Alliance du trône et de la liberté,
scellée de la lave ardente du Vésuve, lo mars 1820. — J'ai juré
cette constitution , pour laquelle vous soupiriez : Le roi à la patrie ,
10 mars 1S20. »
PORTUGAL.
LiSBOR»"»K. ^^bolitition de la peine de iiiorl. — Les cortès por-
tugaises ont prononcé l'abolition de la peine de mort. Ainsi, les
publicistes vont être à même , par cette application d'un principe
de justice et d'humanité si long-tems violé , d'apprécier la préten-
due nécessité de cette punition si terrible et anti-sociale, que notre
état actuel de civilisation réprouve , et contre laquelle Beccaria et
un grand nombre de criminalistes et de philosophes, et, en France,
l'infortuné Condorcet, se sont élevés avec tant de force. 11 est digne
de la nation française de consacrer par une disposition législative
cette abolition de la peine de mort , qui serait remplacée utilement,
pour la morale publique et pour la société , par V isolement absolu.,
dans une prison solitaire., des criminels qui auraient encouru cette
peine, ainsi qu'on le pratique aux Etats-Unis d'Amérique. Nous
croyons devoir appeler sur cette question importante l'attention des
législateurs, des publicistes et des philosophes. L'exécution d'un
homme mis à mort dans nos sociétés modernes, au milieu d'une
foule nombreuse réunie pour assister à cet affreux spectacle, n'est
pas sans analogie avec ces fêtes barbares de quelques peuples sau-
vages qui tuent leurs prisonniers, et forment un grand cercle au-
tour de la victime, avant de l'immoler. M. A. J.
PAYS-BAS.
Harlem. — Société Teylérienne. — La classe théologique de cette
société a eu à prononcer, dans le mois de novembre dernier,
dans le concours qu'elle avait ouvert sur cette question:
• A dater-de la Confession à'iXç, A' Augsbourc^ , quelle influence
cette sorte de formulaire de foi ou de livres symboliques a-t-elle
23A • EUROPE.
exercée sur les études de théologie ? Jusqu'à quel point cette înflucnrn
semble-l-elle conseiller, soit l'abrogation de ces formulaires et confes-
sions, soit un nouveau mode à établir à cet égard? et, dans le
den '"r cas, quelle serait !a forme à adopter de préférence ?»
Dans les quatre mémoires hollandais envoyés au concours, la
société en a distingué deux ; celui numéroté i , et portant pour
.devise ces paroles de PEvangile: Tonte plante que mon père céleste
na point plantée , sera déracinée , et celui numéroté 4i ayant pour
devise: JIoc fundamenlum est libertatis , ht" fons œquilatis.
Mais la société a cru devoir se borner h une mention honorable
des deux mémoires; elle n'a point adjugé de prix. Elle propose la
question suivante pour le prochain concours: «Quelle- est l'origine,
et quel a été le développement des sociétés bibliques actuellement
existantes dans les diverses contrées? Quel a été, sous le rapport
de la religion et des mœui*s, le résultat de la propagation du code
sacré par le moyen de ces sociétés, soit en général , soit en par-
ticulier, parmi les nations non-civilisées, ou parmi celles qui, plus
ou moins civilisées, n'en sont pas moins étrangères au christia-
nisme ? Qu'est-ce qu'on peut en espérer à l'avenir ? Enûn , les moyens
adoptés par ces sociétés pour atteindre leur but sont-ils les meil-
leurs, ou serait-il possible d'en employer d'autres qui promissent
plus de succès?»
Le prix est une médaille d'or de la valeur de loo florins (Soo fr. ) :
les mémoires écrits en hollandais, en latin , en français ou en anglais,
et ne faisant connaître le nom de l'auteur que dans un billet cacheté,
doivent rtrfe adressés, avant le premier janvier 1822, à la fonda-
tion de Jeu Rerre-Teyler van liurst , à Harlem.
FRANCE.
Somme. — Amieks. — Isouveau procédé pour rendre les étoffes de
coton incombustibles. — Le professeur de physique de l'académie de
cette ville a découvert qu'en trempant les cotonnades, avant de les
repasser , dans une dissolution de tartrile de potasse et de soude
{ sel de seignette), elles ne peuvent plus s'enflammer. Cette prépa-
ration, qui ne change rien à la qualité ni à la couleur des étofles,
peut prévenir des accideus qui, depuis quelque tems , ont été très-
fréquens. ( Voj'ez Tom. IX, pag. igS etizoj. )
AisxE. — SiiixT-QuKSTi.f . — Nouvelle machine. — Un fabricant de
EUROPE. 235
cette ville vient d'inventer une machine très-ingénieuse pour l'étirage
des draps.
IsÙRB. — GnENOBtE. — Facullè de droit. — Une ordonnance royale,
du 2 avril, supprime , pour des motifs politiques , la l'acuité de droit
do Grenoble. Cette ordonnance laisse pourtant l'espoir d'une pro-
chaine réorganisation.
Aube. — Tkoyes. — Anûquilès. — M. le préfet de l'Aube a commu-
niqué aux personnes qui s'occupent de recherclies sur les antiquités
de ce département , les mesures prises par le ministre de l'intérieur,
pour la distribution de médailles d'or aux auteurs des meilleui's mé-
moires sur cet objet. A cette occasion , on remarque que les Romains
ont laissé dans l'Aube peu de traces de leur domination. Il ne sub-
siste même plus, du gouvernement des anciens comtes de Cham-
pagne, que la distribution des eaux dans la ville de Troyes, précieux
monument de leur administration.
Hékault. — Montpellier. — Un tombeau antique a été découvert
dans une des propriétés de M. Martin de Choisy, auditeur à la cour
royale de INIontpcllier, sur le chemin qui conduit de cette ville au
village de Pérols. Des ouvriers, occupés à travailler dans une. vigne,
trouvèrent des fragmens de briques et d'ancienne poterie, et, parmi
ces débris , la moitié d'une médaille en bronze de l'empereur Claude.
Elle paraît avoir été partagée à dessein. On y distingue très-aisément
le profil de ce prince, ainsi que ces mots : x. claudius cies. Au revers,
on aperçoit en partie une figure de femme et ce seul mot : libertas.
Ce revers est connu : on sait que la légende entière est liberlas au-
gusta, et que le type est une femme tenant \q pile us dans la main
droite , et, aux deux côtés, les lettres S. C — A une profondeur de
deux pieds, les ouvriers furent arrêtés par une pierre ; cette pierre
recouvrait une sorte d'encaissement d'environ deux pieds en carré
et de plus d'un pied de profondeur; il était formé par cinq dalles,
dont les quatre premières servaient de parois et la cinquième de fond;
elles n'étaient jointes par aucun ciment. On trouva dans cet encais-
sement une urne de verre, d'une teinte un peu azurée ; elle est ronde,
renflée parle haut et allant en se rétrécissant vers le bas, qui est plat;
elle a environ un pied ; sa partie supérieure est entière. Elle étai*
remplie de cendres mêlées de terre et de quelques petits ossemens
qui semblaient calcinés. Autour étaient placés un assez grand nombre
d'autres vases de différentes grandeurs et de formes variées. Il y en
236 EUROPE
a de très-petits et comme des fioles, de très alongés ou de forme
carrée, avec une anse. On parle d'autres objets encore , tels que des
vases déterre, des lampes, des tiges de cuivre, des médailles d'An-
tonin, etc., qui, d'après une notice écrite par M. Sicard, président de
la commission des antiquités de l'Hérault, ont été découvertes dans
le même tombeau.
SOCIÉTÉS SAVANTES ET d'uTILITÉ PUBLIQUE.
Caen {Calvados). — Académie royale des sciences, arts et belles-
lettres. — Séance du lo. janvier. Après diflerens rapports qui ne ren-
ferment aucun fait important, le secrétaire présente.cinq pièces de
poésie envoyées pour concourir au prix de poésie, proposé à la der-
nière séance publique de l'académie , intitulé : Le deuil de la ville
de Caen sur la mort du duc de Berri. Ces pièces sont renvoyées à une
commission. — M. J. S. Smythe, associé correspondant, adresse à
l'académie une liste de vingt questions numérotées , sur un vieillard
âgé de cent quarante-deux ans, qu'on dit existera Vauville , près
Cherbourg.
— Séance du 26 janvier. — Le président donne lecture d'une lettre
qu'il a reçue de M. Cuvier, de l'institut :
« Je vous prie de vouloir bien présenter à l'académie l'expression
de ma vive reconnaissance pour le service qu'elle m'a rendu. Le
modèle parfaitement exécuté du crocodile fossile qu'elle a bien
voulu m'adresser est un trop beau présent pour que je veuille l'ac-
cepter pour moi; mais j'espère qu'elle me permettra de le déposer
en son nom au cabinet du roi. Ce modèle satisfait d'ailleurs à tout
ce que je pouvais désirer , et il ne sera point nécessaire de déplacer
le morceau original : d'autres pièces , qui m'ont été données par quel-
ques persoHnes zélées pour les sciences , m'instruisent suÉBsamment
de ce qu'on pouvait encore découvrir en enlevant un peu de l'enve-
loppe pierreuse qui incruste les vertèbres : il est certain maintenant
que ce crocodile est d'une espèce tout-à-fait particulière , et diffé-
rente non seulement de tous les crocodiles vivans , mais aussi de tous
les crocodiles fossiles qui ont été découverts jusqu'à présent. Le seul
qui en approche est celui qui a été déterré près de Pappenheim , et
qui se trouve dans le cabinet de l'académie royale de Bavière. Lorsque
j'aurai terminé le mémoire où je dois en exposer les caractères, je
me ferai un devoir d'en faire hommage à l'académie de Caen , à la-
EUROPE. 557
quelle j'adresserai aussi les modèles en plâtre des pièces que je pos-
sède, et que je compte placer également au cabinet du roi : de cette
manière, les deux collections offriront au public tout ce qui sera
nécessaire pour lui donner une idée complète de cette espèce cu-
rieuse. J'ai reçu aussi l'empreinte du poisson (trouvé en Normandie) ,
qui était jointe à celle du crocodile. Sitùt que j'aurai terminé les
comparaisons nécessaires pour en fixer l'espèce, j'aurai l'honneur
de vous l'aire part de mes résultats. »
M. Pattu lit une analyse de l'ouvrage de M. Cachin, relatif aux
travaux de laradede Cherbourg.— M. Lange fait, sur les crayons de
M. Saint-Edme Jobert, un rapport dont voici un extrait : c Ces
crayons sont faits avec un schiste argileux, tendre , doux au toucher,
d'un gris blanchâtre, jaunâtre ou rougeâtre ; se montrant en bancs
subordonnés dans la formation du terrain de grès rouge qui occupe
une partie du sol de la Basse-Normandie. Nous avons prié MM. de
Page et de Bayan, directeurs des écoles d'enseignemcDt mutuel de
Caen, de faire l'esai des crayons ; et voici les résultats qu'ils nous ont
communiqués. Ces crayons sont plus tendres que ceux d'Allemao-ne
dont on fait usage; ils marquent mieux sur l'ardoise, même lorsqu'elle
est humide, soit par l'effet de l'haleine des élèves, soit par l'effet de la
température ; ils l'usent beaucoup moins , et les caractères qu'ils ont
tracés sont plus faciles à effacer avec la main ou le linge : ils sont
plus aisés à tailler; ce qui est avantageux pour les moniteurs , ordi-
nairement chargés de cette opération. En se servant de ces crayons ,
les élèves, obligés d'appuyer et d'élever la main avec plus de pré-
caution, saisiront mieux et plus promptement le mécanisme' de la
pression de la plume , si nécessaire pour la formation des pleins et
des déliés; et, lorsqu'on substituera le papier à l'ardoise , ils trouve-
ront moins de difficulté dans ce changement que s'ils eussent toujours
fait usage des autres crayons. Ceux de la Normandie peuvent être
considérés comme parfaits sous le rapport de l'écriture : ils durent un
peu moins que les autres ; mais on pourra les employer un peu plus
secs pour les commençans, ce qui ne les empêchera pas d'être en-
core préférables aux crayons allemands. Quant à la différence de
durée, elle sera compensée par le prix. Le crayon d'Allemao-ne,
long de six pouces , coûte 2 fr. 5o centimes le cent. Le crayon de
M. Jobert , long de trois pouces , coûtera i fr. ; le même , de deux
pouces et demi, coûtera 1 fr. le» i5o crayons. .
238 ELROPE.
M. de Baudre fait un rapport , au nom d'une commission, sur les
pièces présentées au concours pour le prix de poésie dont le sujet est :
« Le Deuil da la ville de Caen sur la mon du duc de Berri. » L'a-
cadémie décerne le prix à la pièce do poésie qui porte pour épi-
graphe : « Ilonos alil arles. » ( ï. IX, pag. 463. )
CoLMAR. — ( Haut-Rhin). — Société pocu l'amélioratios de l'eît-
SEiGAKiiK.NT ÉLÉME.xT '.IRE. — Lc conscil d'administration de cette société
a entendu, dans sa séance du 3 avril, le rapport fait par M. Blelzger,
l'un de ses membres, sur le livre intitulé : J-'rincipes généraux de
lecture appliquée simultanément aux langues française el alle-
Tnande, par A. Jeanmougin. Cet ouvrage, d'un professeur très-habile,
est le fruit de plusieurs années de réflexion. Il est propre à bannir
de nos campagnes l'accent désagréable que contractent ceux qui
parlent le français , car c'est surtout à la prononciation que M. Jean-
mougin s'est attaché. Le conseil a pensé que nul autre livre n'était
capable de répandre aussi promptement la connaissance de la langue
française, et qu'il serait d'une égale utilité pour les méthodes mu-
tuelles, simultanées et individuelles. En conséquence, il a été arrêté
que la société ferait l'acquisition d'un certain nombre d'exemplaires
pour l'usage des écoles et pour les pris à distribuer aux élèves. Nous
croyons devoir rappeler que cette société (dont nous avons annoncé
la formation (Tome lY, pag. 4o4) est composée d'un très-grand
nombre de propriétaires, de fabricans et de fonctionnaires du dé-
partement du Haut-Rhin, et qu'elle emploie ses fonds à encourager
les instituteurs par des primes; h entretenir à l'école normale de Stras-
bourg des élèves pauvres, qui prennent l'engagement d'enseigner
pendant cinq ans dans les écoles primaires; enfin, à pourvoir ces
mêmes écoles de tous les objets qui leur manquent. Le conseil d'ad-
ministration se réunit deux fois par mois.
IsSTiTDT. — u4cadériie royale des sciences. M^bs 1821. — Séance
du 5. Au nom d'une commission, M. Halle lit un rapport sur un
mémoire de MM. Martinet et Parent-Duchâtekt sur Vinf.ammaiion
de l'arachnoïde cérébrale et spinale.
« Nous avons remarque dans cet ouvrage, dit en terminant M. le
rapporteur, un esprit d'exactitude et de précision digne de louange,'
et qui d'ailleurs est remarquable dans un certain nombre de disser-'
Jl
EUROPE. 239
lations publiées depuis quelques années par de jeunes médecins,
que nos écoles modernes ont droit de se glorifier d'avoir vus naitn;
dans leur sein, et se former sous leur iulluence. Le travail dont nous
venons de donner l'analyse nous parait pouvoir contribuer à per-
l'ectionner la connaissance et le diagnostic souvent bien difficile
il'une maladie très-importante à bien caractériser, et par conséquent
à assurer le siiccès de son traitement. Nous pensons que cet ouvragfe
mérite d'être accueilli par l'académie et d'être honoi'é de son appro-
bation. » La commission du prix de pbysique sur Vanatomie com-
parative du cerfeuil annonce qu'elle a arrêté à l'unanimité que le
prix devait être décerné à M. Serre , médecin de l'hôpital de la Pitié.
— M. Diipin présente à l'académie le Traité de mécaniçue usuelle
de M. Borgnis ; il est prié lui-même d'en rendre un compte verbal.
M. Clievreul lit un mémoire sur la saponification.
— Du 12.— M. Prechtel, directeur de l'institut polytechnique de
Vienne, adresse à l'académie un mémoire intitulé: Du magnétisme
transuersal et des phénomènes quien dépendent dans le fil conjonctif
de la pile électrique. A cette occasion, M. Ampère communique quel-
ques observations sur le même sujet. M. Arago présente les élémens
de la comète découverte et calculée par M. Nicollet. — .Au nom d'une
commission, M, Halle lit un rapport sur un mémoire de M. Chomel,
intitulé : Observations sur l'emploi des sulfates de quinine et de cin-
chonine. Ce rapport finit par ces expressions : «Nous pensons que les
efforts de ]M. r'AorncZ méritent d'être encouragés par l'approbation
de l'académie, et qu'il convient que son mémoire , vu l'importance
des résultats qu'il présente , soit imprimé parmi les mémoires des
savans étrangers , en y joignant toutelbis, comme complément histo-
rique , im extrait des observations déjà publiées sur le même sujet
par M. Double. » — M. Pfaff est nommé correspondant de la section
de géométrie, à la place de M. Gauss, devenu associé étranger. —
M. Dupetit-Tbouarslit une réclamation. — M. Dutrochet continue la
lecture du mémoire qu'il avoit commencé dans une des séances
précédentes; il en promet la suite. — ]\L Audouin lit des observa-
tions sur les appendices copulateurs mâles des insectes , et particu-
liéi'ement des bourdons.
Du 19. — Au nom d'une commission, M. Arago lit ini rapport sur
un ouvrage de M. Vallée, intitulé : Traité de la science du dessin.
t Cet ouvrage , dit M. le rapporteur, nous paraît devoir être très-
utile aux ingénieurs civils et militaires, aux architectes, aux peintres,
2A0 EUROPE.
et en général à toutes les personnes qui cultivent les arts. Nous
proposons conséquemment à l'académie de lui donner son approba-
tion. Le recueil des planches qui accompagne l'ouvrage , ajoute-t-il
ailleurs, a été fait par M. Vallée lui-même, et sera un véritable
modèle de travail graphique. Des données heureusement choisies,
des solutions curieuses et inattendues , les constructions, quelquefois
assez compliquées, qui les ont fournies, se groupent toujours , sans
confusion, dans des espaces assez resserrés. Vos commissaires espèrent
que M. Vallée sera assez encouragé dans son utile entreprise pour
que la précieuse collection des épures soit confiée à un graveur ca-
pable d'en faire ressortir tout le mérite. — L'académie entend les rap-
ports de ses diverses commissions des prix, pour la section des sciences
physiques. ( Voyez ci-après la note de la séance publique ).
M. Geoffroy Saint-Hilaire lit des observations d'anatomie patho-
logique sur un acéphale humain, éclaircissant quelques points de
r histoire de l'origine des nerfs,— M, Dupin présente un ouvrage an-
glais, intitulé: Recherches sur les moyens qui ont été pris pour
préserverla flotte britannique de cette espèce de dépérissement, connu
sous le nom de pourriture sèche. — M. Latreille lit un mémoire sur
les zodiaques égyptiens , et M. Gérardin, de nouvelles observations
sur la fièvre jaune. — L'académie entend les rapports de ses com-
missions des prix pour la section des sciences mathématiques. Voyez
ci-après la note de la séance publique.
— Séaisce plbltqce du 2 avril. — Voici quel a été l'ordre des lectures.
L'un des secrétaires perpétuels, INL Delambre , a ouvert la
séance par l'annonce des prix décernés durant l'année qui vient de
s'écouler et des prix proposés pour l'année prochaine. — M. Biot a lu
ensuite une analyse historique des découvertes faites récemment sur
le magnétisme, ou sur les phénomènes de l'aimantation. M. Ampère,
qui lui a succédé, a lu pareillement une notice sur le même sujet,
mais considéré sous de nouvelles vues ( elle sera insérée dans notre
prochain cahier). La séance a fini par l'éloge de M.Bancks, prononcé
par M. le baron Cuvier.
Prixdécernés. — L'académie avait remis, pour la troisième fois, au
concours cette question : quels sont les changemens chimiques qui
s'opèrent dans les fruits pendant la maturation et au-delà de ce
terme ? Les concurrens devaient , aux termes du programme : i " faire
l'analyse des fruits aux principales époques de leur accroissement et
EUROPE. m
de leur maturation , et même à l'époque de leur blessissement et de
leur pourriture; 2° comparer erttre elles la nature et la quantité que
les fruits contiendraient à ces diverses époques ; 5» examiner avec
soiu l'influence des agens extérieurs, surtout celle de l'air qui envi-
ronne les fruits et l'altération qu'il éprouve. Les observations pou-
vaient se bornera quelques fruits d'espèces différentes, pourvu qu'il
fût possible d'en tirer des conséquences assez générales. — Trois con-
currens se sont présentés; une mention honorable est accordée à l'un
d'eux, M. Couverschel , pharmacien à Paris, et le prisa été décerné
à M. Bérard , correspondant de l'académie, à Montpellier. Ce n'est
pas , disent MM. les commissaires du prix, que les expériences que
rapporte M. Bérard sur les changemens survenus dans la composition
du fruit , depuis sa naissance jusqu'à sa maturation et à son bl.essisse-
jnent, soient bien concluantes : elles laissent, au contraire, beaucoup
à désirer ; elles ne sont ni assez multipliées ni assez précises pour que
l'on puisse en tirer des conséquences générales et incontestables. Mais
celles qu'il a faites, en examinant l'influence des gaz sur la matu-
ration, sont très-remarquables. Il a vu que la maturation des fruits
ne s'opérait que par le contact de l'air, et qu'alors il se formait du gaz
acide carbonique par l'union de l'oxigcne de l'atmosphère avec le
carbone du fruit, de sorte qu'il se passe alors un phénomène opposé
à celui que présentent les feuilles sous l'influence solaire. Ainsi , se-
lon l'auteur, le résultat de l'action des fruits sur l'air, tant sous l'in-
fluence de la lumière que sous celle de l'obscurité, est une perte de
carbone de la part du fruit. Cette perte de carbone est une fonction
indispensable pour que la maturation s'opère; car, quand le 'fruit est
plongé dans une atmosphère dépourvue d'oxigène , cette fonction ( !a
formation d'acide carbonique) ne pouvant plus s'exécuter, la matu-
ration est arrêtée ; et si le fruit reste attaché à l'arbre , il se dessèclie
et meurt. 11 résulte de là qu'on peut retarder la maturation des fruits
en les plaçant dans des milieux dépourvus d'oxigène ; mais ce sé-
jour ne doit pas être trop prolongé , sans quoi le fruit perdrait la fa-
culté de pouvoir mûrir. On peut encore , en suspendant la matu-
ration , conserver plus ou moins les fruits , surtout ceux qui n'ont pas
besoin de rester attachés à l'arbre pour mftrir , etc., etc.
Le prix de phj'sique sur l' anatomie comparatlue du ccri/eau a été
accordé à l'unanimité à M. Serre, médecin de l'hi^pital de la Pitié ,
«t une mention houorable à M. C. D. Sommé, I). M.
Tome x. 16
2A2 EUROPE.
Le prix de statistique , fondé par feu M. de Mont3'on , écrivain dis-
tingué, grand magistral ^ philosophe sincère et constant, bienfaiteur
des sciences ^stlon les propres expressions du programme de l'académie,
a été décerné d'une opinion unanime à la statistique du département du
Jjot, ouvrage manuscrit de M. Delpon, membre du conseil général du
département. Le prix était double cette année. On a distingué parmi
les pièces envoyéesau concours un Essai de statistique sur le départe-
ment de la Loire, dont l'auteur est M. Duplessy , sous-préfet de Nan-
tua. Cet essai a paru digne d'une mention très-bonorable.
Le prix annuel de pbysiologie expérimentale , également fondé par
AL de Montyon , a été partagé entre MM. Dutrochet et Edwards ;
l'ouvrage du premier a pour titre : Recherches sur V accroissement
et la reproduction des végétaux ; celui du deuxième , de l'influence
des agens physiques sur les animaux vertébrés. L'académie a dé-
cerné l'accessit à un ouvrage allemand imprimé , de MM. Tiedeman
et Gemelin,5M/" les voies que prennent dii-'erses substances pour passer
de l'estomac et du tube intestinal dans le sang , etc. Elle a accordé
une mention honorable à un mémoire de M. Magendie , sur le méca-
nisme de l'absorption chez les animaux à sang rouge et chaud j et
un témoignage d'encouragement à un mémoire de M. Desmoulins,
sur l'étal du système nerveux, sous ses rapports de masse et de vo-
lume dans le marasme non senile.
Le prix annuel de mécanique, fondé encore par M. de Montyon,
en faveur de celui qui s' en sera rendu le plus digne, en inventant ou
perfectionnant des instrumens utiles aux progrès de F agriculture ,
des arts mécaniques et des sciences , n'a point été décerné cette
année , et en conséquence il sera cumulé avec celui de l'année
prochaine.
Enfin, la médaille d'astronomie , fondée par M. de Lalande , a été
accordée à MM. Nicollet et Pons, qui, le même jour, 21 janvier
1821 , et presque à la même heure, ont découvert une comète dans
la constellation de Pégase ; l'un à l'observatoire royal de Paris , et
l'autre à celui de Marlia,près deLucques. [Voy. R. E., T. IX, p. ôSg).
Prix proposés. — Prix annuel de statistique. — Parmi les ouvrages
publiés chaque année et qui ont pour objet une ou plusieurs questions
relatives à la statistique de la France, celui qui contient , au jugement
de racadémie , les recherches les plus utiles , est couronné. On con-
.sidëre comme admis à ce concours les mémoires envoyés en manus-
EUROPE. 2/4
crits, et ceux qui, imprimés et publiés dans le cours de l'année,
sont adressés à l'académie. On avertit ceux qui voudraient concourir
pour l'année prochaine que les mémoires manuscrits doivent être
remis au secrétariat de l'Institut , avant le i"" janvier 1822. Ils
peuvent porter le nom de l'auteur, ou ce nom peut être écrit dans
un billet cacheté joint au mémoire. Quant aux ouvrages imprimés ,
il suffit qu'ils aient été publiés dans le courant de l'année 1821, et
remis avant l'expiration du délai indiqué. Le prix est une médaille
d'or de 5oo francs , et sera décerné dans la séance publique de mars
1S22. On ne peut trop engager MM. les concurrens à méditer les ins-
tructions consignées dans le programme de l'académie.
Prix de physique. — L'académie propose, pour ce prix, de déter-
miner par des expériences précises quelles sont les causes , soit chi-
miques . soit physiologiques , de la chaleur animale. Elle exige
particulièrement que l'on détermine exactement la chaleur émise
par un animal sain, dans un tems donné, et l'acide carbonique
qu'il produit dans la respiration ; et que l'on compare cette cha-
leur à celle que produit la combustion de carhone , en formant la.
même quantité d'acide carbonique. Le prix sera une médaille d'or
de 5,000 francs, décernée dans la séance publique do l'année 1S23.
Les mémoires devront être remis au secrétariat de l'Institut, avant
le !«■■ janvier iS23, et porter chacun une épigraphe ou devise, qui
sera répétée, avec le nom de l'auteur, dans un billet cacheté joint au
mémoire.
— Académie française. — Séance particulière du 3 avril. —
M. Auger a lu, dans cette séance, la Vie de Molière, et M. Lemontey,
le chapitre VII de son Histoire critique de la France, depuis la
mort de Louis XIV.
— Séance publiqce annuelle des quatre académies ( 24 avril 1821 ).
— Après le discours d'ouverture prononcé par M. Walkenaer, pré-
sident, il a été fait lecture de l'annonce du prix fondé par M. le comte
de VoLNEY pour encourager et simplifier l'étude des langues orien-
tales. On a proclamé ensuite le nom de l'auteur qui a remporté le
prix destiné à l'ouvrage le plus utile aux mœurs ; c'est M. le baroa
de Gérando, membre de l'académie royale des inscriptions et belles-
lettres , auteur de l'ouvrage intitulé. Le visiteur du pauvre, dont
nous avons rendu compte dans la Revue (T. VI , pag. 077 ). L'aca-
démie a accordé, à titre d'encouragement, une médaille d'or de la
16*
2AA EUROPE.
valeur de trois cents francs à M. Hugues Milloi, auteur d'un ou-
vrage intitulé, Damis ou r£ducation du cœur, dont nous avons éga
lement rendu compte (T. VIII, page 3-6). M. le comte Boissy
d'Anglas, de l'académie royale des inscriptions et belles-lettres , a lu
avec chaleur un fragment d'un poème intitulé : Bougiral ou les
Souvenirs f renfermant de très-beanx vers et un hommage touchant à
la mémoire de Louis XVI. M. Charles JDupin, de l'académie royale
des sciences , a lu ensuite des Considérations pleines d'intérêt sur
les avantages de l'industrie et des machines, en Angleterre et en
France.
Ce discours a pour but de prouver, d'après l'exemple d'une contrée
célèbre par son industrie, et que l'auteur a spécialement étudiée dans
ses voyages, cette vérité si importante et malheureusement aujour-
d'hui trop méconnue parmi nous : l'industrie qui féconde le travail, et
la science qui sert de guide à l'industrie , sont les plus sûrs fonde-
mens de la puissance, de l'ordre et du bonheur publics. A l'appui
de cette assertion, l'orateur nous offre le tableau touchant et sublime
d'un immense empire qui, pendant beaucoup d'années, avait pour
roi un vieillard octogénaire , privé des facultés de son intelligence et
néanmoins plus révéré , plus chéri de ses sujets , que des monarque:*
absolus dans toute la force et le faste de leur règne ; parce que ce
prince, aux beaux jours de son règne , avait été le véritable ami de
son peuple , et qu'alors il se plaisait à protéger les arts utiles et les
hommes qui les cultivent. A ce sujet, M. Oupin rapporte un dia-
logue piquant entre Georges III et Boulton, l'associé du célèbre
Watt dans l'exécution des machines à vapeur: machines qui, dit
l'orateur , devaient bientôt contribuer à rendre le roi de la Grande-
Bretagne un des monarques les plus puissans de l'univers. Pour
donner une idée du pouvoir des machines à vapeur de l'Angleterre,
M. Dupin se demande combien il faudrait de tems à ces machines
pour transporter un poids égal à celui de tous les matériaux de la
grande pyramide , élevés du fond de la carrière jusqu'à la position
qu'ils occupent dans les différens degrés de ce haut édifice. Dix-huit
heures seulement suffiraient à ce travail immense. M. Dupin examine
ensuite s'il est vrai , comme on le prétend , que l'emploi des ma-
chines ait pour résultat nécessaire d'accroître le nombre de pauvres;
il se décide pour la négative , et justifie victorieusement son opinion
par l'exemple des diverses nations européennes, et surtout par celui
EUROPE. Ui
de la Grande-Bretagne. Il fait voir que, dans cette dernière contrée,
les lois qui favorisent l'oisiveté et qui encouragent la multiplication
de la classe indigente, et les lois qui favorisent la concentration des
propriétés dans un petit nombre de mains, la substitution inalié-
nable des feudes et des grands majorats,rénormité des taxes, les res-
trictions, les prohibitions et les privilèges, sont les véritables causes
de l'accroissement effrayant du nombre des pauvres en Angleterre.
— M. Dupin fait voir que l'industrie, par ses moyens variés, et surtout
par l'emploi des machines , s'eirorce avec succès de remédier à ces
maux produits par les institutions les plus funestes. Il montre com-
bien le seul usage de la machine à vapeur a donné de travail et d'ai-
sance à un nombre immense d'artistes et d'ouvriers de toute profes-
sion.— L'auteur termine son discours, en présentant des considérations
générales sur les progrès et les bienfaits de l'industrie , et sur les
moyens de la faire fleurir parmi nous. — De vifs applaudissemens ont
souvent interrompu ce discours, où l'auteur avait à lutter, parle»
efforts du style , contre un sujet naturellement aride, et qui, semblait
peu fait pour une assemblée qu'on doit croire beaucoup plus sensible
au charme des beaux vers, qu'aux austères leçons de la philosophie.
— Ainsi, malgré les calomnies de l'étranger, le sexe le plus léger
d'une nation qu'on s'obstine à représenter comme la plus légère des
nations , sait porter un intérêt profond et senti à toutes les vérités
utiles, au bonheur public et à la gloire nationale.
Après M. Charles Dupin , M. Guérik, de l'académie royale des
beaux-arts , a lu de» Réflexions sur une des opérations disùnclives
du génie. Il a commencé par réfuter l'opinion qui prétend attribuer
le génie à la patience ; puis il a établi que la simplicité est l'attribut
caractéristique d u génie en tout genre , et il a appuyé son opinion par
une analyse ingénieuse du tableau du déluge , par le Poussin. On a
beaucoup regretté que la faiblesse d'organe n'ait pas permis de le
l)ien entendre.
M. LEMEaciEB, de l'académie française , a terminé la séance par la
lecture du Tableau des L'gislalions successii-'es du monde, extrait
de son poème sur Moïse. On y a reconnu le beau talent de l'auteur, qui
a mérité de nombreux applaudissemens. Nous croyons faire plaisir à
nos lecteurs, en leur offrant un passage de cet intéressant tableau.
Dit-u du ciel ! qu'en nos jours tu rigiU'ur soit fléchie:
2A6 EUROPE.
Fais succéder l'aspect de nos prospérités
Aux fastes criminels que l'Ange a présentés.
J'ai vu le Fanatisme armé du cimeterre ;
Les deux fronts de ce monstre épouvantent la terre :
La Discorde grava , d'un trait ensanglanté , '
Sur l'un , religion ; sur l'autre , libertés
Ah i que du monstre aveugle à jamais affranchie ,
La France indépendante écrase l'Anarchie l
De l'abjecte licence elle a fui le chaos ,
Du despotisme armé repoussé les fléaux ;
Là, mesuré l'abîme, où l'altière victoire
Pousse une race aux fers , ivre de folle gloire ;
Et là , le gouffre immonde , où tombent écrasés
Les hommes s'agitant sous leurs niveaux brisés.
Fille de la Nature , immortelle pensée ,
Sous le chaume et le dais ta lumière est lancée.
La simple piété dit aux cultes jaloux :
« Vos autels sont divers , et Dieu pareil pour tons. »
Entre les dogmes saints la Tolérance habite ;
De cinq âges savans l'âge présent hérite ;
Il voit . il pense , il juge , et veut qu'enfin les rois,
Chefs de sujets égaux, soient les sujets des lois:
De la foi primitive accomplissant l'ouvrage ,
D'un hémisphère à l'autre il détruit l'esclavage.
Trois pouvoirs sont des lois l'organe créateur.
Et l'état de lui-même est le législateur.
Des leçons du passé l'avenir se féconde :
Un monde rajeuni sort des flancs du vieux monde.
J'entends des nations l'irrésistible vœu :
La liberté de l'homme est un décret de Dieu.
■ — Société d' encouragement pour l^ indus trie nationale. — Séance du
18 acril 1821 , présidence de M. le comte Chapial.
— M. DB GtBAKDO, secrétaire général, fait la récapitulation des
travaux du conseil d'administration, dans le cours de cette année ,
et des progrès de l'industrie. Il examine, sous les rapports de l'utilité
générale , le système de douanes établi par les divers gouvernemens.
et considère les prohibitions , d'une part, comme un moyen de pro-
EUROPE. 2A7
tection pour les manufactures, et, de l'autre, comme une mesure
qui tend à rompre tous les rapports entre les nations et entre les
particuliers, et à encourager le fléau de la contrebande. Il fait remar-
quer qu'il est aussi absurde d'exiger qu'un peuple ne consomme que
ce qu'il produit , qu'il l'est de consommer sans rien produire. La
richesse d'une nation ne se compose pas de la misère des autres ; et,
lorsque les relations sont bien entendues, chacune a part à l'aisance
de ses voisines. La France, par sa position géographique, recueillera
toujours les premiers fruits de l'abondance générale; elle est, par
cela même, la première intéressée à une harmonie constante, à des
relations fondées sur une heureuse émulation, et à ce que le juste
équilibre commercial ne soit détruit par aucune domination d'un
état sur les autres, quelque part qu'en soit le siège.
Outre les personnes qui doivent être récompensées par des mé-
dailles d'encouragement, M. de Gérando fait connaître celles qui
se sont distinguées par d'heureuses tentatives, ou des succès moins
importans : MM. Molard frères , pour leurs fabriques d'instrumens
aratoires perfectionnés; MM. De Laslejrie et Te maux , pour leurs
travaux relatifs à la conservation des grains; M. Dartigues , pour
la culture des plantes propres à fournir de la potasse , et pour un
nouveau mécanisme qu'il nomme balancier hydraulique; INL Ber-
nadac , pour son aciérie établie dans les Pyrénées orientales;
MM. Vallot etJJery, pour le moirage des feuilles d'étain ; MM. Gail-
lard et Perrin, pour leur fabrique de toiles métalliques ; M. Souillarde
pour l'invention d'une substance propre à mouler les statues et les
crnemens, et qui est susceptible d'acquérir une très-grande dureté;
M. De Kalcour , pour un mémoire intéressant sur les machines à
vapeur à haute pression : M. Bresson, pour la construction de l'un
de ces appareils; M. Legrand, pour sa machine à broyer le chocolat
M. Favereau , pour un métier à faire des tricots sans envers
"^l. Boucher , pour une \.i'cs-]o\iç. niachine propre à la perspective
MM. Jomard et Collardcau , pour des règles à calculer construites
par M. Lenoir ; M. Gluck, de Mulhausen, pour un moyen très-utile
de rompre les glaces et d'empocher les ravages de la débâcle.
Après des rapports de M. Beillat-Savarin sur la situation finan-
cière de la société, et de M. le duc de la Rochefodcault sur la cen-
sure des opérations du conseil, M. de Gébaî(do communique un
3A8 EUROPE.
éloge funèbre de l'cslimahlc M. Scipios Pkbibr, qu'une mort pré-
maturée vient d'enlever aux arts, qu'il aimait et protégeait.
M. Fhakcceuh fait connaître au conseil les motifs sur lesquels le
conseil s'est fondé pour accorder des médailles h divers fabricans ; .
ces artistes se présentent successivement pour recevoir cette récom-
pense , et recueillir les témoignages de satisfaction de l'assemblée.
Une médaille d'or est accordée à M. Pradier, pour sa double
fabrication d'objets en nacre de perle et de rasoirs ; ces rasoirs sont
d'une qualité qui égale au moins celle des meilleures fabriques ; ils
sont livrés au commerce à très-bas prix, et au nombre de quatre
mille par mois : ces instrumens sont construits avec un soin par-
ticulier et sont identiques, sous les rapports de la forme et de la
trempe. ( Tom. VIII , pag. 644-) C'est dans deux maisons de déten-
tion que M. Pradierconfectionne ses ouvrages en nacre, qui sont d'une
délicatesse et d'une élégance parfaites.
Six médailles d'argent sont accordées : i' h MM. Roui et Berlhier,
pour leur utile fabrique de dés à coudre , qui sont très-bien exécutés
et livrés à très-bas prix; 2" à madame De Grand-Gurget , de Mar-
seille, pour ses beaux ouvrages en acier, et particulièrement ses lames
damassées ; ù° à M. Jaeger Schinidt , pour avoir importé divers pro-
cédés intéressans dans la fabrication des faux ; 4° à M. Dilh , pour
les applications d'un mastic dur et imperméable à l'eau, d'une ma-
nière nouvelle et très-avantageuse ; 5» à M. Lousteau , pour ses
cbapeaux d'étofl'e et sa fabrique de schakos , maintenant adoptés
pour le service de notre infanterie ; 6» à M. Saulnier, pour les belles
machines à vapeur qu'il a construites et où il a introduit divers per-
fectionnemens intéressans.
Deux mentions honorables sont accordées à MM. Sennejelder et
Hngelmann , pour leurs inventions en lithographie.
Le reste de la séance est employé à procéder aux élections des
membres du conseil d'administration , et à passer en revue les pro-
duits remarquables que divers fabricans présentent à l'assemblée.
M. Dieiz, auteur du f/ûz/Aarpe, fait entendre ce bel instrument,
dont on joue à l'aide d'un clavier pareil à celui du forte -piano,
et dont les sons harmonieux tiennent de ceux de la harpe. Il ne faut,
pour jouer du clariharpe, aucune étude particulière ; et tout pianiste
peut, de suite, exécuter un morceau, comme s'il touchait un piano.
Plusieurs pédales, habilement disposées, modifient les sons au gré
EUrxOPE. 2/19
«ie l'artisle, et donnent à cet instrument une douceur, une grâce
et une vigueur particulières.
— Société èlahlie à Paris pour l'avièlioration de l'enseignement élé-
mentaire. Séance générale annuelle du i-x mars 18-21.
M. le duc DE DonDEAuviLLE, président honoraire, et M. lo duc dk
LA Vaogdïon, président actuel, prononcent chacun un discours sur
les succès obtenus dans l'instruction primaire, et expriment l'intérêt
qu'inspire à tous les gens de bien l'établissement de l'enseignement
mutuel dans toutes les régions de la terre.
M. Qai , invalide, âgé de vingt-huit ans, quoique privé du bras
droit, ne sachant d'ailleurs pas lire, a été mis en état, après deux
mois, de bien lire et écrire, par M. Delahaye , instituteur d'une
école mutuelle située dans l'île Saint-Louis ; un fac-similé de l'écri-
ture de M. Gai est rendu public par la voie de la lithographie.
M. JoMABD , dans un rapport très-étendu , expose au conseil l'état
actuel de l'enseignement mutuel en France et dans l'étranger; en-
viron i55o écoles sont en activité en France, nombre qui excède de
plus de 200 celui qui existait, il y a un an ; 170,000 élèves y reroi-
rent l'instruction. Lé rapport est divisé en trois parties : l'exposé
de l'état de nos écoles, celui des travaux du conseil d'administration
en 1820, et la correspondance étrangère.
Dans la première partie, le rapporteur donne connaissance des
progrès des élèves, de l'accroissement des écoles et de la marche de
l'enseignement : un tableau figuré rend sensible aux yeux les divers
résultats que présentent ces intéressantes comparaisons. M. Jomard
annonce que le Roi a fondé une école à Domrémy , en l'honneur de
Jeanne d'Arc, que S. Exe. le ministre de l'intérieur a encouragé cent
écoles mutuelles, durant l'année 1820, et placé deux élèves de l'école-
modèle de Paris à l'école des arts et métiers : que l'école normale
a fourni, depuis sa fondation, 5 1 2 maîtres, parmi lesquels on remarque
24 étrangers.
La seconde partie, qui a pour objet les travaux du conseil d'ad-
ministration , annonce qu'un bulletin a été créé pour fournir, chaque
mois, gratuitement, à tous les souscripteurs , aux correspondans et
aux maîtres, une connaissance précise des opérations et des amélio-
rations ordonnées. Le comité des litres a augmenté la liste des ou-
vrages qui doivent former la bibliothèque populaire des écoles Le
cvmité d'économie a indiqué des crayons moins dispendieux. La
250 EUROPE.
comité des méthodes et les commissions spéciales ont fait adopter
des tableaux de grammaire, un Traité complet d'arithmétique et
une nouvelle méthode de chant : ces travaux sont maintenant livrés
à l'impression.
Enfin , les écoles étrangères se multiplient rapidement , non seu-
lement dans les diverses contrées de l'Europe, mais même dans
toutes les parties du monde. On possède maintenant des tableaux de
lectures composés en douze langues différentes.
JM. JoMAHD annonce que le jeune prince de Madagascar, qui est
présent à la séance , a achevé en moins d'un an son cours d'ins-
truction élémentaire, chez M. Morin,'et qu'il se dispose à retourner
dans sa patrie.
M. DE Gérando communique un rapport sur les avantages et
les progrès de l'enseignement mutuel.
L'assemblée ordonne que la place d'instituteur de l'école Gau-
thier soit donnée par la voie du concours. Elle décerne 52 mé-
dailles de première classe, 16 de seconde, et -4 mentions hono-
rables à divers instituteurs qui se sont rendus dignes de ces dis-
tinctions : M. TFilhem, auteur d'une nouvelle méthode pour appli-
quer l'enseignement mutuel à la musique; M. Badoureau , habile
directeur de l'école-modèle de la préfecture de la Seine , M Drach ,
rabbin, instituteur à l'école des israélites; M. Groult à Versailles,
M. Lemaire à la Villette, M. Frèjacques à Libourne ; M. Raymond
à Saint-Brieuc, etc. , sont proclamés par le président.
M. Jlllien, de Paris, fait, au nom du comité des livres, un
rapport sur divers ouvrages que la société a honorés de son appro-
bation.
Le reste de la séance est employé au compte rendu de la situation
delà caisse, aux élections des membres du conseil d'administra-
tion et à voter des remercîmens à Son Exe. le Ministre de l'inté-
rieur, à M. le duc de la Vauguyon, ancien président, aux préfets des
départemens, et particulièrement à celui de la Seine, à M. le duc
d' Albulfera , aux fondateurs et aux sociétés d'enseignement mutuel ;
enfin, au fondateur anonyme d'un prix que l'académie française
doit décerner au meilleur poème sur les avantages de ce nouveau
mode d'instruction, FHANcœDH.
EUROPE. 251
Phares. — Le 1 5 avril, la commission des phares a fait , en pré-
sence de M. le directeur général des ponts et chaussées, de plu-
sieurs membres du bureau des longitudes et de l'académie des
sciences, et d'officiers de marine et d'ingénieurs, une expérience com-
parative sur les effets de lumière produits par les plus grands ré-
flecteurs paraboliques employés jusqu'à présent dans les phares de
France , et la lumière produite par une grande lentille à échelons ,
analogue à celle de BufTon, mais construite par un procédé nouveau.
L'éclat de la lentille a été très-supérieur à celui de ces deux réûec-
teurs réunis. M. le directeur général s'est empressé d'accueillir et
d'encourager ce nouveau moyen d'éclairer nos côtes , sur lesquelles
on doit espérer de le voir bientôt mis en usage.
Eclairage par le gaz. — L'appareil établi au Luxembourg par
MM. PauTvel, fournit un très-beau gaz, résultant de la distillation du
charbon de terre, mêlé avec le carbonate de chaux fpierre à chaux), et
dont la lumière est très-pure et très-vive. Déjà le palais des pairs, le pé-
ristyle de l'Odéon, un café de la rue de Vaugirard, et un restaurantplacé
à l'angle de la rue de Tournon et de la rue de Vaugirard , sont éclairés
par cetappareil. Ce dernier établissement donne par jour pour chaque
bec 25 c. en hiver , et i5 c. en été , terme moyen 20 c. , sans aucun
frais d'entretien ; tandis que chaque bec à l'huile coûterait de 25 à 5oc.
au moins , puisque l'on compte ordinairement 5 c. par heure , et
que, dans les théâtres, où il y a moins d'économie que chez les par-
ticuliers, la dépense va jusqu'à 7 c. Si l'on considère , en outre, que
le gaz éclaire beaucoup mieux que l'huile ; qu'en employant cette
dernière substance, l'entietien des lampes est très-coûteux; que
beaucoup d'objets sont tachés; que les plafonds et les tentures sont
promptement noircis par la fumée , on n'aura plus de doute sur les
avantages que présente le nouvel éclairage ( Voyez T. VIII, p. 212,
et T. IX, p. 627).
— La nouvelle salle d'ojiéra{Voyez l'article ci-après) sera entièrement
éclairée de cette manière ; et ce sera un nouvel objet de comparaison
pour les partisans etpourles antagonistes du gaz. L'appareil construit à
Montmartre a été fait avec beaucoup de soin , et d'après les mêmes
principes que celui de l'hôpital Saint-Louis. Les rues et les maisons
qui se trouvent dans la direction du tuyau de conduite pourront
ftre éclairées comme le théâtre; déjà même plusieurs becs sont dis-
posés à cet effet, sur les boulevards , à l'cntiéc des rues Montmartre
et du faubourg Montmartre.
252 EUROPE.
yiiisainissement des théâtres.— Dts exemples récens d'évanouissc-
mens dans les salles de spectacle ont déterminé le ministre d'état,
préfet de police , à former une commission composée de médecins ,
de savans et d'arlistes , chargée de chercher et d'indiquer les meil-
leurs moyens d'assainir les théâtres. Cette commission, prise dans le
sein du conseil de salubrité, a demandé l'adjonction de quelques
artistes habiles, et s'est occupée d'abord de l'examen de toutes les
salles existantes. Elle a fait lever les plans de celles de Londres ; elle
les a comparées à celles d'Italie et d'Allemagne , et s'est procuré tous
les documens qui lui étaient nécessaires ; elle a fait ensuite , et parti-
culièrement pendant les représentations gratuites, des expériences
eudiométriques, thermométriques et hygrométriques à l'Opéra, à
Feydeau, au Théâtre-Français, au Vaudeville; il en est résulté : i" que
l'air pris dans la salle est aussi pur chimiquement que celui qu'on
respire sur les quais, résultat déjà connu; 2" que l'air contient moins
d'eau qu'avant et après la représentation, à cause de l'excessive éléva-
tion de la température , et que c'est probablement à cette sécheresse
de l'air qu'on doit attribuer la gêne que la respiration éprouve , et les
suffocations qui en sont souvent la suite. Des mémoires et des projets-
ont été adressés à la commission, elle les a examinés; elle a choisi
partout ce qu'elle a reconnu de meilleur , et elle a adopté un système
complet de chauffage et de ventilation qui , appliqué aux différentes
salles, doit assurer leur salubrité.
L'architecte, chargé des travaux de l'Opéra, a pris toutes les dis-
positions nécessaires pour établir, dans la nouvelle salle , une venti-
lation parfaite, et en faire un théâtre-modèle sous ce rapport. Des
calorifères, convenablement placés, élèveront^ d'une manière uni-
forme et méthodique, la température des vestibules , des escaliers,
des corridors et des foyers ; c'est cet air, ainsi tempéré , qui renou-
vellera celui de la salle, à mesure que l'air vicié sera enlevé par les
ventilateurs, placés dans les combles. L'appareil qui doit fournir
l'air chaud en hiver fournira en été de l'air froid, pris dans les caves.
Le même système de ventilation sera établi pour le théâtre qui , par
excès de précaution , ne sera chauffé que par de la vapeur d'eau. Il y
aura dans le foyer un chemin sous lequel passera un conduit de cette
vapeur d'eau qui servirai» tenir chauds les pieds des promeneurs; des
plaques, placées devant les statues, procureront ce même avantage à
ceux qui voudront s'arrêter. Enfin, si la nature du spectacle exige que
l'on brille sur la scène de la poudre , des pièces d'artifice ) etc. , des
EUROPE. 253
venlilateurs sont disposés, pour que l'odeur et la fumée ne puissent
jamais pénétrer dans la salle.
Il est probable que le rapport général de la commission sera publié ,
avec des plans et des dessins à l'appui; nous pourrons alors revenir
sur ce sujet , en raison de son importance.
Instruction pablique. — École des dtarlres, établie par ordonnance
du Roi , du 1-y. février. — Art. i"". Il y aura à Paris une école des
Chartres, dont les élèves recevront un traitement. 2. Les élèves de
l'école des Chartres ne pourront excéder le nombre de douze. Ils
seront nommés par le ministre de l'intérieur, parmi des jeunes gens
de vingt à vingt-cinq ans, sur une liste double qui sera présentée
par l'académie des inscriptions et belles-lettres. 3. On apprendra aux
élèves de l'école des chartres à lire les divers manuscrits et à expli-
quer les dialectes français du moyen âge. 4- Les élèves seront dirigés,
dans cette étude , par deux professeurs choisis par le ministre de
l'intérieur, l'un au dépôt des manuscrits de la bibliothèque royale,
l'autre au dépôt des archives du royaume. 5. Les professeurs et les
élèves de l'école des chartres sont sous l'autorité du conservateur
des manuscrits du moyen âge de la bibliothèque royale , et sous celle
du garde général des archives du royaume.
— La niélhode pour l'enseignement des langues , de M. Ordinaire ,
recteur de l'académie de Besançon (Tom. VIII,pag. 554,etTom. IX,
pag. 2i5 ) , est en activité depuis plusieurs mois dans l'institution de
M. Muron , rue de la Pépinière , n» 47» où elle obtient un succès
complet; M. Morin , rue Louis-le-Grand , et I\l. A. Lemoine, qui a
transféré , rue Notre-Dame-des-Champs , n» 2 , son élablissehient de
l'avenue des Champs-Elysées, se proposent d'adopter ce moyen
prompt et sûr d'apprendre toutes les langues : nous ferons connaître
les résultats qu'ils obtiendront.
— enseignement primaire. — Les ordonnances royales de 1816 et
de 1820 ont donné de grands développement à cette branche si im-
portante de l'instruction publique. Les comités cantonnaux ont rendu
et rendront plus facilement encore des services signalés; la classe
des instituteurs s'épure et s'augmente : cependant il reste beaucoup
à faire. 145000 communes sont encore privées de toute espèce d'é-
coles ; et , dans les 5/6"= des communes où il en existe , le sort des
maîtres est si chétif, l'état des bâtimens servant d'écoles est si misé-
rable , que beaucoup d'améliorations restent à désirer. Le zèle de
MM. les recteurs n'en est que pins digne d'éloges, et cette portion
de leur tâche n'est pas la moins glorieuse à remplir. Le tableau sui-
vant fera connaître les succès qu'ils ont obtenus.
25A
EUROPE.
— Etat de t enseignement primaire au \" juillet 1S20 dans
les vingt-six académies dont se compose V université de France.
ACADEMIES.
ACADEMIES
DI7 MIDI.
Grenoble
Aix (non com-
pris la Corse.)
Nîmes
Montpellier. . , .
Toulouse
Pau
Bordeaux
Caliors
ACADEMIES
DU MILIEU.
Rennes
Angers
Poitiers
Limoges
Clermont
Bourges
Orléans
Dijon
Lyon
Besançon
ACADÉMIES
DU NOJiD.
Amiens
Douai
Metz
Nancy
Strasbourg
Paris
Caeu
Rouen
Total.,
Population
deâ écoles
primaires
des acailc-
l6,53o
29,673
21,746
lfi,l82
45,000
18,452
i8,43j
i5_,2i7
i5,45i
[29,64o
7,8x6
7,000
9=7-^7
6jo5o
67, 127
21,680
70^060
107,194
78,8.6
52,761
63,i47
63,876
148,572
47.172
43,989
,063,919
72^000
96,000
99,000
1 1 1 ,000
82,000
126,000
1 8,000
229,000
114,000
116,000
72,000
i32,ooo
66.000
77,oooji
106,000 1
97,000
83,ooo
l32,000
i4o 000
60,000
98,000
77,000
268^000
i5i,ooo
106^000
2,882.00c
4,3
3.3
4,6
6,9
1,8
6.9
4,7
i5,o
7,5
3,9
18,8
6,7
12,8
4,4
1,17
1,2
1,17
1,1
1,5
1,2
-, 4
Population
totale des
académies (2)
849,395
725.525
962^056
998,991
J, 116,777
-'■22 ,4 11
1,265,31)0
880,773
2,292,109
1,147,122
1,168,977
723,690
1,322,738
665,142
775,918
1,064,678
978,915
853.389
1,321,554
1,477,724
601,286
984,682
776,215
2,683,477
1,512,76g
1,064,429
2g;0l2,l62
1820.
i5o
74
39
92
189
68
128
i5
45
17
11
i5
12
18
32
1 27
Ainsi, les deux académies où l'enseignement primaire est le plus
florissant sont celles de Besançon et de Metz; et les deux où il est le
moins re'pandu sont celles de Rennes et de Clermont-Ferrand.
(1) Le nombre des en fans mâles de cinq à quinze ans est , à très-peu
de chose près, le 10'' de la population totale. Le rapport exact est
celui-ci : 29,000,000 ; 2,784,565.Cerapport peut s'exprimer ainsi d'une
manière approximative : i, 45o,i3g, 2 ; ou plus simplement, i45: i4.
(2) La population totale de chaque de'partement a été prise dans
l'annuaire présenté au Roi par le l,urpau deslongitiides pour l'an 182 1 ,
EUROPE. 255
Comparaison des deux années 1817(1) et 1820(2) à
V époque du 1*"" juillet.
DifTérencc en plus pour
1817. 1820. 1820.
Nombre des communes avant une ) o / / r r? ,
^ ■ '1 ^ \ 17,000 24,124 6,324
ou plusieurs écoles j ' ' ^ <j,o.-i.^
Nombre total des écoles 20,200 27,581 7>38i
Nombre (les e'ièves 865,721 1063,919 198,198
Nombre tles maîtres 20,784 28,945 8,i6i
Nonibrc des e'coles tenues par les ) /- o
frères \ ] *^" ^^7 127
Nombre des écoles d'enseignement) g.-r ^ r.
mutuel ; .... i ' ' ' ' *
SI." degré 5o 238 188
2.® degré i,5oo 5,539 4, 039
5.^ degré i8,65o 2i,8o4 3,i54
Rapport de la population des \ ^^^ ^ ^ g ,
écoles à la population totale. . ^ '
— Voyage scienllfique et littéraire, — M. le docteur Cbarles Witte ,
jeune Allemand, connu dans le monde savant par le développement
précoce de son esprit , et plus particulièrement encore par les détails
historiques de son éducation , qu'a publiés son père dans un ouvrage
allemand, dont on doit donner incessamment une traduction fran-
çaise, vient d'arriver à Paris. Chargé[, depuis trois ans, parle gou-
vernement prussien, d'un voyage scientifique et littéraire, il a par-
couru l'Allemagne, la' Suisse, l'Italie, la Sicile et le midi de la
France. Après s'être familiarisé avec les arts et les antiquités de
Rome, où il a séjourné pendant plus d'un an, M. Charles Witte a
parcouru seul toutes les Calabres et une grande partie delà Sicile,
(i) On prend pour point de départ l'année 1817, comme étant celle
où l'ordonnance du 29 février 1816, sollicitée depuis long-tems par
l'université , a commencé à recevoir son exécution et à produire ses
heureux efTets.
(2) La Corse n'est pas comprise dansée résumé: quelque bien s'est
déjà opéré dans ce pays, par une suite d'efforts qui ont éprouvé des
obstacles de tous genres: mais tout , jusqu'à la correspondance dans
l'intérieur, étant extrêmement difficile en Corse , les résultats n'étaient
encore connus que trop imparfaitement pour pouvoir figurer sur le
tableau général de 1820.
256 EUROPE.
au milieu de la révolution qui agitait ces pays. Tout en faisant des
recherches dans les bibliothèques, pour recueillir des monuinens rela-
tifs à l'histoire du droit, il n'a pas négligé de réunir beaucoup de rensei-
gnemens d'un intérêt plus général sur des objets qui avaient échappé à
une foule d'aulres voyageurs. Il ne tardera pas à livrer au public les
résultats de ses observations, dont il se propose d'insérer une partie
dans la Revue Encyclopédique ^ destinée à devenir un point central
de communication entre les hommes éclairés de tous les pays et de
toutes les branches des connaissances.
— Histoire de la religion de Bouddhah. — Dans le Journal des Sa-
vons, du mois de janvier 1S21 , M. Abel Remusat a publié des re-
cherches importantes d'histoire philosophique et de chronologie, sur
la succession des trente-trois premiers patriarches de la religion de
Bouddhah, depuisl'an 1029 avant Jésus-Christ jusqu'à l'an 715 de l'ère
chrétienne. L'auteur a tiré cette liste de V encyclopédie japonaise ,
livre 64. Sa dissertation est très-curieuse. On sait que le bouddhisme ,
religion du Thibet et de l'Asie orientale , est né dans l'Inde, et re-
gardé parles plus savans écrivains, comme ,une hérésie du brahma-
nisme ou de la religion des J^eda. Tous les ouvrages originaux sur
le bouddhisme et le brahmanisme sont en-langue samskritc. La pre-
mière version de livres de Bouddha en chinois, est de l'an 4'8 de
notre ère. L.
— Philologie. — Nous avons annoncé, dans notre cahier de février, le
Desatir , ou les écrits sacrés des anciens prophètes persans, dans
leur langue originale , etc. , publié à Bombay en 1820, 2 vol. in-S" ,
parMoulla Firous ben Kaous. Notre savant orientaliste , M. Silvestre
de Sacy, vient de publier, dans le Journal des Savans, de janvier
et de février dernier , une dissertation sur cet ouvrage , où il prouve
que cette langue originale n'est qu'un idiome artificiel, calqué sur
un texte persan , lequel texte a été donné pour traduction du persan ,
quoiqu'il soit l'original moderne, et que le tout n'est qu'une impos-
ture, qui ne peut pas être plus ancienne que le douzième ou trei-
zième siècle de l'ère chrétienne. L.
— Histoire littéraire. — L'édition des (Enures de Duclos que vient
de publier M. Belin , et qui fait partie de sa Collection des prosa-
teurs français,, est la première qui contienne deux ouvrages de cet
auteur, intitulés, l'un: £ssai sur les ponts et chaussées, la voirie
et les ccrvjes ( dont la première édition est de i755,in-i2}; l'autre:
EUROPE. 257
R^Jlixions sur la coruée des chemins , ou supplément à l'EsSai sur
les ponts et chaussées , la voirie et les contées , pour sentir de réponse
à la critique de l'Ami d^s hommes (dont la piemière édition est de
1769, in-12.) La France] littéraire de 1769- 1784 les attribue, il est
▼rai, à Duclos,etM. Ersch donnait la même indication. Cependant,
non seulement les éditeurs des œui'res de Duclos avaient rejeté ces
deux ouvrages , mais encore la plupart de ses biographes n'en par-
lent pas : il pouvait donc rester quelques doutes à cet égard. Déjà
feu M. Nouai de la Houssaye, parent de Duclos, les avait levés,
quant au premier ouvrage, dans son Eloge de Duclos, i8o6, in-8».
C'était une autorité suffisante; mais une plus forte peut-être est
l'exemplaire que possède M. Villenave , et qui contient une feuille
blanche sur laquelle on lit, écrit de la main de Marmontel, ami et
successeur de Duclos dans la place d'historiographe, ces mots : Par
Duclos, secrétaire de l'académie française. Quant au second ouvrage,
il suffit ( dit M. Villenave, dans sa notice sur Duclos, page XLVI )
de lire le discours préliminaire des Réjlexions sur les contées, pour
se convaincre que cet ouvrage est de l'aulCur de l'Essai sur les ponts
et chaussées.
— Traduction d'oui^rages français en espagnol. — Un libraire
de la Havane, ayant chargé un libraire de Paris de lui faire traduire
de bons ouvrages français en espagnol , celui-ci n'a pas cru pouvoir
mieux commencer la collection que par la Vie du chevalier de Pau-
hlas ( Voyez T. IX, pag. 694 ) «^t par l'i Compère Mathieu. Il est
à regretter qu'on n'ait pas choisi des ouvrages propres à former le
goût et les mœurs.
— Beaux-arls. — Nomination. — Une ordonnance du roi, en date
du 10 mars, nomme M. le comte de Forbin, inspecteur général des
musées et beaux-arts dans les départemens. Cette place qui n'exis-
tait pas précédemment, est indépendante de celle de directeur gé-
néral des musées royaux, que M. le comte de Forbin occupe déjà
depuis plusieurs années.
— iScu//j<;<A-e.^ En examinant, pour la restaurer , la belle statue
antique dont M. le marquis de Rivière a fait don au musée royal
(, Voyez T. IX, pag. 637), on a aperçu sur la plinthe les vestiges
d'une inscription grecque, qui nous apprend que le sculpteur se
nommait Alexandre, H était né à .4ntioche, en Carie.ll reste à savoir
Tome x. 17
25S EUROPE.
f[ui était cet Alexaiulie, et en quel teins il vivait. L'éclaircissement
de ce fait regarde l'académie des inscriptions et belles-lettres.
Théatees. — Théâtre françaiî- — Le faux Bon-homme, comédie en
cinq actes et en vers, par M.\^Ze.r. Duval (7 avril). — Le succès de
cette pièce n'a été que faiblement contesté. Quoiqu'elle soit très-ha-
bilement conduite , nous la mettons bien au-dessous de la FiLie
d'honneur et même de la Manie des grandeurs , avec laquelle elle
nous paraît avoir quelque ressemblance. Le principal défaut de la
nouvelle comédie est d'avoir, selon nous, un titre inexact. En efïet,
est-ce un faux bon-homme, que celui qui prodigue les complimens et
les ofiies de services à tout le monde; qui, après avoir dénoncé
comme prévaricateur un fonctionnaire respectable , chez lequel il
s'est impatronisé , lui offre d'aller à Paris pour le défendre , et là ,
par des réticences perfides, achève de perdre son ami, dont il finit
par demander la place ? N'est-ce pas plutôt un homme poli , un
flatteur, un faux obligeant., un fourbe qui cache son égoïsme et
son ambition sous le masqijç de l'amabilité? Candor (le faux bon-
homme) n'affecte pas un seul instant la bonhomie; il est mielleux,
louangeur, et ne. montre jamais ni cette franchise ni cette simplicité
qui caractérisent les bonnes gens: enfin, nous pensons que le faux
bon-homme reste encore à faire. On trouve dans cet ouvrage, comme
dans la presque totalité de ceux de M. A. Duval , un personnage
mystérieux qui conduit l'intrigue et fait le dénouement; mais ici les
moyens employés pour le faire agir sont peu vraisemblables. Le per-
sonnage de Franville , dont le caractère est en opposition avec celui
de Candor, nous paraît bien tracé. Le rôle de madame Franville,
femme légère , médisante et spirituelle , est rempli de traits piquans
et jette de la gaîté dans une comédie d'un* genre un peu sévère ;
malheureusement , il n'est pas nécessaire à laction. Le style du Faux
bon-homme est, comme celui des pièces en vers du même auteur,
plus remarquable par la justesse et par l'énergie de la pensée , que
par la correction et l'élégance de l'expression ; peut-être même
M. Duval a-t-il écrit cet ouvrage avec moins de soin que ceux dont il
l'a fait précéder.
— Second théâtre français. — Frédègonde et Brunehaut, tragédie
en cinq actes, par M. Lemercier (27 mars'. — Nous ne dirons que peu
i
EUROPE. i59
de mois d'un ouvrage , dont il sera rendu un compté détaillé dans un
de nos prochains cahiers. Cette tragédie présente un tableau histo-
rique d'une étonnante fidélité. Les caractères sont vrais et Ibrtement
tracés ; les situations éminemment tragiques ; le dénouement aussi
naturel qu'original. Le style offre des morceaux très-remarquables et
plusieurs vers sublimes; mais on peut reprocher à l'auteur d'avoir
plus d'une fois abusé du goût qu'il a pour les expressions et les tours
hasardés.
— Opéra comique. — Le Maitre de chapelle , comédie en mi acte
de M. Al. Duval , arzangée en opéra comique par madame Gay ,
musique de M. Paer ( 29 mars ). — Le Chanoine de Milan , de
M. Al. Duval , eut dans la nouveauté beaucoup de succès ; son dégui-
sement en Dlailre de chapelle lui a fait perdre de sa gaîté. Peut-
être aussi les Français , qui ont éprouvé récemment tout ce que les
vexations militaires ont de plus pénible , ne sont-ils guère disposés à
rire en voyant des hussards s'emparer du dîner , de la nièce et de la
gouvernante d'un pauvre compositeur , enthousiaste de son art et
contre lequel on n'a aucune raison de prendre parti. Il en résulte que
la première moitié de la pièce est amusante, tandis que la seconde
est froide ou d'un comique forcé. L'ouverture , oii l'on reconnaît l'ha-
bile auteur de la Griselda et de l' /Jgnese , nous paraîtrait plus
agréable, si les tambours y faisaient moins de fracas. Dans les pre-
mières scènes , il y a trois morceaux remarquables : le ti-io , le duo de
la leçon de chant et le grand air du maître de chapelle ; mais, après
l'anivée des hussards, la musique semble s'affaiblir, ainsi que la
pièce. Sans avoir obtenu autant de succès que le F tisonnier. Maison
a vendre , et d'autres ouvrages de M. Al. Duval qu'on revoit toujours
avec un nouveau plaisir, le Maitre de chapelle a été applaudi.
— Le jeune Oncle , opéra en un acte, paroles de 1\L dk Fonte^ille,
musique de M. Blangini (10 avril). — Cet ouvi-age a réussi. On y
trouve peu de situations comiques ; mais le dialogue offre des traits
spirituels. La musique est agréable et facile , comme devait l'être
celle de l'auteur d'un si grand nombre de romances et de nocturnes,
qiii ont obtenu un succès populaire. Quoiqu'il y ait de très-beaux
morceaux dans le grand opéra de Ncphtali de 1\L Blangini, la nature
do son talent nous paraît l'appeler plutôt à la composition d'ouvrages
légers , dans le genre du jeune Orulc , qu'.à celle de nos grandi
diurnes lyriques.
17 *
260 EUROPE.
TÎÉCHOLOGiE. — Petit. — Extrait de la Notice historique , lue a la
société philomatique , par M. Biot, de l'académie des sciences,
le i5 février 1821. — Alexis-Thérèse ^t-Tin , membre de la société
philomatique, professeur de physique à l'école polytechnique et au
collège royal de Bourbon, naquit à Vésoul , département de la
Haute-Saùne, le 2 octobre 1791. Les études commencèrent pour
lui dès la première enfance; et il suivait déjà des cours publics,
à cet âge où l'attention tendre et légère des autres enfans se laisse
k, peine captiver par la constance exclusive des soins maternels.
Elève de l'école centrale de Besançon , il y reçut ces germes d'une
instruction générale , et réellement appropriée à nos sociétés ac-
tuelles , dont ces établissemens présentaient alors le modèle nou-
veau et imparfait sans doute , mais qui aurait pu être si aisément
ajnélioré, si on l'eût voulu , et qui aurait été la source de tant
d'avantages certains pour notre patrie. Suivant l'usage de ces éta-
blissemens. Petit y suivit, à peu près simultanément, les cours de
langues anciennes et ceux de mathématiques, dans lesquels il
obtint surtout des succès constans , dus à une supériorité décidée.
On assure qu'à dix ans et demi il avait déjà acquis les connaissances
nécessaires pour être admis à l'école polytechnique. Heureusement
pour lui , on ne pouvait y être reçu avant seize ans. En attendant
qu'il eût atteint cet âge, M. Hachette, dont il est depuis devenu
Iç confrère dans la société philomatique, et qui lui a toujours
été attaché , l'appela à Paris , et lui procura le bonheur insigne
d'être admis dans un établissement d'instruction qu'avaient fondé
plusieurs professeurs de l'école polytechnique , et que M. Thurot
dirigeait. A cette excellente école , il eut toute la facilité possible
pour donner plus d'étendue et de solidité à ses études mathéma-
tiques et littéraires. Il le fit avec l'ardeur qui était dans sa nature,
çt avec assez de succès pour mériter qu'on lui confiât les fonctions
<Je répétiteur. Enfin , dès que le tems si désiré des seize ans fut
arrivé, il se présenta aux examens de l'école polytechnique, et il
fut admis le premier de toute la promotion. Après les deux années
qu'embrasse le cours d'études de cette école , il en sortit avec plus
de distinction encore; car on le mit tout-à-fait hors de ligne, et
l'on donna le premier rang d'élève à celui qui s'était le plus dis-
tingué après lui. On s'empressa aussitôt de l'attacher à l'enseigne-
ment de l'école, comme lépcliteur d'analyse. L'année suivante,
EUROPE. 2G1
il fut nommé répétiteur de physique, et en mCiiie leins professeur
de physique au lycée Buonaparte, devenu depuis le collège de
Bourbon. Petit avait alors dix-neuf ans. En iSii, il fut reçu doc-
teur es sciences. Les membres de la faculté devant lesquels il sou-
tint sa thèse , peuvent se rappeler combien il les étonna par le
mérite toujours rare, mais singulièrement remarquable à cet âge ,
d'une élocution à la fois claire, élégante, précise et aussi soutenue,
aussi facile que l'aurait été la lecture d'un discours écrit. Ces qua-
lités étaient sans doute en partie chez Petit le résultat de l'exer-
cice presque continuel qu'il avait fait du professorat ; mais elles
étaient aussi évidemment l'effet d'une facilité naturelle. Ce talent
remarquable lui mérita d'être, à vingt-trois ans, nommé professeur-
adjoint de physique à l'école polytechnique ; et il devint profes-
seur titulaire, en iSi5, à l'époque de la réorganisation de cet
établissement. Le 21 février 1S18, il fut nommé me «bre de la
société philomatique ; ce fut la première et , à ce que nous croyons ,
la seule des distinctions académiques que la brièveté de sa vie ait
laissé le tems de lui donner.
Avec ce tems si court et les devoirs qu'il avait à remplir, on con-
cevrait aisément qu'il eût fait ou du moins publié peu de travaux
scientifiques: il en est cependant autrement; et plusieurs de ceux
qu'il a faits seul , ou auxquels il a pris part , laisseront dans les sciences
des traces durables. Un projet qui l'avait spécialement occupé, et
dans lequel , avec les connaissances de physique et d'analyse qu'il
réunissait, il aurait certainement, s'il eût vécu, fait des recherches
importantes, c'était la ihéorie des machines. Chargé de professer
cette théorie à l'école polytechnique , il s'y était livré avec attrait ; et
il avait entrepris d'y appliquer ces résultats généraux de la mécanique
auxquels l'usage a fait donner le nom de principes, quoiqu'ils ne
soient qvie des déductions des principes véritables , c'est-à-dire, des
conditions premières de l'équilibre et du mouvement. Les premiers
essais de ce travail ont été publiés par Petit, en 1818, dans les /4n-
nales de chimie et de physique , sous le titre d'Emploi du principe
des forces vives dans le calcul des machines. L'année iSi4 du même
recueil renferme un travail d'un autre genre, auquel Petit a pris
part, et qui lui est commun avec M. Arago : ce sont des recherches
entreprises pour étudier les variations que le pouvoir réfringent d'une
262 EUROPE.
même substance éprouve daus les divers états d'agrégation qu'on
peut lui donner par l'eiret gradué de la chaleur.
Petit prit encore part à deux autres suites importantes de recher-
ches, qu'il Ct avec M. Dulong. La première, qui fut couronnée en iSi8
par l'académie des sciences , et qui a été imprimée en entier dans
le Xoiae XI du Journal de l école pclj'lechnique, ainsi que dans les
annales de pliysique et de chimie, a pour objet la détermination de
plusieurs élémens iniportans jiour la théorie de la chaleur. On y
trouve d'abord des résultats aussi nouveaux que précieux sur les dila-
tations des corps observées entre des limites très-étendues de tempé-
rature, et rapportées à la dilatation de l'air sec, laquelle, suivant
les inductions les plus vraisemblables , paraît devoir être à très-peu
près, sinon exactement, proportionnelle aux accroissemens des
quantités de calorique , dans les limites de température où les obser-
vations son^renfermées. Le reste du travail de MM. Petit et Dulong
est consacré à l'étude des lois physiques , suivant lesquelles s'opère
le refroidissement des corps, soit dans l'air, soit dans les gaz. Ce
travail fut accueilli comme le méritait l'importance des recherches
qui s'y trouvaient consignées. Un an après, le 12 avril 1819, ils pré-
sentèrent à l'institut un ISIémoire qui contenait assurément une des
lois les plus remarquables que l'on ait jamais découvertes sur les
chaleurs spécifiques des corps. Ce travail, qui semble ouvrir une
route pour reconnaître les conditions de l'existence du calotkjue dans
les corps , sa liaison avec leurs particules , et peut-être sa nature
même, est le dernier auquel Petit ait pris part.
Mais, avant d'avoir consumé cette courte durée de vie que la
nature lui avait donnée , il avait été destiné à la voir un moment
embellie par les jouissances d'une union douce et désirée, puis à
payer cruellement ce bonheur , api-ès l'avoir à peine goûté quelques
instans. Dans le mois de novembre 1814, je cite cette date précise;
car, dans une si courte carrière, quelques jours de plus ou de moins
de bonheur se comptent; il avait éponsé une fille de M. Carrier,
ingénieur des ponts et chaussées. Ce mariage l'avait rendu beau frère
de M. Arago , dont il était déjà l'ami , et qui était, comme lui, sorti
de l'école polytechnique. Son sort désormais fixé d'une manière ho
norable dans le professorat , l'estime générale dont il jouissait , la
réputation méritée de talent qu'il avait acquise et qui commençait
à s'étendre, la conformité de goûts qu'il trouvait dans sou beau-frerc.
EUROPE. 263
la commiinautc de travail qui s'était établie entre lui et M. Dulon^;
enfin, cette bienveillance générale qui s'attaclie presque toujours auic
premiers succès d'un talent qui se développe, et qui lui couvre au
moins de quelques fleurs les épines que l'envie fait croître lentement
sur sa carrière, tout ce qui peut, en un mot, rendre heureuse une
ame honnête. Petit le posséda pendant quelques jours , mais ce fut
pour perdre tous ces biens avec la même rapidité qui semblait atta-
chée à toutes les autres particularités de sa vie. Seize mois après son
mariage, sa femme tomba malade, et elle mourut le 5 avril 1817.
Petit n'en avait pas eu d'enfans. Un coup si cruel et si imprévu le
frappa fortement. Il accrut en lui cette espèce d'inactivité de corps,
et quelquefois d'esprit, que l'on remarquait avec surprise dans un
si jeune homnre, et qui n'était peut-être qu'une sorte de lassitude,
et comme une disposition pi'ématurée à la vieillesse, résultante du
développement trop hâtif que ses facultés morales avaient éprouvé.
Avec tout l'extérieur d'une santé florissante, il fut bientôt attaqué
d'une maladie de poitrine, qui le consuma pendant deux ans , et
dont les soufli-ances furent adoucies, autant quelles pouvaient l'être ,
par les soins constans, assidus, éclairés de M. Magendie, qui était
à la fois son médecin et l'un de ses amis les plus dévoués. Malgré
ses eflbrts , le terme inévitablament marqué par la maladie arriva ;
et, le 21 juin 1S20, à l'âge de vingt-neuf ans. Petit fut enlevé à
l'amitié et aux sciences.
Les élèves de l'école polytechnique, voulant donner un témoi-
gnage public de la profonde estime qu'ils avaient pour leur profes-
seur, et de la douleur q.ue leur causait sa perle , érigèrent' sur sa
tombe , au cimetière de l'Est, un petit monument, avec celte ins-
cription : A Petit, les élèves de l'école polytechnique.
— Erratum. — Nous avons annoncé (T. IX, p. 621), à'ajtvits l'Etat
de l'institut de France, la mort de M. l'abbé Palassou de Pau,
savant minéralogiste et correspondant de l'académie des sciences. Il
est constant aujourd'hui qu'on avait été induit en erreur, et que
M. Palassou , plein de zèle et de santé, continue de cultiver la miné-
ralogie.
TABLE DES ARTICLES
CONTENUS
PANS LE VINGT-HUIÏIÉME CAHIER,
AVRIL 1821.
I. MEMOIRES, NOTICES ET MELANGES.
1. Rapport sur l'histoire naturelle des mammifères.
De Lacépède. pag. i
2. Esquisse d'un plan de lectures historiques , rapporté à
l'influence des femmes. M. A. Jullien. S
5. Poésie. — Le portrait de Clarisse. Le même. 35
4. — Les femmes et les fleurs. Le même. 09
H. ANALYSES D'OUVRAGÉS.
5. Observations de M. Pariset sur la fièvre jaune.
L. J. Moreau (de la Sarthe). 45
6. Monographie historique et médicale de la fièvre jaune.
Flourens. C5
j. Considérations sur l'art de la guerre , par Rogniat, et re-
marques critiques sur cet ouvrage, par Marbot. Ch. Dupin. 69
8. Atlas général de l'histoire de France. J. 91
9. Histoire complète des voyages et découvertes en Afrique.
u4i^nan. 97
10. L'Europe et l'Amérique , depuis le congrès d'Aix-la-
Chapelle. Depping. 106
11. L'Europe au moyen âge. De Ségur. 112
12. Observations sur les inconvéniens du système actuel
d'instruction publique , par Pottier. B. 1 24
i3. Epîtres et poésies de Viennet. Léon Thiessé. i5i
m. BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
Annonces de ii4 ouvrages français et étrangers. i44
IV. NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES.
Amériqie : — Martinique. — Etats-Unis. — New-York. — BrésiL aoi
AsiK : — Calcutta. — Chine. — Indes orientales. — Bombay. —
Empire Birman. — Russie asiatique. — Thibet. 2o3
Afrique:— Egypte. 206
EiiROPE : — Grande-Bretagne. — Russie. — Pologne. — Suède. —
Danemarck. — Allemagno. — Suisse. — Italie. — Grèce. — Es-
pagne.— Portugal. — Pays Bas. — France. — Paris. ibid.
REVUE
ENCYCLOPÉDIQUE ,
ou
ANALYSES Et ANNONCES RAISONNÉES
Des pfoductions fes plus remarquables dans la
Littérature, les Sciences et les Arts,
I. MÉMOIRES, NOTICES,
LETTRES ET MÉLANGES.
SCR LES DEBNikBES EXPÉRIENCES ÉLECTBO-MAGNÉTIQUES.
Dks que le célèbre physicien Galvani eut découvert
le singulier mode d'action des métaux sur l'irritabilité
animale , il en voulut faire une théorie séparée. Volta
reconnut bientôt que les phénomènes galvaniques et
électriques étaient de même nature : l'électricité, que l'on
n'avait jusqu'alors développée que par le frottement de
certains corps , se manifestait par le simple contact de
deux métaux , qui se constituaient . par cela seul , dans
des états électriques opposés. Cette découverte fit
prendre à la physique une face nouvelle , en y intro-
duisant des idées neuves, dont la chimie a depuis retiré
de grands avantages.
Tome x. 29' Cahier.— Mai 1821, 18
266 NOTICE SUK LES EXPÉRIENCES
Mais, jusqu'h ces derniers tems, les phénomènes
magnétiques faisaient nn ordre à part : bien qu'ils se pré-
sentassent , sous certains aspects , comme analogues à
ceux de l'électricité , on ne trouvait pas de liens pour
unir théoriquement ces divers modes d'action. La belle
découverte de M. OEbsted (i) fit concevoir qu'on
pourrait bientôt regarder ces fluides comme identiques,
quoique présentant des diversités de résultats par des
causes inconnues. Les expériences de plusieurs physi-
ciens français ont répandu quelque jour sur cette doc-
trine; et, quoiqu'on ne sache pas encore jusqu'où ces
intéressans travaux peuvent porter un jour la connais-
sance que nous avons des lois de la nature , il est permis
d'en présager la fécondité. Ce sujet intéresse non seule-
ment les personnes qui cultivent les sciences , mais
même le philosophe qui se plaît à suivre leurs progrès ,
et à juger de l'influence d'une découverte unique sur
l'ensemble de nos théories. Nous remplissons l'un des
buts que notre recueil doit atteindre , en publiant la
KOTiCE que M. Ampère a lue à la séance publique de
l'académie royale des sciences de Paris, le 2 avril 1821.
.W'i'^'W*.'* »■* ^\<\,'W* V^'*"*
NOTICE
Sur les expériences électro-magnétiques de MM. Am-
père ET Arago (2).
Un nouveau genre de phénomènes , aussi remarquables
par leur singularité que par les nombreuses applications
(1) Voy. JRep. Encycl; T. VIII , pag. 181 , et T. IX , pag. i85.
(ï) Voy. ci-dessus j pag. 240.
KLECTRO-MAGNKTIQCJiS. 267
qu'ils font espérer, s'est oilert réceiniuent aux regards
des physiciens. Plusieurs d'entre eux, tant en France que
dans le reste de l'Europe, en ont fait avec plus ou naoïn^
de bonheur l'objet de leurs recherches. Tandis que le mou-
vement imprimé ù l'esprit humaiu par cette brillante dé-
couverte promet à l'une des branches les plus intéressantes
de la physique des progrés comparables, peut-être, ù ceux
que dut la théorie de la lumière au travail, sur la polari-
sation, d'un collègue (i) dont tous les membres de l'aca-
démie pleureront long-tems la perte, j'ai pensé qu'il me
serait permis de rappeler, dans cette séance solennelle, que
des Français entrèrent les premiers dans la carrière qui
venait de s'ouvrir , et qu'ils y rencontrèrent aussi quelques
faits nouveaux. Je m'étais d'abord proposé de présenter,
dans cette notice, l'ensemble de leurs recherches ; mais
comme on en trouve une exposition complète dans l'ana-
lyse, publiée aujourd'hui même, des travaux de l' académie
pendant, Vannée 1820, j'ai cru devoir me borner à une
oourte indication des faits qui paraissent les plus dignes
d'attention.
Les aimans naturels et artificiels, le fer, le nickel et le
cobalt, étaient les seuls corps dans lesquels on eût reconnu
la propriété d'agir sur l'aiguille aimantée , lorsque
M. Oebsted , secrétaire de l'académie royale des sciences
de Copenhague, découvrit que, dans certaines circons-
tances, tous les métaux sans exception, et en général tous
les corps susceptibles de conduire l'électricité, exercent sur
cette aiguille des actions très-intenses. Il suffit pour cela
que, mis en communication avec les deux extrémités d'une
pile de volta , ils servent de conducteurs au courant élec-
trique qu'elle produit.
(j) M. Mall"<, mort en iSir».
■ 18*
368 NOTICE SUR LES EXPÉRIENCES
Eli m'occupant , dans le mois de septembre dernier ,
d'expériences relatives à cette importante découverte, j'ai
reconnu ce fait, plus général et non moins inattendu , que
deux fils métalliques, de quelque nature qu'ils soient,
agissent l'un sur l'autre , lorsqu'ils transmettent tous deux
un courant électrique ; et, ce qui ajoute à la singularité de
ce résultat, c'est que l'action est attractive quand les
courans sont dirigés dans le même sens , et répulsive
quand ils se meuvent en sens contraire.
Dans le même tems , M. Arago annonçait à l'académie
que le courant voltaïque qui, d'après les expériences de
M. Oersted, donne à tous les métaux la propriété d'agir
sur les aimans, est lui-même un puissant moyen d'aiman-
tation. En disposant convenablement le fil conducteur au-
tour du barreau d'acier, même à une distance considérable,
on parvient par ce moyen à produire dans le barreau autant
de pôles que l'on veut, et auxplaces que l'on a choisies d'a-
vance. Le même physicien montra bientôt après que ces
effets s'obtiennent également, lorsqu'on se sert de l'élec-
tricité ordinaire, au lieu de celle qui est produite par la
pile de volta.
L'action directrice du globe terrestre sur les aimans
n'est pas seulement un des faits les plus remarquables de
la physique ; on sait à quelle hauteur elle a élevé l'art de la
navigation. J'ose me flatter que les marins n'auront pas
appris sans intérêt que je suis parvenu, parla seule combi-
naison des conducteurs électriques, à produire un appareil,
dans lequel il n'entre que des fils de laiton, et qui est sus-
ceptible, comme la boussole ordinaire, d'indiquer la di-
rection du méridien.
J'ai obtenu , par une combinaison analogue de fils mé-
talliques, les mouvemenscorrespondansà ceux de l'aiguille
d'inclinaison ; et il m'a été facile de reconnaître que les
lÎLECïRO-MAGNÉTlQUES. 269
aimans et les conducteurs voltaïques prennent, par l'action
de la terre, précisément les positions que tendraient à leur
donner des courans électriques, dirigés dans le sens du
mouvement apparent du soleil, perpendiculairement aux
méridiens magriétiques , et d'autant plus intenses qu'ils
seraient plus près de l'équateur. Il suffît pour cela d'attri-
buer à ces couransle même mode d'action quo l'on déduit,
relativement aux aimans, des expériences de M. Oersted,
etj relativement aux conducteurs, de celles que j'ai faites
sur leur action mutuelle.
Telle est, en effet, suivant moi , la cause de la direction
constante qu'offrent les aimans et les fils conducteurs de
nos appareils ; mais, si la force directrice du globe terrestre
est produite par de tels courans, n'est-il pas naturel d'ad-
mettre que l'action qu'exerce un aimant, soit sur un con-
ducteur voltaïque , soit sur un autre aimant , est aussi due
à des courans électriques situés dans des plans perpendi-
culaires à son axe, et dirigés , relativement à ses pôles ,
comme le mouvement apparent du soleil l'est à l'égard des
pôles de la terre correspondans à ceux de l'aimant?
On parvient ainsi à représenter par utie force unique ,
toujours dirigée suivant la ligne droite qui joint le^ deux
points entre lesquels elle s'exerce, non seulement les phé-
nomènes magnétiques anciennement connus, mais encore
toutes les circonstances de l'action d'un conducteur vol-
taïque sur un aimant, découverte par M. Oersted, et de
celle que j'ai reconnue entre deux conducteurs. C'est ce
qui me semble appuyer fortement l'opinion que j'ai émise,
à l'époque de mes premiers travaux sur ce sujet, relative-
ment à l'identité de l'électricité et du magnétisme. Les ré-
sultats des expériences que j'ai faites depuis , m'ont paru
la rendre de plus en plus probable.
•le n'entrerai point ici dans les détails de ces expériences;
270 .NOTICE SUR LES EXPERIENCES, etc.
j'ajouterai seulement que, conformément à la manière dont
je tonçois que l'électricité produit tous les phénomènes
magnétiques, un fil de laiton, renfermé en partie dans un
tube de verre et se repliant extérieurement en hélice autour
de ce tube, est attiré et repoussé par un aimant, et agit
sur lui en toutes circonstances, comme le ferait un autre
aimant, dès qu'on établit autour de ce tube des courans
électriques, en mettant les deux extrémités du fil en com-
munication avec celles d'une pile voltaïque.
Les effets qu'on "observe à l'aide de cet instrument,
oiTrent des preuves directes et multipliées de l'identité de
l'électricité et du magnétisme. Une des principales consé-
quences de la théorie fondée sur cette identité , est que
l'action directrice de la terre n'émane ni des régions po-
laires ni du centre du globe , comme on l'a supposé succes-
sivement, et qu'elle provient surtout de la zone équatoriale.
où la chaleur et la lumière agissent avec le plus d'inten-
sité. Je pense que cette détermination des régions de la
terre où réside la cause de l'action du'ectrice, intéressera
les physiciens qui cherchent à représenter par des formules
générales les valeurs des déclinaisons et des inclinaisons
de l'aiguille aimantée, depuis les pôles jusqu'à l'équateur.
Ainsi, tandis que, d'après les expériences de M. Arago,
l'électrophore et la bouteille de Leyde pourront désormais
servir aux navigateurs comme un moyen infaillible de
réaimanter à saturation les aiguilles de leurs boussoles,
lorsque le tems ou d'autres circonstances les auront affai-
blies, j'aurai peut-être contribué, par mes recherches, au
perfectionnement des formules magnétiques, destinées a
rendre plus sûr, et à étendre, par de nouvelles applications,
l'usage d'un instrument, sans lequel la plus grande partie
de la terre nous serait encore inconnue.
Ampèrk , membre de Tinstitul^
271
^% iVh'VV^VVVVV^V'^
EXAMEN DE CETTE QUESTION:
Dans quelles vues l'Angleterre poursuit-elle , depuis
iSoy, auprès des puissances continentales, l'aboli-
tion de la traite des noirs d'Afrique?
Depuis quatorze ans, le gouvernement anglais poursuit,
avec une ardeur et une persévérance extraordinaires, l'abo-
lition de la traite des nègres, que le parlement a prononcée
en 1807. Est-ce bien réellement par un sentiment de jus-
tice et d'humanité, qu'il veut délivrer l'Afrique de ce
jQéau destructeur, et qu'il projette de la faire entrer gra-
duellement en partage des bienfaits de la civilisation eu-
ropéenne, et de substituer à un affreux brigandage un
commerce légitime et avantageux aux deux continens ?
C'est une question importante , sous le rapport moral et
politique, que nous allons examiner et discuter avec toute
l'impartialité qu'elle exige.
Ceux qui, en Fi'ance et ailleurs, sont persuadés que
l'Angleterre, dans tout ce qu'elle entreprend, ne peut
avoir que des vues intéressées, se prononceront, avant
même toute discussion. Dans leur opinion, l'Angleterre, en
insistant sur l'abolition absolue et définitive de la traite, et
en invoquant de fortes lois pénales contre les contraven-
tions, ne peut avoir d'autre but que de ruiner les colonies
des autres puissances, de paralyser leur commerce en
leur enlevant les bras nécessaires à la culture, et de s'as-
surer la continuation du monopole des denrées coloniales.
Prévoyant qu'à la paix il serait obligé de rendre une partie
des colonies conquises , le gouvernement anglais a pris
soin d'approvisionner ses propres colonies et celles qu'il
«spérait garder, des csclaviïs dont elles pouvaient avoir
372 SUR rABOLlTION
besoin, et de prendre des mesures conservatrices de leur
populalion noire, afin de pouvoii-, à l'époque de l'abolition,
se passer de la traite. Cette conduite ne suppose-t-elle
pas l'intention de rendre les colonies étrangères impro-
ductives, et de les mettre hors d'état de satisfaire aux
besoins de leur métropole? Après avoir ainsi mis son mo-
nopole des denrées coloniales hors de toute concurrence ,
il a pu sans inconvénient abolir la traite dans tous ses
établissemens de la côte d'Afrique et dans ses autres colo-
nies. Cependant, malgré ces mesures prises dans l'inté-
rêt de sa politique et de son commerce , l'Angleterre a
senti qu'elle n'arriverait jamais au but qu'elle se propo-
sait, sans le concours des autres puissances. C'est alors
qu'elle a fait mouvoir tous les ressorts de sa diplomatie
ordinaire. Il ne lui a pas été difficile d'associer à ses
vues la Russie, l'Autriche et la Prusse, qui n'ont guère
de colonies; la Suède et le Danemarck, qui n'ont que des
colonies insignifiantes, avaient peu d'intérêt à se mettre
en opposition. La grande difficulté était de déterminer
l'Espagne, la France et le Portugal à concourir au même
plan. Le projet d'abolition de la traite semblait menacer
leurs colonies d'une destruction prochaine. Quoique ces
nations reconnussent toute l'immoralité d'un semblable
trafic, elles eussent probablement hésité long-lems, si les
événemens de i8i4et de i8i5 ne fussent venus précipi-
ter les négoctations. L'Angleterre ne manqua pas de faire
valoir les services rendus à la coalition; et les souverains
que cette coalition avait remis sur leur trône, consentirent
à l'abolition de la traite. Ils eurent cependant la prudence
de demander au congrès de Vienne des délais, et de refu-
ser l'abolition immédiate; mais elle fut prononcée au
congrès d'Aix-la-Chapelle. Après toutes ces concessions,
lAngleterre eût dû être satisfaite; elle crut çependatit
DE LA TRAITE DKS NOIRS. 273
n'avoir rien fait, si elle n'en obtenait une autre bien im-
portante pour son ambition. C'était le droit mutuel de
visite des navires des puissances coloniales, qu'elle sup-
poserait faire lu contrebande des esclaves sur la côte d'A-
frique et dans les Indes occidentales. La France, qui n'a-
vait pas oublié l'abus que l'Angleterre avait fait de ce
droit de visite, pendant la guerre et le blocus continen-
tal, s'est bien gardée d'accorder cette demande. Elle a
voulu et elle veut que son pavillon soit respecté ; elle ne
croit pas avoir besoin d'une permission anglaise pour que
ses vaisseaux entrent et sortent des ports de ses colonies
d'Afrique et d'Amérique. Ce droit de visite mettrait évi-
demment le commerce de la France sous l'inspection de
l'Angleterre. Une nation, jalouse de son honneur et de son
indépendance, ne peut l'admettre.
D'ailleurs, ajoute-t-on , lorsqu'après avoir fait la traite
pendant deux cents ans, on voit l'Angleterre s'apitoyer
tout-à-coup sur le sort do ces barbares Africains , peut-
on regarder comme bien sincère ce zèle subit pour leur
affranchissement? Elle voudrait, dit-elle , civiliser l'Afri-
que , et la traite est un obstacle à ce projet philantropique.
Sans doute, elle le voudrait; mais dans quelles vues?
pour avoir le monopole de son commerce. Elle aperçoit
dans le lointain la possibilité de faire en Afrique ce qu'elle
a fait dans l'Inde. Sur un simple comptoir, elle est venue
à bout d'élever la base d'un grand empire; pourquoi ne le
tenterait-elle pas en Afrique? Examinons bien l'ensemble
de sa conduite politique. Le gouvernement anglais a chassé
les Hollandais du cap de-Ronne-Espérance; il a empêché
les Français de s'établir en Egypte; il regrette de leur
avoir laissé les deux petits établissemens du Sénégal et
de Gorrée. Mais il a gardé l'île de France ; il multiplie
PÀ agrandit ses établissemens sur la côte occidentale
27/1 SUR L'ABOLITION
(rAiViqiie, et resserre et circonscrit le coirimerce des éta-
biissemens portugais ; la côte orientale était libre ; il
vient de s'emparer de l'ilc de Socotora ; ses intrigues
viennent de lui ouvrir un nouveau passage dans l'inté-
rieur du continent africain, jusqu'à Timbuctow, et tout
récemment , jusqu'à la capitale d'Ashantie ; enfin il fait faire
à grands frais des voyages d'observation et de recherche
pour s'assurer des ressources que ce vaste continent peut
offrir à son commerce. Peut-on douter encore qu'il ne se
propose de fonder un nouvel empire en Afrique, lorsqu'on
en voit, pour ainsi dire, l'échafimdage tout dressé?
C'est ainsi que s'accumulent les objections contre le
système de l'abolition de la traite. Nous n'en sommes point
surpris. La France a d'assez bonnes raisons pour se défier
de l'Angleterre: il faut en convenir franchement. L'Angle-
terre, de son côté, n'aime pas très-cordialement la France,
et l'on doit déplorer cet esprit de rivalité, de jalousie,
presque de haine qui subsiste toujours entre les deux na-
tions. Nous croyons cependant que, relativement à la ques-
tion de la traite, les adversaires de l'abolition connaissent mal
la véritable situation des choses, et sont injustement préve-
nus. Ce qui nous étonne, c'est d'apercevoir ces préventions
même dans la haute aristocratie française. Si nous sommes
bien informés, l'opposition vient de là; cependant on ne
peut ignorer que c'est la grande majorité de l'aristocratie
anglaise qui presse son gouvernement de réclamer des lois
pénales propres à réprimer enfin la contrebande qu'elle
nous accuse de faire. Comment l'aristocratie française, qui
ne cesse de vanter le système de l'aristocratie anglaise ,
peut-elle Ctre en opposition avec elle sur une question si
importante ? Cette divergence d'opinion ne pourrait s'ex-
pliquer qu'autant que l'aristocratie française aurait un
grand intérêt à prolonger la irftite. Mais comment croire
DE LA TRAITE DES NOIRS. 275
qu'elle veuille opposer l'intérêt de quelques iiulividn.s aux
réolamation? énergiques et unanimes que la raison , riui-
manité, la justice, et même la politique font entendre en
faveur des malheureux Africains ? Peut-cire n'a-t-ellc pas
compris comment s'est opérée celte grande révolution
morale, à laquelle toutes les puissances de l'Europe ont
concouru. En nous reporlant aux événemens qui ont pro-
voqué la question que nous examinons, nous entrerons
dans quelques détails peu connus en France, et qui pré-
sentent cependant le plus haut degré d'intérêt. -i
A l'époque de la révolution française, plusieurs ouvrages,
en Angleterre, avaient appelé l'attention publique sur la
traite des noirs. Jusqu'alors, le peuple anglais ne s'était
point informé de la nature et des circonstances de cet
odieux commerce. Il supposait qu'étant depuis si long-
tems autorisé et réglé par les lois, il devait êti-e légitime
et exempt de crime. Mais, en 1788, la question de la traite
devint l'objet d'une discussion publique. On vit, pour la
première fois, un simple particulier, sans titre , sans am-
bition, sans grande fortune, sans influence politique, en-
treprendre d'arracher le voile qui en dérobait les atro-
cités aux yeux de ses compatriotes. Ce jeune philantropc
(M. "Wilberforce), indigné de voir les nations les plus ci-
vilisées du globe , professant une religion douce, humaine,
et ennemie de l'esclavage, arracher, sans scrupule et sans
remords, des millions d'hommes à leur patrie, et les plon-
ger dans la plus dure captivité, conçoit le projetde délivrer
l'Afrique de ce brigandage. Il ne se dissimule pas la faiblesse
de ses moyens, et les obstacles que tant d'intérêts blessés
allaient opposer à ses premiers efforts. Son zèle religieux
pouvait même être un préjugé défavorable à sa cause; car.
aux yeux des philosophes, il avait le ridicule d'être dévot,
et, aux yeux du clergé anglican , le tort d'être de la secte
des méthodistes; mais cette cause lui parait trop belle pour
276 SUR L'ABOLITIO?î
qu'il ne reinj)iasse pas avec ardeur. 11 commence par ex-
poser au public le tableau de la dévastation de l'Afrique,
les souffrances inouies des esclaves enchaînés à bord des
bâtimens négriers, va toutes les misères humaines étaient
renfermées dans le plus petit espace possible , et les traite-
mens cruels auxquels ils étaient exposés dans leur per-
pétuelle captivité. A cette vue, le peuple«anglais frémit
d'horreur; chacun s'étonne qu'on ait pu souffrir si long-
tems un commerce aussi abominable. Les préjugés, les
intérêts divers et les passions alarmées cherchent à con-
tenir l'indignation publique ; mais elle éclate de toutes
parts. Les comtés , les cités , les bourgs s'assemblent
pour rédiger des adresses et demander la suspension de
la traite. Lne foule de hauts et puissans personnages
partagent l'enthousiasme général , et se rangent autour
du généreux défenseur de l'humanité outragée. Devenu
membre du parlement, il réussit, par l'ascendant de son
éloquence entraînante, par la noblesse de son caractère,
par l'appui de ses honorables amis, k faire accueillir, dans
la chambre des communes, les réclamations motivées de
ses concitoyens. Le parlement ordonne qu'il soit fait une
enquête solennelle; il charge un comité de recevoir les
dépositions des pétionnaires et des intéressés à la continua-
tion de la traite, des marchands d'esclaves, des principaux
planteurs des colonies , et de consigner dans des registres
tous les faits relatifs à la traite. Ce comité emploie à cette
information une partie des années 179061 1791 : la lenteur
était commandée par la justice, dans une affaire d'une telle
importance. Des extraits de ce long examen sont placés
8OUS les yeux du public. Ils établissent de plus en plus la
nécessité de suspendre un commerce aussi criminel , et
d'effacer la tache honteuse qu'il imprime au caractère de
lu nation.
Vendant cette enquête éclate l'insurrection des nègres
DE LA TRAITE DES INOIRS. 277
de Saint-Domingue. Cette révolution sanglante alarme
l'Angleterre; elle craint d'autant plus la contagion pour
ses colonies voisines , que déjà, dans quelques-unes, et
particulièrement à la Jamaïque^ des insurrections partielles
d'esclaves lui avaient appris avec quelle impatience iîs
supportaient la servitude. Ses craintes redoublent, quand
elle considère quelle est l'énorme disproportion entre la
population noire de ses îles et celle des hommes blancs
(elle est de io;\ i), et que c'est aux importations extraor-
dinaires d'esclaves à Saint-Domingue, pendant les quinze
années qui avaient précédé l'insurrection , que l'on devait
particulièrement attribuer les terribles événemens de cette
île (ces importations avaient été de 26,000 par an, terme
moyen). Le danger était donc imminent; des mesures
promptes et prései'vatrices de la contagion étaient devenues
indispensables.
M. Wilberforce et ses amis saisissent cette circonstance
pour faire au parlement la première proposition de l'abo-
lition de la traite des noirs d'Afrique. Les massacres de
Saint-Domingue, les horribles cruautés que l'enquête du
comité avait mises au grand jour , le danger auquel étaient
exposées les possessions anglaises des Indes occidentales,
leur fournissent de puissans argumens. Ils n'insistent pas
seulement sur les principes d'une politique conservatrice
et prévoyante, mais ils font surtout valoir les considérations
morales et religieuses qui s'offraient en faveur d'une si
belle cause. Cette première motion, quoique fortement
appuyée par les principaux orateurs de la chambre des
communes, MM. Pitt, Fox, Burke, "Windham, Sheridan,
lord North et M. Grey (aujourd'hui lord Grey), fut cepen*
dant rejetée, le ig avril 1791, par une majorité de i63voix
contre 88. On reconnaissait bien l'immoralité de la traite ;
mais on craignait que son abolition trop subite ne com-
278 SUK L ABOLITION
promît laloitune publique. En Angleterre, on n'improTise
point les nouvelles lois, et on n'abolit les anciennes qu'a-
près une longue et mûre délibération.
Le rejet de la proposition de M. "Wilberforce ne le dé-
couragea point, et, loin d'affaiblir l'opinion publique, lui
donna au contraire une nouvelle l'orce ; car à peine la
session de l'année suivante fut-elle ouverte, qu'une foule
de pétitions nouvelles,'en faveur de l'abolition, arrivèrent à
la chambre des communes , de toutes les parties de la
Grande-Bretagne, même des villes majitimes les plus in-
téressées à la continuation de la traite. Au 2 avril 1792, on
en comptait 018. 11 semblerait que la chambre des com-
munes aurait pu s'autoriser du rejet de la motion faite
l'année précédente , pour écarter par un ordre du jour ces
nombreuses pétitions; ma-is le respect pour le droit sacré de
pétitions et pour l'opinion publique, lui faisait un devoir
de les prendre une seconde fois en considération ; et un
comité fut chargé d'en faire l'examen.
M. "NVilberforce demande que la chambre se forme en
comité général , et il lui soumet cette proposition : « c'est
l'opinion du comité que le commerce fait par les sujeia
anglnis, dans l'intention de se procurer des esclaves, sur
la côte d'Afrique , doit être aboli. » La motion , si elle était
admise , devait être suivie de celle d'un bill rédigé
d'après ce principe.
Les débats sur la proposition de M. "Wilberforce furent
longs et animés, et les opinions très-partagées. Elle était
dangereuse, inadmissible, selon les uns, qui jugeaient la
traite un mal nécessaire; selon les autres, l'abolition était
indispensable , quelles qu'en dussent être les suites ; la
traite était un crime; la raison, l'humanité, la conscience
et l'honneur de la nation exigeaient qu'elle fflt immédia-
ment abolie. D'autres proposaient un amendement, et de-
DE LA TRAITfc; DES NOIRS. 279
mandaient que l'abolition fût graduelle; la motion, ainsi
amendée, fut adoptée à une majorité de aSo membres
contre 85.
Il s'agissait ensuite de fixer l'époque où l'abolition serait
définitive et universelle clans toutea les colonies anglaises.
On propose le i" janvier 1800 ; puis le i" janvier 1798 : le
premier terme paraît trop éloigné, le second trop rappro-
ché. Enfin , après une discussion prolongée sur chacun de
ces amendemens, le comité général décide que la loi d'a-
bolition aurait sa pleine et entière exécution le 1" janvier
1796. A celte dernière époque, les circonstances critiques
où se trouvaient l'Angleterre et l'Europe, absorbaient toute
l'attention des gouvernans. Le bill d'abolition définitive ne
fut point présenté au pai-lement.
Riais ceux qui l'avaient provoqué ne le perdaient pas de
vue. En attendant l'heureux moment de la délivrance de
l'Afrique, ils s'occupèrent de l'amélioration de la condition
des esclaves dans les colonies. Ils demandèrent et obtinrent
du parlement la réforme des abus ; l'autorité des maîtres
fut restreinte; un traitement plus humain et plus favorable
à la population fut ordonné. Les lois mirent aussi un frein
à ravidlté des marchands d'esclaves, et allégèrent les souf-
frances auxquelles étaient soumis ces malheureux, à bord
des bâtimens négriers, en leur assurant, par des réglemens,
un espace qui leur permît de se mouvoir, une quantité
suffisante de vivres et d'eau , et en fixant le nombre d'es-
claves qu'un bâtiment négrier pourrait prendre à son bord,
relativement à sa grandeur et à son port. Ces généreux
amis des noirs sollicitèrent encore et obtinrent du parle-
ment, en i8o5 , un bill qui interdisait aux sujets de l'An-
gleterre tout trafic d'esclaves avec les colonies étrangères ,
et qui leur interdisait aussi de prendre aucune part, aucun
intérêt dans celui que les autres nations pourraient faire.
280 SUR L'ABOLITION
C'était déjà une branche importante de commerce qui leur
était enlevée : mais il était aisé <le prévoir que cette défense
ferait refluer sur les colonies anglaises les importations
qu'on ne pourrait plus faire à l'étranger, si une loi sévère
n'opposait une digue à ce reflux. Cette digue, le parlement
l'opposa par un acte, en vertu duquel, à dater du i" août
1806, il fut défendu d'employer à la traite aucun bâtiment
qui n'y aurait pas été destiné , antérieurement au 10 juin
de la même année , sous peine d'une amende de 5o livres
sterling par esclave enlevé de la côte d'Afrique, en contra-
vention à cette loi.
Ces restrictions réduisaient de moitié à peu près le
commerce d'esclaves, et préparaient la voie à son entière
abolition; c'était tout ce qu'on avait pu obtenir, depuis
près de vingt ans que la question était agitée. Mais ce
trafic honteux subsistait encore, sous la sanction des lois,
toujours soutenu par de puissans intérêts et par des pré-
jugés invétérés. Il importail aux amis de l'humanité de ne
pas perdre les avantages obtenus , de redoubler leurs
oftbrls pour obtenir l'abolition définitive de la traite, et
pour hâter l'époque où ils pom-raient s'occuper du grand,
projet qu'ils avaient en vue : la civilisation de l'Afrique.
Les événemens qui, en 1806, portèrent au ministère
M. Charles Fox et ses amis , amenèrent enfin la chute de
ce système de fraude, de trahison, de violence, qui avait
transformé un vaste continent en un champ de bataille et
de désolation. Ce ministre , ami des hommes et de la
liberté , propose lui-même à la chambre des communes ,
et fait proposer par lord Grenville à celle des pairs, la
résolution suivante : «La chambre, considérant que le
commerce d'esclaves africains estcontraire aux principes
de la justice , de l'humanité et d'une saine politique ,
prendrale plus promptement possible des mesures efficaces
DE LA l'RAITE DES NOIRS. 281
pour l'abolition de ce commerce. » Cette résolution fut
examinée et discutée dans les deux chambres, pendant
plusieurs longues séances, avec toute la franchise et l'im-
partialité que commandait son importance. On écouta tous
les orateurs qui voulurent parler, tous les amendemens ,
tous les projets, toutes les objections tant de fois repro-
duites, parce que chaque membre voulait être éclairé.
Dans le parlement anglais, l'interruption d'une délibéra-
tion par une demande de clôture serait regardée comme
une violation de la liberté des opinions individuelles et du
respect dû à la chambre. Enfin, malgré Vopposition de
lord Castlereagh, de lord Ifawi-eshu/y (aujourd'hui lord
Lwerpool)j de lord Sidmouth j qui regardaient l'abolition
immédiate comme impraticable, intempestive et désas-
treuse, la résolution h\t\otée, à une majorité de ii4 voix
contre i5 dans la chambre des communes, et de 4i
contre 20 dans celle des pairs.
C'était sans doute un grand avantage obtenu , que cette
déclaration solennelle. Mais une résolution n'est point une
loi, et c'était une loi que M. Wilberforce et ses amis deman-
daient avec tant d'instance. Le bill fut proposé, l'année sui-
vante 1807, aux deux chambres, et discuté de nouveau,
de part et d'autre, avec beaucoup de chaleur. Enfin, la
sentence d'abolition de la traite des noirs fut prononcée,
le 10 février 1807, à une majorité de 3Go voix contre 100,
dans la chambre des communes, et, dans celle des pairs,
le 25 du même mois, sans division. Ce triomphe, après
une lutte qui durait depuis plus de dix-sept ans, fut, pour
M. Wilberforce et ses nobles amis, une récompense hono-
rable de leur zèle et de leurs travaux.
Mais il leur restait à poursuivre l'exécution pleine et
entière de cette loi d'abolition. Les mêmes obstacles qu'ils
venaient de surmonter ne manqueraient pas d'entraver
Tome x. VJ
282 ÉPIÏRE A M. VIENNET.
toutes les mesures qui seraient proposées. Comment d'ail-
leurs pourraient-ils se flatter d'un succès complet, sans
le concours des puissances intéressées à la continuation
de la traite ? quelle apparence de pouyoir jamais l'obtenir?
Cependant ces philantropes, qui, à cette époque, se réuni-
rent en société sous ie nom d'institution africaine, sont
venus à bout d'intéresser à leur cause tous les cabinets
de l'Europe. Par quels moyens? c'est ce que nous aurons
l'occasion de développer dans un second article.
Ce résultat qu'ils n'osaient espérer est obtenu. Toutes
les puissances de l'Europe ont aboli la traite ; l'Afrique
ne verra plus désormais dans les Européens établis sur
son rivage, ou qui arriveront dans les ports, des hommes
avides de son sang, mais des amis et des bienfaiteurs.
Comment s'est opérée cette révolution inattendue? L'ins-
titution africaine en a toute la gloire. Babey.
WWWWVW%\/VVV
ÉPITRE A M. VIENNET ,
Par M. le comte François , de Neufchâteau (i).
{Février 1821 ).
D'une haleine, Viesnet, j'ai lûtes seize épîtres.
Dont ta verve rapide effleure les chapitres ,
Avec cet abandon naturel et charmant
Que Montaigne eut jadis en prose seulement.
Ton pégase emporté , déployant ses deux ailes ,
Veut voler tour à tour chez les neuf immortelles.
C'est l'aisance d'Ovide et non son esprit faux.
Les grâces d'un talent tiennent à ses défauts ;
(1) Une circonstance particulière nous ayant procoré une copie de
cette épître , encore inédite, du Nestor de la poésie française , nous
croyons faire plaisir à nos lecteur» en la leur communiquant.
(N. ». R.)
KPITlli: A M. VIENNKr. 283
Cette facilité nous charme et nous invile ,
Mais elle embrasse trop , mais elle va trop vite.
Deux à deux, quatre à quatre, et de source coulant ,
Tes vers m'ont fait l'eËTet d'un très-long feu roulant.
Où mon oreille en vain attendait quelque pause.
Le coursier le plus vif quelquefois se repose :
D'allure et de gambade il se plaît à changer ;
S'il va l'amble, il est ferme ; au trot, il est léger;
Quand il faut galoper, l'œil a peine à le suivre.
Le tien , dès son départ , à sa fougue se livre ;
Avant qu'il soit au but, il ne peut s'arrêter.
Tes sujets, presque tous, sont heureux à traiter.
C'est un mérite : il faut choisir ce qu'on veut peindre ;
Louer peu , blâmer juste , et rarement se plaindre.
Tu te venges gaîment de ce maire d'Issy (i).
Et de cette police à l'esprit rétréci ,
Qui de quatre-vingt-treize imite les furies ,
Reforge des suspects et des catégories ,
Et pour vexer les gens , prenant le nom du Roi ,
De ce nom protecteur fait un signal d'effroi.
Lorsqu'il reprit son poste , après sa longue absence ,
Le Roi par sa bonté cimenta sa puissance ,
Et sut choisir ainsi le garant le plus sûr
D'une gloire présente et d'un renom futur.
Loin d'aller vainement , dans les tems les plus sombres ,
.Des vieux abus détruits ramasser les décombres ,
Il apporta du ciel les trois plus grands bienfaits :
La liberté publique , et les lois^ et X^paix (2).
Au prince qui les fonde on rend un pur hommage ;
Son éclat n'admet rien qui souille son image.
Il ne saurait descendre aux ineptes fureurs
D'un obscur Hobereau , vieilli dans ses erreurs ,
Qui ne peut revenir de s'être mis en tête
Qu'à se battre pour lui l'Europe toujours prête
Viendrait de son donjon refaire les créneaux.
Rebâtirait ses fours et ses moulins bannaux ,
fi) Epître XIV à mon frère Joseph, 1816.
(a) hiberias . leges , et pax sitnt opiima don a.
284 EPITRE A M. VIENNET.
£t que les souverains, avant tout armistice,
Lui feraient relever ses fourches de justice.
Mais ses hauts alliés { quel énorme grief! )
S'en sont allés deux fois , sans songer à son fief:
Et de ce fief maudit les traces effacées
Roulent dans le torrent des sottises passées.
Eh ! qui les reprendrait au gouffre de l'oubli ?
Qui voudrait retourner sous un joug aboli f
Le monde , délivré de cette tyrannie ,
N'en doit plus de nouveau subir l'ignominie (i).
On ne sait pas encor dans quel autre dessein
Reparut en nos murs le froc d'un capucin.
C'est , dans certains états, une lèpre obligée ;
La France , pour jamais , crut en être purgée ;
Son peuple ne saurait, libre et laborieux.
S'épuiser pour nourrir des fainéans pieux.
On doit tout au travail : ce dieu des arts utiles
Rend les hommes meilleurs et les champs plus fertile»;
Mais on ne peut souffrir , dans aucune cité ,
Que l'on fasse un état de la mendicité.
Ton épître piquante (2) , à cette ignoble race ,
Oppose un trait railleur, qui nous en débarrasse.
Veulent-ils revenir? bon ! sans les rudoyer.
C'est en se moquant d'eux qu'il faut les renvoyer.
L'orgueil brave la loi , rarement il recule ;
Mais la sottise nue a peur du ridicule.
Un distique naïf a suffi dans Paris
Pour imposer silence au tombeau de Paris.
L'archevêque , moteur des troubles de la fronde (3) ,
Lâchait des confesseurs pour agiter le monde.
Pour le calmer, la cour lâcha des chansonniers ,
Et le champ de bataille échut à ces derniers.
Ainsi donc il vaut mieux, dans les guerres civiles,
(1) Montesquieu a prédî* que le gouvernement féodal ne parai-
trail qiCunefois dans le monde.
(2) Epître XV au Capucin.
(3) Le cardinal de Retz.
ÉPITRE A M. VIENNET. 285
En place de canons, braquer des vaudevilles.
IJ vaudrait mieux encor ne chanter que la paix ,
Que l'on jure toujours et qu'on ne tient jamais.
Mais au parnasse enfin, lorsque l'on entre en lice.
Il n'est pas de succès sans un peu de malice.
Tu ne l'ignorais point , mais ton glaive discret
Porte à l'extrémité le bouton d'un fleuret ;
Qu'importe , si l'on sent la pointe que tu caches l
Parmi tant de beautés , noterai-je des taches î
Voyons ; tu te mets trop en scène. Est-ce un grand mal?
Le moi , qui paraissait haïssable à Pascal ,
Offre à tout homme au fond une douceur secrète ;
A plus forte raison flatte-t-il un poète.
Heureux, quand l'égoïsme , empreint dans un auteur.
Subjugue l'égoïsme inné dans le lecteur !
Quand Perse mit au jour son très-petit volume :
« Qui lira , disait-il , ces vains fruits de ma plume f
Deux oisifs tout au plus , ou peut-être pas un (i). «
Comment donc s'élever au-dessus du commun ?
Le secret de tout tems fut assez difficile.
Martial se plaignait qu'aux muses peu docile ,
Sa Rome , en ce tems-Ià , reine de l'univers ,
N'avait qu'un fier dédain pour le talent des vers.
La jeunesse tranchante , à l'auteur d'un poème ,
Montrait le nez pointu du rhinocéros même (a).
Les Français de nos jours ne sont pas moins blaséii ,'
Et nos rhinocéros sont mal apprivoisés.
Ils se plaignent déjà que ta muse fleurie
Ne leur livre aucun trait de sa galanterie.
Du beau sexe , en passant , à peine parles-tu ;
Mais il n'est sans l'amour ni talent ni vertu.
Un chantre plus habile , en sa lyrique ivresse ,
Suit par-delà le Styx l'ombre de sa maîtresse.
Quand d'une beauté morte on est si fort épris,
(i) Quisleget hœc? aut duo, autnemo. Pkbsics.
(a) Nescis, heu ! nescis noslrœfaslidia Romœ ;
Elpueri nasum Rhinocenmùs hahent. Mahtulis.
286 EPITRE A M. VIENNET,
Mainte beauté vivante y veut mettre le pnx.
Si tu n'entretiens pas le public de tes flammes ,
« Ce rimeur, dira-t-on , n'a rien fait pour les femmes ;
Le sévère Boileau ne fut pas plus discret , »
Et tu sais là-dessus tout ce qu'ajouterait
L'esprit sentimental d'un siècle romantique,
Oii l'on préfère à tout la romance erotique.
Mais à des madrigaux je ne veux point taxer
Un esprit , dont le vol n'a pu s'y rabaisser ;
Et je sais que ta muse , aux jeux de Melpomène ,
Veut de l'amour tragique agrandir le domaine.
Le récit de Parga prouve un autre talent ;
C'est un tableau tracé par un peintre excellent ,
Dont l'œil suit les tyrans dans leurs marcbes obliques.
Et qui les fait passer par les verges publiques.
O que la poésie est un noble métier,
Quand la muse , suivant ce périlleux sentier.
Consacre aux opprimés les accens de sa lyre !
Mais les tyrans, fâcbés que l'on apprenne à lire.
Ont-ils jamais goûté la cadence d'un vers î
Ils n'en ont pas besoin pom- régir l'univers.
Ils ont cette raison , dont le grand fabuliste ,
Dans son chef-d'œuvre, a fait cette règle si triste
Des agneaux par les loups faits pour être mangés (i).
Eh ! les hommes enti-e eux sont-ils moins enragés 1
Sur les moindres sujets , et pour des bagatelles ,
Ne nourrissons-nous pas des rixes immortelles.
Comme si le destin ne nous avait promis
Que l'affreux dénouement des Frères ennemis ?
L'escadron de Cadmus ne sortit de la terre
Que pour s'exterminer dans une horrible guerre.
Ainsi, l'un contre l'autre acharnés à lutter,
Nos gens ne semblent nés que pour se disputer.
Chacun , de son côté , fait effort de poitrine
Pour faire prévaloir la plus saine doctrine ;
^i; La raison du plus fort est toujours la meilleure. Lafomai-ns,
KPITRE A M. VIENNE!. 287
La plus saine doctrine est celle d'un parti ;
Le mal est déguisé , le bien est perverti ;
Personne ne s'entend : dans l'énorme cohue ,
D'un côté l'on vous claque, et de l'autre on vous hue ;
On ne rugissait pas, je crois, d'un autre ton,
Au pandœmonium si bien peint par Milton.
Même la piété, telle qu'elle est de mode.
De ce tapage affreux saintement s'accommode.
Et des frères prêcheurs voudrait aider la voix
Avec l'heureux secours des dragons de Louvois.
La piété sincère, humble, douce , ignorée.
Désavoue en pleurant sa sœur dénaturée ,
Qui dérobe son nom pour mettre tout en feu ,
Et couvre ses fureurs des intérêts de Dieu ;
Elle gémit en vain d'un pareil sacrilège.
La fausse piété trompe avec privilège ;
Et ce culte divin , qui devrait aux autels
Lier d'un nœud si doux tous les faibles mortels ,
De leurs divisions est la source féconde.
L'esprit d'intolérance est le fléau du monde ;
Et ce monstre a pour lui des tartufes nouveaux.
Qui jettent sa gangrène en de faibles cerveaux.
Voilà le tems présent , il paraît fort étrange.
Mais pour toi ce chaos se débrouille et s'arrange ,
Et du docteur Pangloss l'optimisme joyeux
A rempli sous ta plume un cadre ingénieux (i).
A travers le fracas des hommes et des choses ,
Ton siècle et ton pays n'ont pour toi que des roses.
Je n'en dis pas autant; mais, comme toi, j'ai lu
Que les siècles passés ont encor moins valu.
Pourquoi donc aujourd'hui, de l'ignorance antique ,
Fait-on , à tout propos , l'éloge dogmatique ,
Quand l'Europe ne vit ses tristes habitans
Plus à plaindre jamais que dans le bon vieux tems î
De ces âges obscurs l'histoire dégoûtante
Rend leur apologie absurde et révoltante.
(i) Epitre XVI aux louangeurs du tems passé.
; ill^ITRE A M. VIENNET.
De nos pères quiconque exalte le bonheur.
Se trompe ou veut tromper , ment à son propre cœur.
Si leurs os ranimés pouvaient se faire entendre ,
Un seul mot , un seul cri sortirait de leur cendre :
« Hélas ! nous fûmes tous serfs ou tyrans. » Grands dieux
Veut-on renouveler ce partage odieux ?
Aux vassaux affranchis va-t-on rendre leur chaîne î
Ou quelque vieux druide , orné de guy de chêne ,
Croit-il persuader aux esprits cultivés
Qu'i4faut, pour voir plus clair, avoir les yeux crevés?
Ayons dans l'avenir un peu plus d'espérance.
Confions-nous surtout à celui de la France ;
Ce grand corps fut froissé par des chocs violens,
Mais une âme de feu circule dans ses flancs.
La révolution, parla Charte épurée,
Dans ce qu'elle eut d'heureux est enfin consacrée.
Elle a, dans ses récits, faits pour nous effrayer.
Des feuillets teints de sang que Clio veut rayer;
Mais il en est ainsi de toutes les histoires :
Les excès sont toujours la suite des victoires.
La modération , cette rare vertu ,
Ne parle qu'aux humains, las d'avoir combattu;
Et ce qu'auparavant ils taxaient de faiblesse ,
Quand ils sont fatigués , n'a plus rien qui les blesse.
J'ai d'avance pourtant signalé ces excès ;
J'osai, jusqu'à deux fois, leur faire leur procès.
Mais sans abandonner le principe honorable ,
Que la sagesse adopte et qu'elle rend durable.
Par elle , trois pouvoirs d'intérêt séparés ,
Mais d'un nœud monarchique étroitement serrés ,
A la voix du malheur et de l'expérience,
Ont posé parmi nous une arche d'alliance.
Observons franchement ce traité solennel ;
Mais cessons de tourner dans un cercle éternel
De plaintes , de regrets . de reproches sinistres.
Songez à l'avenir, pairs, députés, ministres!
Le passé n'est plus rien, le présent disparait,
L'avenir vous attend ; redoutes son arrêt.
EPITRE A M. VIENNEÏ. 289
Pour mener un grand peuple il faut de grands mobiles ;
Soyez donc avec lui plus généreux qu'habiles ;
Écoutez, écoutez un simple citoyen.
Ami du bien public, indifférent au sien!
Je touche incessamment au terme de ma vie;
Je vous parle sans fard , sans fiel et sans envie ;
Sachez les sentimens, apprenez les besoins
De cette nation qui compte sur vos soins.
La grande vérité qu'on ne peut méconnaître ,
C'est que ce beau pays n'est pas ce qu'il peut être.
Qu'on aille , j'y consens , à travers les dangers ,
Chercher un gain douteux sur des bords étrangers i
Mais que l'on sorte enfin de cette indifférence
Qui laisse sans valeur la moitié de la France.
Ah ! si tous les discorda , replongés dans l'enfer.
Respectent un repos qu'on nous vendit si cher.
Dans les arts de la paix quelle gloire nouvelle ,
Quel rameau d'un or pur, û Français , vous appelle l
Dans votre heureux climat les hommes entassés
Peuvent sur certains points se trouver trop pressés.
Sur votre carte aussi , quels grands espaces vides
Ouvrent un champ sans borne à des colons avides 1
Mais de vos meilleurs fonds , la plupart mal tenus ,
Sans peine on peut d'abord tripler les revenus.
Pourvu qu'une herbe utile au froment s'y marie ,
Et transforme partout la jachère en prairie. ,
Les bois , depuis long-tems , encor plus négligés ;
Les animaux chétifs , mal nourris , mal logés ;
Les vignes périssant , faute de quelque avance ;
L'olivier qui bientôt manque môme en Provence ;
Tout réclame des lois , tout veut de prompts secours ;
Mais il faut des effets et non pas des discours.
A l'art de cultiver demandez des miracles.
Mais au moins de sa marche écartez les obstacles.
La charrue a reçu les leçons du savoir,
Elle attend désormais les bienfaits du pouvoir.
O combien de moissons , sous la glèbe cachées ,
Par le soc, rendu libre, en seraient arrachées 1
290 EPITRE A M. VIENNET.
Combien de prés rians, perdus sous des marais l
Combien de plateaux nus implorent des forêts 1
La corne d'Amalthée est au milieu des landes ^
Si Pomone et Bacchusy tressaient leurs guirlandes.
Des landes, des déserts, ô France ! ô mon pays 1
Quel opprobre , et surtout quels trésors enfouis 1
Que de bras sans ouvrage et de terres en friche ;
Et si le continent n'était pas assez riche ,
Que Neptune à Cérès peut cé»ler de terrain (i) !
Mais puis-je ici, Viexnkt, t'exprimer mon chagrin ?
J'ai, depuis quarante ans, rebattu ces images ;
J'ai, depuis quarante ans, évoqué ces villages.
Ces fermes, ces fossés, ces digues, ces enclos.
Qui, du sein d'un sol vierge en un moment éclos.
Montreraient au bonheur la France parvenue
Par une route encor dans l'histoire inconnue.
Voilà l'ambition , dont l'innocente ardeur.
Sans reculer l'état , doublerait sa grandeur.
Les Français peuvent tout, lorsqu'à leur industrie
S'offre pour aiguillon l'amour de la patrie.
Ce prodige est aisé ; qu'on le veuille , il suffit ;
Ce n'est qu'un mot à dire, et ce mot n'est pas dit (a) 1
A droite comme à gauche, on pérore , on s'emporte :
Pauvres agriculteurs , écoutez à la porte l
Jamais vous n'entendrez personne s'enquérir
Des millions d'arpens qui sont à conquérir.
Des millions d'arpens ! . . L'ame la moins active
Serait-elle insensible à cette perspective ?
£h quoi ! d'un Écossais les calculs spécieux ,
Sur le Mississipi fascinant tous les yeux ,
Firent courir la France après cette chimère ;
Le rêve fut brillant , l'issue en fut amère.
L'effroyable système ayant tout déplacé
Commença nos malheurs dans le siècle passé (3).
(i) Les laisses et relaisses de la mer, dont on peut faire des pol-
ders sur deux cents lieues de côtes.
(2) Vers de Voltaiee dans Tancrède.
Çf) Il y a cent ans juste du système de Law.
IIRITRE A RI. VIENNE!. 291
La morale publique , aux piedjS presque foulée ,
Au vil agiotage alors fut immolée ;
Et le seul fondement d"un splide bonheur.
Le travail à Paris cessa d'être en honneur.
Mais il n'est point ici d'illusion lointaine.
Point de chiffres trompeurs , point de chance incertaine.
Ce que je te propose , ù France , tu le tiens I
L'industiie et le sol , source de tous les biens ,
T'assurent , sans sortir de tpn enceinte même.
Ce que t'avait au loin promis un faux système.
Où sont-ils , en effet , ces millions d'arpens ?
Sous les murs de Bordeaux , de Nantes , d'Orléans ;
Et la Champagne encore a ses plaines de craie ,
Où le blé peut un jour succéder à l'ivraie.
Ces plans sont-ils douteux ? quelques heureux essais
N'en ont-ils pas déjà garanti le succès !
Ceux qui surent dompter les fureurs de la Loire (i)
Ne pourraient-ils ailleurs avoir la même gloire?
Tant de torrens fougueux , contenus dans leurs lits ,
Verraient leurs bords fixés , fécondés , embellis ;
Ou leurs flots divisés , arrosant leurs rivages ,
De leur cours , en bienfaits , changeraient les ravages.
Paris même, si l'art eût mieux conduit ses eaux.
Devrait voir arriver et partir des vaisseaux (2).
De ces projets hardis l'ignorance s'étonne ;
Et tandis qu'à sa voix, on balance , on tâtonne ,
De canaux dépourvu , de routes mal percé, '
Le centre du royaume, à lui-même laissé (5) ,
Languit dans cet espoir, dont toujours on le berce ,
De le rendre à la vie en l'ouvrant au commerce.
(i) Les levées de la Loire sont trop peu connues; Lafontaine est
le seul de nos auteurs qui en ait dit un mot dans son voyage de
Limoges. L'Encyclopédie, qui cite des vers anglais sur les ravages de
ce fleuve , aurait pu ne pas oublier les vers de Lafontaine.
(■2) Paris est le plus grand débouché de notre agriculture, mais il
lui manque d'être un port de commerce , et il est susceptible de le
devenir.
1) Le Berry et les déparlemens adjacens.
592 EPITRE A M. VIENNET.
Mille autres lieux restés daos le même abandon ,
Demandant si la France est leur patrie ou non ,
De ses prospérités étendraient la carrière.
Pour nous , quand nous jetons nos regards en arrière »
Des travaux des Romains les restes ont du prix ;
Ils triomphent de nous encor dans leurs débris.
Faisons mieux qu'eux 1 léguons à la race future
Les triomphes plus doux de notre agriculture 1
D'un pareil avenir quand on peut disposer.
Le plus grand des malheurs est de temporiser.
Le retard d'une année est ime perte immense ;
Je le dis, chaque fois qu'un nouvel an commence ,
Et pour le proclamer et le redire encor.
Que n'ai-je les poumons et la voix de Stentor i
Depuis long-tems la France attend ces colonies ,
Et les difiQcultés en seraient aplanies ,
Si notre esprit public , impétueux , ardent ,
Comme un fleuve eût coulé dans ce lit abondant ,
Où le riche , assignant au pauvre son salaire ,
Joindrait à ses profits le plaisir de bien faire.
Tel fut du grand Henri le sublime dessein ;
• La France a , disait-il , les Indes dans son sein ;
Il faut les en tirer. » Cette ame si profonde
Nous aurait fait chez nous trouver le nouveau monde (i).
Et depuis deux cents ans , ô vertige insensé ,
A ses plans créateurs nous n'avons plus pensé.
Henri nous fut ravi par le plus noir des crimes ;
Hélas ! le même coup nous ravit ses maximes,
Et mit dans son royaume , à peine rétabli ,
Ses trésors au pillage et ses lois en oubli.
Cependant son ministre et son ami fidèle ,
Des bons rois sur Henri figurant le modèle ,
Nous apprit le secret qu'ils pratiquaient tous deux :
C'était l'économie ; on la crut, avant eux,
Restreinte aux soins étroits du ménage rustique ;
(i) Ces mots sont presque textuellement dans le préambule d'un
édit de Henri IV, pour le dessèchement des marais de Saintonge,
ÉPITRE A M. VIENNET. 293
Ils en firent un art royal et politique (i) ^
Et l'épargne , appliquée à de si grands objets ,
Fut honorable au prince et sacrée aux sujets.
De Henri , de Sully le tems qui nous sépare.
Fait pour nous de l'épargne un mot presque barbare.
En invoquant leurs noms que le peuple chérit ,
Nous n'avons pas de même invoqué leur esprit.
Il est vrai qu'un état, presque toujours en guerre ,
Songe plus à troubler qu'à défricher la terre.
Pour commander au sol d'abondantes moissons ,
Il faut surtout la paix, et nous en jouissons.
Mais cet astre de paix, levé sur nos rivages.
Ne luit qu'environné d'un cercle de nuages ;
De son disque éclatant , dans ses taches noyé ,
Vers nous un rayon pâle à peine est renvoyé.
Que l'œil du jour se montre et perce ces ténèbres !
Qu'il nous sauve à jamais de tant d'ombres funèbres l
Que ses nombieux cufaus , plus iiuuibicux sous sa loi ,
Puissent du même ton crier : Vive le Roi !
Mes vœux avec les tiens en ce point se confondent,
ViBNNET, de tous côtés les échos nous répondent.
Si les cœurs sont d'accord , quel malheureux travers
Fait donc prendre aux esprits des chemins si divers!
Des intérêts de tous la concorde est le gage :
Hélas ! à l'oublier, quel démon nous engage î
O toi , de qui la grâce a des rayons vainqueurs,
Capable, quand tu veux, d'amollir tous les cœurs,
(i) Les économies royales. . . , titre admirable des mémoires de
Sully. On y trouve un parallèle , en vers , de César et de Henri IV,
où Sully (oublié dans le catalogue des poètes français) nous atteste
que ce prince voulait
Établir des lecteurs , lever des librairies ,
Réparer tous les ponts , les pavés , les voiries ,
Dessécher les marais , évacuer les eaux ,
Conjoindre les deux mers , faisant divers ruisseaux ,
Et coupant monts et rocs avec un tel ménage
Qu'on aurait admiré l'inventeur et l'ouvrage.
29A EPITRE A M. VIENNET.
Toi seul grand , toi seul bon , seul vrai père des hommes ,
Dieu puissant ! prends pitié de l'état où nous sommes.
O mon Dieu ! fais-moi voir les Français réunis ,
Et mes vieux ans glacés se croiront rajeunis.
Sans avoir ce plaisir, faudra-t-il que je menre ?...
Mais j'aimerai les vers jusqu'à ma dernière heure.
Je veux obstinément , chers enfans des neuf sœurs ,
De vos concerts divins savourer les douceurs.
Tu vois comme , Vierret, tout chaud de ta lecture ,
De ma goutte cruelle oubliant la torture ,
J'ai cru me retrouver dans le sacré vallon ,
Assis, malgré mon âge, au trépied d'Apollon.
Je crains que les détails où mon zèle m'entraîne
N'effarouchent un peu les nymphes d'Hippocrène.
Mais ma voix qui s'exhale en ces derniers accens,
Voudrait les rendre encor plus vifs et plus perçans.
C'est le cri de l'oison , et non le chant du cygne ;
De l'oison toutefois l'honneur serait insigne.
Si son cri , favorable aux Romains d'autrefois ,
Pouvait être entendu des enfans des Gaulois.
REPONSE DE M. VIENNET.
Quoi ! c'est l'héritier de Volthrb ,
Le doyen de notre hélicon ,
Le digne et dernier rejeton
De cette école littéraire.
Qui , malgré ÎVonotte et Fréron ,
Et la tourbe parlementaire ,
Fit toucher au doigt du vulgaire
Et la justice et la raison ;
C'est lui , dont la muse facile
A daigné dans ses vers éterniser mon nom.
Cette épître , échappée à sa veine fertile ,
Fut écrite au sacré vallon ,
Entre Despréaux et Virgile ,
Et je reconnais à son style
XJn secrétaire d'Apollon ,
Qui m'y décerne un droit d'asyle.
m
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II. ANALYSES D'OUVRAGES.
SCIENCES PHYSIQUES.
I
Miroir des corps , ou anatomie de l'homme , ouvrage
sur Tanatomie , la médecine et la thérapeutique ,
écrit en turc par Chani-Zadeh , membre de l'our
léma, tiré en partie des ouvrages français , allemands
et anglais sur le même sujet (i).
Il entre dans le plan de ce recueil de faire connaître
l'état de la civilisation et des sciences chez les difFérens
peuples. Mais c'est surtout lorsque cette civilisation ,
après avoir été enchaînée pendant des siècles par l'igno-
rance et le fanatisme, réussit à briser ses entraves et ù
étendre son influence sur une nation jusqu'alors barbare,
qu'il convient de signaler ses premiers produits.
Tel a été jusqu'à ce jour le sort de l'empire ottoman;
placé sous le ciel brillant de la Grèce et comblé des dons
d'une nature aussi belle que prodigue de bienfaits , il
n'en est pas moins livré à la barbarie et en proie aux plus
horribles calamités qui peuvent affliger l'espèce humaine.
L'aversion des musulmans pour les innovations les plus
utiles , lorsqu'elles ne sont point dans l'esprit du Coran ,
leur soumission passive et aveugle envers l'ouléma
(i) Constantinople , 1820. i vol. in-f" d'environ 3oo pages, avec
56 planches gravées sur cuivre. C'est le premier ouvrage publié en
Turquie sur les sciences. Cet article n'est que le résumé d'une notice
plus étendue que l'auteur fait imprimer à part, et dans laquelle lev
orientalistes trouveront des détails qui peuvent les intéresser.
296 SCIENCES PHYSIQUES.
(ordre religieux et politique, chargé du dépôt de la reli-
gion et des lois), dont l'intérêt et l'esprit de domination
l'ont toujours porté à entraver et à étouffer le développe-
ment du génie national ; le contact du sang regardé comme
une souillure ou une impureté ; l'idée d'impiété atta-
chée à toute représentation de figures humaines; la
loi qui s'oppose formellement à l'ouverture des cadavres ,
lors même que le mort aurait avalé la perle la plus pré-
cieuse _, et qui lie lui appartiendrait pas ; enfin ^ l'idée de
la prédestination, qui change en vertu religieuse l'insensi-
bilité et l'imprévoyance avec lesquelles on attend les di-
vers accidens de la vie, avaient opposé jusqu'à ce jour des
barrières insurmontables aux progrès de la médecine et
de la chirurgie, en Turquie.
D'après tous ces obstacles , on n'apprendra pas sans
étonnnement que le gouvernement turc vient de faire
composer et imprimer le premier ouvrage sur l'anatomie
et la médecine qui soit encore sorti des presses de Cons-
tantinople. Ce qui est surtout remarquable , c'est que cette
publication a été faite, en vertu d'un khatti-cherif, ou
édit du grand-seigneur, lequel n'a pu prendre cette ini-
tiative qu'en sa qualité de calife, ou de chef suprême de
la religion.
Cet ouvrage , qui est de Chassi Zadeh Mehemmed
Ataoullah, membre de l'ordre religieux et judiciaire de
l'ouléma, forme un gros volume in-folio d'environ trois
cents pages, orné de cinquante-six planches assez mal
gravées, il est vrai , mais où l'homme et toutes les parties
de l'anatomie sont exactement représentées (i). La subs-
(i) La planche ci-jointe , et qui est un fac simile de deux figures
d'anatomie , prises dans l'ouvrage même , donnera une idée exacte
de l'état actuel de la gravure chez les Turcs. Cette planche est de
l'imprimerie lithographique de M. de Lasteyrie.
SCIENCES PHYSIQUES. 597
tance de ce livre a été tirée en partie des auteurs français.
H faut observer, à celte occasion, que ce n'e«t pas la
première fois que les Turcs puisent chez nous les connais-
sances essentielles qui leur manquent (i). Il est honorable
pour la France d'avoir contribué au bien-être et à l'ac-
croissement de la population ottomane , en la mettant à
même de se perfectionner dans l'art le plus nécessaire au
soulagement de l'humanité.
L'ouvrage de Chani-Zadeh est écrit d'un style clair et
concis. La plupart des mots techniques ont été pris de l'a-
rabe. Quelquefois aussi, et surtout dans l'anatomie, l'au-
teur a conservé , en traduisant, le mot grec ou latin em-
ployé dans l'original.
L'ouvrage se divise en trois pajties : la première con-
tient tout ce qui concerne l'anatomie , et l'explication des
cinquante-six planches. Ces planches paraissent avoir été
copiées, en partie, des ouvrages de Eertin et de Palfin. La
seconde partie comprend l'étude des facultés physiques et
intellectuelles de l'homme, ou la pliysiologie. Enfin, la
troisième traite delà nature des maladies et de l'emploi des
médicamens, ou de la pathologie et de la thérapeutique.
Le dernier livre se termine par une pharmacopée,. ou traité
delà préparation des remèdes, en arabe et en turc , conte-
(i) Les Turcs nous doivent presque toutes leurs fortifications des
Dardanelles et de l'entrée du Bosphore ou canal de la mer Noire ,
qui ont été élevées par des ofiGciers français. Il en est de même de leur
marine militaire , dont tous les vaisseaux ont été construits par
MM. Le Roi , Brun et Benoit, Le Gis du dernier est encore aujour-
d'hui constructeur de la marine ottomane.
Les ouvrages français , dans lesquels les Turcs ont puisé les élé-
mens des sciences, sont ceux de Vauban, de LaQtc et de Trngaet ,
tous traduits en turc , ainsi que plusieurs traités français sur les ma-"
thématiques et la géographie , depuis l'année i jS.j jusqu'en i8of.
Tome x. 20
?98 SCIKNCES PHYSIQUES.
nànt trois cent dix-neuf recettes applicables à presque
toutes les maladies. Dans cette dernière partie, l'auteur
fait une mention détaillée de la yaccine. Ce qu'il en dit
est très-remarquable de la part d'un musulman. Il paraît
attacher à cette précieuse découverte toute l'importance
qu'elle mérite. Il expose particulièrement les avantages
qu'elle a sur l'inoculation pratiquée depuis long-tems
chez les Arabes , et dit, à cette occasion , que la petite
yérolo, inconnue auparavant, pénétra en Turquie , lors
de la conquête de l'Egypte par Selim I". D'après le doc-
teur allemand de Caro, que l'écrivain turc traduit litté-
ralement, il donne l'historique de la vaccine, depuis sa
découverte par Jenner; il suit ses pi'ogrès en Europe, rap-
pelle les expériences faites à ce sujet, en 1800, dans le palais
de lord Elgin , ambassadeur d'Angleterre à Constanti-
nople , celles qui eurent lieu à Vienne, en présence de
l'empereur d'Autriche; les encouragemens donnés à cette
découverte par l'exemple du monarque, qui fit lui-même
vacciner ses enfans. Enfin, il donne des passages entiers des
divers traités sur la vaccination par les docteurs Rangue,
Laurens, Mandine et Guillotin. Il termine cet article par
une conclusion qui est entièrement de lui , sur la manière
de vacciner et sur tout ce qui se pratique dans cette opé-
ration, dont il explique les diverses périodes, en signalant
les accidens qui peuvent s'y manifester. Il observe, en
outre, que le virus vaccin ne se trouve pas également
sur les vaches de toutes les contrées, qu'on le fait ve-
nir d'un endroit dans un autre, que celui qui parut d'a-
bord à Constantinople venait d'Amérique (1) , d'Angle-
terre et dautres paj'^s étrangers ; mais qu'on en a trouvé
(1) Je dois ici rectifier une erreur de l'auteur. Le premier vaccin
n'a pas été apporté d'Amérique en Turquie , mais il y a été envoyé
de Vienne par le docteur allemand de Qaro.
SCIENCES PHYSIQlJi:s. 399
•également au village d'Aïaz-Aga, dan.s le voisinage de
Kiad-Khana, aux environs de Constanlinople, et que c'est
avec ce dernier que plusieurs milliers de personnes ont
été vaccinées.
Par la nature même du pays et des hommes au milieu
desquels il vient de paraître , l'ouvrage de Chani-Zadch
ne peut manquer d'exciter l'intérêt des personnes atten-
tives à suivre, dans les tems où nous vivons, les progrès de
l'esprit humain. Mais c'est surtout pour les orientalistes
et les voyageurs qui ont habité long-tems le levant, que
cette espèce de révolution dans l'esprit des musulmans
paraîtra extraordinaire. Puissent bientôt l'influence et le
développement de ce premier germe de la science, en
éclairant les ottomans, bannir à jamais de leur patrie,
comme il l'est depuis long-tems du reste de l'Europe , le
terrible fléau qui les accable (1). Biaxchi.
Wl-'V WWWW W »."V
Traité complet de îiécanique appliquée aux arts ,
contenant l'exposition méthodique des théovies et
(les expériences les plus utiles pour diriger le choix,
l'invention, la construction et l'emploi de toutes
les espèces de machines ; par M. J. A. Borgnis ,
ingénieur, m^embre de plusieurs académies (9).
(1) La conséquence naturelle de cette réflexion devrait être pour
les Turcs l'établissement des lazarets , seul préservatif convenable
contre les ravages annuels de la peste. Ce fléau, qui semblait avoir
accordé une trêve à l'empire ottoman , depuis l'expédition des Fran-
çais en Egypte, a reparu avec une nouvelle intensité, en 1811 et
1812. Le nombre des victimes qu'il a moissonnées dans ces deux
fatales années , a été de plus de aSo.Ooo pour les seules villes de
Constanlinople et de Smyrne.
(a) Paris, iSiS- 1820. 8 vol. in-4° avec planches. Bachelier, libraire,
quai des Augustins, n" 55. — Pour la commodité des artiste» ou de
20*
r.ÛÛ SCIKNCKS l'HYSIQtrS.
N. B. Nous avons déjà fait connaître l'utilité de cet im-
portant ouvrage { Voy. Hevue Encyclopédique , Tome I,
page 227 ); mais nous avons ensuite (dans notre second
volume, page 2i5) donné une analyse détaillée du pie-
mier traité , qui en est la base fondamentale. Au lieu de
rendre compte des différentes parties qui ont été publiées
depuis, au furet à mesure qu'elles paraissaient, nous avons
préféré attendre que l'impression de l'ouvrage fût termi-
née, pour en mettre l'ensemble sous les yeux du lecteur.
SECOND TRAITÉ.
Du mouuement des fardeaux, contenant la description
et Vexamen des méthodes les plus convenables pour
transporter et élever toute espèce de fardeaux (^i^
Sous la dénomination de rnouvemeni des fardeaux ^
M. Borgnis comprend toutes les espèces de translations
et de chaogemens de position que l'on peut faire subir
aux corps inanimés, depuis les plus petits jusqu'aux plus
gigantesques.
Avant d'entrer en matière, l'auteur se livre d'abord à
quelques considérations préliminaires sur le choix des ma-
chines les plus avantageuses, dans les diverses circons-
tances que présentent les fardeaux, relativement aux mou-
vemens qu'on se propose d'effectuer. Par trois faits qu'il
cite, et qu'il prend au hasard, il prouve l'utilité d'un
bon choix sur les différentes manières de produire ce
mouvement.
ceux qui ne voudraient se procurer qu'une ou plusieurs des parties de
l'ouvrage, on vend séparément chacun des traités dont nous avons
donné les titres , pag. 21 5 de notre second volume.
(i) Paris, 1820. Bachelier, libraire. 1 vol. in-S» de 334 pages avec
30 planches ; prix , 16 fr.
SCIENCES PHYSIQUES. 301
1° Deux blocs de pierre, du poids de 27 milliers de livres
métriques chacun, étaient destinés à former les angles du
fronton qui couvre le péristyle de l'église de Sainte-Gene-
viève à Paris; ils étaient l'un et l'autre sur le port des
Invalides. Pour transporter le premier, on a employé
11 jours et 7 nuits, à l'aide de deux cabestans tournés
chacun par huit hommes, qui se relayaient de deux heures
en deux heures: la distance était d'environ 5, 200 mètres.
Ce transport a coûté, en journées d'hommes, indépendam-
ment des équipages et faux frais, 768 francs. Le seconda
été amené, par un voiturier, du même endroit, et sur le
même chariot, en moins de trois heures. Il a fallu, pour
ce transport, 63 chevaux attelés trois à trois, et 1:2 char-
retiers; il n'a coûté que 4^5 fr.
2° Le transport du grand obélisque de la place de Saint-
Pierre à Rome, effectué, sous le pontificat de Sixte-Quint,
par Dominique Fontana, coûta plus de 200 mille francs;
le trajet était très-court, l'obélisque pesait 6gA milliers.
Les frais auraient été infiniment moindres, si l'on eût em-
ployé les mêmes moyens qui furent mis en usage pour
transporter le fameux rocher de Pétersbourg, qui pesait
trois millions de livres, et qui existait dans un n:\arais près
de la baie du golfe de Finlande, à une lieue et demie du
bord de l'eau, et à cinq lieues et demie de la ville. Les frais
du transport ne s'élevèrent qu'à 3i5 mille fr.
3° Le port des ardoises qu'on retirait, en Angleterre , des
carrières de lord Penrhyn, exigeait autrefois le service de
j A'i chariots et de 4oo chevaux; en 1801 , le propriétaire
lit établir un chemin de fer, au moyen duquel dix che-
vaux suffisent pour le même transport.
L'auteur assigne ensuite six causes principales, qu'il
"^egardc comme autant de sources d'erreurs qui rendent
difficile le bon choix des machines : 1° lorsque, dans l'ap-
302 SCIENCES PHYSIQUES.
préciation (les forces , on n'a pas égard aux vitesses corres-
pondantes; 2" lorsque l'on confond l'effet statique avec
l'effet dynamique, c'est-à-dire lorsque l'on confond l'effet
qui dépend de l'équilibre avec celui qui dépend du mou-
vement; 3" lorsqu'on néglige de tenir compte des résistances
qui tendent à diminuer l'effet utile des machines; 4*^ lors-
qu'on juge d'une action, sans avoir égard à sa durée;
5" lorsqu'on ne calcule point les interruptions dépendantes,
soit du mécanisme, soit des agens moteurs; 6° enfin,
lorsqu'on néglige d'examiner si les agens moteurs sont
placés de manière à pouvoir déployer des forces libres et
concordantes.
C'est afin de n'être pas exposé à attribuer aux machines
des propriétés chimériques qu'elles n'ont jamais eues et
qu'elles ne peuvent avoir, ou pour ne pas méconnaître
celles dont elles sont douées, que l'auteur indique avec
beaucoup de précision et de clarté les régies que l'on doit
suivre.
11 a divisé ce traité en trois livres. Dans le premier, il
fait connaître les machines dont on se sert pour mouvoir
les fardeaux. Les cordes occupent la première place : après
avoir indiqué la meilleure manière de les fabriquer, et
rapporté sommairement les belles expériences de Duhamel,
Mussembroeck et Réaumur, il enseigne le meilleur moyen
de faire les épissures , c'est-à-dire de réunir deux cordes
sans faire de nœuds.
Il passe ensuite aux leviers^ il indique leurs différens
genres, ramène plusieurs instrumens plus ou moins simples
au levier, de sorte que, par une suite de cette considération
particulière, il est facile d'en étudier et d'en juger les effets.
Il faut lire avec une grande attention la dissertation de l'au-
teur sur cette machine importante, etàlaquelle toutes les
autres peuvent se rapporter. C'est toujours le Içvier qu'on
SCIENCES PHYSIQUES. 303
emploie de préférence à tout autre instrument, à cause de
sa simplicité et de ses puissans effets. M. Carburi, dans la
vue de ne rien perdre en frottemens, n'emplo}'^ que le levier
du premier genre pour transporter l'énorme rocher qui sert
de base à la statue de Pierre-le-Grand à Saint-Pétersbourg.
Il décrit cette opération surprenante , ainsi que celle de
Dominique Fontana, lorsqu'il transporta l'obélisque du
Vatican, de derrière la sacristie de Saint-Pierre, pour l'éle-
ver au milieu de la place.
Le cabestan, les treuils horizontaux de toute espèce, les
moulinets ou vireveaux, les roues à chevilles j à tambour,
à double force, les treuils à deux parties, sont décrits avec
le plus grand soin et avec beaucoup de clarté. M. Borgnis
traite ensuite de la construction des poulies, des vis, des
coins, des crics et des machines à engrenage. Il entre dans
les plus grands détails sur les principes qui doivent diriger
le mécanicien dans l'exécution de ces instrumens indispen-
sables dans les travaux, et surtout dans ceux que ce traité
a principalement en vue.
Après avoir examiné avec une attention scrupuleuse la
manière la plus avantageuse pour construire ou pour em-
ployer les machines qu'il vient de décrire, il indique les
moyens ingénieux que les Egyptiens employaient pour
transporter leurs obélisques, depuis les carrières jusqu'au
Nil, sans le secours des machines. Ces moyens ont donné
naissance à l'invention des chameaux dont on se sert dans
les ports de mer qui ont peu de profondeur à leur embou-
chure, pour faire entrer et sortir les vaisseaux, quand leur
immersion est plus grande que cette profondeur.
Il décrit ensuite le moyen dont se servit Ctésiphon, ar-
chitecte du fameux temple d'Ephèse, pour transporter les
fûts des colonnes ioniques, qui avaient dix-sept mètres de
liautcur, et pesaient plus de 'j5o milliers métriques. Ils
30A SCIENCES PHYSIQUES.
furent traînés comme les cylindres avec lesquels on apla-
nit les allées des jardins. Les achitraves furent amenés par
un procédé analogue qu'imagina son fils Métagènes.
L'auteur indique le parti qu'on peut tirer de la propriété
qu'ont les cordes de se raccourcir par l'humidité. 11 cite
pourexemple l'érection des deux colonnes de la place Saint-
Marc à Venise, qui eut lieu avec facilité, quoique chacune
d'elles pesât plus de 43 milliers métriques, eu employant
des cordes sèches, que l'on mouilla au moment favorable.
Un simple bûcheron de Craveggia, patrie de l'auteur,
a3'ant beaucoup de grosses pièces de charpente à transpor-
ter à travers un vallon escarpé et très-profond, imagina de
les f.iire glisser le long d'un cable fortement tendu entre
les deux montagnes. Enfin, il fait connaître le procédé
simple et ingénieux que M. Cravato a proposé pour re-
dresser le clocher de Saint-George à Venise.
Cinq espèces de résistances nuisent à l'effet actif des
machines : i° l'obliquité de traction; 2° le défaut de so-
lidité des points d'appui; 3"* les secousses irrégulières
et le changement brusque de vitesse et de direction; 4" les
frottemens, la roideur et l'âprelé des cordes. M. Borgnis
donne les moyens de les éviter ou de les diminuer, et
rapporte les expériences de Coulomb sur les deux dernières
espèces.
Il traite, dans le dernier chapitre du premier livre, de
la mesure de la force des hommes et de celle des animaux,
et de la manière la plus avantageuse de l'employer.
Le mouvement des fardeaux se divise naturellement en
deux espèces: il s'agit de les traîner, ou bien de les élever
verticalement ou obliquement. Le second livre est con-
sacré aux mouvemens de la première espèce, qui s'exé-
cutent soit sur des plans horizontaux, soit sur des plans
inclinés. Les résistances que l'on éprouve dans le transport
SCIENCES PHYSIQUES. 305
naissent principalement des plans ou des chemins à par-
courir, et de la forme des véhicules qu'on y emploie.
i" Du chemin de terre. M. Borgnis traite de la construc-
tion des anciennes voies romaines, comparées aux grands
chemins modernes des différens pays de l'Europe. On regar-
derait comme des fables les travaux immenses que les Ro-
mains ont entrepris à cet égard, si leur solidité étonnante ne
les avait conservés jusqu'à nous, long-tems après la destruc-
tion de l'empire romain lui-même. Nos routes modernes
sont bien éloignées de cette perfection; mais aussi elles
coûtent moins, et sont beaucoup plus larges. L'auteur rap-
porte ensuite les belles expériences du comte de Rumford,
et en déduit l'appréciation de la résistance que le roulage
d'une voiture éprouve, suivant qu'elle chemine sur une
chaussée pavée en grès, ou formée d'un simple empier-
rement, ou bien encore suivant que cette l'oute est prati-
quée surleterrain naturel, ou que ce terrain est sablonneux,
ferme ou compressible.
2° Chemins de fer. Ce nouveau moyen de transport, dont
on a commencé à faire usage en France, il y a plus de
trente ans, à la fonderie du Creusot (Saône-et-Loire), ne
s'y est pas multiplié comme en Angleterre, où toutes les
provinces en possèdent. Si l'on fait attention aux avan-
tages immenses qu'il procure, on ne sera plus étonné du
nombre considérable de ces routes que l'industrie anglaise
a établies dans ce pays. La facilité qu'ils offrent pour le
transport est incroyable. Sur le chemin de fer établi dans
la province de Surrey, pour faire communiquer Porst-
moulh avec Londres, un cheval traîne, en remontant, trois
chariots pesant i G milliers. Sur un autre chemin, ayant
deux tiers de pouce de pente par loise, un seul cheval
conduit, en descendant, vingt-un chariots pesant plus
306 SCIENCES PinSIQlES.
de 86 milliers, avec la plus grande facilité, et remonte
i4 millier?.
Ces chemins sont formés de barres de fonte de fer de
trois pieds de long, pesant de 3o à 4o livres; elles sont
posées bien parallèlement à une distance de 4 à 5 pieds.
Elles sont garnies d'un rebord extérieur, et quelquefois
d'un rebord intérieur; ce qui forme une espèce de couloir
sur lequel roulent les roues des chariots.
Ces coulisses ont l'inconvénient d'être souvent obstruées
par le gravier ou par la poussière , et de supporter tout
le poids dans leur partie la plus faible. Les rebords peu-
vent aussi blesser le cheval, lorsqu'il vient à broncher.
M. Wyatt leur a substitué des barres de fer ovales de 4 pieds
et demi de long et de 36 livres de poids, sur lesquelles
reposent les roues de fonte des chariots dont les jantes sont
concaves; cette amélioration importante ne laisse plus rien
ù désirer. Sur la route de Penryhn, qui est établie de cette
manière, 2 chevaux traînent 24 chariots six fois par jour
sur la longueur d'un relais de demi-lieue. Chaque chariot
porte un tonneau ou à peu près i,ooo kilogrammes[(deux
mille deux cents livres) d'ardoises. On ne peut rien oppo-
ser, dit M. Borgnis, à l'évidence d'un pareil fait, qui est
la preuve incontestable de l'utilité des chemins de fer.
3° Hivièf-es ou canaux. Ces chemins fluides sont aussi
supérieurs aux cheiiiins de fer pour la facilité des trans-
ports, que ceux-ci l'emportent sur les routes de terre.
On peut citer pour exemple le canal d'Orléans, où un seul
homme , tirant un bâtiment chargé de 5o mille kilo-
grammes, fait, en dix jours, le trajet de ii myriamètres.
En comptant encore dix journées pour le marinier qui di-
rige le bateau, on voit que le transport n'exige que vingt
journées d'homme, tandisquc, par terre, il faudraitSoojoui-
SCIENCES l'HYSIQLES. .-507
nées de chevaux et yS journées de voituriers. 11 y passe
annuellement 3, 800 bateaux, sur le port desquels le canal
présente une économie de neuf cent mille journées de
chevaux et cent soixante-quinze mille journées d'hommes.
On voit par là quelle immense accroissement ce canal pro-
cure à la richesse nationale.
Nous nous sommes arrêtés sur ces divers moyens de
transport, à cause de leur influence incalculable sur la
prospérité des peuples, et parce que la France se trouve à
cet égard bien en arrière du point où elle pourrait arriver.
L'Angleterre, plus heureuse, a dû en grande partie l'ex-
tension de ses manufactures et l'augmentation de sa
richesse à un système bien combiné de communications
faeiles qu'elle obtient, soit par ses chemins de fer, soit par
ses innombrables canaux de grande et de petite navigation.
Les véhicules que l'on emploie le plus généralement
sont les traîneaux, les chariots et les charrettes de diverses
espèces. L'auteur les compare entre eux et fait connaître
les circonstances où il y a plus d'avantages à employer les
uns plutôt que les autres. Il donne des observations sur
la meilleure manière d'atteler les chevaux; il fait un exa-
men comparatif des voitures à deux et à quatre roues ; il
entre dans tous les détails utiles du charronnage etdes devis,
c'est-à-dire des descriptions pièce à pièce d'une charrette
et d'un grand chariot.
Il examine ensuite le transport des diverses espèces de
matériaux, en mettant à profit les expériences de Vauban,
de Perronet, de Coulomb , de Gauthey et de plusieurs autres
ingénieurs.
Il n'a pas oublié d'indiquer les moyens^ employés pour
le transport des bois de charpente, depuis la forêt où ils
sont abattus jusque sur le chantier où ils sont mis en
œuvre. Il décrit d'abord les couloirs pratiqués sur le pen-
208 SCIENCES PHYSIQX^ES.
chant des montagnes, et sur lesquels les pièces de charpente,
abandonnées à l'action de leur pesanteur, glissent avec
lapidité, comme les chars sur nos montagnes artificielles,
qui en sont une imitation. Les bois exploités sont ensuite
transportés par terre sur des traîneaux, ou par eau, au
moyen du flottage. M. Borgnis s'arrête particulièrement
sur l'opération importante du transport des mâtures.
Il traite ensuite de tout ce qui est relatif au transport
de la pierre de taille prise à la carrière, jusqu'au chantier
où elle est façonnée, et de là jusqu'au pied de l'édifice où
elle est mise en place.
Dans ce genre, l'histoire rapporte des opérations gigan-
tesques et par conséquent très-rares, mais dont les résul-
tats seraient presque incroyables, s'ils n'étaient attestés
par le témoignage des auteurs anciens, et par les traces
qu'en présentent les monumens eux-mêmes. L'auteur
décrit le transport dos obélisques , des temples monolithes
égyptiens, delà voûte monolithe deThéodoric àRavennes,
et le transport^ plus récent, du rocher énorme de Péters-
bourg, qui pèse plus de trois millions de livres.
La conservation des statues et des autres productions
précieuses des beaux-arts exige, dans leurs transports, des
précautions particulières que M. Borgnis indique avec soin.
11 donne pour exemple une description détaillée du trans-
port de la statue deLouis XV, et des fameux groupes de Cous-
tou, depuis Marli jusqu'à l'entrée des Champs-Elysées.
Il fait voir aussi comment on est parvenu à déplacer, sans
détérioration, des pans de murailles peints à fresque, et
même une chapelle entière, qui existe encore à Rome.
Les vaisseaux sont les plus grosses machines que le
génie de l'homme ait encore imaginées. Une des plus belles
opérations de la mécanique est le lancement a la mer de
ces masses énormes: M. Borgnis la décrit avec beaucoup
SCIENCES PHYSIQUES. 309
de détails, et y joint des obscivations imporlanli^s de
M. Viai de Clairbois et de Coulomb.
Il termine ce second livre par une description que Pline
a donnée des théâtres mobiles de C. Curion, qui chan-
geaient de place et se réunissaient en un seul amphithéâtre,
en transportant tous les spectateurs. Dans une dissertation
très-ingénieuse, il explique les moyens qu'on a dû em-
ployer pour opérer ces effets étonnans qui tiennent de la
féerie, et il recherche l'étendue de la force nécessaire pour
mettre en mouvement les deux théâtres qu'il suppose
chargés de douze mille spectateurs.
Dans le livre dernier qui traite du tirage oblique et
vertical des fardeaux, il commence par décrire divers
appareils qu'on y emploie, tels que les écoperches, les bi-
gues, les chèvres, et les échafaudages usités dans la cons-
truction des édifices. Il fait connaître ensuite les machines
importantes pour le chargement et le déchargement des
bateaux, et surtout les machines à mater dont il décrit
trois espèces.
Il discute les meilleures méthodes pour élever les
matériaux, et les moyens usités dans le levage et la pose
des pièces de charpente employées dans les constructions
d'architecture civile et navale. Une des opérations les plus
importantes est le cintrement des voûtes, dont il donne le
procédé appliqué aux ponts les plus célèbres. Il n'oublie
pas le levage des grosses pièces de charpente, dans la
construction des vaisseaux.
L'auteur passe à la description du levage des pierres de
taille. Dans une dissertation très-détaillée , il prend pour
exemple la mémorable opération de la pose des deux énor-
mes pierres de dix-sept mètres de long et de quatre-vingts
milliers de poids qui couvrent le fronton de la colonnade du
Louvre. Ces blocs, dit-il, dont la plupart des Parisiens
è'iO SCIENCES PHYSIQUES,
ignorent l'existence, sont aussi dignes d'être connus et
admirés que certaines constructions cyclopéennes, égyp-
tiennes ou romaines, devant lesquelles on ne cesse de
s'extasier, parce qu'elles sont antiques.
M. Borgnis termine ce traité par la description des pro-
cédés employés pour l'érection des colonnes monolithes et
des obélisques , et entre autres de celui du Vatican qui
pèse 69^,000 livres. II indique aussi la manière de poser
les grandes statues sur les édifices élevés.
TROISIÈME TRAITÉ.
Des machines employées dans les constructions diverses ^
OU description des machines que l'on emploie dans les
genres d'architecture civile, hydraulique, militaire et
navale (i).
Ce traité est divisé en quatre livres.
Livre I". — Avant de bâtir un édifice, et surtout si l'on
veut obtenir une construction solide , il est indispensable
de s'assurer de la force des matériaux. La nécessité d'é-
prouver les matériaux que l'on veut employer a fait ima-
giner plusieurs machines ou appareils pour arriver à ce
but, et que l'auteur décrit d'abord. Il rapporte ensuite les
résultats des expériences importantes faites avec ces ma-
chines , sur les bois, les pierres, les briques, les mortiers
et le fer; expériences dont les constructeurs peuvent tirer
un grand parti.
Il y a beaucoup de pays auxquels la nature a refusé des
pierres propres à la construction , et qui auraient été pri-
vés d'habitations commodes, si l'industrie humaine n'y
avait suppléé, en fabriquant ces matériaux de toutes pièces.
(2) Paris, iSjo. Bachelier, quai des Augustias, n" 55. i vol. in-4*
de 536 pages avec s6 plancUes ; prix, ao fr.
SCIENCES PHYSIQUES. ::H
Les briques que l'on fait à la main, en beaucoup d'endroits,
deviennent coûteuses et sont mal faites; mais, si l'on in-
troduit dans cette fabrication des procédés mécaniques, les
produits que l'on obtient alors sont parfaits, abondans et à
très-bon compte. Tels sont les résultats que donnent les
procédés et les machines décrits dans ce livre. Les uns ont
été inventés et mis en usage, en Russie, par M. Hattomberg ;
les autres par M. Rinsley, en Angleterre.
C'est par la main de l'homme que, dans plusieurs con-
trées, l'on écrase péniblement le plâtre et le ciment; mais,
en Egypte et aux environs de Strasbourg, ce sont des ma-
chines qui exécutent cette opération avec plus de facilité
et une plus grande perfection. La Hollande surtout est cou-
verte de machines à pulvériser qui sont mues par le vent,
Dans la construction du pont de Neuilly, Perronet a fait
usage de deux belles machines, pour pulvériser le ciment
et pour confectionner le mortier. L'auteur a décrit dans ce
livre toutes ces machines, ainsi que deux autres pour
broyer les couleurs , dont l'une imaginée par M. Molard et
l'autre par M. Hubert.
Lorsqu'on s'est procuré les matériaux propres aux cons-
tructions, il importe de leur donner la forme convenable,
ou de les tailler^ pour les approprier à leur destination.
Les principales machines que l'on emploie pour tailler le
bois et la pierre, sont les scies, soit à bras, soit méca-
niques. La régularité du mouvement deces outils a permis
de leur appliquer tous les moteurs connus, tels que les ani-
maux, l'eau, le vent, la vapeur de l'eau bouillante. Outre
les scies à mouvement alternatif, on a imaginé encore
les scies à lame sans fin, les fraises ou scies circulaires, et
celles qui donnent une double courbure au bois. Toutes
ces iTiachines ingénieuses sont décrites avec soin, de même
que les rabots mécaniques employés dans l'arsenal de
512 SCIENCES PHYSIQUES.
Woolwichyles procédés ingénieux de M. Wright pour tailler
et forer les pierres, et enfin la machine de Perronet pour
forer les gargouilles du pont de Neuilly.
Lapolissure est une opération importante pour le fini des
ouvrages. M. Borgnis donne d'abord l'indication des potées
ou des substances, par le frottement desquelles on parvient
à polir les corps les plus durs; puis la description des
procédés emplo.yés pour la polissure des ouvrages d'acier,
des glaces et des marbres. Il termine ce livre par une no-
tice sur la belle manufacture de porphyre d'Elfrcdalen , en
Suède.
Lû're, IL — Il est consacré aux machines eaiployées dans
rarchiteclure hydraulique. Ici, aux obstacles qui s'opposent
ordinairement au mouvement des machines, se joint encore
celui de l'eau. On peut quelquefois changer cet obstacle
en une force favorable, lorsque le mouvement est imprimé
par le courant même de l'eau dans laquelle la machine doit
agir, ou par le flux et le reflux de la mer.
Lorsqu'on veut reconnaître la nature des couches d'un
terrain, soit pour y bâtir, soit pour toute autre cause, le
sondage est une opération qui devient indispensable.
M. Borgnis décrit à cet effet les sondes et les autres outils
nécessaires , et particulièrement les vérificateurs de
M. Baillet.
L'opération la plus importante qui se fasse sous l'eau,
est le curage des rivières, des canaux et des ports, pour
faciliter la navigation. On emploie pour cela un grand
nombre de machines plus ou moins simples, plus ou moins
ingénieuses. M. Borgnis fait connaître les plus utiles, telles
que les dragues à sable et à vase, les louchets, la grande
machine à curer, à roues; celle de Venise, à balancier;
la machine à draguer de Rochefort et la machine à chapelet,
à laquelle il donne la préférence. Enfin , il indique une
SCIENCES PHYSIQUES. 315
manière avantageuse de mettre à profit le courant d'une
rivière, ou le flux et le reflux, pour faire mouvoir une ma-
chine à curer, garnie de deux chapelets.
. Les hommes qui font mouvoir ces machines sont placés
liors de l'eau : il était intéressant de trouver des moyens
qui permissent à l'homme d'aller jusqu'au fond de l'eau,
et d'y exécuter lui-même les travaux convenables. C'est
dans ce but qu'on a imaginé les cloches à plongeur^ le ba-
teau plongeur de Coulomb et Venveloppe imperméable.
L'auteur décrit aussi les scaphandres ; il donne une mé-
thode pour nîiner un rocher couvert par les eaux; une autre,
pour extraire les navires submergés, en faisant passer par-
dessous des cables que l'on amarre à des corps flotteurs ;
enfin , il décrit la mémorable extraction du vaisseau le
Phénix, qui était submergé dans les lagunes de Venise.
Lorsqu'on a des constructions à faire dans l'eau, ou sur
un terrain d'une consistance faible ou inégale , on le con-
solide , soit par la percussion immédiate , soit par le pilo-
tage. M. Borgnis regarde le premier moyen comme plus
économique pour obtenir des fondemens plus solides. Pour
déterminer la valeur de la percussion qu'il est nécessaire
de connaître dans les deux cas, il rapporte les expériences
de quelques savans, et surtout celles de Rondelet. Il décrit
ensuite les machines à l'aide desquelles on effectue l'en-
foncement des pieux et des pilotis; les moutons à bras, à
tiraude , à déclic, et les arrache-pieux.
Il passe au recepage des pilots, c'est-à-dire à l'opération
dont le but est de couper une portion du pieu immergé
à une profondeur plus ou moins grande, et décrit les ma-
chines propres à produire cet effet.
' Le troisième livre, consacré à la description des machines
de guerre, prouve que l'homme n'est pas moins industrieux
dans l'art de détriiire que dans celui d'édifier. Les anciens
Tome x. 21
31A SCIEiNXES PHYSIQUES.
avaient déjà fait de grands progrès dans cette science: on
pourra s'en convaincre , en lisant la description que l'au-
teur donne de leurs armes-machines , qui sont très-ingé-
nieuses; telles que les halistes _, les catapultes, les béliers^,
les lièlèpoles ou tours mobiles, et les corbeaux.
L'invention de la poudre à canon a produit une révo-
lution complète dans Tart de la guerre, par suite de laquelle
l'artillerie moderne a obtenu une grande supériorité sur
l'ancienne. Le principe en est simple: un peu de poudre,
placée au fond d'un tube plus ou moins gros, produit des
effets étonnans. Les applications en sont variées, selon
qu'on veut lancer des balles, des boulets, des obus ou des
bombes ; ce qui donna naissance aux pistolets et aux fusils,
aux canons , aux obusiers et aux mortiers. M. Borgnis
donne les procédés en usage pour la fabrication de ces ins-
trumens; il décrit aussi la manière de construire les armes
blanches, qu'il considère seulement sous le rapport des
opérations mécaniques. Il traite d'abord de la construction
du canon de fusil, des platines, des baïonnettes; il passe
ensuite à la description des quatre opérations principales
de la fabrication d'un canon, et s'occupe: i" du moulage;
2» du coulage; 5° du forage; A° du percement de la lu-
mière. Il fait connaître en même tems les machines que
ces diverses opérations nécessitent.
La fabrication de la poudre à canon est trop importante
pour que l'auteur ne lui ait pas consacré un chapitre parti-
culier. Les principales opérations qu'elle exige y sont dé-
crites avec soin. Il passe en revue les procédés que
nécessitent, i° la pulvérisation du salpêtre, du soufre et
du charbon; 2" le mélange et la compression de ces ma-
tières; 3° le lissage de la poudre qui en résulte.
Livre IV. — Des machines d'un autre genre sont décrites
dans ce livre , qui traite de V architecture navale. Le*
SCIENCES PHYSIQUES. 315
vaisseaux, par leur grandeur, par les dispositions savantes
de leurs parties, par la difficulté de leurs manœuvres, sont
les machines qui font le plus d'honneur à l'esprit humain.
Les appareils employés dans leur construction , ont déjà
été décrits précédemment: il ne reste qu'à parler des ma-
chines employées dans les corderies, les poulieries, et dans
les Ibrgcs des grosses ancres.
Les cordages sont, dans toutes les machines, et surtout
dans les vaisseaux, ce que les muscles sont dans le corps
humain: sans eux, point dévie, point de mouvement;
aussi , M. Borgnis s'attache-t-il à décrire , dans tous ses
détails, la fabrication des cordes. Il examine successive-
ment le teillage du chanvre, l'espade et le peignage , la
filature, la fabrication des torons, le commettage, le gou-
dronnage, et les machines que ces opérations exigent. II
indique la manière de faire les cordages ronds et plats,
avec du chanvre ou avec des métaux , l'art de fabriquer les
cables en fer, et rapporte la série des expériences faites
par plusieurs savans pour déterminer leur force.
Dans le chapitre qui traite des poulieries ^ on trouve,
1° un moyen de faire mouvoir par un seul moteur un grand
nombre de machines , sans leur faire perdre leur ipdépen-
dance mutuelle; 2° la description des diverses espèces de
tours; 3° les machines propres à tarauder les vis et les écrous
de toutes dimensions, et tout ce qui peut être relatif à cette
partie importante de la mécanique.
Ce traité est terminé par la description de l'art de fa-
briquer les ancres, ces instrumens précieux auxquels est
confié le salut des vaisseaux et de l'équipage , et qui
tiennent le premier rang parmi les ouvrages de fer forgé.
Les procédés ingénieux, mis en usage pour transporter, du
ffiurneau sur l'enclume et de l'enclume dans le fourneau,
51 *
316 SCIENCES PHYSIQUES.
les lourdes masses dont les ancres se composent, sont dé-
crits avec le plus grand soin.
QUATRIÈME TRAITE
Des machines hydrauliques , ou machines employées pour
élever Veau nécessaire aux besoins de la vie, aux usages
de l'agriculture , aux épuisemens temporaires et aux
épuisemens dans les mines (i).
Ce volume contient la description comparative des ma-
chines qui servent à élever les eaux à une hauteur plus ou
moins grande. L'usage indispensable de l'eau pour les
besoins domestiques , et dans la plupart des travaux de
l'homme , en a fait imaginer un grand nombre, dans les-
quelles on a mis à profit , d'une manière plus ou moins
ingénieuse, les diverses propriétés de ce liquide, et même
qi^elquefois celles de l'air atmosphérique.
Considérons d'abord celles qu'on peut regarder comme
les élémens de toutes les autres, et qui sont désignées,
par notre auteur , sous le nom d'organes opérateurs aptes
à élever l'eau. Les plus remarquables , parce qu'elles sont
les plus simples, servent à élever l'eau par un mouvement
unique de translation. Telles sont : i° les noj-ias^ compo-
sées d'une série de vases suspendus à des chaînes sans fin
qui s'enveloppent sur deux tambours; 2° les chapelets ver-
ticaux et inclinés formés d'une suite de plateaux liés entre
eux par une chaîne sans fin et se mouvant dans un tuyau ;
3° les roues à godets et à timpan ; U^ la vis d'Archimède et
la vis hollandaise, dans lesquelles l'eau s'élève en glissant
sur une surface hélicoïde (ou semblable à V hélice, qui est
(1) Paris, 1820; Bachelier, libraire, i vol. in-'i' <1p ôio pages,
avec 27 plaaclies. Prix, au f'r.
SCIENCES PHYSIQUES. 317
une ligne en vis autour d'un cylindre). Viennent ensuite
les pompes qui servent à élever l'eau, soit par la seule
pression , comme dans \si pompe foulante , soit tout à la fois
par la pression du piston et par le poids de l'atmosphère ,
comme dans les pompes aspirantea et dans celles que l'on
nomme aspirante s- foulante s. M. Borgni? fait connaître dans
le plus grand détail la forme, la disposition , le jeu de toutes
leurs parties , et spécialement des soupapes et des pis-
tons; il décrit les principales variétés qui ont été mises en
usage^ et indique les avantages et les défauts de chacune
d'elles.
Les machines à compression d'air ont pour type la fon-
taine de Héron, géomètre grec; elles sont fondées sur le
principe delà compressibilité et de l'élasticité de ce fluide.
Si, dans un vase clos, on verse de l'eau par un tuyau long
et étroit, l'air renfermé dans ce vase se comprime et
acquiert une force élastique proportionnelle à sa pression ;
alors, si , au moyen d'un tuyau, on réagit fortement sur
la surface de l'eau contenue dans un autre vase, celle-ci
s'élèvera rapidement dans un tuyau ascendant , établi à
cet effet. Tel est le principe sur lequel sont fondées ces
machines ingénieuses, et qui sont excellentes pour élever
i'eau à une grande hauteur.
Le siphon , que tout le monde connaît, a donné lieu à
l'invention de plusieurs machines. Les plus remarquables
sont celles par lesquelles M. Manoury-d'Ectot est parvenu
à résoudre ce problème extraordinaire :
«Une chute d'eau étant donnée, élever une portion de
ce fluide au-dessus du réservoir, par le moyen d'une ma-
chine dont toutes les parties soient absolument fixes, et qui,
par conséquent, ne renferme ni roues , ni leviers, ni pis-
tons , ni soupapes , ni autres parties quelconques mobiles.»
Les solutions en sont aussi neuves que simples et VJ^riées.
318 SCIENCES PHYSIQUES.
« Par la combinaison de tant de moyens peu connus tf.
tout-à-fait inusités dans la construction des machines
hydrauliques, l'auteur est sorti du cercle ordinaire des
idées sur lesquelles ces machines sont conçues, et par
conséquent il a dû arriver à des résultats absolument
inattendus. » Rapport de Carnot à l^ Institut.
La machine de Irouville est encore une solution très-
simple et très-ingénieuse du même problème.
Le flotteur à siphon de M. de Thiville et la machine
de M. W. Close sont également des applications heu-
reuses du siphon à l'élévation des eaux.
Les machines à colonne d'eau sont fondées sur un prin-
cipe différent. Elles ont pour moteur l'eau qu'un courant
continu verse dans un tuyau vertical, et à laquelle on op-
pose un piston qu'elle repousse, mais que l'on fait revenir
à sa première situation, après une course déterminée, en
interceptant tout-ù-coup la communication qu'il a avec la
colonne d'eau, et en laissant écouler l'eau qui s'oppose à
son retour.
L'expérience a démontré l'utilité de ces machines qui
sont préférables aux roues à augets pour élever l'eau ù
une grande hauteur.
Le bélier hydraulique , inventé par Montgolfier , est re-
marquable par sa simplicité et par son utilité. Le principe
de sa construction est aisé à concevoir : supposez, dans un
tuyau incliné , ou qui a la forme d'un L, un courant d'eau
qui s'échappe par l'extrémité inférieure; fermez tout d'un
coup cette issue, l'eau qui est animée d'une certaine
vitesse agira avec force contre les parois du canal, comme
pour s'échapper ; et , si elle trouve ouvert un tuyau ascen-
dant, elle s'y élancera rapidement, à une hauteur supé-
rieure à celle de sa chute.
31. Borgnis donne les résultats des expériences qui ont
SCIENCES PHYSIQUES. 319
été faites sur cette étonnante machine par divers savans,
et décrit en détail la forme et la disposition que doivent
avoir ses diverses parties.
L'auteur passe ensuite aux applications de ces machines
aux usages pratiques : il fait d'abord connaître celles qui
sont relatives aux besoins domestiques et aux travaux de
l'agriculture; il donne ensuite la description des puits et
des citernes les plus remarquables , et des machines qui y
sont adaptées pour en extraire l'eau.
Il traite de la conduite et de la distribution des eaux dans
les villes. Après avoir passé en revue les merveilleux tra-
vaux de ce genre exécutés par les anciens , il décrit aveo
plus de détail le magnifique travail du canal de l'Ourcq ,
dont les eaux , amenées dans le bassin de la Villette ,
doivent être répandues avec profusion dans tous les quar-
tiers de Paris, et servir en outre à alimenter deux canaux
de navigation qui descendront dans la Seine^ l'un en tra-
versant le faubourg du Temple, l'autre en traversant la
plaine de Saint-Denis, jusqu'à l'entrée de cette ville.
En parlant des pompes à incendie, l'auteur décrit celles
qui sont en usage en Angleterre ; il les regarde comme
préférables, sous tous les rapports, aux pompes mes-
quines employées par le corps des pompiers de Paris.
Les irrigations et le dessèchement des marais sont de la
plus grande importance pour la prospérité agricole d'une
nation. Les machines employées à cet usage sont décrites
avec soin, de même que celles qui servent aux épuise-
mens temporaires, tels que l'extraction de l'eau contenue
dans un batardeau , dans les bassins destinés à la construc-
tion et à la réparation des vaisseaux, et surtout pour épui-
ser l'eau à bord d'un navire. Cette dernière opération, d'où
dépend quelquefois le salut d'un bâtiment, s'exécute par
le moyen des archi-ponipes, ,des pompes, des bringue-
320 SCIENCES PHYSIQUES.
balles. L'auteur s'est attaché à décrire les plus nouvelles^,
qui sont très-remarquables.
L'exploitation des mines serait souvent impraticable, si
l'on n'avait des moyens d'épuiser les eaux qui les inondent.
On emploie à cet effet des systèmes de pompes superposées,
ou d'autres machines mues par les chevaux, par l'eau elle-
même ou par la vapeur. M. Borgnis compare entre elles
les machines de cette dernière espèce, et en fait connaître
les avantages. Depuis, dit-il, que cette précieuse inven-
tion est en usage , il n'est aucun local où l'on ne puisse
effectuer des exploitations, et il n'est aucune résistance
que l'on ne puisse vaincre, pourvu que l'on ait le com-
bustible nécessaire. C'est surtout dans les mines de houille
que ces machines rendent les services les plus signalés;
aussi, elles ont prodigieusement multiplié ces sortes d'ex-
ploitations, qui surpassent en utilité celles des mines d'or
et d'argent, et qui sont devenues chez les Anglais une des
principales sources de l'étonnante prospérité de leur indus-
trie. Le Normand , /^ro/èss^a?' de technologie.
( La suite au prochain cahier. )
SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.
Examen impartial des nouvelles vues de M. Robert
OwEN , et dû ses établissemens à ISeiv-Lanark , en
Ecosse, avec des observations sur l'application de
son système à l'économie politique de tous les gou-
vemem.ens , par Henry Grey Macnab , m.êdecin de
feu le duc de Kent. Ouvrage dédié à S. A. R. , et
publié par son ordre; traduit de l'anglais par
M. Laffon de Ladebat , ancien député (i).
New-Lanark est un village très-peuplé et bien bâti, dans
le comté de Lanark , sur les bords de la Cljde. Le sol sur
lequel il s'est élevé n'était qu'un marais avant l'an-
née 1784, et l'on y voit aujourd'hui l'une des plus vastes
manufactures de l'Ecosse , et un modèle d'application des
meilleurs moyens qu'il soit possible d'employer à l'amé-
lioration de la condition des classes ouvrières, au soulage-
ment des pauvres et à l'éducation de leurs enfans.
M. Robert Owen, propriétaire principal de cet éta-
blissement, le dirige depuis près de vingt ans : son pré-
décesseur M. Dale, homme d'un mérite réel, mais affaibli
par la vieillesse, l'avait laissé dans un état de décadence
qui l'afïligeait lui-même, et le besoin de la plus sévère
réforme s'y faisait vivement sentir. M. Owen a lutté contre
des obstacles de toute espèce; il est parvenu, par de con-
tinuels efforts, à les surmonter, et à réaliser graduellement
les vues les plus salutaires, sous le rapport de l'industrie,
du commerce et de la condition morale des employés de
ses manufactures. L'ensemble de son système pratique
(1) Paris, 182:. 1 vol. in-S» de 25o pages. Tieutlel el Wurtz,iue
de Bourbon , a" 17.
322 SCIENCKS MORALES
était peu connu et diversement jugé : l'ouvrage que nous
annonçons en donne une idée très-étendue; il est d'un
homme instruit, attentif aux intérêts de l'humanité, par-
tisan de toute institution utile ; et nous en devons la tra-
duction il M. Laflbn de Ladebat , ancien membre de nos as-
semblées législatives, ami de l'auteur, animé du même
zèle et livré dès long-tems aux mêmes méditations.
Nous n'entrerons point dans l'exposition des divers
moyens par lesquels M. Owen a successivement combattu
les habitudes de fraude, de vol et d'ivresse, les jalousies,
les dissensions, les animosités religieuses, les liaisons ir-
régulières des sexes, qui déshonoraient l'établissement.
C'est à sa doctrine qu'il rapporte tous ses succès. Faites
disparaître , dit-il , les circonstances qui tendent à produire
le crime, et le crime n'aura pas d'existence : remplacez ces
circonstances par d'autres qui soient combinées pour
former des habitudes d'ordre, de régularité, de tempé-
rance et d'industrie^ et ces qualités se développeront.
Adoptez des mesures d'une équité et d'une justice inva-
riables , et vous obtiendrez sans peine la conûance des
classes inférieures. Les dispositions vicieuses ne peuvent
résister long-tems à une volonté ferme , bien dirigée , et ù
une bienveillance persévérante. Ces principes sont uni-
versels, et la meilleure application qu'on en puisse faire
est d'employer des moyens raisonnables pour écarter les
tentations du vice, et de donner en même tems une di-
rection convenable aux pouvoirs actifs de chaque individu,
en lui ménageant des jouissances qui suffisent à ses besoins.
Il faut avoir soin aussi de cultiver des sentimens d'union
et de confiance entre tous les membres d'une communauté,
et leur persuader qu'il existe , chez ceux qui la dirigent ,
\m désir sincère d'accroître le bien-être de chacun.
Ces principes, appliqués ù IScw-Lanark , ont produit un
ET POLITIQUES. ,32 ;î
changement lolal dans le caractère de ses habitans : on n'y
a pas infligé, depuis seize ans, une seule peine légale, et
personne n'y a réclamé le secours des fonds de la paroisse :
la communauté entière présente un aspect général d'in-
dustrie, de tempérance, d'aisance, de santé et de con-
tentement.
L'exposé de M. Owen n'a éprouvé de contradiction sur
aucune de ses parties : il est d'ailleurs pleinement confirmé
par le rapport des députés de la corporation de Leeds, en-
voyés pour prendre connaissance de l'état des choses ; et
c'est aussi un témoignage imposant que celui du comité de
Londres , qui a reconnu et proclamé la supériorité des éta-
blissemens de New-Lanark.
Encouragé par ses succès, M. Owen a conçu le projet
d'appliquer les mêmes vues à l'administration et à l'entre-
tien des pauvres et des ouvriers sans travail, dans l'étendue
de la Grande-Bretagne et chez toutes les nations civilisées.
On sait que l'introduction des nouvelles mécaniques et
l'emploi de la machine à vapeur perfectionnée ont prodi-
gieusement accru les moyens de production. C'est au point
que, dans un seul établissement de 2, 5oo individus, les
machines en activité donnent un produit égal à ce que
toute la population de l'Ecosse pouvait manufacturer , par
l'ancien mode de travail, il y a cinquante ans. Les consé-
quences de cet ordre de choses, sous le rapport de l'accu-
mulation des marchandises, des réactions commerciales et
de la diminution du travail manuel dans un grand pays,
effraient l'imagination. Il en résulte surtout l'inévitable né-
cessité de procurer aux pauvres et aux ouvriers sans em-
ploi une occupation, à laquelle le travail des machines soit
subordonné, au lieu d'être appliqué, comme il l'est main-
tenant, À rendre inutiles les bras de ces individus. De là,
l'idée de former un établissement où les travaux de l'agri-
32A SCIENCES 310RALES
culture seront combinés avec les procédés des arts méca-
niques , dans un système dirigé vers la rectification des
habitudes morales. M. Owen présente le plan de cet
établissement , où seraient admis douze cents hommes ,
femmes et enfans. Il entre dans des détails d'exécution ,
qui tendent à prouver que ce système présente plus d'éco-
nomie que tous les projets adoptés ou proposés jusqu'à
présent; qu'il doit obvier à la nécessité de la taxe des
pauvres et des dons de la charité , qu'il soulagera les fabri-
cans et les ouvriers dans leur détresse; et qu'enfin toutes
les classes de la société en retireront des avantages pro-
gressifs, sans secousse et sans danger.
Ces vues bienfaisantes et vraiment philantropiques ap-
pellent l'attention des gouvernemens et de tous les amis
de l'ordre social. M. Owen eu poursuit l'exécution avec la
plus louable persévérance. Il a présenté ses plans au congrès
d'Aix-la-Chapelle, et les a développés , dans plusieurs con-
férences, à Londres et à Paris; mais, au moment où le
docteur Macnab terminait l'examen raisonné qu'il s'était
chargé d'en faire, sur l'invitation de S. A. le duc de Kent,
le parlement britannique eut l'occasion de les discuter, et
des hommes du plus grand poids, dans les deux chambres,
s'opposèrent à leur adoption. Il paraît qu'ils s'étaient alar-
més des conséquences possibles de quelques assertions liées
aux principes moraux et religieux de M. Owen : le livre
de M. Macnab offre à cet égard les explications les plus ras-
surantes. Les points de doctrine contestés y sont l'objet
d'une discussion impartiale, peut-être même sévère; et,
après la lecture du troisième chapitre de l'ouvrage, on de-
meure convaincu qu'ils ne peuvent affecter en rien les
bases essentielles du système. 11 ne s'agit en effet que de
s'entendre sur le sens, plus ou moins restreint, de ces asser-
tions générales : que linlérèt personnel est le principe des
ET POLITIQUES. 325
actions humaines, et que le caractère de l'homme est le
résultat des circonstances dont il est entouré. M. Macnab
pense qu'il est plus vrai de présenter le devoir comme
mobile de la conduite et des actions des hommes; il veut
encore que leur caractère dépende essentiellement de
l'exercice des facultés qui leur ont été départies. Rappel-
lerons-nous que la philosophie ancienne s'est quelquefois
égarée sur ces théories élémentaires, et que, dans les tems
modernes, les questions du libre arbitre, de la justification
et des fins de l'homme n'ont pas ouvert une carrière moins
vaste aux débats scolastiques. Ce n'est point aujourd'hui,
sans doute, que de vaines subtilités pourront faire obstacle
à la pratique du bien et à de salutaires améliorations.
M. Owen a reconnu d'ailleurs, dans ses dernières commu-
nications, que le véritable intérêt de l'homme est insépa-
rahlement lié à son devoir , et que le caractère de la
généralité des individus est principalement formé par l'é-
ducation qu'ils reçoivent et par les circonstances dans
lesquelles ils sont placés. Des définitions aussi précises
doivent satisfaire tous les bons esprits , et l'on ne peut
douter qu'elles ne ramènent l'attention et ne réunissent les
suffrages des membres influens du parlement sur des tra-
vaux et des projets qui déjà ont acquis la sanction de
l'expérience.
Le traducteur de l'ouvrage, dans une préface qui res-
pire l'amour du bien public et où il se place à côté de
l'auteur, nous apprend que M. Owen vient de recevoir des
offres considérables pour la formation d'un nouvel établis-
sement conforme à ses vues, et qu'on a de justes motifs
d'espérer que son zèle et sa persévérance triompheront
enfin de tous les obstacles. Il termine ses observations par
une analyse bien faite du rapport de M. Brougham sur
l'èducatiim des pauvres, rapport d'un intérêt immense, que
,",2G SCIENCES MORALES
nous avons fait connaître (i) etdont on sait que la discussion
est ajournée à la prochaine session du parlement britan-
nique. H. L.
«V» A/t'V\ 'V%'*JV%^iVt/V\
Du systIîme industriel, par Henri Saint-Simon (2).
Depuis le dixième siècle , les grands propriétaires
ont éprouvé deux ou trois changemens d'état très-re-
marquables.
D'abord, maîfres absolus de la population, ils furent
seuls riches, seuls puissans, seuls capables de droits po-
litiques, tant que la richesse et la puissance se mesurèrent
sur l'étendue des possessions territoriales, c'est-à-dire
sur le nombre d'hommes qu'on pouvait faire vivre et
employer comme instrumens de guerre, ou comme moyens
d'échange.
Ce régime de violence et d'inhumanité ne put être de
longue durée. Bientôt la servitude s'adoucit , en prenant
le caractère du colonage. Les bourgs, à l'aide des fran-
chises, se transformèrent en villes: obligée de fournir à
des besoins plus étendus et plus variés, l'agriculture com-
mença de devenir un art; et, parce qu'elle fut long-tems
l'industrie principale et dominante , les grands proprié-
taires conservèrent avec elle leur importance politique.
Non seulement ils commandaient et dirigeaient les travaux
du colon, mais encore ils disposaient exclusivement des
récoltes; et, sous ce double rapport, la population restait
dans leur dépendance.
(1) Voy. Tom. IX, p. 54o.
(2) Paris, 1821. 1 vol. in-8" de5ii pages. Antoine-Augustin Re-
nouard.
KT POLITIQUES. 327
Lorsque l'iisagc des fermes à prix d'argent s'introduisit,
Tordre de ces rapports fut renversé. La culture des terres
devint un objet de spéculation , une occupation commer-
çante , une profession libre et lucrative ; inais elle ne joua
plus qu'un rôle secondaire dans le système économique, et
fut entièrement subordonnée aux manufactures qui réglè-
rent ses travaux, ses bénéfices et ses progrès.
De cette manière, la richesse qui, pendant la première
période, se calculait sur l'étendue des possessions, et, pen-
dant la seconde, sur la masse des récoltes; la richesse, qui
n'avait pour base unique que la propriété ou la culture des
terres , jaillit de toutes les sources que l'industrie s'ouvrit,
et ne se calcula plus, pour les propriétaires fonciers, que
sur la rente qu'on obtenait des fonds de terre, et même
sur le capital que ces fonds pouvaient représenter.
Les possesseurs de capitaux et ceux qui les font valoir
possédèrent à leur tour la véritable puissance, la véritable
richesse. Ils commandèrent tous les travaux , distribuèrent
tous les produits, et occupèrent la place qu'avaient autre-
fois les grands propriétaires, simples rentiers maintenant,
et confondus dans la classe commune des consommateurs.
Ces changemens se sont effectués lentement et sans
secousse. Tout ce qui dégrade ou améliore l'état social,
procède avec cette lenteur, et les effets n'en deviennent
sensibles qu'à de longs intervalles. C'est seulement alors
qu'on sent aussi le besoin de réformer les institutions lé-
gales qui ne s'accordent plus avec les mœurs. Alors com-
mencent les révolutions qui n'ont pour objet que l'état po-
litique, et qui sont plus ou moins apparentes, plus ou moins
complètes, plus ou moins violentes, selon que le régime
qu'elles tendent à détruireades racines plus ou moins pro-
fondes, et que celui qu'elles tendent à constituer est plus
ou moins conforme à l'économie acluelle.
328 SCIENCES MORALES
Que demandent donc maintenant les peuples les plus
civilisés? Que l'on prononce formellement l'abolition de
tout ce qui est aboli par l'opinion et les habitudes; que l'on
étende, que l'on déplace les prérogatives politiques, con-
formément au nouvel ordre de choses qu'il n'est plus pos-
sible de méconnaître et de subvertir; enfin, que l'on con-
vertisse en droit ce qui existe en fait.
C'est pourquoi les souvenirs et les préjugés de l'ancienne
domination se réveillent et s'irritent; ils s'attachent aux
débris des constitutions domaniales, qu'ils tentent de faire
prévaloir par la ruse ou par la force. La grande propriété,
qui a perdu le rang, l'influence, les fonctions qu'elle avait
autrefois, n'est pas satisfaite des avantages qui lui sont
propres , et de la part qu'on lui conserve dans l'exercice
des droits politiques; elle veut en jouir seule, par pri-
vilège, et sans partage. Elle veut humilier et flétrir la petite
propriété, qui s'allie aujourd'hui à toutes les professions
utiles et alimente communément ce que les hommes doivent
respecter le plus : les talens, le savoir et les vertus. Elle pré-
tend asservir et ne compter pour rien dans l'état l'industrie
agricole, commerçante et manufacturière, dont les progrès
attestent ceux de Tintelligence humaine, en même tems
qu'ils font la gloire , la puissance et la prospérité des
empires.
C'est à ces prétentions orgueilleuses qu'il faut attribuer
la crise qui tourmente une partie de l'Europe, où le sys-
tème politique se trouve en état de divorce et de guerre
avec le système social.
Là, on se refuse opiniâtrement à toute espèce de ré-
formes; là, on ne consent qu'à des réformes illusoires et
incomplètes; là, on les obtient par les armes, et les armes
les renversent ; ailleurs , où elles étaient légalement
opérées, légalement garanties, on les détruit pièce à pièce
KT POLITIQUES. ;529
et par des lois. Ainsi, de toutes parts, la lutte s'engage, se
prolonge, se renouvelle, sans qu'on puisse prévoir s'il
eu résultera le triomphe de la civilisation ou de la barbarie.
Si l'on parvenait à maintenir le vieux régime politique,
il faudrait renoncer au système industriel. On ruinerait ht
partie matérielle et positive de la civilisation ; ce qui ne
pourrait être que l'ouvrage des siècles et d'une longue suite
de guerres.
Si l'on conserve le nouveau système social, il faut que
la grande propriété prenne, dans nos constitutions, la place
qu'elle occupe dans l'économie moderne, qu'elle ne soit
point constamment préférée au travail, et qu'elle ne dis-
pense point du mérite personnel : alors on efface les der-
niers vestiges de la barbarie; ce qui pe^ut être l'œuvre d'un
jour et le gage d'une longue paix.
Telles sont à peu près les considérations sur lesquelles
M. Saint-Simon s'exerce depuis long-tems dans une foule
d'écrits polémiques, et qu'il reproduit dans une suite
de lettres dont le recueil forme le volume que nous an-
nonçons.
Il ne faut pas trop s'en rapporter au titre du livre. On
n'y traite pas précisément du système industriel, mais des
droits et des intérêts politiques des industriels, dénomina-
tion sous laquelle les agriculteurs, les banquiers, les né-
gocians et les manufacturiers sont confondus.
S'ils sont encore assez aveugles pour ne pas apercevoir
leurs véritables intérêts, assez indifférens pour se laisser
dépouiller de leurs droits , ce ne sera pas la faute de l'au-
teur, qui ne cesse de leur rappeler ce qu'ils peuvent, ce
qu'ils veulent et ce qui leur est dû.
Il s'adresse, tantôt aux industriels _, pour les engager à
se rallier autour du trône, tantôt aux conseillers de la
couronne, pour les disposer i\ embrasser la cause des in--
Tome x. 22
330 SCIENCES MORALES
dustriels ; tantôt au monarque et au peuple tout à la foiii,
pour les conjurer de s'unir, et d'achever la révolution qui,
suivant M. Saint-Simon, ne sera complète et terminée
que lorsque les propriétaires, les théologiens, les légistes
et les métaphysiciens n'auront plus le droit exclusif de
prendre part au gouvernement. Les affaires publiques, et
surtout l'examen et le règlement du budget, doivent être
spécialement confiés aux industriels, seuls capables de
comprendre ces matières, de les simplifier, et de diriger
l'administration dans le sens du système social.
Une meilleure méthode aurait peut-être mis dans un
plus grand jour, et resserré dans de plus justes bornes-, la
vérité de quelques propositions dont on a tiré des consé-
quences outi-ées. Uhe discussion aussi importante ne com-
porte peut-être p;is les légè,retés, les négligences et l'espèce
de désordre qu'admet le genre épistolaire. Peut-être aussi
ne doit-on attribuer ce désordre qu'à l'abondance des
idées , ou plutôt à la variété des formes sous lesquelles la
même idée semble se reproduire sans cesse.
Quoi qu'il en soit , le fonds de l'ouvrage est puisé dans
les principes d'une saine doctrine. Quelques aperçus neufs^
ime foule de traits et de rapprochemens ingénieux, ajoutent
à l'intérêt du sujet, et l'attention est presque toujours ré-
veillée par la tournure paradoxale que prennent les rai-
sonnemens, sans rien perdre de leur force et de leur jus-
tesse. On reconnaît partout la facilité d'un écrivain exercé,
les intentions d'un bon citoyen, et la touche originale qui
distingue les productions de l'auteur. J. B. Hpet.
î:t politiques. 331
*■* M \>t'\'\ VVVV%1,% V w»-*
De la pkine ue mort; par M. P. A. Heiuerg>
tnembre de la société royale des antiquaires de France,
de l'académie des sciences d'Erfart, etc. (i) > avec
cette épigraphe :
. . . sanguine humano abstine
Quic unique régnas.
( Senec. Herc. fur. )
! jÏj 'ouvrage que nous annonçons est sorti récemment
xi'une presse norvégienne, et il est écrit fïans la langue dil
pays. Il mérite, par l'importance du sujet, de fixer l'at-
tention des publicistes et de tous les hommes qui s'inté-
ressent à la réforme des lois pénales. L'auteur n'a d'autre
prétention que celle d'un ami de la justice et de l'huma-
nité; ce sentiment l'a porté, depuis vingt années, non
seulement à lire ce que d'autres ont écrit avant lui sur
l'importante matière qu'il a traitée, mais surtout à y ap-
pliquer ses propres méditations. Quoiqu'il y ait peut-être
dans son écrit beaucoup de réminiscences, on y trouvera
sans doute aussi un petit nombre d'idées dont il ose reven-
diquer la propriété, et que, certes , il n'a dérobées à per-
sonne.
Les partisans des codes sanguinaires actuellement eri
vigueur défendent la peine de mort, plutôt comme néce-
saire et utile que sous le point de vue de la justice* L'au-
teur entreprend de prouver qu'elle est injuste : s'il y
réussit, les deux autres considérations tombent d'clles-
»nêmes; car rien n'est juste , uniquement parce que cela
est utile, et )la peine de mort ne peut devemir liécessairé
que par l'insuffisance des lois, et par l'organisation vi-
(i) Christiania, 1820. 1 vol. in-8". Imprimerie de Grondahli
22*
332 SCIENCES MORALES
cieuse des prisons et de leur surveillance, dont le con-
damné n'est nullement responsable.
Apirès avoir rappelé le principe connu , qu'une peine
quelconque dictée par les lois se compose de deux parties,
dont l'une est la réparation due à la partie lésée , si et
autant que cette réparation est possible^ et l'autre forme
la garantie que le coupable doit à la société pour l'avenir,
l'auteur prétend que ces deux parties constituantes de la
punition doivent être circonscrites , chacune dans se»
limites étroitement déterminées. La réparation, lorsqu'elle
est possible, doit être complète, mais nullement surabon-
dante; autrement, des hommes pervers y trouveraient des ■
motifs d'encourager au crime des hommes nés avec des
inclinations semblables. La garantie doit être strictement
suffisante et analogue à la nature de la transgression.
On ne traitera pas sur le même pied, sous ce rapport, le
simple voleur et celui qui aurait aggravé son crime par
l'effraction ou par des violences ; la garantie à laquelle on
assujettit ceux-ci, doit être d'une nature différente de
celle qu'on exige d'un calomniateur ou d'un libelliste. Mal-
heureusement, dans tous les pays, les lois ont fait leur
part si largement, que, dans presque tous les cas, leur
application est devenue plus ou moins odieuse; de là, il
suit que le mot peine a perdu sa signification origi-
naire : il devait être l'équivalent du mot Justice, il est trop
souvent devenu synonyme de vexation. Il faut cependant
se résigner à employer ce mot, jusqu'à ce qu'on ait trouvé
et adopté une expression plus rigoureusement exacte, ou
bien, ce qui vaudrait beaucoup mieux, jusqu'à ce que
l'ancien terme ait été réhabilité par l'entière réforme des
lois pénales (i).
(i) Il est de la plus haute importance pour toutes les science», et
ET POLITIQUES. 333
Nous avons dit plus haut que la réparation est due à la
partie lésée, si et autant qu^elie est j^ossible. Dans le cas
où elle serait impossible, non seulement en entier, mais
en partie, il faut que les citoyens s'accoutument à sup-
porter ce malheur, comme ils sont obligés de supporter
ceux que leur causent un incendie, une inondation, et
des événemens d'une nature semblable. D'autres raison-
nemens viendront par la suite à l'appui des principes de
l'auteur.
On demande maintenant si la peine de mort sert de
réparation au mal produit par une action criminelle? elle
ne répare rien , et la famille de l'homme assassiné ne
gagne rien par la mort de l'assassin, si ce n'est le plaisir
d'assouvir une vengeance odieuse. Les lois sont faites pour
réprimer, et nullement pour nourrir des sentimens de
vengeance dans le cœur des citoyens.
D'un autre côté, on ne peut pas nier que la mort d'un
criminel ne soit la plus forte garantie qu'il puisse fournir
à la société contre la récidive. Il s'agit cependant de
savoir si la société n'a pas de moyens plus doux de se
particulièrement pour la jurisprudence , que les termes principaux
dont on se sert soient exactement définis; mais, sous ce rapport,
dans tous les pays, il reste encore beaucoup à faire. L'auteur cite,
à ce sujet, un exemple que nous croyons devoir rappeler ici, quoique
la définition mentionnée, bonne pour le dictionnaire, soit défec-
tueuse en jurisprudence. — Le dictionnaire de l'académie, dit-il,
définit ainsi le mot mensonge : " Discours avancé contre la vérité,
avec dessein de tromper. » — On trouve plus loin , dans le même
dictionnaire : « Mensonge officieux ; un mensonge fait purement pour
faire plaisir à quelqu'un, sans vouloir nuire à personne, » Le mot
tromper, sans aucune modification, présente toujours une idée
odieuse.
S3A SCIENCES MORALES
garantir contre lui; car il est reconnu que Ton eniploie en
pure perte toute la force qui surpasse celle qui est stric-
tement nécessaire pour obtenir l'effet demandé; la ju-
risprudence ferait bien d'emprunter cet axiome à la mé-»
canique.
Si les hommes chargés de l'application des lois étaient
infaillibles, on saurait du moins qu'une condamnation
capitale ne pourrait jamais être prononcée, encore moins
exécutée , sans que la criminalité du prévenu n'eût été
portée à une évidence qui exclût jusqu'à la possibilité du
doute.
L'espace mis à notre disposition est trop borné pour que
nous puissions rendre compte de tous les raisonnemens
par lesquels l'auteur cherche à prouver qu'il est de toute
impossibilité de parvenir à une certitude qui , lorsqu'il
s'agit de priver un homme d'un bien qui ne peut lui être
restitué, soit en entier, soit en partie, doit équivaloir à
une certitude mathématique.
La même raison nous empêche de parler des exemples
nombreux et même assez récens cités par l'auteur pour
confirmer cette déploiable vérité : qu'il arrive plus souvent
qu'on ne le croit, qu'un homme est frappé du glaive de la
loi comme criminel; et que, plus tard, son innocence est
reconnue , lorsqu'il n'est plus possible de réparer la funeste
erreur des juges.
Quand un homme est condamné à une peine, autre que
celle de la mort , et qu'il réussit par la suite à prouver
son entière innocence, que fait alors l'état, ou du moins
que doit-il faire? II lui rend sa liberté, son honneur, ses
biens qu'on a saisis, les amendes qu'il a dû payer; et, quoi-
qu'il soit impossible de l'indemniser des souffrances phy-
siques cl inoiale? qu'il a éprouvées, du moins l'état fait
tl POLlTlQbliS. ;S35
tout ce qui est poss.ii)le pour lui prouver couibicii il regrette
d'avoir commis une erreur si funeste.
Mais , en iVappant un homme de la peine de mort , l'état
se met dans l'impossibilité de réparer ses torts envers l'in-
nocence trop tard reconnue. On nous répondra peut-être
que, dans un pareil cas, l'état fait la seule chose qu'il soit
en son pouvoir de faire : il accorde aux héritiers de
la personne qui a péri par une condamnation injuste
toutes les indemnités ettausles avantages qui lui seraient
dus à elle-même, si elle vivait. Le beau raisonnement qui
tend à faire évaluer le prix du sang humain ù dire d'ex-
perts , ou même ù en faire un objet de bourse , soumis
à la hausse et à la baisse, et qui pourrait presque faire
naître dans le cœur d'un homme pervers le désir de voir
condamner à mort son propre père , afin de venir plus
lard recueillir un héritage sanglant , en récompense de
sa piété filiale !
Nous ne pouvons pas suivre l'auteur dans tous les dé-
veloppemens qu'il donne à ses idées , ni rendre compte
ici de tous les argumens sur lesquels il cherche à les ap-
puyer; il y en a cependant un, quoique subsidiaire, que
nous ne croyons pas devoir passer sous silence, parce qu'il
est assez important. Il y a , dit-il , des lois qui punissent
le suicide, autant que cet acte est susceptible de punition ;
nous ne parlons pas de ces lois barbares qui, en assujet-
tissant les biens du suicidé à la confiscation, frappent les
innocens au lieu du coupable, mais de celles qui flétris-
sent un corps inanimé d'une sépulture plus» ou moins hon-
teuse. Si, de tous les biens que possède un homme, la vie
est celui qui lui appartient par le titre le plus incontes^
table, le suicidé ne fait que détruire une propriété qui est
bien évidemment ùlui; or, si cette action est réputée
criminelle par les lois, nous demanderons comment ces
336 SCIENCES MORALES
mêmes lois pourront, sans crime, détruire la propriété
d'autrui (i) ?
Passant ensuite à l'examen des différens argumens par
lesquels on cherche non seulement à établir et à défendre
la nécessité et l'utilité de la peine de mort, mais encore
à la justifier, l'auteur essaie de les combattre, l'un après
l'autre, de la manière suivante :
1° Les lois demandent vengeance. Argument détestable!
L'exercice de la vengeance est une mauvaise action, aux
yeux de la loi. Un de ses devoirs est de comprimer cette
passion dans le cœur des hommes, et de punir ceux qui
se permettent de l'exercer. D'ailleurs, si la vengeance est
excusable, elle ne l'est que dans le particulier, qui , en-
traîné soudainement par la violence de ses passions, dé-
passe quelquefois les bornes que prescrivent la modération
et la morale. Mais que dire de l'état, d'une société, d'une
assemblée de juges, qui, délibérant sur une action crimi-
nelle , appelleraient froidement la vengeance des lois sur
la tête d'un coupable ? Les lois punissent, elles ne se ven-
gent pas; elles sont impassibles; leurs organes, s'ils ne le
sont pas , s'ils écoutent leurs passions personnelles , sont
des monstres. Une vengeance ordonnée et exécutée de
sang froid est une atrocité.
C'est ici le lieu de rappeler une observation de l'auteur,
lorsqu'il blâme les autorités qui , dans leurs procla-
mations, se permettent souvent de menacer de toute la
rigueur i de toute la sévéï-ité des lois et de la justice. Les
lois ne doivent jamais être ni sévères ni rigoureuses, mais
justes ; car l'expression de rigueur, de sévérité , renferme
(i) Nous n'avons pas besoin d'observer que nous ne considérons
ici le suicide qu'uniquement par rapport aux lois civiles , et nulle-
ment sous le point de vue religieux.
ET POLITIQUES. 337
quelque chose de plus, et une idée moins noble que celle
de Justice. Montesquieu, et certes cette autorité ne sera
pas récusée, Montesquieu dit (i) : « C'est une remarque
perpétuelle des auteurs chinois , que plus , dans leur
empire, on voyait augmenter les supplices, plus la révo-
lution était prochaine. C'est qu'on augmentait les sup-
plices, à mesure qu'on manquait de mœurs. Il serait aisé
de prouver que, dans tous ou presque tous les états de
l'Europe, les peines ont diminué ou augmenté, à mesure
qu'on s'est plus approché ou plus éloigné de la liberté. »
On serait frappé de la justesse de cette observation, si l'on
voulait appliquer l'échelle de proportion de Montesquieu,
pour connaître le degré de liberté dont jouissent aujour-
d'hui les différentes nations de l'Europe.
2° Le talion. C'est encore la vengeance, mais sous un
masque plus hideux. Avant de discuter le mérite de cet
argument, il faut commencer par savoir ce qu'on entend
par le mot talion. Voici la définition qu'en donne le Dic-
tionnaire de V Académie française ^ et qui se trouve sans
doute fondée sur les principes reconnus par la jurispru-
dence du pays. « Le talion est la punition par laquelle on
traite un coupable de la même manière dont il a traité ou
voulu traiter les autres. La loi du talion ordonne qu'on
fasse souffrir au coupable le même mal qu'il a fait : qu'on
crève un œil à celui qui a crevé un œil à un autre; que le
meurtrier soit puni ."de mort; que le faux accusateur, le
faux témoin reçoive le même châtiment qu'il voulut faire
souffrir à celui qu'il accusait. » Enfin, le dictionnaire ter-
mine en assurant» que la loi du talion n'est point en usage
parmi les chrétiens. » Cette dernière assertion n'est pas
exacte, puisque, dans la plupart des pays, et sauf les cir-
(i) Esprit des Lois , ïiv, YI , chap. g.
33^ SCIEiSCliS MORALES
constances atténuantes , le meurtrier est encore puni de
mort.
Si le talion avait pour effet nécessaire de réparer le
mal causé par un crime, il serait sans doute parfaitement
juste : l'auteur convient encore qu'il le serait, si même la
réparation , au lieu d'être complète , ne pouvait devenir
que partielle. Mais il demande avec raison , si un œil crevé
à un malfaiteur rend la vue à sa victime , et si l'exécu-
tion à mort d'un assassin fait l'cssusciter l'individu assas-
siné? Quel est donc le bien que cette loi du talion procure
à la société et ù la personne offensée, et qui ne pourrait
pas être obtenu par des moyens moins atroces et moins
barbares? L'auteur n'en voit qu'un seul, s'il est permis de
l'appeler un bien : c'est le plaisir de se voir vengé. Mais la
société doit-elle cette jouissance à qui que ce soit? l'auteur
a déjà répondu négativement à cette question.
Si la peine de mort pouvait opérer le miracle de réparer
le mal causé par un crime, elle devrait être employée in-
distinctement comme punition de tous les crimes où la
réparation serait impossible par un autre moyen quel-
conque; mais alors il faudrait aussi adopter le principe
des stoïciens : omiiia delicta suiit paria , dont traite
Civèron dans ses Paradoxes. Il faudrait encore punir de la
même peine, et toujours par droit de talion, celui qui, par
erreur ou par négligence, aurait causé la mort d'un autre
homme; mais, dans un pareil cas, l'auteur demande si la
société trouverait facilement des gens disposés à se vouer à
l'art de guérir les maladies et à d'autres professions , qui
les exposeraient à des dangers journaliers et souvent iné-
vitables? Il semble donc que, de tous les argumens par
lesquels on veut défendre la peine de mort, celui pris du
prétendu droit de talion est le plus absurde.
3° La peine de mort diminue le nombre des crimes j en-
ET POLITIQUES. 339
ejjf rayant les hommes qui, auLTement^n'y livreraient aarts
crainte. Cette assertion , fondée, ù ce qu'on prétend, sur
l'expérience, est démentie par celle de tous les tems (i).
Il est connu et hors de doute que , sous le règne de Lèo-
pold, pendant que la peine de mort était abolie en Tos-
cane , il y eut moins de crimes à punir qu'il n'y en avait
eu, avant son abolition; et que le nombre des criminels
augmenta, après le rétablissement de cette peine.
Pour se convaincre que la peine de mort n'inspire pas
cet effroi qu'on appelle salutaire , on n'a qu'à regarder
avec un peu d'attention la foule qui entoure l'échafaud, un
jour de grande exécution. On n'y voit qu'une assemblée
réunie pour jouir d'un spectacle d'autant plus agréable ,
qu'il est donné gratis. On n'y entend que des propos quel-
quefois plaisans, presque toujours indécens; de l'impa-
tience, quand le condamné se fait attendre ; l'expression de
la satisfaction générale , lorsqu'enfin il arrive ; des remar-
ques plus ou moins satiriques sur sa bonne ou mauvaise
contenance , et enfin l'éloge de l'adresse du bourreau. Si
par hasard vous découvrez quelques larmes, si vous en-
tendez quelques soupirs, ils ne sont point de la nature de
ceux que provoque l'horreur du spectacle ; mais Us pro-»
viennent de la compassion d'un petit nombre de specta-
teurs. C'est aussi par cette raison que no%fe auteur
voudrait que , jusqu'à l'abolition entière de cette punition
barbare, l'exécution à mort se fît toujours dans l'intérieur
des prisons, et qu'on n'y admît que les personnes néces-
saires pour l'opération, et pour constater que la justice a
été satisfaite par la mort du coupable. La justice, dit-il,
(i) MulU sunt . qui niorlem , ut requiem malorum , contemnunl^
ac p; militer expavescunl ad rajuivilatein et ignominiosum opus.
Sallust. , Catil.
3A0 SCIENCES MOÏVAtlES
doit se montrer, pour ainsi dire, honteuse de se croire
obligée de retrancher du nombre des vivans un citoyen
qui, malgré sa grande culpabilité aux yeux de la loi, pour-
rait être un jour reconnu innocent, et dont, au reste, la
vie pourrait encore devenir utile à la société (i).
D'ailleurs , pour se convaincre encore davantage de la
fausseté de l'argument que l'auteur cherche ici à com-
battre , on n'a qu'à se rappeler une observation connue :
c'est qu'en Angleterre, où, dans certains cas, le vol est
puni de mort, un jour d'exécution est un jour de fête pour
les voleurs, qui, sous la potence et en présence de l'ap-
pareil terrible de la justice , exercent leur infâme métier
avec une hardiesse incroyable et avec le plus grand profit;
tant il est vrai que le spectacle d'une exécution à mort n'ef-
fraie tout au plus que ceux qui n'ont aucun besoin d'être
effrayés.
Si l'humanité pouvait accorder aux lois le droit de pu-
nir pour effrayer^ elle serait obligée de faire une concession
de plus. Une ancienne maxime, qui est presque devenue
un axiome , dit que celui qui veut la fin _, doit aussi
i^ouloir les moyens. Plus ces moyens sont efficaces , plus
ils conduisent sûrement au but. Or, il est incontestable
qu'une exécution à mort qui fait souffrir le patient pendant
des heures, des journées entières, est beaucoup plus ef-
frayante que celle qui ne lui cause qu'un moment de dou-
leur. Ainsi , en admettant le principe que nous combattons
ici, il faudrait que la législation remît en vigueur la tor-
ture et tous les raflinemens cruels que rejette la civilisation
actuelle, et dont l'atroce jurisprudence des siècles bar-
(i) Il y eut un tems où les sénateurs romains prenaient le deuil ,
quand la justice faisait mourir un citoyen ; à Rome , la prison était
régulièrement le lieu du dernier supplice.
ET POLITIQUES. ZH
bares a cru devoir entourer le dernier supplice. Il faudrait
même, comme dit l'auteur, aller plus loin: on devrait
accorder des récompenses au génie inventif, qui aurait
le triste bonheur de trouver des punitions encore plus ef-
frayantes que celles dont l'invention appartient aux siècles
passés.
Mais, ce prétendu droit de punir pour effrayer et pour
prévenir par là d'autres crimes, l'auteur l'envisage encore*
sous un autre point de vue, afin de prouver qu'il est con-
traire à toute justice. Si, dit-il, vous punissez de mort un
homme dans la vue d'effrayer les autres, et pour les em-
pêcher ainsi de se rendre coupables ^ vous ne le punissez
pas de ses propres actions criminelles, mais de celles qui
pourraient un jour être commises par d'autres, et qui en-
core ne sont que des futurs contingens ; quelle atrocité!
Gardez-vous de faire considérer comme objet des punitions
ce qui n'en doit être tout au plus qu'une conséquence plus
ou moins certaine; car, si vous admettez comme un juste
motif la terreur que vous prétendez inspirer, vous n'avez
qu'un petit raisonnement aussi bon à faire pour arriver
plus loin ; bientôt, vous vous croirez autorisés à punir un
innocent, faute de coupables, si dans un malheureux mo-
ment vous avez lieu de craindre qu'il ne soit commis des
crimes.
h" On prétend aussi justifier la peine de mort, en disant
que la plupart des grands criminels sont incorrigibles.
Cette assertion est fausse, et en même tems impie.
Elle est fausse j parce que le contraire, prouvé déjà par
l'expérience , est encore confirmé par tout ce que nou en-
seigne le simple bon sens.
Personne n'ignore que, dans les Etats-Unis de l'Amérique
septentrionale, il y a des prisons organisées de manière
que non seulement la dépravation des prisonniers est
Ui SCIENCES MORALES
impossible , mais qu'ils en sortent presque toujours meil-
leurs qu'ils n'y sont entres. Qu'on organise, en Europe, les
prisons sur ce modèle; qu'on y ajoute les améliorations
que la bienveillance des amis de l'humanité ne manquera
pas de proposer, et les mêmes causes seront infailliblement
suivies des mêmes effets. Mais les gouvernemens sont en
général paresseux et calculateurs : il est évident qu'il
coûte bien moins de tems, et, ce qui est plus, bien moins
d'argent, pour couper la tête ù un scélérat, que pour tra-
vailler à en faire un citoyen utile, qui pourra être rendu sans
danger à la société. C'est ainsi qu'aux yeux de l'homme
d'état la peine de mort paraît nécessaire et utile , et l'on
sait qu'en politique, ce qui est utile ou commode au pouvoir
est regardé comme juste.
On ne raisonne pas de la sorte , quand il s'agit des ani-
maux. Un particulier possède un cheval fougueux, sujet à
s'emporter, et dont malheureusement les cmportemens ont
coûté la vie à un homme : exerce-t-il envers cet animal le
droit 'du talion? lui inflige-t-il la peine dé mort? non; il
sait mieux calculer: il envoie son cheval au moulin, où,
les yeux bandés, il tourne le manège jusqu'à !a fin de sa
vie , 00 du moins jusqu'à ce que , le travail ayant dompté
sa fougue, il paisse être de nouveau et sans danger attelé à
la voiture de son maître, ou lui servir de monture. Serait-ce
trop demander, de vouloir que les hommes fussent traités
sur le même pied ?
L'assertion est impie. Vous déclarez, comme si c'était en
pleine connaissance de cause , que les criminels que vous
voulez tuer sont incorrigibles : quelle est donc cette cmni-
science qui vous révèle les futurs contingens ? Dieu vous
a-l>^il admis dans l'intimité de ses conseils ? Connaissez-'
ViJtis auguste l'heure, l'instant où se réveillera la conscience
d'un scélérat , où, pour se sauver dans l'autre vie, il de-
KT l'OLIÏIQUES. 3A3
mandera sincèrement, à Dien et à la société , le pardon de
ses crimes ? savez-vous avec certitude si cet instant est plus
éloigné que celui qui amènera sa mort naturelle? Légis-
lateurs, vous reconnaissez la religion pour la base de vos
lois et de votre morale; enfin, vous êtes chrétiens ; et ce-
pendant , en abrégeant violemment la vie d'un homme
qu'arbitrairement vous déclarez incorrigible, non seule-
ment vous détruisez son corps, mais, autant qu'il dépend
de vous, vous perdez encore son âme: «ette idée seule ne
vous fait-elle pas frémir ?
5° La vie d'un grand scéléixit est dangereuse pour la
société. Oui, sans doute, tant qu'il est libre ; vasHs^ au mo-
ment où il est saisi et livré entre les mains de l'autorité et
de la justice, le danger cesse. Prétendre qu'alors même
il serait dangereux, c'est dire qu'il est encore plus fort que
l'administration et la justice ; que les institutions et les
établissemens de l'état sont absolument défectueux et sans
aucune force. Le gouvernement qui ferait un pareil
aveu se couvrirait de honte; il ferait quelque chose de
pis, en voulant justifier la peine de mort par une pareille
considération ; il se glorifierait d'un acte ^u'il est de son
devoir de punir comme un crime.
Tout le monde sait quelles sont entre particuliers les
bornes de ce qu'on appelle la légitime défense. Si je me
vois inopinément attaqué par un homme armé, de manière
à être momentanément livré à mes pi-opres moyens, à mes
seules forces, à mon adresse personnelle, je tue mon ad-
versaire, si je le peux, et je suis innocent aux yeux de la
justice. Mais si, avant que cette nécessité Sort deventie
inévitable, il m'arrive des secours, si mon adversaire est
désarmé et saisi, et que néanmoins je le tue, les lois me
punissent comme assassin , du moins comme meurtrier.
Ce principe est nécessairement applicable à la justice,
3AA SCIENCES MORALES
au gouvernement lui-même. Si, après avoir commis un
grand crime , le coupable n'avait pu être saisi , et qu'avant
son arrestation, il fût à craindre qu'il n'en commît encore
d'autres également graves , la société se trouverait envers
lui dans le cas de légitime défense; alors il serait permis
de s'en défaire en le tuant, afin de prévenir d'autres mal-
heurs. Mais, du moment où il se trouve entre les mains de
l'autorité et de la justice, il cesse d'être dangereux, il
n'est plus en guerre ouverte avec l'état : la société est plus
forte que lui. Les établissemens publics doivent garantir
l'avenir des citoyens contre le coupable; autrement, il n'y
aurait ni gouvernement ni société : comme cette garantie
peut et doit durer jusqu'à la fin de la vie naturelle du cou-
pable , si néanmoins on se débarrasse de lui par une mort
violente, il n'est, aux yeux de l'auteur, ni condamné ni
puni, d'après les principes de la justice éternelle; il est
juridiquement assassiné.
Les lois pénales, se demande l'auteur, pourront-elles
être plus cruelles que celles de la guerre ? Ces dernières
ne permettent point d'égorger l'ennemi vaincu, après qu'il
a été désarmé et mis hors d'état de devenir dangereux.
M. de Tracy , dans son excellent Commentaire sur f Es-
prit des Lois, dit (pag. 82, édition de Liège, 1817) :
« Quand le corps social annonce qu'il /)«?2ira de telle peine
telle action , il se déclare d'avance en état de guerre avec
celui qui commettra cette action qui lui nuit. » Qu'il nous
soit permis de soumettre à ce profond philosophe nos doutes
à ce sujet. Il nous semble que le droit d'infliger la peine
capitale ne découle nullement de son principe. Celui qui
ôte la vie à l'homme avec lequel il est en état de guerre
nepunit pas , il use seulement de son droit de légitime dé-
fense; et, du moment où l'adversaire est désarmé, Itérât
de guerre cesse. Il aurait été à désirer que M. de Tracy,
KT POLITIQUES. 3A5
qui semble favoriser, jusqu'à un certain poinl, la peine
de mort, eût employé des argumens plus solides pour en
établir la justice.
6'' On dit encore que la peine de mort est nécessaire,
et par conséquent juste, ajin d" empêcher que ^ par son
évasion, un grand criminel ne redevienne dangereux pour
la. société.
Ainsi, vous voulez donc punir un criminel, non pas de
ses propres crimes, mais de la négligence d'un gardien ,
de la mauvaise organisation de la surveillance, ou de la
construction vicieuse de vos prisons? car il est impossible
qu'il puisse s'évader, à moins d'être favorisé par des cir-
constances entièrement indépendantes de sa volonté. Si
l'état doit à la sûreté publique d'empêcher l'évasion d'un
prisonnier , le devoir de celui-ci envers lui-niême lui or-
donne de chercher tous les moyens de réussir dans cette
entreprise; et ce devoir devient pour lui encore plus im-
périeux, quand il s'agit de sa vie : c'est le seul bien qui
lui reste encore dans ce monde, il le défend jusqu'à la
dernière extrémité; et, puisqu'il lui est impossible de
sauver sa vie sans reconquérir d'abord sa liberté, il cherche
à s'emparera tout prix de ce moyen précieux (i),. D'ail-
leurs» Ul grand coupable n'est jamais eu prison sur sa pa-
role d'honneur : la justice n'accepterait pas cette garantie;
elle en demande d'autres plus sûi-es que celles que lui four-
nirait la promesse fallacieuse d'un homme voué à des
(i) 0 Le coupable, dit M. de Tracy, à l'endroit cite, n'est pas
obligé en conscience d'abandonner sa vie , parce que la loi veut sa
mort, et de renoncer à se défendre , parce qu'elle l'attaque ; le cou-
pable n'a pas perdu pour cela le droit de sa défense personnelle ; nul
être animé n'en saurait être jamais privé ; seulement, il est réduit à
ses forces individuelles ; et les forces sociales qui , dans toute autre
occasion, l'auraient protégé, sont, dans celle-ci, tournées contre lui. »
Tome x. 23
U6 SCIENCES MORALES
peines afllictives ou au dernier supplice. Ainsi, en pro-
fitant de toutes les occasions qui se présentent pour sauver
sa vie en reconquérant sa liberté, il ne rompt aucun en-
gagement, il ne viole aucune promesse, il ne commet au-
cun nouveau crime, et il serait évidemment injuste de le
punir des fautes d'autruî.
Nous serions obligés de traduire plutôt que d'analyser
toutes les considérations que l'auteur fait valoir sur cette
matière, ce qui entraînerait à des longueurs incompatibles
avec l'étendue de ce recueil ; et cependant l'auteur avoue
lui-même qu'il a cru devoir abréger ici son traité, et s'abs-
tenir de plusieurs raisonnemens qui, selon lui, auraient
pu donner une nouvelle force à son système, afin de ne
pas fournir à un lecteur prévenu ou malveillant l'occa-
sion d'en tirer des conséquences que certes il n'approu-
verait pas, mais qui pourraient conduire à des discussions
trop délicates.
7° Enfin, on ne rougit pas d'affirmer que l'entretien et
la surveillance des pi-isonniei's exigeraient des dépenses,
dont l'immensité minerait lesfinances deVétat.
Malheur au pays où le nombre des criminels serait si
grand, que ce dernier argument deviendrait de quelque
poids ! dans un tel pays , il n'y aurait ni administration, ni
police, ni justice, ni gouvernement, ni ordre social; il n'y
aurait qu'anarchie et guerre civile : la société serait dis-
soute ; et ce n'est pas un tel état de choses que l'auteur a
eu en vue, quand il a composé son ouvrage. Dans un état
bien organisé, on ne traite pas les hommes, quoique cri-
minels, comme en tems de disette et de famine on traite
les animaux inutiles ou de luxe, que l'on tue quelquefois
pour conserver aux hommes tous les moyens de subsis-
tance. Organisez vos prisons , comme elles doivent être
oiganiséei^ ; faites-en des maisons de travail et de correc-
î;t POLlT10l3i';>- 3À?
tion , el votre objection deviendra aussi ridicule qu'elle
est aujourd'hui barbare. Soyez humains et même bien-
veilians envers le malheur mérité, et vous verrez qu'il est
possible de porter vos institutions de cette nature à une
telle perfection, que non seulement le travail des prison-
niers remboursera les dépenses qu'ils auront occasion-
nées à l'état, mais donnera encore bientôt un surplus ap-
plicable au soulagement des malheureux dont le travail a
concouru à le gagner. L'homme vivant peut toujours être
employé utilement (i); l'homme mort n'est bon à rien.
Mais surtout soyez justes et humains ; ne remplissez pas
vos prisons de personnes que vous soupçonnez , parce
qu'elles vous déplaisent ; n'érigez pas arbitrairement en
crimes des actions innocentes en elles-mêmes, mais qui
pourraient contrarier vos intérêts et vos vues personnelles ;
formez les mœurs du peuple , au lieu de contribuer, comme
vous le faites de mille manières différentes , à augmenter
leur dépravation; et bientôt vous donnerez, aux nouvelles
prisons que vous faites construire , une destination plus
honorable pour le gouvernement et plus utile à l'huma-
nité.
Nous sommes obligés d'omettre une foule de considéra-
tions et d'argumens secondaires, par lesquels l'auteur
appuie son système. Nous observerons seulement qu'il a
cru que la publication de son ouvrage , composé il y a plus
de dix ans, pourrait être de quelque utilité, à une époque
où l'érection de la Norvège en royaume indépendant et
constitutionnel réclame impérieusement la confection d'un
nouveau code de lois, tant civiles que pénales, adap-
(i) . . . Occidere noli ,
Serviet uUliier, Horacb , JSpist. I.
23'
3i8 SCIENCES MORALES
tées à la nouvelle situation du pays et aux lumières du
siècle (i ).
On accuserait peut-être l'auteur de témérité d'avoir osé
combattre une doctrine soutenue par un Montesquieu , un
/,-/. Rousseau, un Ma blj, un Filangieri, et par tant
d'autres illustres philosophes et publicistes, s'il ne s'était
pas rangé sous la bannière d'autres écrivains également
célèbres, tels que Beccaria parmi les morts, et M. de
Pastoret, que la France se félicite de compter encore au
nombre de ses jurisconsultes vivans. Dans son ouvrage
des lois pénales (îî), ce dernier a réfuté le principe atroce
qui admet la peine de mort, avec toute l'énergie de la rai-
son et toute la chaleur d'une ame généreuse. On peut être
persuadé que , dans tous les cas où ce noble pair de France
sera appelé à prononcer sur le sort de grands criminels, il
saura éviter, autant que les circonstances le lui permet-
tront, tout conflit entre ses devoirs politiques et ceux que
lui imposent la raison, son humanité et ses principes hau-
tement proclamés.
La discussion sur la justice ou l'injustice de la peine de
mort conduit naturellement l'auteur à l'examen du droit
(i) N'oublions pas d'annoncer ici que les cortès du royaume de
Portugal se sont honorés, en proposant d'abolir constilutionnellement
la peine capitale : ce bel exemple , donné déjà par la convention
nationale de France , sur la proposition de M. l'évêque Grégoire, sera
sans doute imité ailleurs ( Voyez Revue Encyclopédique, ci-dessus ,
pag. 233 ).
(2) Paris, 1790, 2 vol. in-S». L'auteur donne, dans cet ouvrage,
la nomenclature de plus de cent crimes, qui, tous, d'après la législa-
tion française de ces tems , étaient punis de la peine capitale. Quelle
jurisprudence effroyable l En 1795 ou 1796, M. Valane, dans un livre
dédié à M. le comte Lanjuinais, alors député à la convention, a réuni
une multitude de réflexions pour faire supprimer la peine de mort.
ET POLITIQUES. 3A9
défaire grâce. Ce droit a été vivement combattu par beau-
coup d'autorités respectables; il a été soutenu par d'autres.
L'auteur, en se rangeant du côté de ces derniers, croit
qu'un droit d'une telle importance doit être soumis à de cer-
taines restrictions et à des modifications dont il serait trop
long de donner ici le développement complet Nous nous
bornerons à indiquer deux de ses considérations que nous
livrons à la réflexion de nos lecteurs.
La première de ces considérations n'est pas d'une appli-
cation générale; elle ne s'applique qu'à des pays où,
comme en Norvège, le jugement par jurés en matière
criminelle n'est pas encore établi. On sait que, dans un
tel état de choses, les juges sont tenus de prononcer, con-
formément aux preuves que leur auront fournies l'instruc-
tion du procès , les aveux du prévenu et l'audition des
témoins. Il ne leur est point permis, comme aux jurés,
de faire valoir leur conviction morale. S'il s'élève un soup-
çon qui porte à un haut degré de probabilité l'innocence
de l'homme accusé, les juges n'ont pas la faculté de s'en
emparer en sa faveur pour détruire les preuves qui auront
acquis la force voulue par la loi. Les jurés, au contraire,
dans une pareille circonstance, acquittent le prévenu en
écartant les preuves, si, dans leuramc et conscience, et
quelque incontestables qu'elles soient aux yeux de la loi, ils
les regardent comme fausses. Ainsi l'auteur croit qu'il est
de toute nécessité , dans les pays où le jugement par jurés
n'est pas encore introduit, qu'il y ait un moyen pour cor-
riger l'imperfection de la loi et pour sauver l'innocence.
Ce moyen consiste, à ses yeux, en ce que le chef de l'état
ait la faculté de faire grâce; mais il veut aussi que jamais
il ne puisse en faire usage que sur la représentation du
tribunal qui se serait vu dans la cruelle nécessité d'appli-
quer la rigueur de la loi, en condamnant, comme cou-
350 SCIENCES MORALES
pable, l'homme dont la conviction morale des juges atteste
tantôt la culpabilité moins grande, tantôt l'innocence
complète (i).
Mais l'auteur va encore plus loin, et sa seconde consi-
dération le porte à reconnaître qu'il y a des cas où, sans
danger pour l'état, le prince pourrait remettre la peine
légalement prononcée contre un homme , q«and même il
ne s'élèverait aucune présomption en faveur de son en-
tière innocence. Un homme peut avoir commis un crime
vraiment punissable, son action néanmoins aura été ac-
compagnée de quelques circonstances atténuantes ; il pour-
rait paraître extrêmement probable que le criminel ne
retombera jamais dans le même crime; enfin, d'autres
considérations d'utilité publique pourraient plaider en
faveur de l'homme condamné; et l'auteur croit, sauf meil-
leur avis, que, dans l'un et l'autre de ces cas, le prince
doit avoir le droit de lui remettre la peine prononcée contre
lui (2); mais, afin que cette précieuse faculté ne dégénère
point en abus, il veut qu'elle soit soumise à quelques
conditions. Comme, dans aucun cas, le prince ne pourra
faire grâce de l'indemnité complète, due à la partie lésée,
il voudrait qu'en remettant au criminel le reste de la pu-
nition à laquelle il aurait été condamné, le prince se ren-
dît en même tems garant de sa conduite future; de sorte
que, si le condamné gracié devenait parla suite coupable
d'un crime de la même nature^ la partie lésée, pour ce
qui concerne les indemnités, aurait son recours directe-
ment contre la liste civile du prince, qui serait tenue de
(1) Cette observation de l'auteur serait encore applicable , dans
le cas où l'accusé aurait eu le malheur de trouver un jury malveillant.
(1) Néanmoins le prince ne doit jamais pouvoir remettre Its ia-
«ieinnités dues à la partie lésée.
ET POLITIQUES. 351
Tacquitter saos contestation. Il est à croire qu'un pareil
article, inséré dans la loi fondamentale d'un pays, et rigou-
reusement exécuté, servirait merveilleusement à rendre
le chef de l'état très-circonspect dans l'usage du droit de
faire grâce.
Abandonnant les développemens ultérieurs que l'auteur
a donnés à son principe, nous observerons qu'il approuve
de tout son cœur les dispositions de l'article 20 de la cons-
titution du royaume de Norvège, qui veut que le con-
damné ait le choix d^ accepter la grâce royale ^ ou de subir
la peine prononcée contre lui. Il y a des circonstances,
dit-il, où la grâce flétrit beaucoup plus que la peine. La
flétrissure ne réside pas dans la punition, mais dans l'ac-
tion commise par l'homme que la loi punit. Si cette ac-
.tion n'est pas déshonorante en elle-même , le condamné
est absous par l'opinion publique qui lui rend justice, et
celui à qui l'on rend justice n'a pas besoin de grâce; on
doit même supposer qu'il n'en veut pas.
La même observation est applicable, mais sous d'autres
rapports, à ce qu'on appelle commutation de peine. La
peine de mort , qu'on regarde comme la plus effroyable
de toutes les peines, paraît quelquefois inûnimen^ préfé-
rable aux travaux forcés ou à la prison perpétuelle. La
commutation, au lieu d'être une grâce, pourrait ainsi
devenir une rigueur extrême, une véritable cruauté. Les
sentimens sont individuels, et les rois eux-mêmes n'ont
pas le droit d'ériger les leurs en règles générales. Choisir
pour moi , c'est me forcer de trouver meilleur ce qui , à
mes yeux, pourrait être pire ; aussi ne devrait-on jamais
proposer au prince, soit la commutation de peine, soit la
grâce, à moins que le condamné lui-même ne l'eût dési-
rée; autrement, la prétendue grâce, ou la commutation
deviendrait une véritable aggravation , et son effet serait
352 SCIENCES MORALES
de rendre odieux aux yeux des citoyens le prince qui se
permettrait d'en user.
L'auteur veut encore que jamais le prince ne puisse exer-
cer le droit def aire gràcequ^envers les criminels condamnés
endcTnière instance par sentence de la cour suprême. Il s'en-
suit que, par forme de grâce, le prince ne pourra jamais
arrêter la marche d'un procès criminel. Il faudrait encore
qu'avant de faire grâce , il prît l'avis de son conseil d'état
et des tribunaux qui ont prononcé la condamnation ; au-
trement, ce droit précieux pourrait devenir, entre les mains
du prince, et même entre celles de ses courtisans, un abus
ou un moyen de sauver de grands coupables.
L'ouvrage dont nous avons essayé de donner une
analyse, est terminé par un supplément divisé en plu-
sieurs chapitres, et contenant quelques réflexions sur
différens points de jurisprudence criminelle. Nous ne par-
lerons que de deux de ces chapitres. Dans le premier,
l'auteur désapprouve la législation de plusieurs pays, qui
abuse de la marque et de la flétrissure d'une double ma-
nière : d'abord, en infligeant celle punition ignominieuse
à des criminels condamnés seulement à perdre leur liberté
pendant un espace de tems plus ou moins limité; ensuite,
en stigmatisant des individus coupables d'actions qui ne
sont réputées crimes que par des considérations pure-
ment temporaires ou locales. L'auteur croit que l'homme
flétri en place publique ne peut jamais être rendu à la so-
ciété sans le plus grand danger pour elle, et sans qu'il
soit lui-même , pour ainsi dire , forcé à devenir un scélé-
rat accompli ; de sorte que la flétrissure devrait être uni-
quement réservée pour des individus condamnés aux
travaux forcés à perpétuité. Quant à l'autre abus de la
marque, l'auteur observe que ce serait une contradiction
scandaleuse de voir un homme flétri publiquement pour
ET POLITIQUES. 353
une action qui n'a rien d'immoral en elle-même; d'où il
pourrait résulter qu'il fût puni ignominieusement d'un
acte qui, dans d'autres pays et à d'autres époques, lui au-
rait mérité la canonisation ou des statues.
Il est une autre espèce de flétrissure, dont on a aussi
quelquefois cruellement abusé. Elle est purement morale,
et consiste à faire imprimer la note de calomnie au front
du citoyen courageux dont la plume a osé révéler certaines
vérités faites pour froisser les intérêts les plus chers de
quelques personnages assez puissans pour se permettre
d'exploiter effrontément, et à leur profit, le mensonge. Cet
abus vraiment déplorable , favorisé par des tribunaux cor-
rompus, a été poussé, dans plus d'un pays, à un excès
scandaleux. C'est ici le lieu de répéter un passage de
Beccaricif cité avec éloge par M. de Pastoretj en 1790 (1).
« Ce n'est pas, dit-il, ma faute, s'il y a aujourd'hui tant
de pays où Caton ne pourrait paraître sans danger.
Quand la vérité est punie, soyez sûrs que les lois ont été
faites par ceux à qui l'erreur, les abus et les vices sont
utiles , et qu'elles préparent et annoncent la ruine d'un
état. »
Dans le second chapitre du supplément, l'auteur blâme
la prétendue justice qui se donne pour auxiliaire des
agens provocateurs. Après avoir montré combien est im-
moral l'emploi de ces êtres vils et corrompus, il cite contre
cette jurisprudence une autorité que , certes, personne
ne se permettra de récuser. « Lorsque, dit-il, après la
transgression de nos premiers parens. Dieu descendit au
paradis pour prononcer ses terribles sentences, il appela
en premier lieu le serpent provocateur, à qui il infligea
la peine la plus rigoureuse; ensuite venait Eve, qui,
(2) Des lois pénales , Tom. I , part, a , art. 7.
rsk SCIENCES xMORALES ET POLITIQUES.
séduite elle-même, avait encore séduit son mari : sa pu-
nition fut moins douce que celle d'Adam , coupable seu-
lement de désobéissance. La peine prononcée contre ces
deux derniers était simplement afflictive; celle du serpent
était ignominieuse et flétrissante. La justice divine ne
niérite-t-elle donc pas de servir de modèle à celle des
hommes ? Mais comment espérer de voir établir cette
justice admirable, quand on voit que, dans plus d'un
pays, sans doute à son insu, et sans s'en apercevoir, la
législation elle-même est en quelque sorte provocatrice ?
Les maisons de jeu (i), les loteries et tant d'autres éta-
blissemens immoraux, souvent tolérés, quelquefois même
protégés par les lois, sont autant de pépinières propres à
fournir journellement des victimes au bras de fer de la
justice; et, par une bizarrerie honteuse, les lois pénales
sont souvent obligées de punir, avec une rigueur barbare,
des crimes dont on ne trouve la première origine que dans
d'autres dispositions légales. »
En rendant compte de cet ouvrage, nous nous sommes
abstenus de toute critique et de tout éloge. Renfermant
notre anal3'se dans les bornes étroites d'un simple rap-
port, nous n'avons pas dû hasarder un jugement peu
convenable , et que le public aurait bien pu infirmer.
Les raisons qui nous ont imposé ce devoir sont suflisam-
ment expliquées par notre signature.
Heiberc.
(i) On voit avec étonnement , depuis plusieurs années, étalée aux
yeux du public une brochure in-4° , qui a pour titre : Deux mille et
quelques chances au jeu de rouge et noire. Cette exposition est, à
nos veux, extrêmement immorale.
LITTERATURE.
RUSSIAN ASTHOLOGY , CtC ANTHOLOGIE RUSSIi , Uvec
un discours préliminaire et des notices biographi-
ques; par John Bowring (i).
C'est depuis un petit nombre d'années seulement que
les poètes et les écrivains russes prétendent à l'honneur
d'occuper une place dans la littérature européenne. L'im-
pulsion donnée à l'empire des czars par Pierre-le-Grand,
a dû naturellement porter sur les relations politiques,
objet de première nécessité pour un peuple. Les arts,
qui supposent toujours un certain état de repos et même
de mollesse, ne peuvent fleurir que long-tems après; leur
brillante influence adoucit les mœurs et ne les forme pas;
des institutions profondément conçues sont établies d'abord ;
viennent ensuite les beaux-arts, qu'on pourrait appeler le
superflu de la civilisation. Aussi ce ne fut que vers la fin
du dernier siècle qu'on vit paraître en Russie de véritables
poètes, dont plusieurs sont encore nos contemporains, et
dont les ouvrages sont bien dignes, par leur diversité et
leur éclat, de franchir les limites de la contrée qui leur
a donné naissance. Le projet de les traduire était hardi ;
il fallait vaincre les difficultés d'une langue souple et riche;
il fallait nous présenter la poésie russe dans son mètre
original. Ces obstacles n'ont pas arrêté M. Bowring, qui
s'est déjà essayé dans plusieurs compositions assez éten-
dues, où l'on distingue surtout l'empreinte d'une vive
imagination. On ne rend pas ordinairement assez de jus-
tice au mérite des traducteurs ; cependant il faut convenir
(i) Londres, 1821. Un vol. in-12 de 240 pages.
1
356 LITTÉRATLRE.
que leur tâche devient extrêmement difficile, quand ils en-
treprennent de nous oflfrir, dans une langue douce et poli-
cée, les productions d'une poésie qui n'a pas été inspirée
par nos climats. Il est évident, ainsi que M. Bowringle fait
remarquer dans sa préface, qu'il leur est presque impos-
sible de conserver l'harmonie et la justesse des expres-
sions, et que tout ce qu'ils peuvent se flatter de n'avoir
pas altéré, c'est la pensée de l'auteur; encore , nous la
donnent-ils souvent nue et décolorée. Il arrive aussi
presque toujours qu'un traducteur officieux porte la peine
des défauts de l'original, tandis que la part des beautés
est toujours décernée à l'auteur même. Nous ne voulons
point conclure de ces réflexions que M. Bowring ait fait tort
à la poésie russe; au contraire,- fidèle jusqu'à conserver
exactement la mesure des écrivains qu'il traduit, jusqu'à
imiter le rhythme de leurs vers, il lui a fallu aborder tous les
genres et toutes les nuances de la poésie anglaise. Un
talent heureux et flexible a pu seul le soutenir dans cette
lutte difficile. Tantôt sa lyre est montée au ton de l'ode ,
et tantôt elle passe à la gravité de la poésie morale et
philosophique ; puis il dépeint les fureurs de la vengeance et
les égaremens des passions; enfin, il prend le voile de l'apo-
logue, ou manie avec succès l'épigramme. Son Anthologie,
quoique fort variée, ne fatigue point par de pénibles con-
trastes, bien qu'il ait eu quelquefois recours à la poésie
métaphysique, genre monstrueux que néanmoins plusieurs
écrivains d'un vrai mérite s'obstinent à cultiver, mais où
ils réussissent plus souvent à se faire admirer qu'à se faire
comprendre. Toutefois , M. Bowring avertit qu'on ne doit
point lui imputer les fautes des auteurs qu'il traduit, parce
qu'il s'est imposé la loi de respecter leurs écrits^ même
dans ce qu'il croyait contraire au bon goût.
!Sous ne suivrons pas M. Bowring dans les détails qu'il
LITTÉRATURE. 357
donne sur la langue russe, qui s'adapte parfaitement à
tous les genres de poésie, et qui doit une grande partie de
sa richesse, d'abord à l'introduction du christianisme, qui
amena avec lui une foule de tournures gi'ecques, ensuite à
l'invasion tartare, qui l'enrichit d'un grand nombre de
locutions et d'images asiatiques. Nous nous hâtons d'arriver
à ses extraits des poètes russes. Le premier qui figure,
suivant l'ordre de dates, est Michel Lomonossofj le père
de la littérature russe. Né, en 1711, d'un simple matelot,
il s'éleva progressivement, par son seul mérite, à la dignité
de directeur de l'université de Pétersbourg, où il remplit
long-tems et avec la plus grande distinction la chaire de
chimie. L'académie des sciences a fait imprimer, aux frais
de l'état, en seize volumes, ses œuvres, dans lesquelles on
trouve des traités d'optique et de physique, des ouvrages
sur l'histoire, des tragédies, un poème héroïque, et plu-
sieurs autres compositions de divers genres. La hardiesse
et l'élégance de ses ouvrages contrastent de la manière la
plus tranchée avec les productions informes qui avaient
précédé. Ce fut lui qui fraya la route. Il a rendu à la lit-
térature russe le même service que Corneille rendit à
notre théâtre ; il ne rédigea point de préceptes , et né donna
d'autre leçon que son exemple. Il est à regretter que
M. Bowring ne nous présente que deux de ses pièces,
encore sont-elles de fort peu d'étendue. La première
retrace l'impression que produisit sur le poète la vue
des lumières du Nordj l'aurore boréale, ce beau phéno-
mène dont la cause n'est pas encore dévoilée , et qui,
éclairant de ses feux rougeâtres les longues nuits des
climats septentrionaux, joue un si grand rôle dans les poé-
sies d'Ossian. Ce morceau offre quelquefois des détails qui
touchent de trop près aux siences, pour être précisément
du ressort de la poésie ; nous y avons remarqué cependant
358 LITTERATURE.
plusieurs strophes pleines de majesté. Après avoir demande
à la philosophie une explication qu'elle ne peut lui donner ,
le poète se demande à son tour quelle peut être la source
de ces torrens de lumière.
« Nature, quelles sont tes secrètes lois ? Les feux du
Nord brillent dans la zone de l'hiver. Comment tes flam-
beaux s'allument-ils aux plaines glacées du pôle ? Ton soleil
aurait-il, dans ces froides régions, quelque trône mys-
térieux ? Quelle clarté s'élève du sein de ces mers im-
mobiles ! c'est du milieu d'elles que naît le jour qui doit
éclairer la terre. »
L'autre pièce de Lomonossof est d'un genre tout difiërent;
c'est un apologue, un conte moral. L'Eternel assemble
devant son trône les dieux de la terre, et leur demande
compte de leur administration; il leur ordonne de pu-
nir le crime , quelque puissans que soient ses auteurs.
Le poète termine par cette apostrophe : « Vous disparaîtrez
un jour, comme les feuilles que l'automne a flétries; votre
trône n'est que poussière; votre empire n'est qu'un tom-
beau; l'appareil de votre grandeur ne sera plus qu'un
cortège funèbre, et le plus vil de vos esclaves foulera aux
pieds les débris de vos palais ! » Si l'on se reporte à la date
de ces poésies (environ i74o) , et si l'on se rappelle de plus
que Lomonossof était en quelque sorte, à la cour de Russie,
ce que les Anglais appelaient poète lauréat, c'est-à-dire
préposé aux compliriiens anniversaires, on trouvera sans
doute ce morceau doublement remarquable.
Gabriel Dejjavin mérite de nous arrêter plus long-
lems, du moins par l'étendue que M. B. a donnée à ses
ouvrages dans V anthologie russe. Il naquit en i 763 , se
distingua d'abord dans la carrière militaire, et Catherine
en fit un de ses ministres d'état. Son talent, qui se forma
au milieu du tumulte des camps, est marqué d'une em-
LITTERATURE. 359
preinle guerrière, et à tel point que, dans un passage où il
se répand en éloges sur les exploits des armes russes,
son traducteur a cru devoir protester, dans une note, contre
ses principes de conquête. L'ode à Dieu, de Derjavin,
cette ode que l'empereur de la Chine a fait imprimer en
caractères d'or sur de la soie, et qu'il a fait suspendre aux
murs de son palais , est sans contredit fort belle, et la tra-
duction est écrite d'un style pur et majestueux (i). On y re-
marque avec plaisir une grande économie d'ornemens et
de figures , qui deviennent presque tous frivoles dans un
sujet aussi sublime que celui que le poète a osé traiter.
Nous n'en citerons rien cependant; car, sans parler de la
teinte métaphysique qu'on y remarque, ce serait faire tort
à quelques expressions vraiment miltoniennes , que d'es-
sayer de les rendre en prose. M. B. nous donne une autre
pièce du même auteur, la Cascade; c'est une des plus
longues et des plus belles du recueil. Le vieux guerrier
Romamof, disgracié par des intrigues de cour, abattu par
l'âge et parles fatigues de la guerre, vient méditer sur
le néant de la gloire et sur les rêves de l'ambition : il
aime à s'égarer dans les déserts, à contempler les eaux
d'une cascade qui se précipite en flots argentés , et dont le
fracas n'est plus qu'un léger murmure, au fond des forêts.
"Le loup s'arrête sur ses bords, et n'ose les franchir; le
cheval sauvage, la crinière hérissée, affronte le tumulte de
ses eaux, tandis que leur bruit fait fuir Ite cerf timide. » Le
vieillard s'égare souvent sur les rives du fleuve; ses armes
lui ont été arrachées, la tempête de l'adversité a fait tom-
ber sa lance. Il s'endort au bruit du torrent ; de sinistres
visions viennent troubler son sommeil, et lui annoncent
(i) Une heureuse imitation en vers de cette ode se trouve à la fin
d'un ouvrage annoncé dans la Revue, sous le titre de Coup d'ceit
sur Pétersbourg. { f^oyez Tom, IX, pag. 586 ).
360 LITTERATURE.
la mort du prince de Tauride, favori de Minerve (i ), celui-
là même qui avait décidé sa disgrâce. Le vieillard se ré-
veille en soupirant, et s'écrie : Un héros vient d'expirer.
C'est une idée éminemment poétique d'avoir mis dans la
bouche de Romanzof l'oraison funèbre de son ennemi; en
voici quelques stances :
« Heureux, dit le vieillard, si, en combattant pour la
gloire, son bras a toujours combattu pour la justice ! heu-
reux celui dont le glaive n'a pas été étranger à la pitié dans
le combat le plus sanglant , et dont le bouclier a servi d'é-
gide à son ennemi ! Les siècles à venir diront sa renom-
mée , et l'ami de l'homme sera de tous ses titres le plus
brillant. »
« Gloire, tout ce que les hommes ont déplus cher, tu
m'apparais comme cette cascade; sauvages, indomptés dans
leur course, ses flots éblouissent les yeux, en se précipitant
des monts où ils prennent naissance. »
« Les regards enchantés des faibles humains se tournent
vers le torrent ; mais ses ondes rapides ne répandent point
la fertilité; la désolation accompagne ses eaux, qui sillonnent
la plaine. Elle n'est plus qu'un désert, la inante vallée
qu'ils ont traversée. »
« Que le modeste ruisseau est plus aimable et plus pur !
ses eaux limpides arrosent la prairie. Le murmure de sa
voix a la douceur des chansons du berger ou des accens
de l'amour. Il n'étonne point par le mugissement de ses
flots; mais jamais il ne tarit, et son cours est marqué par
des bienfaits. Tel le héros véritable, etc. »
Il serait inutile de prolonger encore cette citation de la
Cascade de Derjavin; ce peu de lignes suffira pour faire
voir qu'il est digne du nom de poète, que sa muse a quel-
(i) On donnait souvent ce nom à l'impératrice Catherine.
Potemkin , prince de Tauride, se distingua , surtout par ses victoires
sur les Turcs.
LITTÉRATURE. .-561
que chose de sauvage et Je grand qui n'exclut pas l'élé-
gance, et que ses images ont an caractère local très-
proQOQcé.
La plus heureuse traduction, dans V Antlwlogie russe ^
estcelledes Pénates, deBatuschkof,ouépître aux dieux do-
mestiques, qui , par ses grâces et son aimable philosophie,
ne déparerait la littérature d'aucune nation. M. B. l'a tra-
duite avec beaucoup de bonheur. On voit qu'elle est d'un
écrivain nourri de la lecture d'Horace et de TibuUe, et
peut-être n'y a-t-ii rien, dans la littérature anglaise, qui se
rapproche autant des contes de Voltaire. Le poète se re-
tire dans ses foyers, dégoûté des succès de l'intrigue et
du faux brillant de la puissance. 11 fait l'inventaire exact
des goûts et des passions des hommes, et, après de mûres
réflexions, il donne sa démission pleine et entière des
affaires du monde, ne se réservant que les muses, et, comme
Benserade, Ysiinanx sldlfficile àcongèdier.\\-^^%'sQ en revue
tous les poètes de sa patrie; chacun d'eux est peint d'un
trait, et son épître offre une espèce de galerie littéraire,
pleine d'images riantes. Enfin, dansse,s Pe/za^é's, Batuschkof
se fait ermite, et il est impossible d'être misantrope avec
plus de grâce. On rencontre dans cette pièce de nombreuses
réminiscences des poètes latins , des poésies de La Fon-
taine, et même de celles de Parny. Lorsque Batuschkof,
en parlant des premiers âges de la littérature russe, re-
monte jusqu'aux héros slaves qu'on distingue à peine dans
la nuit de leur gloire, on se rappelle involontairement
J. B. Rousseau qui nous dépeint les anciens sages, « se dé-
robant aux épaisses ténèbres de leur antiquité. » Voici les
vers des Pénates, qui renferment les dernières volontés du
poète : « Lorsque mon pèlerinage sera terminé, dit-il, et que
)e dormirai auprès des miens , qu'on ne verse pointeur ma
cendre des pleurs mercenaires. Quelques amis pourront se
Tome x. - 2A
362 LITTÉRATURE.
réunir, le soirdu jour qui m'aura vu expirer, et j eterquelque*
fleurs sur la tombe du poète. Qu^on dépose à côté de moi
mes pénates chéris, la coupe du festin et ma lyre, muette
désormais. Ma cendre n'a pas besoin d'être recouverte
d'une pierre et d'une inscription; il est inutile d'apprendre
au voyageur que celui qui a tant aimé est mort tranquille
et serein. » Ces vers sont précisément dans le même genre
que ce passage charmant du Ménestrel de Béattie, qui
mériterait d'être mieux connu en France, où le poète
demande à reposer, après sa mort, dans un endroit que le
soleil éclaire des rayons du soir; passage qui se termine
par cette pensée : « Lorsque, près démon tombeau, la nuit
viendra surprendre le fils du laboureur et la jeune fille
timide, qu'ils ne craignent pas les ténèbres, qu'ils ne se
pressent point de fuir; mon ombre plaintive ne viendra
point troubler leurs innocentes amours. »
On regrette que M. B. n'ait pas donné plus d'étendue à
ses extraits de Joukowski, poète qui, si l'on doit le juger
d'après quelques morceaux détachés, paraît avoir une élé-
gance soutenue dans sa versification. On lui doit une tra-
duction russe du Don Quichotte de Florian , et l'on ne
conçoit pas comment un écrivain distingué n'a-pas mieux
aimé enrichir sa patrie de l'ouvrage même de Cervantes.
Le morceau que M. B. nous présente est jempli de force
et d'imagination , et les images en sont toutes empruntées
de la poésie calédonienne. Il serait difficile d'assigner un
nom exact à cette pièce de Joukowski; elle se rapproche
évidemment de ces contes ou romans poétiques, auxquels
on a long-tems refusé une place dans la littérature, et qui
maintenant voudraient occuper la première. Lorsque des
hommes distingués ont créé ce genre , pour ainsi dire
nouveau, ils n'ont pas prévu avec quelle passion on se je-
terait dans cette arène imprudemment ouverte; ils n'ont
LITTERATURE. 365
)pâs prévu que , dans leur fatale abondance , la foule des
imitateurs menacerait un jour, en marchant sur leurs
traces, d'étoufFer entièrement la belle littérature hardie et
chaste à la fois, qui reparaît encore cependant, en Angle-
terre, dans les ouvrages de Worldsworth, de Piogers, et
surtout de Campbell, celui de tous ses poètes vivans dont
la réputation sera la plus durable. Cependant la Harpe
d'Eau (i) , de l'écrivain russe , est composée avec assez de
goût; et, quoiqu'il ait rempli cette pièce d'images quel-
quefois ambitieuses , elles n'y sont pas prodiguées outre
mesure. M. B. , astreint, par la fidélité avec laquelle il a
traduit, à un genre de rhythme croisé et difficile, n'en a
pas moins rendu presque toutes les stances avec une
grande élégance. Les amours malheureux d'un jeune
barde , qui n'a pour tout bien que sa harpe et ses chansons,
font tout le sujet de ce petit poème. L'un des chefs de
Morven, couronné de gloire et d'années, se repose de ses
fatigues dans la demeure de ses pères : son unique plaisir
est d'entendre célébrer les exploits des héros de sa race et
de voir se développer la beauté de sa fille Milvana, dont
(i) En Ecosse, cette contrée si fertile en inspirations poétiques,
la patrie des bardes , on avait remarqué que les cordes d'une harpe,
frappées par un vif courant d'air, rendaient des sons harmonieux.
Aussitôt, on revêtit ce phénomène des couleurs de l'imagination;
c'étaient les ombres des guerriers de Fingal et des vierges de Te-
mora , qui excitaient cette musique aérienne dans leur passage ;
c'étaient des accens qui venaient d'au-dtlà de la tombe; c'était
la louche légère des esprits. C'est ce qu'on nomma la Harpe
d'Éole. (Est-ce le vent qui fait résonner ma harpe, ou est-ce le
passage des esprits? — Ossian ; Berrathon. Le vent ébranle la cime
des vieux chênes. L'esprit de la montagne pousse des cris dans la
tempête. L'orage est entré dans ma demeure, ma harpe en est
agitée; des sous mélancoliques s'étendent au loin, comme une
voix qui sort delà tomhc. — Ossian ; Dar-T/iula.
2A*
36A LITTÉUAÏURE.
Joukowski trace le portrait dans le genre d'Ossian. « Elle
est fraîche comme l'air du matin; elle est aimable comme
la fleur de la montagne, qui incline sa tête argentée de
rosée aux rayons du soleil levant.» En vain, les plus fameux
guerriers viennent, de toutes les parties de l'Ecosse, dé-
poser leur hommage aux pieds de Milvana ; elle a donné
son cœur au jeune barde. Joukowski le fait parler en vers
pleins de douceur et d'élégance : « De quoi servent pour le
bonheur, dit-il, le courage et la gloire ? quelles couronnes
sont plus belles que les guirlandes tressées par la main de
la beauté ? le récit des exploits d'un héros a-t-il la douceur
des accens du premier amour?» Nous avons surtout re-
marqué la strophe suivante, qui rappelle l'ouverture du
troisiènrie acte de Roméo et Jalietta^ l'une des scènes les
plus gracieuses de Shakespeare, qui savait prendre tous
les tons ; dans laquelle Juliette avertit son amant qu'il doit
s'éloigner, parce qu'elle entend les cris de l'alouette qui
annonce le matin, et Roméo lui fait croire que ce ne sont
que les chants du rossignol, l'oiseau de la nuit:
« Est-ce le soleil qui revient nous éclairer? sont-ce le»
feux du jour qui blanchissent l'orient ? le souffle du vent
s'est-il réveillé sur le sommet de la colline ? Ce ne sont
que les feux du nord qui sillonnent l'obscurité de la nuit:
ce n'est pas encore le jour qui s'avance. Zéphirs du matin^
ne descendez pas encore de vos montagnes. »
Enfin Ordail, irrité de la passion du jeune barde, le fait
conduire en des terres étrangères. La fille du chef de
Morven, ainsi que le barde exilé, meurent tous deux, et
leurs ombres viennent visiter les lieux de leurs amours.
On voit que cette pièce est presque entièrement empruntée
d'Ossian, quant à la poésie qui la décore; ce qui ne lui ôte
pas un certain mérite d'originalité. Joukowski a choisi
avec goût plusieurs dos plus belles images de la poésie
LITTERATURE. 365
écossaise, sans se prononcer sur la question de l'autiqnité
des compositions d'Ossian ou de Macphèrson, Il s'est beau-
coup aide de cette strophe si remarquable, où Ossian, privé
de la vue, fait une invocation au soleil; strophe qui sur-
passe, à quelques égards, en sublimité, les vers où Milton
aveugle célèbre les beautés et les bienfaits de la lumière.
Le traducteur anglais nous donne aussi, dans cette An-
thologie , plusieurs morceaux de Karamsin , (jui s'est
surtout distingué par ses compositions historiques ; une
pièce de Dmitrief^ sur un orage , qui rappelle les vers de
Thomson, et quelques parties du poème de la Religion, de
Bohroff auteur d'un roman que M. B. compare à Lalla
Rookh, ce poème auquel l'imagination dé M. Moore a
donné une si forte teinte orientale, ainsi que de Davidof
et de KoHtrof{y) , tous auteurs dont les vers sont plus har-
monieux que les noms ; enfin, de Meletzky ^ dont il pré-
sente plusieurs romances et chansons populaires, qui ne
sont pas sans un certain charme, quoique leur mérite sOit
surtout national. Enfin , M. B. cite plusieurs fragmens des
ouvrages de Bogdanovilch , « l'Anacréon de la Russie, » qu'il
fait suivre d'une notice biographique fort intéressante, par
Karamsin. Il paraît que Bogdanovitch fut d'abord destiné
à l'étude et à la carrière du génie militaire ; mais il fût
tellement enchanté de la pompe d'une représentation théâ-
trale à laquelle il assistait, qu'il ne voulut plus s'occuper
que de poésie. Son mérite , aidé de puissans protecteurs,
qui, en Russie, manquent rarement au talent, le fit envoyer
(i) Dans sa notice biographique sur Kostrof , M. Bowring nous
apprend qu'il n'a pu paraître que six livres d'une traduction qtie
cet écrivain russe avait faite de l'Iliade, parce qu'un libraire lui
ayant ofifert un vil prix de son travail ( i5o roubles , 3 le poète
indigné jeta son ouvrage au feu.
Se« LITTERATURE.
à Dresde, avec l'ambassade près cette cour. Il s'y livra
tout entier aux arts, et ce fut aux sites rians des bords de
l'Elbe , aux compositions des Rubens et des Paul Véronèse,
qu'il emprunta les images gracieuses de sa Douschenka
(Psyché). Il parvint à une vieillesse avancée, et mourut
en i8o3. Son caractère était aimable et tendre : il avait
coutume de dire qu'il ne redoutait qu'une seule chose, la
critique; mais elle était peu dangereuse pour lui; et d'ail-
leurs, le public russe n'a pas encore le droit d'être trop
eageant.
Dans la galerie que M. B. nous fait parcourir, on re-
marque avec surprise que les fabulistes sont les plus nom-
breux, et peut-être les plus distingués des écrivains russes.
Sans parler de Soumarokof, créateur de ce genre en Russie,
on trouve, dans V Anthologie j (\\xt\(\aes fables de Kliem-
Tiitzer i dont une surtout est remarquable : le roi et son
conseil. Ce poète paraît avoir eu toute la bonhomie et
quelque chose du talent de notre La Fontaine. Son peu de
fortune et la négligence qu'il mettait à l'augmenter furent
cause que ses amis obtinrent, presque à son insu, sa nomi-
nation au consulat général de Smyrne. Ce fut lui rendre
un triste service. Son génie s'éteignit peu à peu dans les
embarras de sa place , et sa santé ne résista pas long-tems
au changement de climat. Il mourut à Smyrne en 1784.
Une grande simplicité s'alliait chez lui à un noble enthou-
- siasme pour tout ce qui est digne d'admiration. On rap-
porte qu'assistant, à Paris, à une représentation de Tan-
crède , il se sentit tellement ému, au premier vers que
Lekain prononça, en entrant sur la scène, qu'il se leva
au milieu du parterre et salua profondément l'acteur. Ce
trait de Khemnitzer rappelle involontairement l'auteur du
Voyage sentimentaU Sterne , qui . la première fois qu'il
passa devant la statue de Henri IV, au Pont-Neuf, s'age-
LITTERATURE. 367
nouilla dans la boue devant l'image du bon roi. La fable
que M. B. nous donne de Krilof fait regretter qu'il n'en
ait traduit qu'une seule : je ne saurais la transcrire sans
prolonger encore cet article; mais j'en citerai une de ce
fabuliste qui donnera une idée du genre de son talent. La
traduction que l'on va lire en a été faite par M. Héreau,
secrétaire central de la Reloue Encyclopédique , qui a de-
meuré pendant dix années en Russie, et qui s'occupe de-
puis long-tems d'un choix de poésies russes.
LE PIGEON, LA POULE D'EAU ET L'ÉCREVISSE,
FABLE IMITÉE DU RUSSE.
Il s'en va mal en toute affaire ,
Lorsque des gens, liés par un même intérêt ,
Sont différeus de caractère.
On pourrait discourir long-tems sur ce sujet ,
Et la matière est assez ample ;
Mais ce n'est point là mon projet :
Je n'en veux aujourd'hui que donner un exemple.
Le pigeon , l'écrevisse , avec la poule d'eau ,
S'étant associés de plaisir et de peine ,
Eurent à traîner un fardeau.
Ils s'attèlent tous trois , et, d'une même baleine ,
Ils partent. . . Cependant, chacun d'eux «e démène ,
Et le fardeau ne bouge d'un seul pas.
D'où vient cela? ce n'était pas
Qu'il fût trop lourd ; mais vers l'humide plaine
La poule d'eau tirait ; le pigeon vers les cieux
Prenait un vol ambitieux.
Et l'écrevisse , ma commère ,
Pour reculer faisait de tout ?on mieux.
Qui des trois avait tort ? ce n'est point mon aOairo
De décider entre eux; mais je l'ai déjà dit,
Et cela me suffit :
Il faut s'associer suivant son caraçtëra.
368 LITTÉRATURE.
On pense bien que M. Bowring a fait un choix délicat
ayant de composer son Anthologie. Il ne nous donne que
les perles des écrivains russes, et son recueil ne permet
nullement de juger l'ensemble de leurs productions. Mais
au moins est-il possible, d'après son ouvrage, de saisir
quelques-uns des traits de la littérature naissante de la
Russie, de se former une idée de la manière qu'elle adopte
de préférence et de la direction qu'elle paraît devoir suivre.
A l'exception de Derjavin et de Batuschkofy qui occupent
le premier rang, on s'attendrait à trouver des tournures
moins polies et un genre plus nettement tranché, quelque
chose de moins élégant, mais de plus original. On est
frappé de la ressemblance de ces compositions avec plu-
sieurs parties de la littérature anglaise; et, quoique la
nature du nord leur donne presque partout un caractère
sombre et imposant, on conçoit que ces poésies pourraient
êti'e encore plus décidément russes. Il faut convenir, d'un
autre côté, qu'on y trouve aussi l'empreinte d'un goût ju-
dicieux et sévère , une grande sobriété d'images roman-
tiques; à peine, dans le volume entier, pourrait-on citer
un seul exemple de ces comparaisons vagues et ambi-
tieuses en même tems , dont plusieurs auteurs modernes
affectent de se servir, comme si le champ des vraies beautés
poétiques était devenu stérile. Les écrivains russes pa-
raissent généralement d'accord sur ces points : que rien
n'est plus contraire ù l'effet de la poésie que de vouloir y
introduire l'analyse des sentimens de l'ame, et que c'est
une entreprise ridicule que de prétendre enluminer la
métaphysique, des couleurs de l'imagination. Une autre
qualité de ces poètes de la Nevpa, et peut-être la plus pré-
cieuse de toutes, c'est que leur muse n'est jamais servile,
c'est que des pensées généreuses et patriotiques l'ont cons-
tamment inspirée; c'est qu'ils flétrissent tour à tour les
LITTERATURE. 3C9
tristes exploits de la guerre et les espérances de l'ambition ,
c'est que les traces d'un gouvernement militaire et absolu
disparaissent complètement dans leurs vers. Malheureuse-
ment il n'est pas permis de dire (ju'en Russie , cette belle
littérature réfléchit fidèlement l'image des institutions et
des mœurs. Ces charmes ne sont sentis que dans les rangs
les plus élevés; chez cette nation, un abîme sépare l'es-
clave de son seigneur, et il ne peut y avoir entre eux que
des relations de dépendance; sans doute, les arts sont pro-
tégés dans ces palais où l'élégance de l'Europe s'embellit
du luxe de l'Asie; mais que trouve-t-on hors de leur en-
ceinte? de l'ignorance et de la servitude. Il est permis
d'espérer, avec l'auteur de cette AntJiologie,(\\\e. l'ascen-
dant de tant d'hommes d'un mérite vraiment distingué,
en donnant des goûts intellectuels aux diverses classes de
\& société, hâtera l'instant si désiré d'un rapprochement et
d'une émancipation mutuelle. Après l'humiliante histoire
de la littérature chez les Romains, il faut qu'elle se jus-
tifie d'avoir si l'ong-tems langui sous la république et d'a-
voir attendu le despotisme pour jeter tout son éclat. Qu'il
serait beau de voir les arts, par une marche contraire,
sortir des capitales où ils sont relégués , répandue les '
premiers germes de la philosophie et des lumières au
milieu d'une vaste nation, et l'influence brillante de la
poésie devenir le précui'seur de sa liberté!
Charles Coquerel.
370 LITTERATURE.
^^WVVW W% W W%V\A/V%
ErKLABUNG EINER /EGYPTISCHEN TJRKUNDE AtP PAPY-
BUS, etc., von August Bockh {i),ou Explication d'uh
CONTRAT ÉGYPTIEN SUR PAPYRUS , Cn greC CUTSif^ de
Van io4 avant J.-C, lue le 24 janvier 1821, à
Cacadémie royale des sciences de Berlin , par Au-
guste BôcKU, membre des académies royales de
Berlin et de Munich.
On se plaint quelquefois de ce que les monumens de l'E-
gypte, malgré les innombrables sculptures dont ils sont
chargés, n'apprennent rien de positif sur l'histoire ou sur
l'état civil du pays. L'heureuse découverte que viennent de
faire trois savans de l'académie de Berlin, et que l'un d'eux,
M. Bockh, a publiée depuis peu, suppléera en partie le
langage encore muet des monumens. Il s'agit d'un contrat
égyptien, conclu loA ans avant J.-C.,etquia été déchiffré
avec un rare bonheur par MM. Bockh, Buttmann et Bek-
ker. Le document est écrit sur un papyrus, en grec cursif,
mais presque illisible. Au premier coup d'œil , on le pren-
drait pour une écriture tout autre, mêlée seulement de
quelques lettres grecques, semées çà et là. Le petit ou-
vrage dont nous rendons compte renferme \efac simile du
contrat, avec la traduction allemande et un commentaire
assez étendu. On peut dire, de ce morceau, qu'il est unique
sous deux rapports ; d'abord, comme exemple de l'écri-
ture cursive , puis comme renfermant des détails neufs
sur un point essentiel de l'administration civile. Voici l'his-
torique de la découverte. M. Jean d'Anastasy, consul de
Suède à Alexandrie, s'est procuré dans la haute Egypte ce
(1) In-4° de 36 pages, Berlin, i8ji.
LITTÉRATCRE. 571
précieux manuscrit, qu'il conserye dans son cabinet, dé-
roulé entre deux verres. Le général Minutoli, qui visite
maintenant l'Egypte et les pays de l'ouest, par ordre du
gouvernement prussien, a obtenu du consul un fac simile
du papyrus, et l'a envoyé à l'académie de Berlin. L'ori-
ginal paraît avoir été déposé sur une momie de la Thébaïde.
Sa conservation étonnante, après vingt siècles, est due sans
doute au baume dont il a été imprégné ou parfumé, et à la
sécheresse du tombeau danslequel il est resté silong-tems.
La copie qui a été envoyée en Prusse a été imitée avec
une scrupuleuse exactitude; il est à regretter cependant
que l'oiiginal ne soit pas en Europe, car il est permis de
douter que le fac simile, du moins la gravure , le retrace
avec une égale fidélité sur tous les points.
L'étendue du manuscrit est de aa pouces environ, sur
5'^ A 1. de hauteur; à gauche, on voit une sorte de cachet,
représentant une tête barbue avec un casque , selon l'usage
grec.
L'écrit est composé de trois parties : la première, en
cinq lignes, indique la date et désigne les fonctionnaires de
l'ordre religieux alors en exercice, indications nécessaires
pour bien déterminer cette époque et rendre l'acte valide.
La seconde, en huit lignes, contient le traité conclu; la
troisième, qui est séparée à la droite, est une sorte d'en-
registrement écrit en huit lignes; ces lignes sont plus
courtes et d'une autre main, en caractères plus menus,
plus serrés et tracés rapidement, en sorte que l'on conjec-
ture que le manuscrit n'est pas une copie , mais bien
l'original de l'acte.
L'objet du contrat est l'acte de vente d'un fonds de terre,
entre plusieurs particuliers de Ptolémaïs, ville capitale de
la haute Egypte sous les Lagides. M. Bôckh présume qu'il
a été trouvé dans le tombeau de l'acheteur même, nommé
372 LITTERATLllE.
Nechoutes. Les co-vendeurs sont au nombre de quatre; on
donne .leur signalement dans le plus grand détail, ainsi
que leur profession, puis le quartier où la pièce de terre
est située, la nature et l'étendue de la pièce, ensuite la
désignation des tenans et aboutissans; enfin, le signale-
ment de l'acbeteuret le prix de la vente.
La partie de droite est une sorte de transcription Iki
contrat : on y désigne les trois ou quatre fonctionnaires
des contributions ou de l'enregistrement ; on y répète la date
de l'année, le prix de la terre, le lieu où elle est située; enfin ,
les noms des parties; mais le jour de l'inscription de l'acte
n'est plus le même , c'est environ trois mois plus tard que
le contrat a été enregistré à la requête de l'acheteur.
Ce rare morceau est le plus curieux qu'on ait encore
trouvé en Egypte , pour la connaissance de l'ordre civil
dans ce pays. A la vérité, il ne remonte pas plus haut que
l'administration des Grecs; mais tout porte à croire que
l'ancien usage avait été conservé. Toutefois , je dififère
d'avis sur un point avec le savant interprète ; il induit de
cette pièce , que la langue grecque était, à cette époque,
employée universellement dans toute l'Egypte , même poui*
les affaires privées. Mais Ptolémaïs étant une ville d'ori-
gine grecque et fondée par les Ptolémées, pour succéder
à l'ancienne capitale, peut-être dans le dessein même d'in-
troduire dans tout le pays l'usage de leur langue, il n'est
pas surprenant qu'on y tînt toutes les écritures administra-
tives dans ce même idiome, à l'exclusion de la langue na-
tionale. Je ne vois même pas ce qui empêcherait de croire
que les habitans de Ptolémaïs eussent retenu l'usage dé
celle-ci , bien qu'ils fussent contraints de rédiger tous
les actes dans la langue du vainqueur; c'est ce qu'on a vu
en Belgique, en Hollande et dans d'autres pays , pendant
l'administration des Français. Il en est encore de même
LITTÉRATURE. S73
dans quelques parties de l'ancienne Alsace. Ptolémaïs était
la première ville de la Thébaïde^ du tems de Strabon ; il
la comparait, pour l'étendue, à la ville de Memphis. Les
anciens géographes l'appellent Ptolémaïs d'Ermios, sur-
nom que l'on retrouve dans le contrat. Sa position est la
même que celle d'un gros bourg , appelé Menchyetel nédé,
au-dessous de Girgeh la capitale actuelle du Sayd , et où
nous avons vu des ruines. La ville est appelée ici Ptolémaïs
de la Thébaïde, pour la distinguer de la Ptolémaïs qui était
à l'entrée du nome Arsinoïte. Mais ce que l'acte contient
de plus intéressant pour la géographie, c'est que, sous le
rapport de l'administration territoriale , ce lieu dépendait
du nome Tathyrites ^ si toutefois la lecture est exacte dans
cet endroit, qui est assez mal écrit. Ainsi, Banville s'était
trompé en corrigeant, dans le texte de Ptolémée le géo-
graphe, le nom de Tathyris en Phaturis ^ et Ptolémée
lui-même avait donné à cette préfecture un nom différent;
savoir : le Memnon; peut-être aussi cette division n'était-elle
plus la même de son tems, car les nomes ont plusieurs fois
changé de circonscription. Au reste , il est remarquable
que les terres de Ptolémaïs relevaient, du moins sous un
rapport, d'un nome éloigné confinant à Thèbes, et séparé
de celui de Ptolémaïs même , par deux autres, le Diospo-
lites et le Tentjrites ; faut-il en conclure qu'il y avait des
administrations provinciales supérieures, qui embrassaient
plusieurs préfectures dans leur juridiction ?
Le détail des règles suivies dans l'administration civile
d'un pays est toujours curieux , au moins comme terme de
comparaison. On sera bien aise de les trouver ici, et sous
la forme la plus authentique. D'ailleurs, si l'on connaît
ces règles pour les Grecs et les Romains, on n'en avait pres-
que aucune idée pour l'Egypte. On y trouve, quoiqu'en peu
df! mots, des choses neuves sur les noms et la condition
des habitans, les corporations d'ouvriers, les usages ru-
S7A LITTERATURE.
raux, le mode de possession territoriale ; enfin, pour l'his-
toire de l'écriture, c'est un monument capital. M. Bôckh
observe judicieusement que l'on ne se servait de lettres
détachées que dans les livres publics ou destinés à être
vendus, et qu'on ne s'y astreignait pas dans les écritures
privées et journalières. M, Akerblad a publié une inscrip-
tion sur une lame de plomb, trouvée dans un tombeau,
près d'Athènes, mais l'époque n'en est pas certaine; oe
sont des caractères informes, sans liaisons, et il n'est pas
probable que l'on fît usage de l'écriture cursive sur le
plomb. D'autres fragmens connus ne sont pas davantage
de véritable cursif. Les seuls exemples qu'on puisse citer
sont des mots de peu d'importance, tracés sur les murs
et les colonnes de Pompeï, et surtout le papyrus grec du
musée Borgia, à Velletri, publié par Schow, en 1788;
mais il n'offre qu'une nomenclature des ouvriers de Ptolé-
maïs d'Arsinoïte, employés aux digues et aux canaux.
Ce dernier fragment , d'ailleurs très-curieux, ne remonte
qu'au troisième siècle de l'ère chrétienne , tandis que celui
de Ptolémaïs en Thébaîde est du deuxième siècle avant
Jésus-Christ. Voilà donc le monument d'écriture grecque
cursive, le plus ancien connu, et sa date est incontestable.
A la vérité, il existe des manuscrits en cursif, bien anté-
rieurs et en très-grand nombre; ce sont les papyrus en
langue égyptienne, découverts par les voyageurs français;
mais on n'est pas en état de les lire.
M. Bekker s'est occupé le premier de déchiffrer le con-
trat de Ptolémaïs ; après en avoir lu la plus grande partie,
il l'a remis à M. Bôckh et à M. Buttmann, qui se sont
attachés à lire les endroits difficiles. Ils ont réussi presque
partout, et ce qu'il reste à deviner n'a qu'une faible impor-
tance. On pourra contester quelques mots, mais le sens
ne paraît susceptible d'aucun doute.
Il est surprenant que les noms des pontifes , et ceux des
LITTÉRATURE. 375
prêtresses connues sous les désignations d'Athlophore et
de Canéphore, ne soient pas devant ceux des princes la-
gides , comme dans la célèbre inscription de Rosette. Au-
rait-on cherché dans la suite à abréger ces longues formules
qu'il fallait répéter si souvent, en remontant toujours à
l'origine de la dynastie ? Ce n'est pas la seule difficulté que
présente le monument.
Voicr mot à mot la traduction du contrat t '
TRADUCTION LITTÉRALE DU CONTRAT.
«Sous le règne de Cléopâtre et de son fils Ptolémée
surnommé Alexandre, dieux Philométores, Sotères, en
l'an 12 qui est aussi le 9% sous le pontife, résidant à
Alexandrie, d'Alexandre, et des dieux Sotères, et des dieux
Adelphes, et des dieux Evergètes, et des dieux Philopatores,
et des dieux Epiphanes , et du dieu Philométor, et du
dieu Eupator, et des dieux Evergètes; sous l'athlophore
de Bérénice Evergète , et la canéphore d'Arginoë Phila-
delphe et de la déesse Arsinoë Eupator, dans Alexandrie;
à Ptolémaïs en Thébaïde; sous les prêtres des deux
sexes, de Ptolémée Soter, qui sont à Ptolémaïs; le 29 du
moisdetjbi; sous Apollonius préposé de VAgornnomie,
durant ce mois, près de l'administration chargée des fonds
de terre nus , dans le Tathyrites. »
« A vendu Pamonthes ... de couleur noire, beau, long de
corps, dévisage rond, nez droit; ainsi ({vi" Enachomneus . . .
de couleur jaune, aussi de visage rond, nez droit; et iS^m-,
moulins Persinei. . . de couleur jaune, de visage rond, nez
un peu aquilin , bouffie; et Melyt Persinei de cou-
leur jaune, de visage rond, nez droit; avec leur maître
Pamonthes co-vendeur; tous quatre delà corporation des
Petôlitostes, parmi les ouvriers en cuirs memnoniens ; d'un
576 LITTÉRATURK.
fonds de terre nu, à eux appartenant dans la partie du sud
{du quartier) des Memnoniens , un espace de cinq mille
cinquante coudées d'étendue; les voisins [tenons et abou-
tissans) du sud, la rue Royale; du nord et du levant,
le fonds de Pamonlhes et Bokon Ermios son frère, et
les terres communales; du couchant, la maison de Tephis,
fils de Chalomn ; passant au milieu ; ( tels sont les )
voisins de toutes parts.
«A acheté {le champ) Neclwuthes petit {ici un
sobriquet) , de couleur jaune, agréable, de visage long, nez
droit, une cicatrice au milieu du front; {pour le prix de)
601 pièces de monnaie de cuivre; les vendeurs étant les
courtiers et les garans de ce qui est relatif à cet achat.
«A accepté Nechouthes, l'acheteur.»
Ici des signatures.
à la marge de droite.
«En l'an 12 qui est aussi le y", le 20 (les unités man-
quent) de Pharmuthi, sous la..,., sous laquelle Di
était préposé aux contributions (c/za^rr/pAews); Chotlew-
plies, préposé en second ( hypographeus ou hypogramma-
teus)', Heracleides j, contrôleur de l'achat {antigrapheus);
Nechoutes pe4it {ici le sobriquet) , un fonds de terre nu de
5,o5o coudées. . . situé dans la partie du sud {duquartier)
des Memnoniens, qu'il a acheté de Pamonthes , et aussi
à^Enachomneus , lequel a signé avec ses sœurs ; pour
601 pièces de cuivre. ( Ici des caractèj-es embrouillés ,
peut-être les initiales des noms des co~vendeurs, en, per).
En lisant ce traité , on peut faire une remarque assez
importante sous le rapport historique ; c'est que le fonc-
tionnaire principal pour l'administration des terres est un
Grec et non un Egyptien. On voit encore un ou deux noms
à
LITTÉRATURE. V,n
de grcrs parmi les employés de l'enregistremeni. Ainsi,
après deux siècles, les vainqueurs occupaient encore les
emplois publics ; ce qui suppose nécessafrement qu'ils leur
avaient été dévolus et conservés depuis l'origine; le fait est
d'ailleurs confirmé par le monument de Rosette. Dans un
pays qui, avant les Perses, n'avait jamais reçu lu loi des
étrangers, et où la caste sacerdotale occupait les charges
de l'administration , il est difficile de ci'oire que l'exclusion
des naturels, des places éminentes, ait été favorable à la
prospérité publique.
C'est avec fondement que l'ingénieux interprète avance
que la mesure du terrain en coudées exprime la surface et
non la circonférence : c'est en coudées carrées que les
Egyptiens mesuraient leurs terres. Les 5,o5o coudées équi-
valent donc à un rectangle de loi coudées sur 5o; si le
côté long avait été de loo coudées, ce serait juste la moitié
d'une aroure. M. Bôckh conjecture que le terrain avait été
mal mesuré , et que , lors du partage des terres par
Sésostris, on avait fait celle-ci trop longue d'une coudée.
Il n'est pas nécessaire de remonter si haut, et le texte
d'Hérodole n'exige point que toutes les possessions fussent
en effet de forme carrée, ni même rectangulaire; autre-
ment, lagéojjiéirie eût été, en Egypte, entièrement inutile.
Nous n'avons aucune connaissance certaine du prix des
terres, ni de la valeur des monnaies dans la Thébaïde. En
quoi différaient les terres appelées nues des autres espèces
de terrains? faut-iî, par-là, entendre seulement des terres à
blé? de quel poids étaient les pièces de cuivre dont il est
question dans le contrat? quelle quantité do blé repré-
sentaient les 6oi pièces? Voilà des questions sur lesquelles
M. Bôckh ne prononce pas, et qu'il serait indispensable de
résoudre pour avoir une idée complète de la transaction.
Puisqu'on est aujourd'hui sur le chemin des découvertes
Tome x. 25
378 LITTÉRATURE.
les plus heureuses , espérons qu'on découvrira quelque
autre manuscrit, qui éclaircira cette matière si importante
pour l'hisloire de la monnaie.
Après les détails si minutieux et même si étranges du
signalement des parties qui ont figuré dans le contrat de
Ptolemaïs , on est surpris de ne pas trouver une seule
mention de l'âge. M. Bôckh avait d'abord conjecturé qu'il
était compris dans un mot composé, placé constamment
après chaque nom propre et commençant par ces lettres
«<r«; le reste du mot a une physionomie égyptienne; mai»
cette conjecture ne s'est pas vérifiée. C'est presque la
seule lacune que les savans de Berlin aient laissée dans leur
interprétation, et l'on voit qu'elle n'ôte rien au sens.
L'intervalle du 29 de tybi au 20 de pharmuthi , ou du
i3 février au 5 mai (d'après le calcul de l'année vague ) ,
est de 82 jours. On doit conclure de là qu'il fallait laisser
écouler environ trois mois avant l'enregistrement des actes;
car, les unités manquant après le R, la date de pharmuthi
a pu être du 20 au 29 du mois, ce qui fait une latitude de
82 à 91 jours. En prenant le 2g, c'est-à-dire le lendemain
du troisième mois écoulé, l'époque tomberait sur le lA mai ;
à cet instant de l'anné* , les terres étaient dépouillées , et
c'était un moment favorable pour entrer en possession.
Environ un mois après , l'accroissement du Nil allait se
faire sentir. '
On voit, par le contenu de la formule d'enregistrement,
que la vente devait être faite par l'intermédiaire des cour-
tiers et des cautions; mais qu'en certain cas, apparemment
quand le prix était modique, les vendeurs pouvaient en
tenir lieu, sans doute pour éviter les frais.
Ce qui a le plus d'importance dans ce document, c'est
sans doute le passage qui a rapport à la division des castes.
On voit ici une corporation des ouvriers en cuir, avec une
LITIÉRATURH. 379
sous-division qui est appelée les Petôlitosles; deux lemines
en font partie. Ces ouvriers appartenaient à la grande
classe des artisans , qui , selon Platon , Diodore et Strabon,
était l'une de celles dont se composait la population de
l'Egypte. On trouve à cet égard des différences entre les
trois auteurs. Hérodote diffère aussi avec tous; cependant
les uns et les autres s'accordent à mettre au premier rang
la classe des prêtres et celle des gens de guerre. Strabon ,
qui à ces deux n'en ajoute qu'une seule, celle des culti-
vateurs comprenant les artisans , a oublié celle des ber-
gers; celle-ci, à son tour, comprend les bouviers et les
porchers d'Hérodote, ainsi que les chasseurs cités par Pla-
ton. Quant aux pilotes, aux marchands et aux interprètes,
dont Hérodote fait autant de classes différentes, il faut les
réunir à celle des artisans. Il suit de là que Diodore de
Sicile , en partageant le peuple d'Egypte en cinq classes,
les prêtres , les guerriers , les pasteurs j les artisans et les
laboureurs , a donné la véritable division des castes.
On peut remarquer encore dans le contrat: i° que des
ouvriers d'une profession subalterne sont propriétaires
fonciers; t.» qu'un fonds de terre nu et assez médiocre,
puisqu'il n'équivaut pas à un tiers d'arpent de Pari? , est
possédé en commun par quatre personnes; 3° que trois des
co-vendeurs sont subordonnés à l'autre, qui prend le titre
de maître ou seigneur, quoique ouvrier lui-même et de la
même corporation. Ce dernier point est resté obscur dans
le savant commentaire de M. Bockh. Il n'y a pas, en effet,
dans l'acte, de quoi expliquer suffisamment la condition
des personnes. Le mot Kyp/ou est bien lisible dans la pièce;
mais il est impossible de voir, dans l'un des co-vendeurs,
un seigneur suzerain, et, dans les autres, des vassaux, en-
core moins des serfs, des esclaves ou des ilotes. Au reste,
25*
380 LlTTERAïUIlt;.
lélal actuel des fellahs en Egypte pourrait jeter quelques
lumières sur cette importante question ; A^ le vendeur prin-
cipal est le seul de couleur noire ; les trois autres vendeurs,
qui lui sont subordonnés, sont jaunes de peau; l'acheteur
est également de couleur jaune; 5'' les Femmes sont les
seules qui aient un nom et un surnom, indépendamment
du mot barbare dont j'ai parlé. Ce surnom paraît appar-
tenir à la langue égyptienne, ainsi que les noms propres
des cinq parties qui sont intervenues dans le contrat; seu-
lement, on y a joint des finales grecques; 6*^ le mot barbare
qui vient après chaque nom, est le même pour le vendeur
en titre et pour l'acheteur; et ce mot, après les deux noms
de femme, a la même finale ; peut-être, est-ce un nom de
tribu ; mais, dans ce cas, il devrait être le même pour le
frère et les deux sœurs. Nous devons borner ici les re-
marques, puisque l'objet principal de cette notice est de
répandre la connaissance d'un monument curieux.
Si l'emploi de plusieurs tournures inusitées jette un peu
<l'incertitude sur l'interprétation de quelques passages, on
doit avouer qu'il ne s'agit que d'un petit nombre de mots.
Ainsi M. Bockh et ses collaborateurs auront laissé très-peu
y faire pour l'intelligence du texte, et ils auront eu le mé-
rite entier d'une découverte, qui ne peut manquer d'ajou-
ter à la réputation de ces savans hellénistes. Aussi, je ne
doute nullement que le contrat de Ptolemaîs n'acquière
un jour la même célébrité que la pierre de Rosette.
JoMARD . de r Institut.
*\\'\V»,Vt%.l.\'V\%^\VV1rX\\l\lV'*'V\,VVVV\VV\*'*ïA'VVl1\%V\V\\\VV\-\X\X\*,V\V\V\'\\'^X'\\%V»
m. BULLLETTN BIBLIOGRAPHIQUE.
LIVRES ÉTRAINGERS (i).
AMERIQUE.
ÉTATS-IMS.
1 15. — Brackenrid^es Kede iiber gleichc rtchle der Juden mil den
Liiristcn. — Discours sur l'égalité des droits entre les juifs et le»
chrétiens.
Ce discours a été prononcé dans la maison du délégué de la pro-
vince de Maryland, en Amérique ; il avait pour but d'obtenir l'abro-
gation du bill , qui ne permet pas que dans cette province les
Israélites arrivent aux emplois publics. L'auteur prouve que les per-
sécutions seules ont j)u altérer le caractère de ceux qui professent le
judaïsme. Peut-on attendre de l'aiTeclion, des hommes auxquels on
ne témoigne que de la malveillance ? est-on en droit d'exiger de l'ac-
tivité et de l'industrie de malheureux qui, dans certains pays, n'onï
pas même le droit d'acquérir une propriété? enfin, ceux qu'une
aveugle superstition expose à la haine et aux insultes de la populace
peuvent-ils être bons voisins? Ce n'est donc pas en Europe, où ils
sont victimes de tant de préjugés ; c'est en Amérique qu'il convient
de juger les juifs. Là, n'existent pointées odieuses préventions; et,
la cause ayant disparu , les effets ne se sont pas reproduits. Les juifs ,
plus encore que les autres citoyens , se montrent attachés aux insti-
tutions de ce pays, le seul qu'ils puissent à bon droit regarder comme
leur patrie. Que l'exemple de l'Amérique instruise donc l'Europe,
où une intolérance barbare appelle encore , surtout une communion
religieuse, les proscriptions et les confiscations du moyen âge. En
France , un décret avait suspendu les droits des juifs pour dix ans ;
à l'expiration de ce terme , le gouvernement s'est fait rendre compte
de leur conduite. 11 a appri.s que , s'il se trouve parmi eux des
(i) Nous indiquerons, par un astérisque (*) placé a côté du titre
de chaque ouvrage , ceux des livres étrangers ou français qui
paraîtront dignes d'une altenlion particulière , et dent nou*
vendrons quelquefois compte dans la section des analyses.
S82 LIVKES ETRANGERS.
usuriers , il en est chez les chrétiens qui ne leur cèdent en rien , et la
mesure d'exception n'a point été renouvelée. Ph. Golbert.
EUROPE.
ANGLETERRE.
1 16. — Sélections fiom lelters written during a tour irough the United
States, etc. — Choix de lettres écrites dans un voyage fait aux Etats-
Unis, pendant l'été et l'automne de 1819, auxquelles on a ajouté un
précis sur les mœurs des Indiens , qu'on suppose descendre des dix
tribus d'Israël , une description de la situation et des souffrances des
émigrans , et un coup d'oeil sur le sol et l'état de l'agriculture ; par
E. HowiTT. Mansfield , 1820; un vol. in-i2 de 23o pages.
Le but de l'auteur de ce voyage est évidemment de détourner se»
compatriotes du projet d'émigrer en Amérique , mais surtout aux
nouveaux états du À'en/Mc/// , de i'indiana, des Illinois, de \'0-
hio, etc., qui sont situés dans la partie occidentale de ce continent. II
renferme des renseignemens qui peuvent être utiles , quoiqu'ils
doivent être reçus avec précaution , à cause de l'esprit de partialité
qui a dicté l'ouvrage. « Ma patience , dit l'auteur , a été souvent
poussée à bout, en voyant tous les agriculteurs qui, dans leur pays,
passaient pour d'excellens fermiers, quitter l'Angleterre, avec la ferme
résolution de se conformer à la pratique qu'ils avaient toujours suivie,
en l'adaptant toutefois au sol et au climat, et Unir, au bout de
quelques années, par devenir aussi insoucians que les Américains et
par suivre leurs usages les plus absurdes. La classe des fermiers de
ce pays se compose des descendans d'artisans , ou de gens ayant
exercé eux-mêmes diverses professions, et que la nécessité a réduits
à se faire cultivateurs. Ils ont adopté entièrement les pratiques des
premiers colons, quelque mauvaises qu'elles soient, en dépit de
la raison et des efforts des hommes les plus sensés , qui, ayant aperçu
le mal , ont vainement établi des sociétés d'agriculture pour y re-
médier. Ils les suivent avec cette suffisance et cette opiniâtreté qui
caractérisent beaucoup d'Américains. Le fermier qui, en quittant
l'Angleterre, se flatterait de voir le cultivateur d'Amérique suivre
un système régulier de culture, adapté au climat, au sol et à la si-
tuation locale, tomberait dans une grave erreur: tout le système de"
rAméricain se réduit à semer le gi-ain dont il a besoin, sans jamai* '
LIVRES ÉlRANGEllS. S8S
songer à alterner les semailles. II cultive souvent dans le même sol le
môme grain , pendant sept ou huit années consécutives, et quelque-
fois davantage , si le terrain le lui permet. Il semble ne consulter que
sa convenance du moment, et vouloir épargner uniquement la main
d'œuvre; ce qui est, à la vérité, un objet important dans ce pays.
L'Américain ne s'occupe jamais , ou du moins fort rarement, d'amé-
liorer la qualité de ses terres, et il s'en sert comme on en use à l'égard
des ânes en Angleterre, où on les fait travailler tant qu'il leur reste
un souffle de vie, sans prendre le moindre soin de leur conservation.
Mais, si vous trouvez des charmes dans une société choisie ; si vous
aimez la compagnie de voisins, dont les mœurs, les goûts et le carac-
tère soient semblables aux vôti'es; si vous préférez la propreté à la
malpropreté, la discrétion à la curiosité, la probité à la friponnerie,
la politesse à la grossière effronterie d'hommes qui s'imaginent qu'une
licence effrénée constitue la liberté ; si vous aimez mieux vous établir
dans une maison bien tenue et agréable que dans une habitation sale
et incommode ; si , la nuit , vous désirez vous reposer des fatigues de
la journée, et non vous coucher pour être rongé de vermine; enfin,
si vous vous plaisez dans la société de gens d'une tenue décente , do
mœurs douces et modestes, plutôt que dans celle d'un ramas confus
d'étrangers de toutes les nations, malpropres, bruyans et insolens ,
vous n'avez d'autre parti à prendre que de vous associer quelques-
uns de vos compatriotes et d'acheter une étendue de terre, où vous
ferez un établissement à part. Vous oublierez, en quelque sorte, que
vous êtes sur un sol étranger; autrement, vous ne devez vous attendre
qu'à des désagrémens sans nombre »
t Les anciens Américains ou Yankees affectent le plus grand mé-
pris pour les émigrés qui arrivent chez eux; ils les regardent comme
des malheureux , chassés d'un pays d'ilotes et venant chercher une
existence dans leur glorieuse patrie. Ils croient, d'ailleurs, qu'il n'est
aucun de ceux qui viennent s'établir parmi eux qui n'ait été obligé
de quitter son pays natal, pour en avoir violé les lois. •
' Mus par une soif insatiable du gain et par leur mépris pour les
immio-rans, ils regardent ce que ceux-ci possèdent comme de bonne
prise , et ils ne laissent échapper aucune occasion d'exploiter à leur
pro&t leur ignorance du prix des marchandises, des coutumes et des
lois du pays, et du caractère de ses habitans. Quiconque vient se Gxer
ici doit bien se tenir sur ses gardes : s'il n'a pas soin de se procurer
S8A LIVRES ÉTRANGERS.
les provisions nécessaires pour son voyage dans l'intérieur, il les j
paiera dix fois plus que leur valeur ; et , quand il se trouvera une fois
dans l'intérieur du pays, il lui faudra peut-être acheter sans caution
des terres d'un squalter , c'est-à-dire d'un individu qui se sera ap-
proprié ces terres , sans titre quelconque , et les aura cultivées , au
risque d'en être dépouillé par le véritable propriétaire. Ajoutez à cela
les maux qui résultent du système des banques. Je vous ai marqué
les causes qui tendent à attacher l'acquéreur au sol et à en faire un
mendiant ou un esclave ; il faut ajouter les rigueurs extrêmes du froid
et du chaud , et les essaims d'insectes qui infestent non seulement ses
plantations et dévorent le feuillage des arbres de ses vergers, mais qui
se répandent jusque dans sa maison, et s'attachent même à sa per-
sonne. Vous verrez sans doute, par la récapitulation des maux qui
désolent ce pays, qu'un homme doit s'armer d'un grand courage,
pour s'exposer à tous ces désagrémens.
« Il me faut enfin conclure , et dire franchement mon opinion sur
cette contrée. Je ne doute nullement que l'Amérique ne devienne un
grand état , et que, lorsque le caractère de ses habitans aura éprouvé
l'influence bienfaisante des sciences et des arts industriels, mais sur-
tout du tems et d'une civilisation progressive, elle ne soit un pays
heureux. Mais, aujourd'hui, je pense que l'étranger qui va s'y établir
pour toujours fait une véritable folie. Avant de prendre ce parti , un
homme sensé doit se demander, s'il ne vaut pas mieux supporter les
maux qu'il éprouve , que de s'exposer à d'autres plus grands, qu'il ne
connaît pas. »
ï 17. — An Altempt to analyse ihe automaton chess player-, etc. — .
Essai sur le joueur d'échecs automate de M. de Kempelen, suivi d'une
méthode facile pour imiter les mouvemens de cette célèbre méca-
nique ; orné de gravures. Londres, 1821. Brochure in-S" de 4o pages.
Cet automate , promené pendant quarante ans dans toute l'Europe,
où il excita l'étonnement des mécaniciens les plus habiles, n'est,
selon l'auteur de cette brochure , qu'un coffre assez grand pour con-
tenir un homme, qui dirige les mouvemens de la main et prête à une
tête de bois les combinaisons d'un être pensant et réfléchissant. La
mécanique, qu'on semblait mettre en jeu au moyen d'un ressort,
n'était qu'un artifice destiné à tromper les spectateurs. La difficulté
d'expliquer G€ phénomène avait toujours fait supposer la présence d'un
agent raisonnable, qui faisait agir la machine. On avait même soup^
LIVRES ETRANGERS. 385
çonnc quelque rapport secret entre la marche mesurée de M. de
Kcmpelen dans l'appartement où se faisait la partie, et les mouvemens
de l'automate ; mais il paraît qu'on n'avait pas cru possible qu'un
homme pût se glisser dans le corps du joueur. C'est ce que l'auteur
de ce petit écrit prétend avoir prouvé ; il cite , à l'appui de son juge-
ment, plusieurs faits dont il a été témoin, et sa propre expérience,
comme mécanicien. L. S,
118. — A Grammar ofnalural and expérimental Philosophy , etc.
— Grammaire de philosophie naturelle et expérimentale , exécutée
sur le nif-me plan que la grammaii-e géographique de Goldsmith et
la grammaire historique de Ilobinson, et adoptée comme livre élé-
mentaire pratique , dans les collèges et pensions, par le révéread
Dauid^i.KivL. Londres, 1821. Sherwood. Prix, 7 schellings.
Simplifier l'étude de la philosophie , marquer les bornes où elle
doit se renfermer , mettre ses préceptes à la portée de tous les esprits,
les développer d'une manière simple et concise, voilà ce que s'est
proposé le docteur Blair en publiant cette grammaire, qu'il a fait
suivre, comme ses autres ouvrages, d'une série d'interrogations, qui
ont pour but d'exercer la mémoire de l'élève et son intelligence ,
en l'obligeant à se rendre compte à lui-même de ce qu'il a lu , et à
en donner une idée claire et distincte au professeur qui l'interroge.
Cette méthode, appliquée avec discernement, est d'un grand avan-
tage dans l'éducation, et contribue à fortifier l'esprit et le jugement
des jeunes gens. L. S.
1 19. — Letters from the Hauannah. — Lettres écrites de la Havane,
pendant l'année 1820 , contenant une description de l'état actuel de
l'île de Cuba , suivies d'observations sur le commerce des esclaves.
Londres , 1821. 1 vol. in-S» de i55 pages.
L'auteur de ces lettres est un philantrope éclairé et un écrivain
spirituel , qui a fort bien su tirer parti d'un séjour d'un an dans la
plus belle île de l'archipel occidental , pour bien observer, et pour
reproduire fidèlement ce qu'il a observé. C'est de l'année 1778,
lorsque le commerce commença à prendre un peu d'essor, que date
véritablement l'histoire de l'ile de Cuba. L'auteur décrit, avec une
étonnante vérité et avec beaucoup de concision, l'aspect du pays,
ses productions naturelles , ses habitans , leurs mœurs , leurs cou-
tumes. Ses remarques sur le commerce des esclaves et sur la tyrannie
exercée contre les noirs expriment l'indignation d'une amc honnête